« Le temps de la pleine reconnaissance de la profession est venu » - Le Moniteur des Pharmacies n° 3325 du 06/06/2020 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3325 du 06/06/2020
 

TEMPS FORTS

ENJEUX

Auteur(s) : Magali Clausener*, Anne-Hélène Collin**

Masques, tests de dépistage, délivrances exceptionnelles… Plongée dans les coulisses d’une gestion de crise inédite avec Carine Wolf-Thal, la présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens.

A quel moment l’Ordre est-il entré dans cette crise sanitaire et comment ?

L’Ordre a été sollicité dès les annonces de l’épidémie en Chine. A partir du mois de janvier, la Direction générale de la santé (DGS) a organisé des réunions au ministère avec tous les professionnels de santé : les hôpitaux, les urgences, les services de réanimation et les professionnels de ville. A l’époque, notre objectif était d’anticiper ce qui pouvait arriver en Europe et en France. Au fur et à mesure de ces réunions, nous avons vu arriver les premiers cas en France. Ce qui a marqué très rapidement notre « entrée » dans la crise, c’est, fin février, la demande du ministère de faire distribuer par les pharmaciens les masques du stock de l’Etat réquisitionné aux professionnels de santé.

Quel était votre rôle ? Comment l’avez-vous articulé avec les syndicats et la Direction générale de la santé ?

Pour l’officine, nous nous sommes attachés, dès le début de la crise, à travailler avec les syndicats. Tous ensemble. Nous échangions tous les jours par téléphone, notamment au sujet des difficultés de terrain. Et notre principal rôle consistait à faire remonter au ministère et à la DGS les besoins, les demandes et les inquiétudes des pharmaciens, tous métiers confondus : les attentes des officinaux concernant la disponibilité des solutions hydroalcooliques (SHA), la distribution de masques, le souhait des biologistes d’en être dotés, les adaptations nécessaires à l’exercice, par exemple pour le suivi des patients atteints de maladies chroniques, etc. Nous avions un rôle essentiel de remontées des informations, mais n’étions pas partie prenante dans les décisions qui étaient prises par les pouvoirs publics.

L’Ordre ne participait donc pas à la cellule de crise mise en place au début de la crise sanitaire ?

Nous n’étions en effet pas intégrés à la cellule de crise, qui n’était composée que des représentants du ministère. Cependant, nous avons été très actifs pour l’aspect logistique de la première distribution des masques d’Etat, par l’intermédiaire de Laure Brenas, la présidente de la section C, celle des grossistes-répartiteurs et dépositaires, en lien avec un représentant de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP). Les différents intervenants du ministère, de la DGS, de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) changeaient régulièrement… L’Ordre et les syndicats étaient beaucoup plus en relation avec la DGS, pour les mesures particulières – renouvellement des traitements, IVG médicamenteuse – et l’adaptation des conditions d’exercice, et avec l’Agence nationale de sécurité du médicament, par exemple pour les questions autour du paracétamol, de l’hydroxychloroquine et des ruptures de médicaments.

La distribution des masques aux professionnels de santé libéraux s’est avérée plus que complexe. Pourquoi les autorités se sont-elles adressées aux pharmaciens ?

Le réseau officinal est apparu naturellement comme le plus adapté pour distribuer les masques. Aucun maillage n’est aussi fin et organisé que celui des pharmacies pour toucher rapidement les professionnels de santé de proximité. La force et l’intérêt du maillage officinal ne sont plus à prouver et je m’en réjouis.

Et pourquoi ont-elles choisi Geodis pour la livraison de la deuxième dotation d’Etat ?

Nous n’avons pas bien compris l’organisation privilégiée. Geodis a un partenariat avec Santé publique France. La société livre tous les hôpitaux. Les autorités ont dû imaginer qu’une livraison par Geodis serait plus rapide que par les grossistes-répartiteurs. Geodis n’a pas l’habitude de déconditionner les palettes et de réaliser des livraisons au détail comme savent le faire les grossistes-répartiteurs. C’était une fausse bonne idée qui ne s’est d’ailleurs pas renouvelée. Il faut se rappeler que nous étions tout au début de la crise [pour la deuxième dotation] avec une gestion des masques très tendue.

Le sujet des masques a suscité de nombreuses polémiques. Pourquoi a-t-on empêché les pharmaciens de délivrer des masques aux patients ?

Au début de la crise, l’Etat ne recommandait pas le port du masque pour la population générale. Les masques devaient être réservés aux soignants. C’est ce qui était stipulé dans des circulaires et instructions. Nous n’avons fait que transmettre ces consignes. Nous avons alerté le ministère sur le fait qu’il fallait absolument, à partir des stocks d’Etat, doter les patients les plus fragiles en masques. Et nous avons été soulagés de voir, début mai, que nous allions enfin pouvoir le faire.

Et quelle a été votre réaction lorsque la vente de masques chirurgicaux par les grandes surfaces a été autorisée ?

L’incompréhension totale. D’un côté, il y avait pénurie pour les soignants et les pharmaciens comptaient les masques un par un, comme des stupéfiants quasiment. Ils devaient expliquer aux patients qu’ils ne pouvaient pas leur en donner, même un seul, pour aller faire une IRM ou une chimiothérapie. Et tout d’un coup, la grande distribution a annoncé qu’elle allait vendre des centaines de millions de masques. Cela a été un tel choc qu’il a suscité la colère de tous les professionnels de santé. La grande distribution a ensuite expliqué qu’il s’agissait de commandes. Et nous avons d’ailleurs constaté qu’elle n’en distribuait pas tant que cela. Nous avons aussi observé les difficultés pour tous ceux qui voulaient importer des masques. C’est un marché très compliqué. Des grossistes-répartiteurs ont subi des arnaques en commandant des millions de masques qu’ils n’ont jamais reçus. Il y a eu des dizaines de détournements de commandes sur les tarmacs. Compte tenu de la très forte demande mondiale, les Etats se sont livrés à une guerre pour récupérer des masques. Dans le circuit pharmaceutique, nous n’en disposions d’ailleurs pas à un certain moment.

Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, et Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des Finances, ont mené, le 8 mai, une conférence de presse sur les masques. Sans le ministère de la Santé. Une mise à l’écart volontaire ?

On a pu constater que, d’une part, le ministère de l’Economie, avec la Direction générale des entreprises, a pris en charge la gestion des masques grand public et, d’autre part, le ministère de la Santé celle des masques pour les soignants. Je crois que cela s’est scindé naturellement et que les deux ministères ont travaillé ensemble. L’important était de parvenir à nos fins de santé publique : que la population puisse se procurer des masques.

Aujourd’hui, les pharmaciens distribuent des masques à plus d’une vingtaine de professions. Est-il envisagé que chaque profession prenne en charge sa propre distribution de masques ?

Lorsque la situation sera redevenue normale en matière d’approvisionnement et que nous serons à l’abri d’une seconde vague, nous reviendrons à un circuit normal où chaque professionnel s’organisera pour ses propres équipements. Cette distribution ne fait pas partie des missions des pharmaciens, mais je n’ai pour l’instant pas de visibilité pour savoir quand elle prendra fin.

La Haute Autorité de santé (HAS) est favorable à la réalisation des Trod Covid en pharmacie. C’est aussi la position de l’Ordre ?

C’est une vraie question de santé publique. Quelle est la place des Trod dans la stratégie de prévention et de dépistage ? La HAS a donné un avis très raisonnable et très sage. Maintenant, il faut attendre la parution de l’arrêté* autorisant les pharmaciens d’officine à les pratiquer. Sans ce div, les Trod Covid relèvent de l’exercice de la biologie médicale. En revanche, rien n’interdit les pharmaciens de vendre des autotests Covid s’ils ont le marquage CE et la certification du centre national de référence (CNR).

Mais, actuellement, il n’y a pas d’autotests sur le marché, seulement des Trod. C’est kafkaïen. Alors que les Trod sont recommandés par la HAS, les pharmaciens ne peuvent pas les réaliser. Ils peuvent en revanche vendre les autotests qui ne sont pas recommandés par la HAS.

Des pharmaciens réalisent pourtant des Trod Covid, mais aussi des collectivités locales, des grandes entreprises, des cliniques pour tester leurs personnels. L’Ordre va-t-il les poursuivre ?

Je ne peux pas évoquer les contentieux en cours ou qui auront lieu. D’une manière globale, toute personne qui pratique un exercice illégal de la biologie médicale est passible de poursuites et de sanctions, pas seulement disciplinaires, mais aussi pénales. Je crois que les collectivités locales et les entreprises ont compris que cela n’était pas possible.

Cette crise va-t-elle permettre d’asseoir un peu plus le rôle du pharmacien dans le système de santé et son statut d’acteur de santé ? Des missions comme le renouvellement exceptionnel, la substitution des dispositifs médicaux, doivent-elles perdurer ?

C’est en partie l’intérêt du Ségur de la santé. Cette période a donné un coup d’accélérateur à des actions qui étaient prévues dans le plan Ma Santé 2022. Je pense à la téléconsultation, mais aussi aux relations avec les médecins et les infirmières. La crise a renforcé la coopération interprofessionnelle. Nous allons faire des propositions à l’occasion du Ségur sur les missions que nous pourrions conserver car elles représentent une véritable valeur ajoutée pour les patients dans leur parcours de soins et celles qui, en revanche, devront s’arrêter parce qu’il s’agissait de solutions d’urgence mais qui nécessitent un suivi régulier du patient par leur médecin. Je pense par exemple au renouvellement des traitements. Nous ne pouvons pas renouveler les traitements indéfiniment sans ce suivi médical. Il en est de même pour les ordonnances dématérialisées. Nous avons vu un peu tout et n’importe quoi. J’espère que cela sera l’occasion d’accélérer la e-prescription. Durant cette crise, nous avons dû trouver des solutions qui doivent maintenant être mises en adéquation avec le Code de la santé publique.

Mais les pharmaciens ne sont pas directement représentés au Ségur de la santé…

Nous faisons le même constat. A nous d’être persuasifs et d’apporter des contributions écrites puisque nous y sommes invités. Nous n’allons pas manquer de le faire, notamment sur le quatrième pilier relatif à la territorialité et aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), et allons insister sur l’interprofessionnalité et la place primordiale du pharmacien, non seulement à l’officine mais aussi à l’hôpital et dans les laboratoires de biologie médicale, et, plus globalement, tout au long de la chaîne pharmaceutique.

Savez-vous aujourd’hui si des pharmaciens et des salariés de l’officine ont été touchés par le Covid-19 ?

En matière de décès, la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens a rapporté des chiffres qui sont plutôt rassurants et n’a pas constaté de surmortalité sur cette période. Des enquêtes sur le nombre de professionnels de santé contaminés sont en cours, lancées notamment par le Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants aux agents infectieux (Geres) et les syndicats.

Les étudiants en pharmacie se sont mobilisés dès le début de l’épidémie. Quel est d’ailleurs le bilan de Pharm’Help ?

Je tiens à remercier les étudiants, notamment ceux de sixième année, qui ont été très mobilisés et ont aidé la profession. Concernant Pharm’Help, nous avons eu au moins 220 contacts formulés et au moins 27 annonces validées. C’est un bon bilan, pour une belle initiative déployée dans l’urgence !

Que retenir de cette période ? Que souhaitez-vous pour « l’après » ?

Je retiens que les pharmaciens ont été extraordinaires et ont su répondre présent en toutes circonstances. Ils ont été disponibles sans relâche dans des conditions difficiles pour leur santé et celle de leurs équipes. Je suis fière et impressionnée par notre profession et ce qu’elle a accompli. Je retiens aussi le soutien de la population et ses témoignages de reconnaissance, même si nous avons enregistré pratiquement autant d’agressions en deux mois que sur l’année 2019. Ce n’est, hélas, pas une surprise dans ce climat très tendu, mais les pharmaciens ont su faire face. Pour « l’après », je souhaite qu’on obtienne une réelle reconnaissance de la part des autorités et du gouvernement, qu’ils continuent à nous faire confiance et à nous considérer comme des acteurs clés et incontournables dans le système de soins, ce que nous avons été pendant cette crise. Nous avons démontré notre capacité à faire bien, à faire vite et consciencieusement, en pleine collaboration avec tous les autres professionnels de santé. Maintenant, le temps de la pleine reconnaissance de la profession est venu.

* L’interview a été réalisée le 27 mai 2020.

BIO EXPRESS

1991

Diplômée à l’université de Paris 11

1993

Premier poste chez un prestataire de recherche clinique

1997

Responsable européen de développement clinique pour un laboratoire international

2007

Titulaire à Rouen (Seine-Maritime)

2012-2015

Présidente du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens (CROP) de Haute-Normandie

2015-2017

Membre du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP)

JUILLET 2017

Présidente du CNOP

JUILLET 2019

Réélue présidente du CNOP

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