Vitamine D comme débrouille - Le Moniteur des Pharmacies n° 3355 du 06/02/2021 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3355 du 06/02/2021
 
IMMUNITÉ ET COVID-19

TEMPS FORTS

ENJEUX

Auteur(s) : Yves Rivoal

Dans une tribune publiée le 19 janvier dans La Revue du Praticien, 73 médecins et six sociétés savantes appellent à la supplémentation en vitamine D afin de prévenir l’infection par le Sars-CoV-2 et de limiter les formes graves de Covid-19. Nouvelle fausse piste ou réel intérêt ?

Une hausse de 101,8 %. Du 18 au 24 janvier, les ventes de vitamines A et D en officine mesurées par Iqvia ont explosé par rapport à celles de la semaine précédente (voir page 20). En comparaison avec la même période en 2020, la progression atteint même 466,8 % ! Si les pharmacies ont ainsi été « dévalisées », c’est parce qu’un collectif de 73 médecins soutenu par six sociétés savantes1 a publié le 19 janvier dans La Revue du Praticien une tribune sur le rôle bénéfique de la vitamine D dans la prévention de l’infection par le Sars-CoV-2 et ses formes graves.

Pour étayer leurs propos, les signataires s’appuient sur des études observationnelles ayant établi qu’une insuffisance ou une carence2 en vitamine D pouvait affecter le système immunitaire. « Plusieurs méta-analyses d’essais randomisés contrôlés contre placebo ont montré que la supplémentation journalière ou hebdomadaire jouait un rôle protecteur contre les infections des voies respiratoires chez les personnes carencées en vitamine D », rappelle le Pr Jean-Claude Souberbielle, ancien responsable du laboratoire d’hormonologie de l’hôpital Necker de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui a corédigé cette tribune avec le Pr Cédric Annweiler, chef du service de gériatrie au centre hospitalier universitaire d’Angers (Maine-et-Loire). Le Sars-CoV-2 étant un virus respiratoire, la communauté scientifique a essayé de voir si cet effet bénéfique pouvait aussi s’appliquer chez les patients atteints de Covid-19. « Les quelques études observationnelles publiées sur le sujet montrent que le taux de concentration de vitamine D est plus bas chez les personnes infectées que chez les autres, mais sans pouvoir établir de relation de causalité », admet Jean-Claude Souberbielle. La seule étude interventionnelle publiée à ce jour en Norvège fait, elle, ressortir que les consommateurs réguliers d’huile de foie de morue ont moins de risques d’être infectés par le Sars-CoV-2 que les autres. « Là encore, le niveau de preuve reste modéré, l’huile de foie de morue ne contenant pas que de la vitamine D, souligne Jean-Claude Souberbielle. Mais les effets positifs de cette dernière sur le système immunitaire permettent d’envisager que les personnes ayant un taux satisfaisant en vitamine D sont mieux armées pour ne pas développer le Covid-19. »

Une double recommandation

Pour émettre l’hypothèse que la vitamine D pourrait aussi limiter le risque de formes graves, les divs de la tribune s’appuient d’abord sur une observation. « Les principaux facteurs de risque de carence en vitamine D, l’âge avancé, l’obésité, ou les maladies chroniques, sont les mêmes que pour les formes graves de Covid-19 », constate Jean-Claude Souberbielle. Des formes graves qui se caractérisent aussi, en général, par une réaction inflammatoire incontrôlée : l’orage cytokinique. « Or, depuis de nombreuses années, les études de recherche expérimentale rapportent que la vitamine D stimule la production de cytokines anti-inflammatoires et inhibe celle des cytokines pro-inflammatoires par les lymphocytes Th, souligne le professeur. De plus, pour pénétrer dans nos cellules pulmonaires, le Sars-CoV-2 utilise une clé de liaison, la protéine Spike, qui s’accroche à l’enzyme de conversion de type 2 de l’angiotensine (ACE2). Or, la vitamine D a pour effet de moduler l’activité du système rénine-angiotensine et l’expression de l’ACE2. »

Forts de ces éléments corroborés par une vingtaine d’études d’observation, et de rares études d’intervention, les signataires de la tribune formulent une double recommandation. Pour les personnes à risque d’hypovitaminose D et à la population générale pendant la période hivernale, « si l’on considère que la moitié des Français présentent une hypovitaminose D, nous recommandons des apports quotidiens de 1 200 UI/j afin que la majorité de la population atteigne une concentration de 25(OH)D comprise entre 20 et 60 ng/ml, précise Jean-Claude Souberbielle. En l’absence de forme pharmaceutique adaptée à une prise journalière simple, nous proposons également une prise de 50 000 UI de vitamine D3 par mois, le double devant être prescrit pour les sujets obèses. » Pour les adultes atteints de Covid-19, une dose de 100 000 UI de vitamine D3 per os (200 000 UI chez les patients obèses ou ayant d’autres facteurs de risque de gravité de Covid-19) est recommandée, et à renouveler après une semaine. « L’objectif étant de faire monter très rapidement le taux de 25(OH)D avant que ne surviennent les formes graves », note le professeur.

Une autre « affaire hydroxychloroquine » ?

Publiée le 19 janvier, cette tribune n’a pas fait l’objet d’une levée instantanée de boucliers comme cela a été le cas pour le Pr Didier Raoult avec son traitement à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine. « Les deux situations n’ont rien de comparable, assure Jean-Claude Souberbielle. Il n’existe aucune recommandation de maintenir un taux sanguin d’hydroxychloroquine en dehors des pathologies pour lesquelles elle est indiquée. Pour la vitamine D, nous ne faisons que reprendre des recommandations faisant consensus depuis au moins une vingtaine d’années. »

L’Académie nationale de médecine a d’ailleurs publié, dès le mois de mai 2020, un communiqué partageant les mêmes conclusions. « Dans ce div, nous indiquons que si la vitamine D ne peut pas être considérée comme un traitement préventif ou curatif à une infection au Sars-CoV-2, elle peut toutefois être administrée comme un adjuvant aux autres thérapies pour atténuer la tempête inflammatoire et ses conséquences », rappelle un de ses membres, le Pr Bernard Salle. Les recommandations formulées par les académiciens sont aussi sensiblement les mêmes. « Nous renouvelons notre recommandation d’assurer une supplémentation en vitamine D dans la population générale que nous avions formulée pour la première fois dans un rapport en 2012, explique cet ancien pédiatre qui a consacré l’essentiel de sa carrière à l’étude de la vitamine D chez l’enfant. Pour ce qui est des patients atteints de Covid-19, nous préconisons de doser rapidement le taux de 25(OH)D chez les personnes âgées de plus de 60 ans, et d’administrer en cas de carence une dose de charge de 50 000 à 100 000 UI qui pourrait contribuer à limiter les complications respiratoires. Chez les moins de 60 ans, nous recommandons une prise de 800 à 1 000 UI/jour dès la confirmation du diagnostic de Covid-19. »

Faible niveau de preuves

Certaines voix se sont tout de même élevées pour critiquer cet appel des 73 médecins. Dans la revue Prescrire de janvier, le Pr Jean-Louis Montastruc, chef du service de pharmacologie médicale et clinique du centre hospitalier universitaire de Toulouse (Haute-Garonne), s’interroge sur l’utilisation de la vitamine D à but préventif dans le Covid-19 et l’association faite entre basses concentrations de vitamine et mortalité. « Ce n’est paradoxalement pas parce qu’une substance fait défaut dans une maladie que son administration aura un effet bénéfique pour le patient. Les exemples sont malheureusement nombreux… L’intérêt d’une telle prescription ne peut être montré que par des essais cliniques bien conduits (au moins deux) », explique-t-il en rappelant que « la justification finale des prescriptions ne repose pas sur des hypothèses physiopathologiques, mais uniquement sur les essais cliniques… » et que « prescrire un médicament sur des seules bases physiopathologiques sans validation d’essai clinique fait, de plus, courir le risque d’effets indésirables parfois graves aux patients concernés. »

« Pour ce qui est de l’absence de données cliniques, il est vrai que toutes les études interventionnelles semblant confirmer les effets bénéfiques de la vitamine D sur la prévention de l’infection par le Sars-CoV-2 et pour réduire l’incidence des formes graves portent sur des effectifs trop restreints pour établir de manière irréfutable un lien de causalité. Il faut donc rester prudent et modeste », reconnaît Jean-Claude Souberbielle, en soulignant par ailleurs que les dosages recommandés restent bien en deçà des seuils associés aux risques d’intoxication.

« Notre position est finalement assez simple. En l’absence de traitement curatif, et au vu de la situation de guerre sanitaire dans laquelle nous sommes, est-ce que nous pouvons nous permettre d’attendre les résultats d’essais randomisés qui n’arriveront pas avant plusieurs mois ? Pour nous, la réponse est non. Alors, même avec un niveau de preuve imparfait, nous estimons que nos arguments sont suffisamment forts pour espérer un bénéfice qui ne sera toutefois pas miraculeux. Car, entendons-nous bien, notre propos n’est pas de dire que la supplémentation en vitamine D va immuniser tout le monde contre le Covid-19. Nous ne sortirons de cette crise sanitaire qu’en respectant les gestes barrières et par la vaccination », conclut Jean-Claude Souberbielle.

1 L’Association française de lutte antirhumatismale (Aflar), la Société française d’endocrinologie (SFE), la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG), la Société française de pédiatrie (SFP), la Société française d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique (SFEDP) et la Société francophone de néphrologie dialyse et transplantation (SFNDT).

2 L’insuffisance en vitamine D est déterminée par une concentration circulante de 25-hydroxyvitamine D, ou 25(OH)D, comprise entre 10-12 et 20 g/ml ou 25-30 à 50 nmol/l. La carence suppose, elle, une concentration circulante inférieure à 10-12 ng/ml ou 25-30 nmol/l.

À RETENIR

- Plus de 70 spécialistes appellent à une supplémentation de l’ensemble de la population française en vitamine D afin de prévenir l’infection par le Sars-CoV-2 et de limiter les formes graves de Covid-19.

- Les médecins proposent, en complément des traitements adjuvants du Covid-19, une dose de charge de 100 000 UI de vitamine D (le double en cas de facteurs de risque de gravité du Covid-19) dès le diagnostic, à renouveler après une semaine.

- Leurs recommandations sont entachées par un niveau de preuve imparfait.

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