Economie : faire face à la baisse de fréquentation - Le Moniteur des Pharmacies n° 3317 du 11/04/2020 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3317 du 11/04/2020
 
CONFINEMENT

TEMPS FORTS

ENJEUX

Auteur(s) : François Pouzaud

En première ligne depuis le début de l’épidémie de Covid-19, les pharmaciens titulaires vont devoir maintenant batailler sur un deuxième front : celui de la santé économique des officines. En complément des mesures d’aide aux entreprises de l’Etat, d’autres gestes de prévention vont s’imposer dans les prochains jours ou prochaines semaines. Revue de détail avec les expertscomptables.

La forte activité constatée ces dernières semaines laisse désormais la place à une baisse du chiffre d’affaires des officines liée aux conditions du confinement. Les pharmacies de passage (centre commercial et centre-ville) sont les plus touchées avec des baisses d’activité très significatives, de 50 % ou plus. Et la sortie du tunnel n’est pas forcément la date de levée du confinement (fin avril ?). « Il faut se mettre dans l’idée qu’il peut se prolonger et que la baisse d’activité peut durer plusieurs mois comme ce fut le cas en Chine », lance Joël Lecoeur, associé de LLA Experts-comptables et président du groupement CGP. Pendant cette période, l’objectif sera de préserver sa trésorerie et d’avoir les moyens de relancer l’activité en sortie de crise. Le premier des conseils délivrés par les experts-comptables est d’user de toutes les mesures d’accompagnement prises par le gouvernement pour passer ce cap. Sans négliger aucune piste. Mais d’autres mesures incombent au pharmacien chef d’entreprise, à mettre en place avec l’aide de son expert-comptable.

1. Déterminer son seuil de rentabilité

En premier lieu, Joël Lecoeur conseille de définir le seuil de rentabilité, c’est-à-dire le chiffre d’affaires minimal pour pouvoir couvrir l’ensemble de ses frais fixes (frais généraux, frais de personnel, rémunération du titulaire, les échéances d’emprunt, intérêts et capital).

Ce seuil de rentabilité pourra être exprimé sur la période étudiée (jour ou semaine) et décliné en nombre de ventes et panier moyen. « L’analyse du chiffre d’affaires des premières semaines d’avril permettra de tirer les premiers enseignements et les dispositions à prendre », explique-t- il. En effet, il est nécessaire de tenir compte de « l’effet yoyo » sur l’activité. Par exemple, après une première semaine avec une forte fréquentation, il est logique que la semaine suivante soit beaucoup plus calme par l’anticipation des ventes. « Si le seuil de rentabilité n’est pas atteint, il conviendra alors de réduire les frais fixes », poursuit-il.

2. Réduire les frais fixes

La réduction des frais fixes est à envisager à trois niveaux :

Les achats

Le premier réflexe à avoir est de différer les commandes et livraisons des achats directs non nécessaires à la poursuite de l’activité et de privilégier les commandes auprès des répartiteurs pour le réapprovisionnement. Le président de CGP explique l’enjeu des achats au fil de l’eau : « Il ne faut pas perdre de vue que la réception de la marchandise déclenche juridiquement la facturation et donc le paiement. Le direct étant payable généralement à 60 jours, serons-nous sortis de la période de confinement à l’échéance ? »

Demander au laboratoire de différer momentanément ses paiements fournisseurs est, selon lui, une fausse bonne idée. « Une telle action déployée à grande échelle par l’ensemble des entreprises risque de gripper le système et de multiplier les défaillances d’entreprises. »

Les frais généraux

Sur ce poste, il est possible d’actionner le levier d’une première série de mesures de soutien aux entreprises. Les officines touchées peuvent négocier un moratoire sur le loyer avec leur bailleur. Le gouvernement et les organisations de bailleurs ont conclu un accord le 20 mars qui suspend l’exigibilité des loyers et des charges à partir du 1er avril et prévoit la mensualisation des arriérés une fois la reprise d’activité. Les échéances de crédit-bail peuvent être différées de six mois sur simple demande du locataire. Enfin, les pharmacies rencontrant des difficultés pour payer les factures d’eau, d’électricité et de gaz peuvent demander par courriel un report amiable à leurs fournisseurs.

Avant d’en appeler à l’Etat-providence, « il faut prendre des mesures de bon sens, conseille Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département pharmacie de Fiducial. Réduire la voilure, en particulier sur les horaires d’ouverture et les stocks, différer tout ce qui n’est pas essentiel ou indispensable tant qu’il n’y a pas de visibilité, repousser certaines dépenses à des jours meilleurs, etc. »

Les frais de personnel

Les frais de personnel représentent le principal poste de charges dans le compte de résultat. Différentes mesures prévues par le gouvernement sont possibles en pharmacie :

- la mise en place de l’activité partielle (chômage partiel), possible en pharmacie si l’officine rencontre une baisse notable (au-delà d’un tiers) de son chiffre d’affaires (voir page 31). « Il faut veiller à demander une période suffisamment longue de réduction d’activité si le confinement se prolonge et si la reprise d’une activité normale se fait attendre », conseille Joël Lecoeur. Rappelons, au passage, que le pharmacien titulaire ne bénéficie pas de l’activité partielle. Sa couverture de prévoyance ne fonctionne que s’il est lui-même atteint par le virus ;

- la prise de congés payés, dans la limite de six jours (voir page 31), pendant la période de confinement. Un accord d’entreprise est nécessaire et doit être ratifié par les deux tiers des salariés présents à l’officine ou le comité social et économique (CSE) si l’officine en est pourvue. Un modèle d’accord peut être fourni par l’expert-comptable. « S’il n’y a pas de représentant du personnel, ce qui est la majorité des cas en officine, cette mesure ne sera pas simple à mettre en oeuvre, mieux vaut mener une négociation amiable avec ses salariés », préfère Philippe Becker ;

- la prise de RTT. L’employeur peut imposer, à des dates déterminées par lui, la prise de dix jours de RTT au maximum, et ce, jusqu’au 31 décembre, à condition de respecter un délai de prévenance d’au moins un jour franc ;

- l’arrêt maladie, possible dans le cadre des gardes d’enfants, pour les personnes exposées au coronavirus et les personnes classées à risque de développer une forme grave de Covid-19 par le Haut Conseil de la santé publique ;

- la modulation ou le report de tout ou partie des cotisations salariales et patronales jusqu’à trois mois. L’employeur doit solliciter son expert-comptable pour faire le report et effectuer ou modifier en ligne sa déclaration sociale nominative (DSN) en indiquant un montant à 0. Un report est également possible pour les cotisations retraite complémentaire, il convient de se rapprocher de sa caisse complémentaire Apgis ou Klesia.

3. Alléger les charges fiscales et sociales du dirigeant

Charité bien ordonnée… En plus de demander le report du paiement des charges sociales et des impôts directs (acompte de l’impôt sur les sociétés, taxe sur les salaires, etc.) sans pénalité, le chef d’entreprise peut aussi se préoccuper de sa fiscalité personnelle. « Si le pharmacien est amené à réduire sa rémunération de gérance ou son revenu, il peut moduler à tout moment le taux et les acomptes de prélèvement à la source, signale Joël Lecoeur. Il peut également reporter d’un mois sur l’autre jusqu’à trois fois le prélèvement mensuel, une seule fois s’il est au prélèvement trimestriel. »

Il ne faut pas non plus se prendre les pieds dans le tapis avec les mesures d’aide mises en place sur le paiement des cotisations TNS (travailleurs non salariés) depuis le début de la crise. Si le pharmacien paye les échéances d’Urssaf le 20 du mois, le prélèvement automatique du 20 mars est annulé. Le montant sera lissé sur les mois suivants (avril à décembre). S’il paie le 5 avril, le montant de cette échéance sera lissé sur les échéances ultérieures (mai à décembre). En complément de cette mesure, il peut solliciter l’octroi de délais de paiement, y compris par anticipation. Il n’y aura ni majoration de retard ni pénalité. Il peut également demander un ajustement de son échéancier de cotisations pour tenir compte d’ores et déjà d’une baisse de son revenu, en estimant le nouveau revenu sans attendre la déclaration annuelle.

Et les cotisations retraite ? La Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) n’a pas jugé utile pour le moment de les suspendre. Cependant, en cas de difficultés économiques, possibilité est faite de demander un report des cotisations en utilisant le formulaire de contact disponible sur son site internet. Les cotisations retraite facultatives, dites loi Madelin, peuvent également faire l’objet d’une modulation dans un rapport de un à dix. Elles peuvent donc être réduites temporairement de 90 % sans remettre en cause le sort du contrat. Il convient de prendre contact avec sa compagnie d’assurances.

4. Reporter les échéances d’emprunt

Les banques françaises se sont engagées à reporter jusqu’à six mois le remboursement de crédits des entreprises, sans frais (hors intérêts et assurance-décès, pour les prêts amortissables classiques). Seules les échéances en capital seront différées et reportées en fin de crédit. Cela se traduit par un allongement de six mois de la durée initiale du crédit. Au début du report, il faut penser à prévenir l’assureur en cas de délégation d’assurance.

« Même si la trésorerie est confortable, il faut décaler tous les emprunts de six mois, on ne sait jamais, un trou d’air va se créer et il peut entraîner un problème financier structurel que l’entreprise risque de payer cher dans plusieurs années », met en garde Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet AdequA. Même si l’activité repart après la crise, « ce qui est perdu en trésorerie ne se récupère pas », insiste-t- il. « L’ensemble de ces mesures permettra de réduire le seuil de rentabilité. Si elles s’avéraient insuffisantes, il conviendrait alors d’avoir recours aux prêts de trésorerie garantis par l’Etat et, sous certaines conditions, au fonds de solidarité pour les TPE », recommande Joël Lecoeur.

5. Solliciter en dernier recours le prêt de trésorerie garanti par l’Etat

Le prêt de trésorerie garanti par l’Etat (voir Repères p. 19) est, de l’avis du président de CGP, « le meilleur dispositif pour sécuriser sa trésorerie, pérenniser sa pharmacie et préserver ses emplois ». Et d’exhorter : « Sollicitez-le et, si au bout de douze mois vous constatez ne pas en avoir besoin, vous pourrez le rembourser en une seule fois. »

6. Se préparer à la reprise

Une fois la trésorerie préservée par cette palette de mesures, le pharmacien aura besoin de toutes ses forces vives (bras et marchandises) pour relancer l’activité. La reprise nécessitera de disposer de la trésorerie suffisante. « Les fournisseurs, à l’issue de cette période de confinement, prendront quelques précautions afin d’éviter d’éventuelles défaillances de paiement en demandant, par exemple, le règlement de factures pro forma avant livraison », pense Joël Lecoeur. Le fait d’avoir pu préserver sa trésorerie et assurer le paiement de ses échéances en cette période difficile devrait faciliter les rapports commerciaux à venir…

Les pharmacies seront-elles éligibles à toutes les aides de l’Etat ?

Les pharmacies n’ayant pas cessé leur activité, Philippe Becker (Fiducial) se montre circonspect. « Les baisses seront modérées pour nombre d’entre elles, notamment pour les officines rurales et de quartier. Il n’est donc pas certain que celles qui solliciteront le soutien de l’Etat soient éligibles à toutes les aides, doute-t-il. Par exemple, pour prétendre au fonds de solidarité, l’officine doit réaliser moins d’un million de chiffre d’affaires (CA) HT et un bénéfice inférieur à 60 000 €. Or le résultat d’une pharmacie avant rémunération des gérants est en moyenne de 10 % du CA HT. Donc, seules les officines très petites, de moins de 600 000 € de CA HT, seraient en position de postuler pour cette aide. »

« Mais ne pas trop escompter les aides de l’Etat ne veut pas dire qu’il ne faut pas les demander ! Les titulaires devront bien préparer leur dossier et avoir de bons arguments à exposer auprès de la direccte* », conseille-t-il.

* Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

À RETENIR !

- Adapter ses frais à la baisse d’activité est la première mesure à prendre pour passer le cap des difficultés économiques liées au Covid-19. Le titulaire peut faire appel aux différentes mesures d’accompagnement proposées par l’Etat. Le but : préserver sa trésorerie.

- Les mesures impliquant l’équipe officinale (congés payés, arrêt maladie) nécessitent une concertation des salariés. - Ne pas hésiter à solliciter le prêt de trésorerie garanti par l’Etat.

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