Vers un marché de l’occasion pour les fauteuils roulants - Le Moniteur des Pharmacies n° 3291 du 19/10/2019 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3291 du 19/10/2019
 
DÉPENSES DE SANTÉ

Temps Forts

Enjeu

Auteur(s) : PAR MAGALI CLAUSENER 

L’article 28 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 prévoit un référencement sélectif et un reconditionnement des fauteuils roulants. Ces mesures suscitent de nombreuses questions sur leur mise en œuvre et sur le développement d’un marché de l’occasion. Et de nombreuses inquiétudes.

Les mesures sont quasiment passées inaperçues. Elles constituent pourtant un coup de tonnerre pour les patients et les acteurs concernés. L’article 28 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 prévoit en effet 2 nouveaux modes de prise en charge des fauteuils roulants : un référencement sélectif pour l’accès au remboursement par l’assurance maladie et le reconditionnement. Concrètement, le référencement sélectif sera le résultat d’un appel d’offres national mettant en concurrence des produits présentant toutes les garanties de sécurité aux prix les plus soutenables par l’assurance maladie. Il pourra être d’une durée de 2 à 3 ans. Les fabricants mais aussi les distributeurs pourront y répondre. Quant au reconditionnement, il s’agit de remettre en bon état d’usage les fauteuils roulants déjà utilisés par des patients. Une consigne, non prise en charge par l’assurance maladie ou des allocations spécifiques, sera mise en place, sans précision des modalités.

L’objectif est clair : faire baisser les prix, diminuer les restes à charge des patients, éviter le gaspillage. Et, cerise sur le gâteau, des économies pour l’Assurance maladie. L’étude d’impact estime que le référencement sélectif et les nouvelles données sur les prix d’achat des dispositifs médicaux transmises au Comité économique des produits de santé (mesure figurant aussi dans l’article 28) pourraient permettre une économie d’au moins 30 M€ par an. Et la remise en état des fauteuils roulants, 10 M€ par an.

Une limitation de l’offre

Sur le papier, les mesures peuvent paraître pertinentes. Même si les industriels récusent l’argument des prix trop élevés : « Les prix fabricants des fauteuils roulants ne sont pas plus élevés en France qu’en Allemagne ou d’autres pays européens », déclare d’emblée Eric Le Roy, directeur général du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (Snitem). Les prestataires de santé à domicile réfutent, quant à eux, l’argument d’un reste à charge important. « Si le patient loue un fauteuil roulant, il n’a aucun reste à charge. S’il en achète un, nous lui proposons des cofinancements. Par exemple, il peut bénéficier d’aides d’associations ou du conseil régional », explique Arnaud Fayolle, administrateur de la Fédération des prestataires de santé à domicile (PSAD). Un discours nuancé par l’association de patients APF France Handicap. « En réalité, il y a de nombreux fauteuils roulants et donc des prix et des prises en charge différents. Outre les mutuelles, le fonds de compensation dans les départements peut contribuer au financement, mais sous conditions de ressources. Les délais d’instruction des dossiers sont extrêmement longs. Si la majorité des fauteuils sont cofinancés, des patients peuvent néanmoins renoncer à l’achat d’un fauteuil adapté à leurs besoins », précise Malika Boubekeur, conseillère nationale compensation de l’association.

Mais au-delà de l’argument économique, c’est la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions qui pose un problème. « Le référencement sélectif va se surajouter aux procédures d’admission à la LPPR. D’ailleurs, le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2015 sur la régulation du secteur des dispositifs médicaux démonte l’idée d’un référencement sélectif pour les dispositifs médicaux en ville », observe Eric Le Roy. « Ce qui nous inquiète, c’est que tous les fauteuils ne soient pas référencés et que ceux qui ne le seront pas ne soient pas pris en charge », commente Malika Boubekeur. « De plus, à moyen terme, les appels d’offres biennaux envisagés limiteront l'accès des usagers français à des produits innovants et performants », écrivent la Fédération des PSAD, l’Union nationale des prestataires de dispositifs médicaux (UNPDM) et l’Union des prestataires de santé à domicile indépendants (Upsadi) dans un communiqué commun. Fabrice Camaioni, président de la commission Métier Pharmacien de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), est aussi perplexe : « Les officines ne pourront pas gérer des produits référencés pour 2 ou 3 ans ». Les problématiques liées au reconditionnement des fauteuils roulants sont encore plus nombreuses. « Les fauteuils roulants répondent aussi à une norme de certification. Que va-t-il se passer pour les fauteuils reconditionnés ? Cette norme va-t-elle disparaître ? Qui va réaliser le reconditionnement ? Quelles seront les responsabilités en cas d’accident ? Il y a une vraie question de sécurité », remarque Eric Le Roy. Les PSAD tiennent le même discours sur la sécurité sanitaire, la traçabilité, le marquage CE (conformité européenne). L’APF France Handicap ne dit pas moins. « Les fauteuils répondent à une réglementation très stricte et opposable aux acteurs qui font du neuf. Elle doit aussi être opposable à ceux qui font de l’occasion », relève Malika Boubekeur. Et de pointer le dispositif de consigne : « C’est la double peine pour les patients ! De plus, la consigne ne sera pas restituée si le fauteuil est détérioré. Mais tous les fauteuils sont abîmés compte tenu de leur utilisation par les patients ! » Enfin, question essentielle : l’attribution des fauteuils recyclés. « Le libre choix du patient va-t-il être respecté ? », lance Malika Boubekeur. « Nous n’avons pour l’instant aucune réponse à ces questions », constate Eric Le Roy.

Un marché de l’occasion qui existe déjà

Si les industriels, les prestataires et les patients montent tous au créneau, à qui profitent ces mesures, en particulier le reconditionnement ? La réponse est simple : l’économie circulaire, c’est-à-dire les entreprises de recyclage. « Cela fait des mois qu’on en entend parler », révèlent Philippe Besset, président de la FSPF, et Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Philippe Robin, directeur général d’Envie Autonomie, spécialisée dans le recyclage des aides techniques (lits médicalisés, fauteuils roulants, etc.), confirme : « Nous avons travaillé avec la direction de la Sécurité sociale (DSS) sur la faisabilité technique du reconditionnement, notamment sur la qualité et la garantie. Nous sommes d’ailleurs en train d’élaborer un label national avec l’Association française de normalisation (Afnor) », explique-t-il. Et de défendre ce modèle : « Depuis 2015, nous avons développé un savoir-faire. Un fauteuil roulant recyclé coûte 50 à 70 % moins cher. Un exemple : nous avons reconditionné un modéle électrique. Son prix initial était de 19 000 €. Nous l’avons revendu à 4 500 €. Et le patient a réussi, c’était une première, à obtenir une prise en charge de la CPAM et de la mutuelle. Son reste à charge a été de 0 contre 12 000 € s’il l’avait acheté neuf. Cela revient moins cher pour tout le monde. » Imparable. Mais cet argument ne va pas faire taire les inquiétudes. « Si les fauteuils roulants recyclés sont pris en charge par l’assurance maladie, cela va devenir un marché avec de nouveaux acteurs. Car il s’agit bien d’un business », assure Malika Boubekeur. Ainsi, Codipharma, « marque » d’Ecopharm, société créée le 10 octobre, sollicite actuellement les pharmaciens pour leur racheter les dispositifs médicaux (DM) usagers à 1 € le kilo. « Nous étudions la faisabilité de recycler des fauteuils roulants et s’ils étaient pris en charge par l’assurance maladie, nous pourrions être opérationnels d’ici décembre », explique-t-on dans la société. « Quel est le statut de ces personnes qui recyclent ? S’agit-il de fabricants, de prestataires ?, observe Fabrice Camaioni. Il n’y a pas de modèle économique. Les entreprises de l’économie circulaire vivent de subventions et, après, elles vendent du neuf. » Et Philippe Robin d’ajouter : « Sur 100 DM récupérés, 35 sont recyclés. » Dans une telle perspective, quelle serait la place des pharmacies ?

La bataille n’est pas terminée et l’examen parlementaire de l’article 28 ne fait que commencer. Même si le référencement sélectif et le reconditionnement n’étaient finalement pas adoptés, le gouvernement reviendrait à la charge. Et les fauteuils roulants ne pourraient être qu’une première étape. L’article vise en effet de façon plus large les dispositifs médicaux. 

À RETENIR


• Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 propose un référencement sélectif des fauteuils roulants et autorise leur reconditionnement.

•  Ces mesures génèrent de nombreuses inquiétudes chez les fabricants, les distributeurs et les patients.

•  Les mesures, pas encore adoptées, semblent être une volonté du gouvernement. Elles pourraient viser d’autres dispositifs médicaux.

REPÈRES 

NOMENCLATURE LPPR* SIMPLIFIÉE POUR VÉHICULES POUR HANDICAPÉS PHYSIQUES (VHP)

PAR MAGALI CLAUSENER

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