2021, année de tous les dangers économiques - Le Moniteur des Pharmacies n° 3341 du 31/10/2020 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3341 du 31/10/2020
 
TRÉSORERIE

TEMPS FORTS

ENJEUX

Auteur(s) : François Pouzaud

Pas vraiment le temps de souffler. Alors que les pharmacies se préparent à aborder la deuxième vague de Covid-19, une autre inquiétude émerge : et si la véritable menace économique provenait des mesures gouvernementales au menu de 2021 ? Meurtrissant sur fond de crise sanitaire les officines les plus fragiles.

A peine relevées de la première vague, parfois encore convalescentes, les pharmacies sont confrontées, comme l’ensemble de l’économie française, à une deuxième vague de Covid-19.

Pourtant, alors que le nombre de cas de Covid-19 explose et que les restrictions sanitaires malmènent l’économie, les syndicats pharmaceutiques ne sont pas inquiets pour l’officine. « Avec un gain en moyenne de 14 000 € de marge supplémentaire par pharmacie en 2019, grâce à l’avenant n° 11 à la convention nationale pharmaceutique, le réseau officinal est bien armé pour affronter cette deuxième vague », déclare Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officines (USPO). Un avis partagé par Philippe Becker, directeur du département pharmacie du groupe d’experts-comptables Fiducial : « La deuxième vague n’est pas en principe un danger, car les officines restent ouvertes au public et sont globalement mieux organisées et préparées que lors de la première. »

Les derniers chiffres sur l’économie attestent, en effet, d’une grande capacité de résistance des pharmacies. Elles ont pu s’appuyer sur une base consolidée en 2019, un exercice qui a vu leur chiffre d’affaires (CA) grimper de 3 %, selon les toutes dernières statistiques des experts-comptables de KPMG. Et malgré un début d’année très chahuté, en cumul fixe au 31 août, comparaison faite avec les huit premiers mois de l’année 2019, « le CA des officines progresse en moyenne de 2,31 %, même si une baisse des volumes de 3,37 % est constatée », livre Joël Lecoeur, expert-comptable du cabinet LLA et président du groupement CGP. Et Philippe Becker d’ajouter : « L’activité en 2020 sera en sinusoïde, mais rien n’indique à l’heure actuelle que la croissance soit plus faible que l’an dernier, hormis pour certaines catégories de pharmacies. » Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), le reconnaît : « L’épidémie de Covid-19 n’est pas la cause des difficultés des officines, contrairement aux autres secteurs d’entreprises ; dans la situation actuelle, nous n’avons pas à nous plaindre. » Et ce n’est pas le couvre-feu décrété par le président de la République qui devrait bouleverser l’économie de l’officine alors que les pharmacies de garde bénéficient d’une dérogation. Toutefois, « il faut rester vigilant, l’Etat pourrait être amené à prendre d’autres mesures de restrictions, concernant les déplacements et le reconfinement des populations dans certaines régions », précise Gilles Bonnefond1. Mais si l’on revient à la situation antérieure de la première vague, il souhaite « trouver avec l’Assurance maladie, sans tourner autour du pot, des aménagements pour que le pharmacien soit enfin rémunéré de la dispensation à domicile des médicaments, de la préparation des doses à administrer… »

Des mesures gouvernementales plus dangereuses que le Covid-19

Si les effets du Covid-19 retentissent peu sur les bilans des officines, il n’en sera pas de même, selon Philippe Besset, des conséquences des mesures gouvernementales qu’il qualifie de « sanction financières pour l’officine ». Pour la bagatelle de 285 M€ en 2021. C’est le montant de l’inventaire de ces sanctions, comprenant les baisses de prix projetées dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 (60 M€), le déremboursement de l’homéopathie au 1er janvier prochain (120 M€), la réduction du délai d’écoulement des stocks en cas de baisse de prix des médicaments remboursables (45 M€) et la diminution en 2020 des honoraires pour ordonnances complexes (60 M€). Pour le président de la FSPF, la croissance de la rémunération des officines de 324 M€ depuis la mise en place de la réforme en 2018 est en trompe-l’oeil. S’appuyant sur le dernier rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale, il compare la rémunération de 2016 avec celle de 2019. « En marge, on a quasiment le même chiffre, à quelques millions d’euros près, mais la perte pour le réseau entre 2017 et 2019 est de l’ordre de 100 millions d’euros entre la baisse de la ROSP2 génériques et la disparition du CICE3  », affirme-t-il.

Philippe Besset appelle de toute urgence à la tenue d’un « Ségur de la ville » pour trouver avec le gouvernement des compensations à ces sanctions financières, faute de quoi la poursuite du déploiement des missions à l’officine, dans l’esprit de la loi « hôpital, patients, santé, territoires » (HPST), pourrait être remise en question. Il espère plaider la cause des officines devant le Sénat qui a semblé prêter une meilleure écoute à ses revendications que l’Assemblée nationale lors des auditions sur la gestion de l’épidémie. « Le problème, ajoute-t-il, c’est que celles qui souffrent actuellement des effets du Covid-19 sont celles qui ont la meilleure santé économique et celles qui n’en souffrent pas sont celles qui seront le plus fragilisées par ces mesures gouvernementales. Sauf pour les petites pharmacies de la capitale et d’autres grandes métropoles pour qui c’est la double peine. » Plutôt que de négocier les indemnités ou l’acte de réalisation des tests antigéniques Covid-19 qu’il estime faire partie des efforts à fournir en temps de crise sanitaire, il concentre toutes ses forces sur d’autres revendications. « Je me battrai comme un lion sur la rémunération du pharmacien qui est tombée quasiment en dessous de 60 k€ en moyenne et pour obtenir une enveloppe de 200 M€ pour la revalorisation des 120 000 salariés en officine. »

Anticiper les difficultés attendues

Entre l’impact des mesures gouvernementales et les aléas sanitaires et économiques liés au Covid-19, l’année 2021 risque d’être celle de tous les dangers. Mais aussi une année blanche en matière de négociations conventionnelles sur la rémunération du fait des élections des unions régionales des professionnels de santé (URPS). Car en supposant que l’observatoire de l’économie déclenche des négociations au vu du bilan établi au printemps 2021, « elles ne pourront démarrer qu’à l’automne 2021, une fois que la nouvelle représentativité syndicale sera reconnue », indique Philippe Besset.

Joël Lecoeur annonce aussi que les difficultés sont attendues plutôt l’année prochaine : « Les pharmacies fragiles avant la crise du Covid-19 le seront encore plus après. » Philippe Becker partage cette analyse : « Les pharmacies qui étaient en souffrance dans les déserts médicaux risquent de l’être encore plus. Covid ou pas Covid, s’il n’y a plus de médecins dans la commune, le sort de ces officines ne changera pas. » Les mesures de soutien de l’Etat, présentes et à venir, seront donc précieuses pour ces pharmacies. « Pour celles qui ont souscrit un prêt garanti par l’Etat (PGE, un peu plus d’un pharmacien sur dix concernés chez Fiducial), elles doivent conserver les fonds car nous n’avons pas de visibilité sur ce que sera l’économie dans trois mois et encore moins dans six mois », conseille-t-il. Joël Lecoeur rappelle que ces prêts de trésorerie, sans pouvoir dépasser trois mois de CA, sont remboursables sur une durée maximale de cinq ans avec un différé de 12 mois. Si au bout de 12 mois (ou avant), le pharmacien constate qu’il n’en a pas besoin, il peut le rembourser en une seule fois. Cependant, s’il a également sollicité un report de six mois du remboursement du crédit sur l’officine, il doit en tenir compte aussi pour ne pas se retrouver devant un mur de dettes.

Une autre conséquence des mesures de soutien à anticiper concerne le paiement des cotisations Urssaf des indépendants. Après la période de reports massifs de cotisations depuis le mois de mars dernier, la rentrée a donné lieu à une reprise progressive de la collecte et du recouvrement des cotisations selon des modalités adaptées aux secteurs en difficulté. « Les appels de cotisation se font sur la base d’une assiette réduite de 50 %, ce qui signifie que le dirigeant va déclarer moins de cotisations en 2020 avec un effet Kiss Cool d’augmentation de la fiscalité de ses revenus en 2021 », met en garde Joël Lecoeur. Il incite donc les pharmaciens qui n’auront pas enregistré une baisse d’activité à la fin de l’année, et si la trésorerie le permet, à régulariser sur 2020 toutes les cotisations sociales du dirigeant mises en report.

1 Entretien réalisé le 17 octobre.

2 Rémunération sur objectifs de santé publique.

3 Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.

À RETENIR

- Les résultats de l’exercice 2019 obtenus grâce à l’avenant n° 11 permettent aux officines de résister, pour l’instant, aux difficultés économiques liées au Covid-19.

- Mais en raison des mesures gouvernementales à venir (baisses de prix, déremboursement de l’homéopathie, réduction du délai d’écoulement des stocks, etc.), 2021 sera une année difficile pour les officines, notamment les plus fragiles.

- C’est maintenant qu’il faut anticiper, s’interroger sur la nécessité d’utiliser les mesures de soutien de l’Etat (PGE, notamment), en évitant de tomber dans le piège des reports de charges.

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