Décès de patients vaccinés : les CRPV mènent l’enquête - Le Moniteur des Pharmacies n° 3358 du 27/02/2021 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3358 du 27/02/2021
 
COVID-19

EXPERTISE

AUTOUR DU MÉDICAMENT

Auteur(s) : Anne-Hélène Collin

Les effets indésirables qui surviennent après la vaccination ne sont pas forcément en lien avec elle. La preuve de la causalité est apportée par l’enquête de pharmacovigilance. Exemple avec le vaccin anti-Covid-19 Comirnaty de Pfizer/BioNTech.

Dans leur premier rapport de pharmacovigilance publié le 22 janvier par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) ont rapporté 135 cas d’effets indésirables apparus après injection d’une première dose du vaccin à ARN messager Comirnaty (Pfizer/BioNTech)*, sur près de 400 000 personnes vaccinées alors. Parmi ces cas, neuf décès dans lesquels le vaccin pourrait être suspecté. Les chiffres ont évolué depuis cette date avec, au 11 février, 130 décès rapportés depuis le début du suivi (voir page 25).

Le premier décès est survenu chez un patient polypathologique résidant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), deux heures après l’injection. « Le patient n’avait présenté aucun signe d’effet indésirable au vaccin (en particulier pas de signe d’allergie) », précise le rapport. Les huit autres décès concernaient des patients « tous âgés de plus de 85 ans, et de plus de 90 ans pour quatre d’entre eux. Tous présentaient d’importantes comorbidités ». Les décès sont survenus le jour de la vaccination et jusqu’au cinquième jour après l’injection. Selon le rapport des CRPV, « aucun patient n’avait présenté de signes d’allergie ; un seul a présenté une fièvre modérée 48 heures après la vaccination, un autre a présenté un épisode de vomissement dans les heures précédant le décès pouvant faire suspecter une inhalation ».

L’enquête

« Les décès sont déclarés à l’un des 31 centres régionaux de pharmacovigilance. Ils sont analysés, complétés, imputés et, toutes les semaines, discutés entre les réseaux de CRPV et l’ANSM », explique en préambule Jean-Louis Montastruc, directeur du centre de pharmacovigilance du centre hospitalier universitaire de Toulouse (Haute-Garonne) et membre de l’Académie nationale de médecine. « Ce sont des décès inattendus, pour lesquels il n’y a pas de cause évidente et qui se sont produits dans un délai raisonnable après l’administration, dans la semaine pour être large. Mais déjà, plusieurs jours après la vaccination, on ne voit pas très bien le lien au vu des données actuellement disponibles », développe Aurélie Grandvuillemin, pharmacienne praticienne hospitalière au CRPV de Bourgogne. Le facteur temps est en effet essentiel pour permettre d’établir, ou non, un lien entre l’effet observé et le médicament ou le vaccin. Pour mener l’enquête, « on applique le principe d’imputabilité qui se base sur deux critères importants en lien avec le patient : la chronologie et la sémiologie », poursuit la pharmacienne. La chronologie consiste à enquêter sur le médicament suspect : reprendre l’historique médicamenteux du patient, relever les dates de début et d’arrêt du traitement en les confrontant aux dates d’apparition et de disparition des symptômes. Le délai entre la prise du médicament et l’apparition de l’effet doit être compatible avec la pharmacologie et la pharmacocinétique du médicament. De plus, « le délai dépend aussi de la physiopathologie de la maladie. Par exemple, une fibrose pulmonaire se développe en plusieurs semaines, alors qu’un choc anaphylactique apparaît en quelques minutes à quelques heures », précise Aurélie Grandvuillemin.

En parallèle de la chronologie, les pharmacologues des CRPV travaillent sur la sémiologie, qui consiste à « caractériser l’effet indésirable sur lequel on travaille, explique Aurélie Grandvuillemin. Par exemple, on nous décrit comme effet indésirable un choc anaphylactique, mais est-ce bien un choc anaphylactique ? On fait le tour des signes cliniques du patient ». Dans les CRPV, la réflexion porte aussi sur le principe de diagnostic d’exclusion : d’autres causes peuventelles expliquer ce symptôme ? « Plus les autres causes sont écartées, plus l’imputabilité du médicament est forte. »

Chaque détail compte. « Cela requiert une précision, à la minute près, pour certains effets, poursuit Aurélie Grandvuillemin. C’est une enquête rigoureuse avec le recueil de dates voire d’heures de prise de médicament et d’apparition des symptômes ». Une véritable « enquête de police sanitaire », assure la pharmacienne, dans laquelle sont confrontés des « indices ». « Nous cherchons les informations les plus exhaustives possibles pour trouver également d’autres médicaments suspects potentiels. On reconstitue l’histoire du patient en fonction de la maladie sur laquelle on travaille. » « Il s’agit d’une analyse médicopharmacologique qui repose sur une analyse clinique poussée et scrupuleuse et l’application des critères d’imputabilité », résume Jean-Louis Montastruc. Appliquée aux vaccins anti-Covid-19 récemment utilisés, l’enquête n’est pas simple. Les effets indésirables observés sont le plus souvent liés à l’effet immunogène, et « nous avons déjà une idée de la chronologie. Les effets réactogènes (notamment la fièvre) apparaissent classiquement entre le premier et le quatrième jour après la vaccination, explique la pharmacienne du CRPV de Bourgogne. Mais une fièvre seule après la vaccination ne donne pas beaucoup d’informations. Est-ce une fièvre isolée ? C’est possible. Une autre pathologie, une réaction immunogène plus large ? »

Les indices

La logistique pour récupérer le maximum d’informations complémentaires est importante. Médecins et pharmaciens des CRPV consultent le dossier médical hospitalier du patient et remontent son histoire médicamenteuse en ville. « On travaille par téléphone, e-mail, on contacte le médecin, le pharmacien, les laboratoires de biologie médicale… », raconte Aurélie Grandvuillemin. Chaque « témoin » révèle un contour de l’« affaire ». « Le médecin donne des informations sur la prescription, le pharmacien sur la délivrance, mais ils n’apportent pas d’information sur la prise du médicament lui-même. » Il faut donc parfois interroger le patient, ou ses proches. La bibliographie arrive également en appui de la réflexion pharmacologique.

Le verdict

Si l’enquête du CRPV consiste à déterminer l’imputalibilité d’un risque à un médicament avec des niveaux de preuve faibles à élevés, en parallèle, la phase pharmaco-épidémiologique permet de répondre à la question d’un surrisque ou d’une surmortalité dans la population traitée par rapport à une population comparable. Par exemple, dans le cas des décès survenus après l’administration du vaccin Comirnaty, leur nombre ainsi que le nombre d’effets indésirables graves est comparé à la fréquence de décès et d’hospitalisations attendues quotidiennement en Ehpad, population déjà vulnérable, avec des comorbidités et une espérance de vie variable. Hors Covid-19, 400 à 500 cas de décès surviennent chaque jour en Ehpad, d’après des estimations du groupe d’intérêt scientifique EPI-Phare (ANSM, Caisse nationale de l’Assurance maladie). La conduite à tenir (arrêt, réduction des doses, etc.) dépendra de la force de l’imputabilité, de la gravité de l’effet indésirable et de la balance bénéfice/risque du médicament. La décision finale reviendra aux autorités de santé, notamment à l’Agence européenne des médicaments (EMA) pour les médicaments avec autorisation de mise sur le marché européenne.

Pour l’heure, le lien entre décès et vaccin anti-Covid-19 n’est pas établi. « Ce sont des observations et il n’existe pas d’imputabilité », conclut Jean-Louis Montastruc. Toutefois, il convient de rester prudent : « Il faut obtenir la totalité des retours des CRPV. S’il y a une alerte, elle ne sera donnée que dans plusieurs semaines. »

* Aucun effet indésirable n’était signalé avec Moderna, mais ce vaccin n’a été livré en France que la semaine du 11 janvier.

QU’EST-CE QU’UN CAS D’EFFET INDÉSIRABLE GRAVE ?

Les cas sont considérés comme graves s’ils rapportent au moins :

- un effet ayant entraîné un décès, une mise en jeu du pronostic vital, une hospitalisation ou une prolongation d’hospitalisation, une incapacité ou un handicap importants ou durables, une anomalie ou une malformation congénitales ;

- ou un effet considéré comme « médicalement significatif » selon la définition du réseau des centres régionaux de pharmacovigilance : arrêt de travail, interruption de scolarité, consultation dans un service d’urgence pour un effet au moins de grade III (invalidant, interférant avec les activités élémentaires de la vie quotidienne, etc.), réalisation d’un examen invasif ou d’une imagerie pour explorer l’effet indésirable déclaré, effet indésirable « sévère ».

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