Vaccin anti-Covid-19 : vitesse ou précipitation ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3345 du 28/11/2020 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3345 du 28/11/2020
 
RECHERCHE

TEMPS FORTS

ENJEUX

Auteur(s) : Yves Rivoal

Dix mois après l’annonce du séquençage du génome du Sars-CoV-2 par les autorités chinoises, plusieurs candidats vaccins revendiquent une efficacité inespérée contre le Covid-19, et pourraient commencer à être commercialisés dès la mi-décembre aux Etats-Unis et en Europe. La recherche va vite. Trop vite ?

Concevoir un vaccin en 12 ou 18 mois paraissait un challenge insurmontable à tenir pour les laboratoires pharmaceutiques. Dix mois après le séquençage du nouveau coronavirus, le pari est sur le point d’être tenu grâce à une accélération impressionnante des calendriers. « A l’origine, il y a d’abord l’urgence épidémiologique provoquée par une pandémie qui s’annonçait grave et partie pour s’inscrire dans la durée, rappelle Claire Roger, présidente du comité vaccins du Leem (Les Entreprises du médicament). Grâce à cette rapide prise de conscience, dès le mois de janvier, on a vu fleurir un peu partout dans le monde plus de 150 projets de recherche qui associaient, pour certains, de grands industriels et des sociétés de biotechnologies comme Pfizer et BioNTech et, pour d’autres, à l’image de GSK et Sanofi, des laboratoires habituellement concurrents. Et au bout de six mois, nous avions autant de candidats vaccins contre le Covid-19 que contre l’ensemble des autres virus étudiés en recherche. »

Cette mobilisation générale de la communauté scientifique a été très vite soutenue par l’engagement des Etats qui n’ont pas hésité à investir massivement afin d’accélérer les recherches, avant même de savoir si ces dernières aboutiraient ou non à la découverte d’un vaccin sûr et efficace. « Le préachat de centaines de millions de doses par les Etats et certains bailleurs privés, comme la fondation Bill-et-Melinda-Gates, a permis aux laboratoires d’investir dans du matériel high-tech, des ressources humaines, et de financer des essais cliniques qui coûtent plusieurs centaines de millions de dollars lorsque vous arrivez en phase 3 où vous devez effectuer des tests à grande échelle sur plus de 30 000 volontaires », souligne Sybil Pinchinat, directrice générale d’Axonal-Biostatem et membre de l’Association française des entreprises de la recherche clinique (Afcros). Le recrutement des volontaires a d’ailleurs été bouclé à vitesse grand V. La plateforme Covireivac, pilotée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et qui s’apprête à mener des essais de phases 2 et 3 sur les candidats vaccins de Pasteur/Merck (vaccin à vecteur viral, encore en phase I) et de Moderna, a reçu en moins de cinq jours beaucoup plus que les 25 000 candidatures attendues. « Un tel engouement en si peu de temps est très inhabituel, reconnaît Jean-Daniel Lelièvre, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor (Créteil, Val-de-Marne) et membre de Covireivac. A titre de comparaison, lors des campagnes de recrutement pour les vaccins contre Ebola ou le VIH, nous étions loin d’atteindre de tels chiffres, et ce plusieurs mois après l’ouverture des inscriptions. »

L’expérience des épidémies antérieures

Les choses n’ont pas non plus traîné pour la découverte de l’antigène. « Le Sars-CoV-2 étant très proche du Sars-CoV [épidémie en Chine en 2002, NdlR], virus sur lequel nous avions déjà beaucoup d’informations, les chercheurs ont rapidement pu valider l’antigène de choix : la protéine Spike », rappelle Jean-Daniel Lelièvre. Les essais cliniques se sont, eux aussi, déroulés à une cadence infernale. « Pour gagner du temps, les différentes phases se sont enchaînées de manière séquentielle et non plus linéaire, stratégie déjà adoptée lors de la mise au point d’un vaccin anti-Ebola », confie Jean-Daniel Lelièvre. Compte tenu de l’urgence, les laboratoires ont également choisi de lancer plusieurs étapes en simultané, alors qu’habituellement une phase ne démarre qu’après la fin de la précédente. « Comme nous étions en pleine pandémie, les populations testées ont évolué dans un environnement où le virus circulait activement. Des différences significatives entre la branche ayant reçu le vaccin et celle sous placebo sont apparues très rapidement, alors que sur certains essais en phase 3, il faut parfois quatre ou cinq ans avant d’y parvenir », ajoute Claire Roger. Un temps précieux a enfin été gagné dans la production des vaccins, la plupart des laboratoires ayant fait le pari de lancer la fabrication avant de connaître les résultats des essais cliniques. « Grâce à cette stratégie de partage du risque financier entre les laboratoires et les autorités de santé, des centaines de millions de doses ont déjà été fabriquées et seront prêtes à être distribuées dès que les autorisations de mise sur le marché (AMM) auront été délivrées », souligne Claire Roger. Des AMM qui devraient être accordées en quelques jours grâce à la méthode des révisions en continu (rolling reviews) prévue en cas d’urgence sanitaire. « En temps normal, une procédure d’AMM peut prendre plusieurs mois, rappelle Sybil Pinchinat. Avec les rolling reviews, les données sont régulièrement transmises et analysées au fil de l’eau par les régulateurs. » « Grâce à ce protocole d’urgence, nous avons gagné environ un an et demi par rapport aux procédures habituelles », assure Claire Roger.

Dans les règles de l’art

Lorsqu’on leur demande si cette accélération impressionnante des calendriers ne s’est pas faite au détriment de la sécurité ou de l’intégrité scientifique, les experts interrogés sont unanimes. « Les premières données communiquées par Pfizer/BioNTech et Moderna indiquent que les essais ont été réalisés dans les règles de l’art, estime Yves Buisson, épidémiologiste et président du groupe Covid-19 de l’Académie nationale de médecine. Par ailleurs, je ne vois pas comment un laboratoire pourrait prendre le risque de maquiller ses résultats pour cacher des effets secondaires. La vérité finirait par éclater tôt ou tard, et cela jetterait sur lui un discrédit terrible. » Si la sécurité et l’intégrité scientifique semblent au rendez-vous, il reste encore de nombreuses incertitudes à lever. « Pour l’heure, l’alliance Pfizer/BioNTech est la seule à avoir publié les données de sa phase 3, rappelle Claire Roger. Il va falloir analyser dans le détail tous les dossiers fournis par les différents laboratoires pour confirmer ces premiers résultats, et plus particulièrement chez les plus de 65 ans et les patients porteurs de comorbidités. » Yves Buisson s’interroge également sur l’efficacité chez les sujets ayant déjà été infectés par le Covid-19. « Quand on sait qu’officiellement 2 millions de personnes sont dans ce cas, mais que le chiffre réel oscille probablement entre 4 et 5 millions, il va falloir se pencher sur cette catégorie de population. »

Avec des interrogations en suspens

Le manque de recul entre la fin des essais cliniques et le début des campagnes de vaccination suscite aussi inquiétudes et interrogations. « C’est vrai que nous n’aurons une appréciation de la sécurité que sur un temps court de deux mois, mais a priori cela semble suffisant pour écarter l’apparition de pathologies fréquentes vraiment liées à la vaccination », estime Jean-Daniel Lelièvre. Des doutes subsistent toutefois, pour Yves Buisson, sur l’efficacité des vaccins développés à base d’acides nucléiques : « Si les premières communications suscitent beaucoup d’espoirs, les vaccins ADN n’ont jusqu’à présent jamais donné de résultats probants. Il faudra également contrôler le devenir de cet ARN vaccinal et s’assurer qu’il ne puisse être rétrotranscrit et intégré dans l’ADN cellulaire. » La durée de l’immunité soulève également des questions. « Est-ce qu’elle sera de trois mois, de six mois, d’un an ou plus ? Est-ce qu’il faudra se faire vacciner tous les ans comme pour la grippe ? A ce stade, nous n’en savons rien… », rappelle Claire Roger. « Nous ne savons pas non plus si l’efficacité se limitera à une protection contre les formes graves de la maladie ou si elle préviendra aussi la transmission du virus », ajoute Yves Buisson. Toutes ces interrogations sans réponse se posent à chaque fois qu’un nouveau vaccin est mis sur le marché, comme le rappelle Sybil Pinchinat. « Pour ma part, je considère qu’à partir du moment où les AMM seront délivrées ces vaccins ne feront pas courir plus de risques que n’importe quel nouveau médicament ou vaccin. D’autant que les études pharmaco-épidémiologiques menées postinscription se chargeront de surveiller l’évolution du vaccin en vie réelle. » Pfizer/BioNTech a d’ailleurs annoncé que les participants à l’étude clinique seront suivis pendant deux ans après l’administration de la seconde dose. « On peut aussi compter sur le dispositif français de vaccino-vigilance qui permettra à tout un chacun, patients, médecins, pharmaciens ou infirmiers, de faire remonter les effets indésirables susceptibles d’avoir été provoqués par le vaccin, et qui n’auraient pas été observés pendant la phase des trois essais cliniques », conclut Yves Buisson.

Rien ne sert de courir…

Sanofi et l’Institut Pasteur ont pris du retard par rapport aux deux leaders, Pfizer/BioNTech et Moderna, les essais de phase 3 n’ayant pas encore démarré. « Ce retard est imputable aux choix technologiques, explique Claire Roger, la présidente du comité vaccins du Leem. Pfizer/BioNTech et Moderna ont misé sur l’ARN messager, une technologie qui s’est révélée plus rapide à mettre au point que le vaccin à base de protéines recombinantes de Sanofi et GSK. Mais ce dernier permettra de produire plus rapidement des volumes importants et à un coût moins important, ce procédé étant déjà utilisé sur les chaînes de production de ces deux laboratoires. Cette option offrait aussi au départ une probabilité d’efficacité et de tolérance plus grande que l’ARN messager et ne nécessite pas de conservation à température négative, ce qui va grandement faciliter la distribution. » Les premiers arrivés ne seront donc pas les seuls gagnants. « Pour vaincre cette pandémie mondiale, nous allons avoir besoin de milliards de doses. Il faut donc se féliciter de voir que plusieurs laboratoires seront en mesure de répondre à la demande avec des vaccins différents qui, pour certains, pourraient se révéler plus efficaces pour les personnes âgées ou les jeunes, quand d’autres se distingueront par une durée d’immunité plus longue. »

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