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Enjeux
Pharmaciens et prestataires de santé à domicile (PSAD) sont devant un paradoxe. Le gouvernement pousse au développement de l’ambulatoire, mais sa logique budgétaire asphyxie à chaque loi de financement de la Sécurité sociale un peu plus les acteurs du secteur. « L’accélération des baisses de prix sur les dispositifs médicaux est phénoménale, les économies étaient bon an, mal an de 50 millions d’euros les années antérieures à 2018, de 100 millions d’euros en 2018 et maintenant de 150 millions d’euros en 2019 », stigmatise Fabrice Camaioni, président de l’Union nationale des prestataires de dispositifs médicaux (UNPDM).
Dans les plans d’économies de l’Etat, le DM devient une forte variable d’ajustement, comme l’est déjà le médicament. « Bienvenue au club de la régulation des prix ! », ironise Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Aujourd’hui, la situation est à son paroxysme avec la cascade de baisses infligées ces dernières semaines sur les pansements hydrocolloïdaux ; les tarifs de prise en charge des tire-lait et l’encadrement de leur durée de location (voir Repères pp. 18-19) ; les tarifs et prix limites de vente de certains sets de pansement qui pourraient diminuer de 15 % ; à cela s’ajoutent les projets du Comité économique des produits de santé (CEPS) de baisse des tarifs dans le recueil ou le drainage des urines et des selles. La perfusion et les produits de nutrition orale pour adultes seraient également dans son viseur. Sur ce dernier point (300 millions d’euros remboursés en 2017, en hausse de 2,2 %), l’Assurance maladie a prévu des actions d’accompagnement pour favoriser la qualité de la prescription et l’observance. Il s’agira aussi de s’appuyer sur les pharmaciens pour une dispensation adaptée aux préférences des patients dans le respect des indications médicales. Le tout pour… éviter le gaspillage.
Un gaspillage que personne ne nie. Et maintes fois dénoncé. Ainsi, Gilles Bonnefond n’hésite pas à pointer les dérives de la concurrence et les abus de prestataires dont sont victimes les pharmaciens : « Sur certaines lignes de dépenses, les progressions sont très importantes et largement au-delà du raisonnable », constate-t-il. Citant l’exemple des systèmes de perfusion, « les prestataires poussent dans les prescriptions à la consommation de DM et de ceux qui sont les plus chers. » Fabrice Camaioni partage cet avis : « Les prestataires déposent du matériel dans les services hospitaliers à titre gracieux et par retour d’ascenseur, ces services leur renvoient des ordonnances. Une pratique donnant/donnant qui bafoue les lois sur les droits du patient : la propriété de l’ordonnance et le libre choix de son fournisseur. » Et encore, il ne parle pas de l’achat et de la location par Internet de certains DM en orthopédie ou en compression veineuse, sans contact humain, au mieux avec une formation par des tutoriels en ligne. « Les factures de remboursement sont adressées aux caisses primaires et sont réglées sans contestation », rapporte-t-il. « Il faut faire la chasse au gaspillage et traquer les abus à l’aide de moyens informatiques. Quand il y a des coupables, qu’il s’agisse de prestataires ou de pharmaciens, c’est toujours à grande échelle et par des acteurs monothématiques, car plus on écrase les prix, plus on cherche à compenser par les volumes », renchérit le président de l’UNPDM.
Néanmoins ces abus n’expliquent pas tout. Pour preuve, des chutes de prix de 15,2 % sur les lits médicaux sont attendues à partir du 1er mai prochain, soit une économie de 40 millions d’euros en année pleine, alors que ce secteur des DM n’augmente que de 3 % par an. « Pas d’explosion des dépenses, qu’est-ce qui justifie un tel matraquage ? », s’interroge Fabrice Camaioni.
« L’ampleur et la succession des baisses de prix sur les DM sont intolérables dans un moment où l’inflation reprend », ne décolère pas Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Une nouvelle fois, les professionnels sont face à une injonction contradictoire : faire beaucoup plus, tout en diminuant drastiquement les tarifs de remboursement », tempête Fabrice Camaioni. L’impact est loin d’être négligeable pour les officinaux qui se sont investis dans le MAD. Le pire, les projets de nouvelles nomenclatures et les décisions de baisses de prix ne font l’objet d’aucune négociation préalable. Pourtant, Fabrice Camaioni est prêt à dialoguer avec le CEPS et à faire des propositions qui vont dans le sens des économies. Sur les tire-lait, par exemple, l’UNPDM avait présenté un plan d’économies de 12,3 millions d’euros, soit près de 22 % de baisse des dépenses, en instaurant un forfait de remboursement dégressif pour les longues durées d’allaitement. « Le CEPS ne nous écoute pas et préfère opter pour des baisses tarifaires », regrette-t-il. Il demande donc une révision des méthodologies et la mise en place d’un accord-cadre pour gérer les relations entre pharmaciens, les prestataires de santé à domicile (PSAD) et le CEPS.
Pour sortir de cette spirale baissière, il faudrait aussi tenir compte de l’effet de structure lié au transfert de charges de l’hôpital à la ville. Avec la prise en charge en ambulatoire, les coûts régressent à l’hôpital et de facto augmentent en ville. Gilles Bonnefond souhaite « une systématisation des prix de cession (prix d’achat maximum) afin d’assurer une marge minimum, mais aussi pour que le pharmacien ne soit pas le seul à supporter les baisses de prix et qu’elles soient partagées entre les différents acteurs ». Par ailleurs, l’USPO a demandé au ministère de la Santé que les tarifs LPP soient intégrés et mis à jour dans les logiciels de gestion d’officine (LGO), comme pour les médicaments remboursables, afin d’éviter des rejets au moment des changements de tarif de remboursement. Et Philippe Gaertner de réclamer, au moment où la baisse devient applicable, « d’avoir le même délai d’écoulement des stocks aux anciens prix de 50 jours comme pour les médicaments ».
Charles-Henri des Villettes, président de la Fédération des PSAD, propose, quant à lui, de substituer la régulation via des baisses tarifaires par des mécanismes de paiement à la performance, à l’instar des nouvelles conditions de remboursement de la ventilation en pression positive continue (PPC) dans l’apnée du sommeil. Dans cet exemple, il s’agit d’une prime à l’observance contrôlée par un télésuivi. « On pourrait prévoir un système de bonus sur la rémunération quand il y a amélioration de l’observance et du bénéfice médical et dans le cas inverse un malus », expose-t-il. Par ailleurs, « une surfacturation de consommables à l’Assurance maladie en perfusion, dans le diabète, l’incontinence, les stomies… peuvent être révélateurs d’un mauvais usage et donc le reflet d’une éducation et d’un accompagnement insuffisants du patient. Dans ce cas, une rémunération au forfait aurait le mérite de responsabiliser les acteurs. »
Outre le paiement à la performance, le président de la Fédération des PSAD réclame une visibilité économique triennale de la politique sur les DM, un accès aux données et un partage des diagnostics sur les volumes consommés. Avec davantage de contrôle des prescriptions, la maîtrise des volumes pourrait être réglée autrement que par la baisse des prix. Un manquement que regrette André Tanti, l’ancien vice-président du CEPS en charge des DM. De quoi alimenter les prochaines discussions avec son successeur, en cours de recrutement.
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