Hydroxychloroquine : un médicament pas « si connu » - Le Moniteur des Pharmacies n° 3316 du 04/04/2020 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3316 du 04/04/2020
 
COVID-19

EXPERTISE

AUTOUR DU MÉDICAMENT

Auteur(s) : Anne-Hélène Collin

Une chose est certaine avec l’hydroxychloroquine : elle est efficace pour semer la discorde. Les incertitudes scientifiques sont parasitées par la médiatisation de la molécule et une certaine récupération politique, entrecoupées de publications d’études bourrées de biais, et donc ininterprétables.

La dernière étude en date, publiée par le Pr Didier Raoult le 27 mars, brille par sa faiblesse méthodologique et notamment par l’absence de groupe contrôle, empêchant toute comparaison possible. Quatre-vingts patients Covid+ (18-88 ans, âge médian : 52 ans) se sont vus administrer 600 mg d’hydroxychloroquine par jour en trois prises pendant dix jours, associée à l’azithromycine (500 mg le premier jour puis 250 mg par jour pendant quatre jours), avec un suivi cardiologique. Si l’essai montre une évolution clinique favorable dans 81,3 % des cas (mais compte un mort), un recours à l’oxygénothérapie dans 15 % des cas, une réduction de la charge virale nasopharyngée avec tests négatifs dans 83 % des cas à J7 et 93 % à J8, il est impossible de savoir si ces résultats sont différents d’une évolution naturelle de la maladie. « Notre étude porte sur 80 patients, sans groupe contrôle car nous proposons notre protocole à tous les patients ne présentant pas de contre-indication. C’est ce que nous dicte le serment d’Hippocrate que nous avons prêté », justifiait Didier Raoult le 29 mars via Twitter. Toujours est-il que l’essai ne peut conclure à la réelle efficacité de l’association hydroxychloroquine/ azithromycine dans le traitement du Covid-19. Tout comme il était impossible d’interpréter les résultats de sa précédente étude marseillaise, publiée le 16 mars, portant sur un petit échantillon (26 patients, dont six exclus après décès, passage en service de réanimation, effet indésirable ou sortie de l’hôpital) et présentant de nombreuses imprécisions et de nombreux biais.

Une activité antivirale démontrée uniquement in vitro

Le fait que l’hydroxychloroquine (à ne pas confondre avec la chloroquine, dix fois moins puissante) soit connue depuis de nombreuses années et commercialisée dans plusieurs autres indications, ne peut suffire à généraliser son utilisation à tous les patients Covid+, comme le souhaiterait le Pr Raoult. De nombreuses études in vitro ont montré une action antivirale de l’hydroxychloroquine sur plusieurs virus dont SARS-CoV-2, mais aucune étude clinique sérieusement menée in vivo sur l’homme n’a démontré son efficacité dans Covid-19. C’est tout juste si une étude chinoise publiée le 3 mars dans Zhejiang University Journals, randomisée mais sur un faible nombre de patients (30), pouvait apporter un indice sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine (400 mg par jour pendant cinq jours). A J7, la charge virale nasopharyngée était négative pour 93,3 % des patients du groupe contrôle, contre 86,7 % pour le bras hydroxychloroquine. « Ce n’est pas significatif, précise Mathieu Molimard, chef de service de pharmacologie médicale et clinique au CHU de Bordeaux (Gironde). La durée de fièvre est équivalente, la durée d’hospitalisation aussi. La seule différence, ce sont les effets indésirables [diarrhée transitoire et fonction hépatique anormale,], plus nombreux sous hydroxychloroquine. » Et d’ajouter : « Au-delà de 400 mg d’hydroxychloroquine par jour, on note un allongement du QT. »

L’efficacité et la sécurité de l’hydroxychloroquine dans Covid-19 restent donc encore à prouver.

Les premiers résultats de l’essai Discovery, mené sur au moins 800 patients français hospitalisés et comparant la molécule à trois autres traitements, doivent être annoncés dans les prochains jours. L’essai français randomisé Hycovid, qui teste l’hydroxychloroquine seule contre placebo chez 1 300 patients de forme non grave mais à risque d’évolution défavorable, a été lancé mercredi. Les premiers résultats sont attendus dans quelques semaines. Quant à savoir à quel moment administrer l’hydroxychloroquine, au début de la maladie ou au moment de l’aggravation (et donc quand la charge virale diminue), il faut attendre. « II y a plusieurs essais thérapeutiques en cours, précoces et non précoces, expliquait Jérôme Salomon, directeur général de la santé, dans son point du 30 mars. Il y a même des volontés de préventif. »

HYDROXYCHLOROQUINE, AZITHROMYCINE ET COVID-19 : LE COCKTAIL DÉTONNANT

En bloquant les canaux potassiques hERG qui jouent un rôle crucial dans l’activité cardiaque, l’hydroxychloroquine expose les patients à des allongements de l’intervalle QT de l’électrocardiogramme et à la survenue de torsades de pointes, parfois fatales.

L’azithromycine expose elle aussi à des allongements du QT, dans une moindre mesure. L’association n’est peut-être pas contre-indiquée, mais elle impose une surveillance cardiaque (électrocardiogramme, suivi de la kaliémie) avant et pendant le traitement. Et ce, d’autant plus chez des patients atteints de Covid-19 : le SARS-CoV-2, en se liant au récepteur de l’angiotensine II, active le système rénine-angiotensine et conduit à une hyperproduction d’aldostérone qui contribue à une hypokaliémie. L’hypokaliémie est elle-même associée à un allongement de l’espace QT.

Et le risque n’est pas que théorique. L’agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine a décompté, en une semaine, une dizaine de cas graves de toxicité cardiaque chez des malades après la prise d’hydroxychloroquine en automédication, dont une association hydroxychloroquine et azithromycine. Des décès de patients Covid+ potentiellement liés à la prise d’hydroxychloroquine (associée ou non à l’azithromycine) sont en cours d’investigation, mais l’imputabilité du médicament doit être démontrée. « Quand on est en réanimation, on peut avoir une défaillance cardiaque et les causes sont multiples », précisait prudemment la Direction générale de la santé dans son point d’information du lundi 30 mars. Dans l’attente des résultats des différents essais cliniques, l’hydroxychloroquine utilisée chez les patients Covid+ est sous surveillance renforcée. « En aucun cas ces médicaments ne doivent être utilisés, ni en automédication ni sur prescription d’un médecin de ville ni en autoprescription d’un médecin pour lui-même, pour le traitement du Covid-19 », rappelait l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) le 30 mars.

Pourrez-vous respecter la minute de silence en mémoire de votre consœur de Guyane le samedi 20 avril ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !