Le prix à payer - Le Moniteur des Pharmacies n° 3357 du 20/02/2021 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3357 du 20/02/2021
 
CRISE ÉCONOMIQUE

TEMPS FORTS

ENJEUX

Auteur(s) : Fabienne Colin

Dans la foulée de la crise sanitaire liée au Covid-19 se profile une crise économique. Si la guerre des prix a démarré avec les masques, produits essentiels longtemps en pénurie, faut-il pour autant s’attendre à un règne des prix bas ? Les tendances de consommation sont parfois plus complexes qu’il n’y paraît.

Début février, Michel-Edouard Leclerc annonçait l’arrivée imminente de masques chirurgicaux made in France de sa marque Repère ou encore d’un panier étudiant « le moins cher du marché et de qualité ». Près d’un an après le premier confinement, dans un condiv de crise économique, il paraîtrait logique que la guerre des étiquettes fasse rage.

Un consommateur inquiet

Près de la moitié de la population française estime disposer d’un moindre pouvoir d’achat en 2020 (voir page 19). Certains sont au chômage partiel, d’autres craignent de perdre leur emploi. « Quand un foyer subit une baisse de revenu ou ressent une incertitude, ce n’est pas favorable à la consommation et cela renforce la sensibilité aux prix », observe Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce. Et cette appétence s’inscrit dans une tendance de consommation bien plus ancienne, plus subtile que les seuls premiers prix. « Nous sommes dans un cycle qui a commencé largement avant la crise, où les clients sont obsédés par la valeur des euros qu’ils dépensent. Cela ne signifie pas qu’ils cherchent le prix le plus bas. Ils cherchent la valeur la plus élevée, analyse Olivier Dauvers, expert de la grande distribution, à propos de l’ensemble du commerce. Cette nuance importante ne condamne pas tout le monde à faire du discount, mais elle condamne à faire du discount quand on vend les mêmes produits que les autres ».

De fait, entre deux commerçants vendant le même produit, le prix le moins élevé devient l’argument qui donne le plus de valeur. « Ce phénomène ne peut que s’accentuer car le niveau d’inquiétude (sur de futures difficultés économiques) renforce le besoin de réassurance par le prix. C’est pour cela que la promotion continue de progresser. Elle reste la meilleure façon de donner de la valeur à mes euros », poursuit le consultant.

Et les promotions se multiplient. Par exemple, Giropharm choisit cette année d’affirmer sa politique commerciale en déclinant 73 opérations en 2021, soit 33 de plus que l’an passé. « Ces dernières sont essentiellement composées de promotions : deux produits plus un gratuit, moins 50 % sur le deuxième produit, un bon de réduction immédiat… », détaille Gilles Unglik, directeur général opérationnel du groupement. Les promotions ont tendance à être ciblées sur les produits de nécessité. « A la rentrée, la GMS a plutôt vendu des packs de trois stylos que de 10. A 10, le consommateur fait un achat “sécurité”, à trois il est dans le vrai besoin », analyse Hervé Jouves, un « ex » des enseignes Conforama et Virgin devenu président de Lafayette Conseil, groupe d’enseignes qui a commencé son histoire en transformant le marché avec son approche de discounter.

La marque de distributeur, valeur refuge

La grande distribution a déjà senti le comportement des consommateurs évoluer et elle s’adapte. Cet ajustement de stratégie « prix » passe notamment par la mise en avant de marque de distributeur (MDD). « On remarque une demande qu’on croyait un peu partie, celle des premiers prix », pointait Michel-Edouard Leclerc sur France Info fin janvier. Ainsi E.Leclerc entend « remettre des premiers prix parce que cela devient un référent pour les populations (en difficulté) » et réinjecter sa marque Eco+.

Plus généralement, les marques de distributeurs ont le vent en poupe. « En 2020, dans la grande distribution, nous avons assisté à une reprogression des MDD. En fait, à chaque crise, elles jouent le rôle de valeur refuge et se développent », observe Olivier Dauvers. Signe des temps, Giropharm va lancer sa première MDD en septembre prochain. « Nous étions un des rares groupements sans, rappelle Gilles Unglik. La MDD répond à des attentes en matière de prix et de différenciation. Ce n’est pas directement lié à la crise sanitaire, mais à une volonté des consommateurs de trouver des marques différentes. Pour nos adhérents, c’est une façon de se différencier ».

Mieux communiquer sur les prix

Dans ce condiv, les pharmacies doivent-elles toutes se mettre au discount ? Tous les experts répondent par la négative. D’ailleurs, « l’étude de l’évolution des prix sur le marché du selfcare (hors masques et gels hydroalcooliques) entre janvier 2020 et janvier 2021 ne montre pas de grandes braderies sur les étiquettes en pharmacie, que les segments soient dynamiques ou non », analyse David Syr, directeur général adjoint du Groupement pour l’élaboration et la réalisation de statistiques (Gers). Loin d’observer des mouvements de fond significatifs sur les ventes à petits prix, il estime que le consommateur s’attache actuellement « à maximiser ce qu’il cherche en matière de prix, versus la contrainte d’un déplacement pour se rendre dans une autre officine et le conseil obtenu ».

La bataille se tient donc plutôt sur le terrain de la perception des prix dans un condiv où se multiplient les contraintes : respecter les gestes barrières, trouver un commerce ouvert… « Ceux qui proposent des prix raisonnables, c’est le moment de communiquer dessus ! », incite Joëlle Hermouet, consultante en merchandising et stratégie commerciale, qui croit à la synergie entre le conseil et le juste prix sur les références dites sensibles, c’est-à-dire celles aux tarifs connus par les consommateurs (les produits bébé, les grands formats de gels douche, etc). « Ce n’est pas le moment du discount. La clientèle n’attend pas cela mais de l’écoute », selon la consultante.

Même tonalité chez Giropharm. « Aujourd’hui en pharmacie, le consommateur ne recherche pas tant le prix bas. Il veut certes une bonne affaire, mais il convoite surtout une réassurance sur sa santé », observe Gilles Unglik.

Jouer sur le pouvoir d’achat

Une crise n’est pas le moment opportun pour changer radicalement de stratégie. « Je déconseillerais à Monoprix de faire du Aldi, résume Frank Rosenthal. Personne ne comprendrait et cela perturberait les clients pour longtemps. (…) On est dans la tempête, on ne sait pas combien de temps elle va durer, on sait qu’elle est forte, il faut maintenir le cap, s’adapter mais pas changer de comportement. Ceux qui sont positionnés sur le prix ne doivent surtout pas s’en écarter, mais renforcer leur discours sur le prix, les promotions… Ceux ayant une image prix médiocre doivent la travailler sans pour autant changer radicalement car il faut garder sa crédibilité ».

Les enseignes qui promettent des « prix bas tous les jours » conservent en effet leur positionnement. Toutefois, elles procèdent à des arbitrages. « Le problème, c’est de savoir si on multiplie les cibles ou si on essaie de concentrer notre attention sur la population la plus démunie, expliquait Michel-Edouard Leclerc à Jean-Jacques Bourdin sur RMC et BFMTV, le 4 février. Nous, on réinvestit sur la thèse du pouvoir d’achat, à travers ce qu’on maîtrise bien, rapidement : le prix, les produits d’entrée de gamme. »

« Attention à ne pas être radical, à ne pas céder à la panique », avertit toutefois Frank Rosenthal. « En pharmacie, avant toute chose, je conseillerais à une enseigne de faire un état des lieux psychologique de ses clients, par exemple grâce à la carte de fidélité, pour comprendre s’ils ont envie de consommer, combien ils sont prêts à payer… ».

Car le prix ne fait pas tout. « Un prix peut être très bas mais n’avoir aucune valeur. De la camelote pas chère reste de la camelote », tranche Olivier Dauvers. Pharmacie Lafayette prend cette attente des consommateurs au sérieux en misant sur la valeur. Si l’enseigne revendique un prix bas sur les grandes marques, elle mise aussi sur la qualité de ses MDD. « Aucune de nos marques exclusives n’est positionnée sur des prix d’entrée de gamme », explique Hervé Jouves. Son réseau a toutefois su donner quelques coups de pouces concrets pour ancrer encore davantage son image sur les prix bas. Au début de la crise sanitaire, Lafayette revendiquait être la première chaîne de pharmacies à proposer des masques chirurgicaux à 4,90 € la boîte de 50. Depuis la fin de l’année 2020, outre ses « prix bas tous les jours », elle conçoit des opérations chocs baptisées « Record à battre ». « C’est une autre façon de communiquer sur le prix. L’objectif est de proposer tous les mois, un prix extrêmement attractif, dans des volumes importants sur quelque chose de pas ou peu vu », indique Hervé Jouves. Serait-on parti pour un nouveau type de course(s) ?

À RETENIR

- Les Français ont perdu du pouvoir d’achat ou craignent d’en perdre. D’où leur appétence pour les promotions.

- Les experts conseillent aux commerçants de garder leur positionnement : pas question de changer de cap au risque de perturber le consommateur.

- Ils recommandent de rendre les « bons prix » plus visibles, plus lisibles. Pas de discount, mais une bonne communication sur les tarifs attractifs.

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