Dispensation à l’unité : la fausse bonne idée devient une réalité - Le Moniteur des Pharmacies n° 3305 du 25/01/2020 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3305 du 25/01/2020
 
ÉCOLOGIE

Temps Forts

Enjeu

Auteur(s) : PAR MATTHIEU VANDENDRIESSCHE 

C’est finalement par le biais d’une loi sur l’environnement que la dispensation des médicaments à l’unité doit être mise en place d’ici deux ans. Reste au gouvernement à fixer la liste des molécules concernées et les modalités pratiques à l’officine. Pour les acteurs du médicament, majoritairement hostiles, la question qui se pose désormais n’est plus pourquoi mais comment.

En définitive, tout est allé très vite. Après plusieurs tentatives d’introduction dans la loi de financement de la Sécurité sociale, c’est au travers de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire que la dispensation à l’unité (DAU) de médicaments s’apprête à faire son entrée dans les officines. Cette promesse de campagne d’Emmanuel Macron est recyclée fin novembre par une commission de députés La République en marche puis votée en première lecture à l’Assemblée nationale le 13 décembre. A ce jour, la loi est en passe d’être définitivement adoptée et la DAU n’attend plus que des divs d’application pour entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2022. « Cette mesure relève de la thérapeutique, je suis étonnée qu’elle arrive par une loi sur l’environnement, sans concertation des professionnels du médicament et des patients », déplore Carine Wolf-Thal, présidente de l’Ordre national des pharmaciens. Dans un échange avec cette dernière, posté le 20 décembre sur YouTube, Agnès Buzyn réitère la position du gouvernement : « Il y a une incompréhension des Français, de beaucoup d’élus et de parlementaires sur la façon dont nous distribuons les médicaments et beaucoup, depuis longtemps, poussent à la dispensation à l’unité », soutient la ministre de la Santé. Le gouvernement a souhaité limiter le champ d’application à des antibiotiques, ce qu’il devrait confirmer dans un arrêté sur les médicaments ciblés. Un décret doit aussi fixer les modalités pratiques à l’officine. Dès à présent, on peut s’interroger : dans quel conditionnement et selon quel mode de préparation ces unités de prise seront-elles délivrées aux patients ?

Du bricolage en phase de test

Lors de l’expérimentation sur la DAU lancée en 2014, les blisters d’origine étaient découpés et placés avec une notice dans des enveloppes ou des sachets en papier mentionnant numéro de lot et date de péremption. Les unités restantes étaient replacées dans les boîtes entamées. « C’était du bricolage. Il n’est pas question cette fois de découper des bouts de blisters dont certains ne portaient plus les indications de traçabilité », estime Béatrice Clairaz-Mahiou, coprésidente de la Société francophone des sciences pharmaceutiques officinales (SFSPO) et participante à cette phase de test dans son officine de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Des blisters prédécoupés ou unitaires, tels que mis à disposition dans les services hospitaliers, respectent cette exigence de traçabilité. « Nous irons certainement vers ce modèle. Mais ce qui se fait à l’hôpital ne peut être complètement dupliqué en ville, où la majorité des patients sont seuls pour prendre leur traitement », considère Carine Wolf-Thal. « A l’hôpital, il existe déjà des DCI conditionnées sous cette forme, mais peut-être pas pour tous les antibiotiques, génériques ou princeps. De plus, tous les acteurs du générique ne sont pas présents sur ce marché. Ce serait un nouvel outil industriel à mettre en place puisqu’il n’existe pas dans les chaînes de production pour les spécialités dispensées en ville », pointe Catherine Bourrienne-Bautista, déléguée générale du Gemme, association des laboratoires de génériques. De nouveaux process qui pourraient d’ailleurs, selon les industriels, accentuer les risques de rupture d’approvisionnement en ralentissant les cadences de production. Pour les officines équipées d’un automate de préparation de sachets-doses ou plus largement d’un matériel de confection de piluliers, une autre solution est de proposer une délivrance sur le modèle de la préparation des doses à administrer (PDA). Cela contre l’avis de Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), pour lequel les deux démarches n’ont rien à voir, la PDA consistant à séquencer un traitement chronique au bénéfice de l’observance chez des patients âgés.

Avec la majorité des solutions présentes sur le marché, il faut en tout cas extraire comprimés et gélules de leurs blisters. Ni interdit ni explicitement autorisé, le déconditionnement est toléré et soumis à des exigences de conservation et de traçabilité. « Je n’y suis pas favorable, il faut autant que possible préserver le conditionnement d’origine », affirme la présidente de l’Ordre des pharmaciens. Même point de vue pour Philippe Besset. Le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) n’est pourtant pas hostile à la DAU, considérant qu’elle est déjà pratiquée pour les stupéfiants. « Améliorons d’abord les conditions de dispensation et la traçabilité de ces médicaments spécifiques. Mettons en place un prix à l’unité et non plus à la boîte, tâche qui revient au Comité économique des produits de santé. Il faudra aussi une rémunération de quelques euros pour l’acte de fractionnement. Ensuite, nous ferons ce qu’il y a à faire pour les antibiotiques critiques. » Un honoraire de fractionnement se justifie-t-il ? Silence de l’Assurance maladie sur ce point pour le moment. A l’USPO, Gilles Bonnefond considère qu’il faut plutôt militer pour donner au pharmacien la possibilité d’ajuster la durée du traitement antibiotique en fonction de l’indication si l’ordonnance ne présente pas cette précision.

Autre argument défavorable à la DAU, l’adéquation actuelle entre conditionnements et posologies. Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (Les Entreprises du médicament), rappelle que la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 prévoit en outre une pénalité financière à l’encontre des laboratoires qui proposent des médicaments dans des conditionnements non adaptés. « Ce n’est pas l’industrie qui définit les conditionnements mais les autorités qui délivrent l’AMM qui fixent la taille des conditionnements », complète-t-il.

Une mesure pour casser le système

Quoi qu’il en soit, la DAU va nécessiter des évolutions dans la pratique quotidienne à l’officine. « Pour en permettre une gestion complète, les modifications à apporter dans nos logiciels sont importantes, de l’ordre de plusieurs centaines de jours. La partie facturation sera nécessairement impactée avec une tarification en quantième. La télétransmission sera elle aussi concernée et la gestion des stocks fortement revue », expose Denis Supplisson, vice-président de la Fédération des éditeurs d’informatique médicale et paramédicale ambulatoire (Feima).

Au final, les patients y trouveront-ils un intérêt ? « Leur ressenti était positif lors de la phase expérimentale , se souvient Béatrice Clairaz-Mahiou. Mais cela n’a pas renforcé notre rôle d’accompagnement. » De surcroît, l’abandon de la boîte traditionnelle pourrait être une perte de repères pour certains patients. « Iront-ils davantage au bout de leur traitement si on le leur délivre à l’unité ?, s’interroge Philippe Lamoureux. Ce qui est certain, c’est que plus on multiplie les manipulations du médicament par le pharmacien et le patient lui-même, plus on fragilise la sécurité de la prise. »

A contrario, la DAU apparaît comme une avancée importante pour France assos santé, collectif de 85 associations nationales de patients et d’usagers, qui affirme en « soutenir sans réserve la mise en place progressive », au-delà des antibiotiques. « Dans notre pays, la politique du médicament repose sur des volumes de vente importants et des prix faibles. Faute de temps, le médecin a tendance à prescrire largement plutôt que de faire un diagnostic approfondi. Cela induit une surprescription, un gâchis énorme et un risque iatrogène, explique Yann Mazens, conseiller technique produits et technologies de la santé de France assos santé. La dispensation à l’unité est l’une des solutions pour en sortir. » Comme la pierre d’un nouvel édifice bien périlleux à mettre en place. 

VOUS AVEZ DIT ÉCOLOGIQUE ?

Portant la mention de la traçabilité sur chaque unité de prise, les blisters prédécoupés et unitaires vont générer davantage de déchets puisque plus volumineux. Par ailleurs, piluliers à usage et sachets-doses constituent un gisement supplémentaire de déchets. Mais ces consommables deviennent écoresponsables. Dans certains cas, les alvéoles sont fabriquées en polytéréphtalate d’éthylène (PET), un polymère vierge ou recyclé à partir de l’industrie alimentaire. Après usage, elles sont déposées sans médicament dans la poubelle des déchets recyclables. Les suremballages en carton sont idéalement issus de forêts gérées de manière écologique par un label type FSC (Forest Stewardship Council).

À RETENIR


•   La dispensation de médicaments à l’unité figure dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dont le vote final intervient actuellement.

•   Un décret va en fixer les modalités pratiques et un arrêté les médicaments concernés, pour une mise en œuvre avant le 1er janvier 2022.

•   Industriels, officinaux, éditeurs de logiciels et autres acteurs du médicament devront s’adapter pour assurer la sécurité et la traçabilité de cette dispensation. La plupart contre leur gré.

REPÈRES 

LES QUESTIONS SUR LES MODALITÉS DE LA DISPENSATION À L’UNITÉ (DAU)

Par Matthieu VANDENDRIESSCHE

L’ARRIVÉE DE LA SÉRIALISATION

Le dispositif anticontrefaçon de la sérialisation fait son entrée dans les officines. Les boîtes de médicaments à prescription médicale obligatoire sont munies d’un opercule anti-effraction et d’un identifiant unique comprenant numéro de série, code CIP, numéro de lot et date de péremption. Cet identifiant est chargé sur une base de données centrale par le fabricant, dans l’attente de son inactivation ou décommissionnement de la boîte à l’officine. Si la DAU est effectuée avec des blisters prédécoupés, la boîte qui les renferme devra être « désactivée » à la réception de la commande puisqu’une même boîte servira pour plusieurs patients.

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