Les patients, ces grands oubliés de la distribution des masques - Le Moniteur des Pharmacies n° 3322 du 16/05/2020 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3322 du 16/05/2020
 
COVID-19

TEMPS FORTS

ENJEUX

Auteur(s) : Magali Clausener

Au-delà des polémiques, la vente des masques chirurgicaux par millions par la grande distribution révèle les failles de la gestion des stocks par l’Etat, notamment auprès des patients Covid-19 et des personnes « contact ». Et la délivrance de masques par les pharmaciens depuis le 11 mai selon la nouvelle doctrine risque de susciter de nouvelles interrogations voire des pénuries au détriment des malades Covid et des personnes vulnérables.

Cela crève le cœur de voir des patients repartir sans masque. » Cette remarque de Brigitte Bouzige, titulaire aux Salles-du-Gardon (Gard), résume bien ce qu’ont ressenti les pharmaciens durant plus de deux mois, lorsqu’ils ne pouvaient pas délivrer de masques chirurgicaux aux malades du Covid-19 et aux patients vulnérables. En cette période de pénurie de masques médicaux, le ministère de la Santé a donné la priorité aux soignants hospitaliers et aux professionnels de santé libéraux. L’Ordre des pharmaciens et les syndicats ont ainsi décidé « d’interdire » aux officinaux d’honorer les prescriptions de masques. Un choix qui suscite aujourd’hui une polémique dans la profession. « Mon métier, c’est de garantir la santé publique. C’est ce qui me plaît. Nous avons respecté la consigne mais, à un moment donné, notamment après le décret du 23 mars [autorisant la levée partielle de la réquisition de masques importés] face aux patients auxquels tu dois refuser un masque, c’est toi et ton éthique, et tu te dis que cela suffit », explique Laurent Sebban, titulaire à Château-Thierry (Aisne) et responsable du groupement Suprapharm, qui a décidé d’acheter des masques médicaux avant le feu vert de l’Ordre et des syndicats. Olivier Rozaire, titulaire à Saint-Bonnet-le-Château (Loire), estime, lui, que l’Ordre a pris la bonne décision : « Il a eu raison de protéger l’image de la profession. Comment aurions-nous pu vendre des masques alors que les dotations étaient insuffisantes pour les professionnels de santé ? Seul un petit nombre de pharmaciens aurait pu en commercialiser. Il y aurait eu une distorsion de concurrence. »

Quels que soient les avis, tous les officinaux se retrouvent logés à la même enseigne : ne pas pouvoir donner des masques aux patients vulnérables, ceux qui sont âgés ou qui ont des séances de chimiothérapie. Pire encore, ils ne peuvent même pas en fournir aux patients atteints de Covid-19 qui ont une prescription de ville ou hospitalière. Et encore moins à leurs proches. « Dans un premier temps, nous n’avons pas su que les prescriptions n’étaient pas honorées, commente Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Ensuite, nous avons essayé de donner des masques aux patients symptomatiques sur notre propre dotation. » « J’ai posé la question à Olivier Véran [ministre de la Santé] sur ce sujet. Il m’a répondu : "Si tu donnes des masques aux patients, tu n’en auras plus" », relate Jacques Battistoni, président du syndicat MG France. Effectivement, les médecins et les infirmiers libéraux manquent eux-mêmes de masques durant les premières semaines de l’épidémie. Quant aux hospitaliers, ils ne semblent pas au courant de la situation dans les officines. « Le plus grand nombre d’ordonnances était des prescriptions hospitalières. Lors des réunions avec l’ARS [agence régionale de santé], j’ai dit aux hospitaliers d’arrêter de prescrire des masques, car nous n’avions pas le droit d’en délivrer et cela créait des tensions inimaginables avec les patients. Ils m’ont dit qu’en tant que médecins, ils ne pouvaient pas ne pas prescrire des masques », détaille Grégory Tempremant, titulaire à Comines (Nord) et président de l’URPS Pharmaciens des Hauts-de-France.

80 % des clusters sont intrafamiliaux

Il faut donc se débrouiller. Des pharmaciens distribuent à quelques patients ciblés deux ou trois masques pris sur leur dotation, voire sur les stocks d’Etat qui leur restent, de nombreux professionnels de santé ne venant plus les chercher. Dans certaines régions comme en Ile-de-France ou en Auvergne-Rhône-Alpes, les dons permettent de pallier un temps la pénurie. A l’hôpital, les infirmiers jouent aussi la solidarité. « Nous donnons un masque aux patients Covid-19 qui sortent de l’établissement et on leur en glisse parfois un deuxième dans leur sac. Après, c’est la générosité qui a fonctionné, celle des infirmières libérales, mais aussi celle des voisins, des couturières qui ont donné des masques en tissu », raconte Céline Laville, présidente de la Coordination nationale infirmière (syndicat CNI). Mais difficile de faire mieux. Combien de patients Covid-19 n’ont-ils pas eu de masques chirurgicaux pendant leur isolement ? « Il y aurait eu moins de contaminations dès le départ si tous les patients et leur entourage avaient pu avoir des masques », juge Céline Laville. « Il est évident que la pénurie de masques que nous avons tous subie a été un facteur majeur du développement de l’épidémie », affirme Jean-Paul Ortiz. Une opinion partagée par de nombreux pharmaciens dont certains ont eu connaissance de clusters intrafamiliaux. Des études chinoises et une autre conduite à Hong Kong, ont d’ailleurs conclu que 80 % des clusters de plus de trois cas étaient familiaux. « La recommandation de la Direction générale de la santé (DGS) et des autorités internationales est très claire : les personnes infectées et "contact" doivent porter un masque, déclare le Pr Anne-Claude Crémieux, infectiologue à l’hôpital Saint-Louis (Paris). Le fait de ne pas avoir de masques a manqué pour essayer de diminuer la contamination intrafamiliale, mais nous ne pouvons pas savoir à quel point cela a joué. Nous ne le saurons jamais. »

Une autre pénurie en perspective ?

L’évolution de la doctrine de la DGS, à savoir la distribution par les pharmaciens de masques chirurgicaux aux patients Covid-19, aux personnes « contact » et aux patients à « très haut risque médical » depuis le 11 mai, ne pourra pas changer le passé. Elle constitue néanmoins une avancée, même si elle arrive tardivement. « C’est un soulagement de pouvoir donner des masques aux patients », déclare un pharmacien dans les Hauts-de-France. Pour autant, la distribution aux patients à « très haut risque médical », notamment ceux présentant une immunodépression sévère, peut s’avérer problématique. La DGS laisse en effet aux médecins traitants le soin d’assurer les prescriptions « avec discernement en tenant compte du fait que, pour les autres vulnérabilités médicales et en dehors des cas particuliers à l’appréciation des médecins, la protection doit être assurée par un masque grand public ». « Cela nous place dans une situation de conflits potentiels car on nous demande de définir qui a besoin de masques ou pas, alors que nous allons avoir beaucoup de demandes de patients pour avoir des masques. Nous allons encore une fois gérer en fonction des moyens disponibles. Il faudrait une liste plus restrictive », observe Jacques Battistoni. A l’inverse, la Fédération française des diabétiques (FFD) réclame que « les patients bénéficiant du régime des affections de longue durée (ALD) et en particulier les personnes atteintes de diabète puissent bénéficier de cette distribution [de masques] par les pharmaciens d’officine ». Sans exiger « une prescription médicale supplémentaire », ajoute le Dr Jean-François Thébaut, vice-président de la FFD.

Le débat est loin d’être terminé. Selon Anne-Claude Crémieux, les pharmaciens doivent conseiller le port d’un masque aux personnes âgées, à celles qui sont en surpoids, ont un diabète dit « de maturité », de l’hypertension artérielle ou une insuffisance grave respiratoire et aux femmes enceintes. Les 50 millions de masques distribués chaque semaine aux officines, qui doivent aussi couvrir les besoins de près de 25 catégories de professionnels, suffiront-ils à faire face à toutes les demandes ? Pas sûr.

Une enquête au Sénat

Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde (groupe du Rassemblement démocratique et social européen), souhaite la création d’une commission d’enquête sur la gestion des masques par le gouvernement et la grande distribution. « Nous avons toujours entendu parler des masques médicaux en termes de pénurie. Les annonces de la grande distribution et son rétropédalage ont suscité beaucoup d’interrogations. Il ne s’agit pas de condamner mais de tirer des enseignements afin de ne pas se retrouver dans la même situation lors d’une prochaine crise sanitaire », explique la sénatrice. Pour Anne-Claude Crémieux, infectiologue à l’hôpital Saint-Louis (Paris), il est également indispensable de tirer des leçons de cette crise. « Il ne faut pas rechercher des responsabilités individuelles mais collectives, car c’est une affaire de système. Pourquoi n’a-t-il pas été suffisamment réactif dans la gestion de la crise ? »

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