Anticancéreux et automédication - Le Moniteur des Pharmacies n° 3331 du 29/08/2020 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3331 du 29/08/2020
 

Cahier Formation

CONSEIL

Télécharger au format pdf

ANTICANCÉREUX ET AUTOMÉDICATION

A quels risques s’expose le patient atteint de cancer ?

La prise en charge du cancer et des comorbidités associées ainsi que le recours grandissant aux médecines alter­natives et complémentaires (MAC) majorent le risque d’interactions médicamenteuses susceptibles d’entraîner une augmentation de la toxicité des molécules anticancéreuses ou le risque d’inefficacité thérapeutique. A l’officine, ces risques doivent être systématiquement détectés.

LE CONdiv

- Avec l’augmentation croissante des chimiothérapies orales, le pharmacien est, dans de nombreuses situations, en mesure de connaître le protocole anticancéreux suivi par le patient. L’analyse pharmacothérapeutique des prescriptions ainsi que des médicaments et des solutions d’automédication utilisés par le patient est devenue primordiale pour sécuriser l’usage des anticancéreux. L’accompagnement des patients atteints de cancer fait d’ailleurs partie des nouvelles missions des pharmaciens inscrites dans l’avenant n° 11 à la convention pharmaceutique signé en juillet 2017. Les discussions conventionnelles entre les syndicats de pharmaciens et l’Assurance maladie pour fixer les modalités techniques des entretiens se sont terminées cet été. Après les signatures des deux parties, il faut encore attendre la publication du div au Journal officiel.

- Cette prise en charge des patients atteints de cancer est en adéquation avec le plan cancer 2014-2019 et celui de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)1 visant à garantir la sécurité des médecines alternatives et complémentaires.

DES PATIENTS PARTICULIÈREMENT EXPOSÉS

- Les patients atteints de cancer sont particulièrement exposés aux interactions médicamenteuses. Outre les anticancéreux, des prescriptions pour traiter les comorbidités, les toxicités induites par les anticancéreux ou les symptômes du cancer (douleurs lors de métastases osseuses par exemple) sont fréquentes. La multiplicité des prescripteurs et des lieux de dispensation ainsi que l’automédication augmentent également le risque d’interactions.

- La consommation de médicaments en automédication est décrite dans des études pour diverses indications, en particulier les troubles digestifs, l’asthénie, la douleur ou les troubles rhumatologiques.

PLACE CROISSANTE DES MÉDECINES ALTERNATIVES ET COMPLÉMENTAIRES

- L’automédication regroupe, outre les traitements allopathiques, les médecines alternatives et complémentaires. Ces dernières sont définies par l’organisme américain National Institutes of Health’s Center for Complementary and Integrative Health (voir encadré) comme l’ensemble des approches, des pratiques ou des produits médicaux ou de santé qui ne font pas partie de la médecine conventionnelle.

- Les raisons amenant le patient à recourir aux médecines complémentaires sont multiples : réduire les effets indésirables des traitements anticancéreux, agir sur l’anxiété en lien avec la maladie et globalement améliorer la qualité de vie et le bien-être, stimuler le système immunitaire ou renforcer ses défenses pour mieux supporter la maladie ou le traitement, répondre au besoin d’être acteur de sa santé, suivre ses croyances sur la relation corps-esprit, etc.

- La consommation des médecines alternatives et complémentaires concernerait, selon les études, de 30 à 60?%2 des patients atteints de cancer, voire davantage. Les plus utilisées sont les produits de phytothérapie et l’homéopathie, la phytothérapie et l’aromathérapie étant considérées comme les principales pourvoyeuses d’interactions médicamenteuses avec les traitements anticancéreux.

- Le pharmacien d’officine, par sa proximité avec le patient et sa vision globale de ses traitements, joue un rôle clé pour détecter les risques de survenue d’effets indésirables ou d’interactions médicamenteuses et ainsi sécuriser le recours à l’automédication.

Les effets indésirables résultant d’une interaction médicamenteuse doivent faire l’objet d’une déclaration de pharmacovigilance. Tout professionnel de santé ayant connaissance d’un effet indésirable a l’obligation de le déclarer dans les plus brefs délais au centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de son lieu d’exercice. Les patients ou associations de patients peuvent aussi, depuis 2011, notifier tout événement indésirable.

Depuis 2017, le signalement se fait directement en ligne sur le portail de signalement des événements sanitaires indé­sirables du ministère des Solidarités et de la Santé, signalement-sante.gouv.fr. Le formulaire permet notamment de recenser les informations concernant :

• l’identité du déclarant ;

• les caractéristiques du patient (sexe, âge, taille et poids) ;

• les produits suspects ;

• la nature et la description de l’effet constaté.

Les interactions en ce qui concerne les médicaments mais également les compléments alimentaires et les dispositifs médicaux sont à déclarer sur le portail de signalement.

- Avant toute chose, le premier élément à rappeler est que ces thérapeutiques se prennent en complément des médicaments prescrits et qu’elles ne peuvent s’y substituer.

ANTICANCÉREUX ET AUTOMÉDICATION

Interactions médicamenteuses : quelles ressources utiliser ?

L’analyse pharmacothérapeutique des prescriptions est indispensable pour une prise en charge optimale du patient atteint de cancer. Plusieurs bases de données en libre accès sur les médicaments recensent les interactions médicamenteuses fondées sur des preuves cliniques ou issues d’études in vitro ou chez l’animal. Ces données sont actualisées tout au long du développement et du suivi post-commercialisation des médicaments, notamment grâce aux déclarations de pharmacovigilance, à la notification des effets indésirables ainsi qu’à la veille bibliographique. Certaines de ces bases incluent des données sur les plantes et leurs risques potentiels d’interactions ou leurs toxicités propres.

PRINCIPALES BASES DE DONNÉES

Toutes les bases mentionnées sont non payantes.

Thériaque

Le site internet Thériaque (theriaque.org) intègre une base de données française des interactions médicamenteuses créée par le Centre national hospitalier d’information sur le médicament (CNHIM) et agréée par la Haute Autorité de santé (HAS). Il dispose aussi d’un module consacré à la phytothérapie (Hedrine).

Module de recherche « Interaction »

- Les interactions recensées sont notamment issues des résumés des caractéristiques des produits (RCP) et du thésaurus des interactions médicamenteuses de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Elles sont classées selon 4 niveaux : contre-indication, association déconseillée, précaution d’emploi et association à prendre en compte. Le module d’analyse tient compte des doses des médicaments administrées mais aussi des comorbidités du patient.

- Les interactions peuvent être recherchées dans l’onglet « Analyse » de 2 manières distinctes :

• en restant dans l’onglet « Analyse » et en entrant l’intégralité des médicaments pris par le patient ;

• à partir du module de recherche « Interaction » qui mentionne tous les médicaments interagissant avec un médicament donné.

Base de données Hedrine

- Accessible à partir de l’onglet « Recherche Phyto », les données disponibles sont les interactions pharmacodynamiques et pharmacocinétiques démontrées cliniquement ou supposées extraites d’une revue de la littérature. La recherche peut se faire par plantes (ginseng, échinacées, etc.) ou par substance active (méthotrexate, tamoxifène, etc.).

- Au sein du module, il est possible de rechercher une interaction entre une plante et un mécanisme d’action ou une plante et un médicament. Cinq niveaux d’interactions ont été retenus : forte, moyenne, faible, aucune et inconnue. La base ne recense pas l’intégralité des plantes disponibles et n’a pas été mise à jour depuis 2013.

Drugs.com

- Cette base de données américaine (site internet drugs.com, onglet « Interactions Checker ») permet l’analyse des prescriptions médicamenteuses et intègre des données sur quelques plantes. Les interactions sont classées en 3 niveaux de contraintes :

• « majeures » : très significatives avec un risque qui l’emporte sur le bénéfice clinique ;

• « modérées » : l’association est si possible à éviter ou ne doit se faire que dans des circonstances particulières, en l’absence d’alternative thérapeutique ;

• « mineures » : faible risque de conséquences cliniques, l’association doit être évaluée et, si elle est poursuivie, doit se faire sous surveillance clinique et biologique.

- La base a un accès « grand public » et un accès « professionnels de santé ». Pour connaître précisément le mécanisme d’interaction, il est nécessaire de se rendre dans l’espace « professionnels de santé ». La recherche se fait à partir des noms anglophones de médicaments. Certains médicaments d’automédication disponibles en France mais non commercialisés aux Etats-Unis ne sont pas présents. Des interactions entre les médicaments analysés et l’alimentation sont également recensées.

MSKCC

- Le site internet du Memorial Sloan Kettering Cancer Center (mskcc.org), centre américain de traitement et de recherche sur le cancer, propose un module de recherche d’interactions médicamenteuses avec la phytothérapie (environ 275 produits naturels référencés) et certains compléments alimentaires. La recherche doit se faire en anglais à partir de l’onglet « About herbs » (chemin d’accès : Adults patients/Diagnosis & treatment/Managing symptoms & side effects/Integrative medicine/About herbs, botanicals & others products/Search about herbs).

- Il n’y a pas de classement des interactions médicamenteuses mais les informations apportées permettent d’appréhender le risque iatrogène. Contrairement à Hedrine, la recherche se fait uniquement à partir d’un nom de plante. La base mentionne les principaux effets indésirables des produits naturels.

Oncolien

Le site internet Oncolien (oncolien.sfpo.com), créé par la Société française de pharmacie oncologique, met à disposition des patients et des professionnels de santé des fiches explicatives sur les chimiothérapies orales. Ces fiches mentionnent notamment les risques d’interactions médicamenteuses, principalement celles d’ordre pharmacocinétique mais aussi les interactions des chimiothérapies avec certaines plantes ou aliments. Les niveaux d’interactions avec les plantes ne sont pas mentionnés. L’ensemble de ces documents sont consultables en ligne ou téléchargeables au format PDF.

Guides et prescriptions des reins (GPR)

- En plus de recommandations sur l’adaptation posologique des médicaments à la fonction rénale, le site internet des Guides de prescription et rein (sitegpr.com) recense un module de détections des interactions médicamenteuses, Diane.

- Diane permet de réaliser une analyse pharmacothérapeutique en notifiant les médicaments pris par le patient. La vue synthétique montre les interactions selon l’organe concerné tandis que la vue détaillée expose le mécanisme d’action des interactions.

Autres ressources

Le thésaurus des interactions médicamenteuses de l’ANSM (ansm.sante.fr puis onglet « Dossiers » et « Interactions médicamenteuses ») est un document recensant les interactions médicamenteuses identifiées par le groupe de travail Interactions médicamenteuses de l’agence. Sa mise à jour est généralement annuelle.

- La base de données DDI predictor (ddi-predictor.org), alimentée par des pharmaciens des Hospices civils de Lyon et de l’université Claude-Bernard Lyon 1, permet de prédire l’impact des interactions médicamenteuses induites par les principaux cytochromes P450 (CYP) : CYP 3A4, 2D6, 2C9 2C19 et 1A2. Elle recense donc u­ni­quement les interactions pharmacocinétiques ayant lieu au cours de la phase de métabolisation. Le site internet est en anglais.

- L’Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos) propose sur son site internet (afsos.org) un livret récapitulant la composition, les propriétés, les interactions ou contre-indications de 20 plantes (ail, aloe vera, chardon-Marie, curcuma, desmodium, échinacée, gingembre, ginseng, millepertuis, pamplemousse, réglisse, valériane, etc.). Il est téléchargeable dans l’onglet : « Les soins de support »/« Les ressources et les documentations »/thème « Phytothérapie ».

LES LIMITES

- L’utilisation d’une seule base de données ne permet pas toujours de détecter à coup sûr une interaction entre 2 médicaments et a fortiori entre un médicament et une plante. La consultation de plusieurs bases permet une vision large du risque iatrogène. Les données publiées dans la littérature et reprises par les différents modules de recherche s’avèrent en effet parfois contradictoires. Ainsi, selon certaines études, l’échinacée apparaît soit comme inductrice du CYP 3A4 notamment, soit inhibitrice de ce même cytochrome. De même, il existe des résultats contradictoires concernant l’impact du curcuma sur les différentes enzymes hépatiques en fonction des modèles expérimentaux, des posologies et des durées de prises : selon les cas, il apparaît comme inhibiteur du CYP 3A4 ou « sans impact ». Les résultats des études semblent se rejoindre en revanche concernant l’inhibition du CYP 1A2 et du 2D6 et l’induction du 2A6.

- Par ailleurs, les concentrations en plantes utilisées dans les études in vitro sont parfois supérieures à celles utilisées chez l’homme et dépendent de la matière première testée : l’utilisation de différentes parties de la plante (feuilles, fleurs, rhizomes), les conditions de culture, de séchage et de conservation et la forme galénique utilisée conduisent à des concentrations en molécules actives différentes pouvant modifier les risques d’interactions. Ainsi, l’interprétation du risque d’interactions entre une plante et un médicament reste complexe puisque les concentrations en molécules actives des préparations utilisées dans les études peuvent différer de celles consommées par les patients.

ANTICANCÉREUX ET AUTOMÉDICATION

Cas pratiques

Les patients cancéreux ont recours à des médicaments conseils ou à des compléments alimentaires dans le but de limiter les effets indésirables des traitements anti­cancéreux ou d’améliorer leur qualité de vie. Chaque demande nécessite un accompagnement adapté du patient pour répondre au mieux à ses besoins sans risquer de nuire à l’efficacité du traitement anticancéreux.

LES RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES

- La détection d’une interaction entre un médicament et une plante donnée, même si elle est contradictoire en fonction des bases consultées, doit inciter à la prudence. Si le patient ne souhaite pas interrompre la phytothérapie, le rôle du pharmacien est de l’informer sur les risques potentiels d’interactions avec son traitement et de le conseiller au mieux pour minimiser autant que possible ce risque :

• orienter vers l’usage de spécialités de phytothérapie plutôt que des compléments alimentaires dont la composition en molécules actives peut être variable.

• préférer une prise de phytothérapie aux intercures si l’anticancéreux est pris de manière discontinue sachant toutefois que le risque d’interactions peut parfois persister plusieurs jours après la fin du traitement pour les molé­cules dont les demi-vies d’élimination sont longues. Il est estimé que la quasi-totalité d’un médicament est éliminée de l’organisme au bout de 5 demi-vies.

- Les huiles essentielles renferment des molécules lipophiles pouvant diffuser rapidement dans les tissus. Les interactions médicamenteuses étant très mal connues, la prudence s’impose quelle que soit la voie d’administration, y compris cutanée.

LES PRINCIPALES DEMANDES

Pour pouvoir répondre aux demandes de conseils de façon sûre et adaptée, nous vous proposons des fiches mémos sur 5 thématiques : la constipation, la douleur, l’asthénie, les bouffées de chaleur, les brûlures gastro-œsophagiennes. Elles recensent les principales alertes liées à des plantes qui font l’objet de demandes récurrentes chez les patients atteints de cancer.

L’ESSENTIEL À RETENIR

ARBRE DÉCISIONNEL POUR LA DÉTECTION DES INTERACTIONS

1 Stratégie de l’OMS pour la médecine traditionnelle pour 2014-2023.

2 Brugirard et coll. « Supportive Care in cancer 2011 : étude MAC-AERIO » réalisée dans 18 centres hospitaliers en France auprès de 850 patients ; Saghatchian et coll., The Breast. 2014 : étude réalisée en France (Gustave-Roussy) en 2012 sur 184 patientes atteintes d’un cancer du sein.

CLASSIFICATION DES MÉDECINES NATURELLES ET ALTERNATIVES

L’organisme américain pour la médecine complémentaire et intégrative (NCCIH*) propose une classification des médecines complémentaires en 5 catégories.

Produits naturels : issus des plantes, de minéraux ou d’animaux (phytothérapie, aromathérapie, gemmothérapie, etc.).

Manipulation physique : techniques axées sur la manipulation ou le mouvement d’une ou de plusieurs parties du corps (ostéopathie ou autres).

Approche corps-esprit : techniques fondées sur l’utilisation de l’esprit pour agir sur les mécanismes de guérison (hypnose, sophrologie, méditation, etc.).

Médecines traditionnelles : systèmes reposant sur des théories et des pratiques spécifiques (acupuncture, homéopathie, etc.).

Traitements énergétiques : utilisation de l’énergie corporelle (qi gong, reiki, etc.).

* National Institutes of Health’s Center for Complementary and Integrative Health.

INTERVIEW
Isabelle Ulrich, infirmière en oncologie au Centre Léon-Bérard à Lyon (Rhône)

« Certains patients mettent beaucoup d’espoir en ces médecines alternatives »

Proposez-vous des médecines alternatives et complémentaires pour les patients hospitalisés ?

L’hôpital dans lequel je travaille a développé l’hypno-analgésie pour la gestion de la douleur et j’ai pour projet d’instaurer l’aromathérapie par diffusion atmosphérique dans les services : le but est de créer un bien-être, d’apaiser les tensions psychologiques et de tenter de limiter le recours aux benzodiazépines.

Comment gérez-vous le risque d’interactions ?

Les huiles essentielles en diffusion à l’hôpital, c’est une chose. Pour ce qui se passe à la maison, c’est bien plus compliqué ! Le patient ne pense pas systématiquement à parler des thérapies complémentaires qu’il prend, voire… les cache ! Il faut vraiment installer un climat de confiance pour qu’il révèle l’utilisation de médecines complémentaires et nous indique lesquelles. Cela se fait au fil des discussions lors des visites de suivi ou de points d’étape. Les patients ont parfois beaucoup de mal à comprendre le risque encouru : lorsqu’on les alerte, la réponse est souvent « Ce n’est pas grand-chose », « Ça me fait du bien ». Parvenez-vous toujours à convaincre ?

Beaucoup de patients ont recours aux médecines alternatives et complémentaires sur les conseils de thérapeutes. Nous essayons d’en discuter mais ce n’est pas toujours facile car certains mettent beaucoup d’espoir en ces médecines alternatives. L’un des objectifs est de rappeler qu’elles ne doivent pas se substituer aux traitements prescrits. Pour cela, j’essaie de rétablir un climat de confiance entre le patient et son traitement. Je rappelle que celui-ci ne relève pas de la décision d’un seul médecin mais qu’il a été discuté de manière collégiale et repose sur des protocoles validés qui sont ce qu’il y a de mieux pour lui à cette étape de la maladie. ça paraît banal mais rappeler que la prescription est individualisée, issue d’une concertation entre plusieurs experts, est rassurant pour le patient.

POINT DE VUE
Véronique Pelagatti, docteure en pharmacie à l’Institut universitaire du cancer de Toulouse Oncopole (Haute-Garonne)

« Outre le millepertuis et le pamplemousse pour lesquels les interactions sont prouvées, la prudence s’impose avec le desmodium, le curcuma ou encore la spiruline »

Comment expliquer l’augmentation des effets indésirables ou des interactions médicamenteuses avec les chimiothérapies ces dernières années ?

Il y a plusieurs raisons mais l’une d’entre elles est l’essor des thérapies ciblées qui exposent à un risque important d’interactions avec des médicaments ou des plantes, d’autant plus qu’elles sont utilisées en continu, contrairement aux chimiothérapies injectables notamment, qui laissent la possibilité de prendre des compléments alimentaires durant les intercures. Depuis quelques années, nous organisons des ateliers ludiques pour sensibiliser les patients à ces risques et ils se montrent plutôt intéressés et réceptifs aux recommandations que nous leur faisons. Les médecins nous interrogent également de plus en plus par rapport au risque d’interactions avec les plantes ou les compléments alimentaires.

Y a-t-il des plantes ou compléments alimentaires plus « à risque » que d’autres ?

Mis à part le millepertuis et le pamplemousse, pour lesquels les interactions sont prouvées, quantifiables et significatives, nous ne disposons, pour l’instant, pour les autres plantes et aliments, que de données théoriques et parfois de cas de pharmacovigilance. Nous mettons particulièrement en garde contre le desmodium, le curcuma et la spiruline, très utilisés par les patients. En ce qui concerne le desmodium, utilisé comme détoxifiant du foie, une note officielle* déconseille son utilisation en l’absence de preuves d’efficacité et met en évidence des doutes concernant sa toxicité à la suite de plusieurs déclarations de pharmacovigilance. Notre établissement a lui-même déclaré en 2019 au centre régional de pharmacovigilance 3 cas d’atteinte hépatique chez des patients ayant consommé du desmodium. Lorsqu’un patient souhaite vraiment en prendre, des bilans hépatiques rapprochés sont prescrits par le médecin. Pour ce qui est du curcuma, beaucoup d’études contradictoires sur son potentiel inhibiteur ou inducteur enzymatique incitent à la prudence et il a par ailleurs des effets antiagrégants plaquettaires bien démontrés. La spiruline semble, elle, agir sur le CYP 1A2. Quant à l’homéopathie, nous déconseillons les dilutions inférieures à 6DH pour lesquelles le principe actif peut être dosé et nous rappelons que la prise de teintures mères relève de la phytothérapie. Enfin, nous sommes très prudents sur l’utilisation des huiles essentielles en massage ou par voie orale car ces modes d’administration exposent à un passage systémique important. L’utilisation en diffusion pour certaines huiles essentielles adaptées est possible.

* Afssa Saisine n° 2007-SA-0171.

INTÉRACTIONS IMPLIQUANT LES CYTOCHROMES

Un inhibiteur ou inducteur de cytochromes peut interférer avec des cytotoxiques ou des thérapies ciblées substrats de ces mêmes cytochromes.

Anticancéreux substrats des cytochromes P450 3A4 et 2D6

Substrats du CYP 3A4 : immunosuppresseurs (ciclosporine, tacrolimus, everolimus…), taxanes (docétaxel, paclitaxel…), vinca-alcaloïdes (vinorelbine, vincristine, vinblastine…), étoposide, anti-VEGF (sunitinib, sorafénib…), inhibiteurs de

tyrosine kinase (nilotinib, crizotinib, bosutinib, erlotinib…), cyclophosphamide, irinotécan, antiestrogènes (tamoxifène, anastrozole…), antiandrogènes (bicalutamide…), abiratérone…

De nombreux substrats du CYP 3A4 sont également substrats de la PgP.

Substrats du CYP 2D6 : bortézomib, géfitinib, tamoxifène…

Sources : Afsos ; Hedrine ; mskcc ; fiches oncolien ; Application Prescrire Interactions médicamenteuses janvier 2020 ; ansm.sante.fr : Interactions médicamenteuses et cytochromes.

Pourrez-vous respecter la minute de silence en mémoire de votre consœur de Guyane le samedi 20 avril ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !