Ce que les complotistes ont dans la tête - Le Moniteur des Pharmacies n° 3363 du 03/04/2021 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3363 du 03/04/2021
 
SOCIÉTÉ

TEMPS FORTS

ENJEUX

Auteur(s) : Magali Clausener

Le Covid-19 a mis en exergue de nouvelles thèses complotistes visant notamment le port du masque et la vaccination. Si le complotisme n’est pas un phénomène récent, il n’en demeure pas moins inquiétant dans un contexte où la crise sanitaire révèle une forte défiance envers les institutions.

Le 22 mars, le site YouGov publie les résultats d’un sondage sur le vaccin anti-Covid-19 d’AstraZeneca : 61 % des Français ayant répondu à l’enquête jugent qu’il n’est pas sûr, soit + 18 points par rapport à février. C’est-à-dire avant la suspension du vaccin dans de nombreux pays d’Europe.

Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, les discours contestataires et complotistes se sont multipliés sur les réseaux sociaux, mais aussi sur les plateaux TV. Ainsi, le refus des médecins et des autorités sanitaires d’utiliser l’hydroxychloroquine pour traiter les patients atteints de Covid-19 relèverait d’un complot entre l’Etat et Big Pharma pour privilégier des médicaments aux prix très élevés. Le port du masque, outre le fait qu’il serait inutile voire dangereux pour la santé, ne viserait qu’à tester les populations sur leur degré de servilité dans le but de mettre en place un nouvel ordre mondial. Quant aux vaccins, ils contiendraient des nanoparticules ou des puces reliées à la 5G permettant de pister et de contrôler chaque citoyen. Ces thèses ne reposent sur aucun fondement scientifique ni politique. En revanche, tous ceux qui les partagent présentent des caractéristiques communes.

Défiance envers les institutions…

« Le complotisme est un phénomène qui se développe de plus en plus et touche des classes sociales différentes de l’archétype social. Il faut distinguer deux profils : ceux qui sont jeunes et ont un niveau d’études de niveau bac + 2, et les leaders d’opinion, plus âgés et appartenant aux catégories sociales professionnelles supérieures. Ces derniers légitiment les thèses complotistes auxquelles adhérent les plus jeunes », explique Antoine Bristielle, professeur agrégé de sciences sociales, chercheur en science politique au laboratoire Pacte de Sciences Po Grenoble, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et div de A qui se fier ? De la crise de confiance institutionnelle à la crise sanitaire, aux éditions de L’Aube. C’est par exemple le cas de Martine Wonner, députée du Bas-Rhin, ex-La République en marche (LREM) et appartenant actuellement au groupe Libertés et territoires. Début février 2021, elle a qualifié les pharmaciens d’« épiciers qui n’ont pas réussi médecine ». Cette psychiatre est surtout connue pour ses positions contre le port du masque à la sortie du premier confinement et pour l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19. C’est elle aussi qui a créé le collectif médical Laissons les médecins prescrire, qui propose un protocole notamment à base d’hydroxychloroquine, d’azithromycine, d’ivermectine, de vitamine C ou encore de zinc et d’homéopathie. Surtout, Martine Wonner n’a pas hésité à participer au film complotiste Hold-Up. Ses propos ne peuvent que renforcer les convictions des conspirationnistes.

Les complotistes ont un autre trait commun : leur défiance envers les institutions politiques. Dans son livre, Antoine Bristielle cite les résultats du Baromètre de la confiance politique publié par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Entre 2009 et 2020, la confiance dans l’Assem­blée nationale est passée de 39 % à 26 % et celle dans l’institution présidentielle de 34 % à 25 %. « Cette baisse concerne surtout les catégories populaires, alors que les pourcentages sont restés stables dans les catégories moyennes et supérieures », observe le chercheur. Cette défiance institutionnelle ne date donc pas d’il y a un an. Pour de nombreux chercheurs et observateurs, elle a particulièrement émergé lors du mouvement des « gilets jaunes » en 2018, qui reste encore présent, en particulier sur les réseaux sociaux. Dans ce condiv, la crise sanitaire représente « un formidable catalyseur des thèses complotistes », comme le souligne Jean-Philippe Dubrulle, directeur d’études au pôle opinion de l’Institut français d’opinion publique (Ifop), dans une analyse publiée par la Fondation Jean-Jaurès, Quand la défiance supplante la science. Ce qui est corroboré par les études sur les antimasques et les antivax (voir encadré).

… Et envers les scientifiques

L’épidémie de Covid-19 a, effectivement, vu émerger une forte défiance envers les scientifiques. Les polémiques sur l’hydroxychloroquine, les mesures sanitaires ou les vaccins, ainsi que les contradictions entre médecins qui se sont succédé pratiquement chaque jour ont distillé le doute sur les faits scientifiques. Et les réseaux sociaux ne sont pas les seuls responsables de cette situation. « Les médias ont eu un rôle dans le développement du complotisme en mettant en scène des controverses sur les plateaux télé, note Antoine Bristielle. Cela a eu un effet sur la confiance des Français dans les scientifiques. Au début de la crise, le niveau de celle-ci s’élevait à 90 %, maintenant il s’établit à 70 % ». « L’analyse des populations les plus sceptiques, sinon clairement revendiquées comme antisciences, suggère que le rejet du discours scientifique se confond au moins en partie avec celui des institutions. Autrement formulé : la science étant considérée comme un establishment, elle est contestée, voire rejetée, au même titre que celui-ci », écrit pour sa part Jean-Philippe Dubrulle. Et d’ajouter : « La pandémie de Covid-19 n’a pu qu’encourager ce mouvement de fond, ne serait-ce qu’en mettant ledit establishement en position de tâtonner et de faillir face à une crise sans précédent ».

Un cercle vicieux

Cette défiance pratiquement généralisée a des conséquences sur les décisions politiques. L’instauration des confinements et des couvre-feux s’est ainsi accompagnée en France de la mise en place d’attestations et de contrôles policiers. Autre exemple : l’excès de précautions pris par le gouvernement pour le lancement de la vaccination contre le Covid-19 compte tenu de la méfiance des Français envers les nouveaux vaccins. Ce qui n’a pas été le cas dans de nombreux pays, en particulier nordiques. Leurs gouvernements ont misé sur la responsabilité des citoyens et des recommandations au lieu de mesures imposées. « Lorsque le niveau de confiance est élevé par rapport à la responsabilité individuelle, les mesures sont mieux suivies, le taux de mortalité est plus faible et le taux de satisfaction dans le gouvernement plus élevé. C’est un cercle vertueux, remarque Antoine Bristielle. En France, nous sommes dans une situation inverse. Le gouvernement mise sur des mesures coercitives. Il est extrêmement difficile de sortir de ce cercle vicieux. » Quelles sont les solutions ? Elles sont avant tout politiques car, au bout du compte, c’est la démocratie qui pâtit de cette situation. « La défiance envers les institutions existait avant la crise sanitaire, mais elle a été exacerbée par celle-ci. Tout l’enjeu est de pouvoir traiter les effets délétères de cette situation dans les périodes “ordinaires”, hors crise », conclut Antoine Bristielle.

Antimasques et antivax

Antoine Bristielle a étudié la sociologie des antimasques en particulier sur Facebook. Son enquête révèle que les femmes sont surreprésentées à près de 63 %. L’âge moyen est de 50 ans. Le niveau d’éducation est un bac + 2 en moyenne. Les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent 36 % des personnes, les ouvriers et employés seulement 23 %. Un profil qui se différencie de celui des complotistes. Pourtant, la défiance institutionnelle est bien présente : 90 % des antimasques pensent que le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins (contre 43 % dans l’ensemble de la population). Enfin, 57 % des antimasques soutiennent les « gilets jaunes ».

« Il y a deux types de publics : les antivax qu’il est difficile de convaincre avec des arguments provenant des institutions ; les personnes réticentes, qui s’interrogent sur les risques qu’ils prendraient en se vaccinant. Avec ces dernières, il est possible de dialoguer », note Antoine Bristielle. Les antivax, opposés à tous les vaccins depuis de nombreuses années, ne représenteraient que 12 à 13 % de la population. Si, en janvier 2021, 46 % des Français étaient opposés à la vaccination contre le Covid-191, ils n’étaient plus que 36 % à la mi-mars2. Mais seuls 43 % des Français favorables à la vaccination faisaient confiance au vaccin d’AstraZeneca.

1 Etude Ifop pour Lemon.fr réalisée par questionnaire autoadministré en ligne du 11 au 12 janvier 2021 auprès d’un échantillon de 1 028 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

2 Sondage Harris Interactive pour LCI réalisé en ligne les 11 et 12 mars 2021, auprès d’un échantillon de 1 478 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

À RETENIR

- La crise sanitaire et les débats qui l’ont animée (masques, hydroxychloroquine, vaccins, etc.) ont exacerbé la défiance du public envers les institutions d’abord, puis la science.

- Les mesures prises pour gérer la crise, coercitives, ne font qu’aggraver la défiance. Les solutions ? Traiter les effets délétères du complotisme ne pourra se faire qu’après la crise.

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