Correspondant en attendant d’être « prescripteur » - Le Moniteur des Pharmacies n° 3245 du 02/11/2018 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3245 du 02/11/2018
 
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Auteur(s) : PAR MAGALI CLAUSENER 

Face au tollé des médecins, les députés qui ont adopté le 30 octobre en première lecture le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019 n’ont pas retenu l’amendement sur la « prescription pharmaceutique ». En revanche, ils relancent la mission de pharmacien correspondant, en stand-by depuis 2009. Cette avancée ne résoudra pourtant pas les problèmes liés aux situations d’urgence.

Toute la profession y croyait : les pharmaciens allaient pouvoir ex-pé-ri-men-ter la délivrance de médicaments à prescription médicale obligatoire (PMO). L’amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2019 qui allait dans ce sens, avait été adopté par la commission des Affaires sociales et emportait l’assentiment d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé.

Las, les médecins sont montés au créneau. Le terme de « prescription pharmaceutique » les a fait frémir. Dès le 18 octobre, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) réagit vivement. « Il s’agit là d’une remise en cause complète des contours de métier : cela revient à donner au pharmacien la responsabilité d’un diagnostic médical et d’une prescription de médicaments habituellement prescrits par le médecin, explique le syndicat. [ ] Remettre en cause les contours de chaque métier sous le prédiv de la coopération est de nature à engendrer des dysfonctionnements et des problèmes graves dans la prise en charge des patients. Sans compter la responsabilité que les pharmaciens seraient amenés à endosser… ». Le 22 octobre, MG France se joint à la protestation : le syndicat « refuse la confusion des rôles, née d'une incompréhension grave, voire d'une négation, de ce qu'est l'exercice médical et en particulier de celui du généraliste ». Le Syndicat des médecins libéraux (SML) et la Fédération des médecins de France (FMF) expriment eux aussi leur opposition à l’amendement.

Pourtant, l’amendement ne laisse aucune place à « des initiatives locales hasardeuses et périlleuses » pour la santé des patients, comme le déclare MG France dans un nouveau communiqué le 26 octobre.

Une expérimentation encadrée

La « prescription pharmaceutique » ou « le conseil protocolisé » comme Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), préfère l’appeler, aurait été rigoureusement encadrée. Il s’agissait d’une expérimentation d’une durée fixée à trois ans, et dans deux régions. Ensuite, « la dispensation, par les pharmacies d’officine, de certains médicaments à prescription médicale obligatoire » devait être effectuée « dans le cadre d’un protocole médical et de coopération conclu avec le médecin traitant et les communautés de santé des structures d’exercice coordonnées ». En outre, le champ et les modalités des expérimentations devaient être fixés par décret ; chaque projet d’expérimentation régional devait être défini selon un cahier des charges, et un arrêté aurait déterminé la liste des médicaments pouvant être ainsi délivrés par les pharmaciens. Les députés citaient enfin trois pathologies : la cystite, la conjonctivite et l’eczéma. « Il ne s’agit ni de prescription ni de diagnostic par le pharmacien, mais d’une prise en charge de patients sous conditions, dans une situation définie et dans le cadre d’un protocole s’inscrivant dans la coordination interprofessionnelle. Rien de plus », explique Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).

« Aujourd’hui, lorsque je suis de garde, je ne peux délivrer que du cranberry et des conseils à une femme qui souffre d’une infection urinaire. Nous voulons avoir une solution en ayant éliminé tous les risques et les non-indications, en lien avec le médecin traitant. Cela ne serait pas de la médecine illégale », observe Fabrice Camaioni, président de la commission Exercice professionnel à la FSPF. « Cet amendement permettait d’avoir un cadre réglementaire. Ce qui doit nous guider, c’est l’intérêt du patient », complète Philippe Gaertner. D’où la surprise des pharmaciens face aux très vives réactions des syndicats médicaux. « Lorsque je discute avec des médecins dans des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), ils sont favorables à une telle prise en charge car ils n’ont plus le temps de traiter ces pathologies », commente Gilles Bonnefond. De fait, tous les médecins ne sont pas vent debout contre la prescription « pharmaceutique ». Pour l’association Soins coordonnés, qui réunit médecins généralistes, infirmiers, pharmaciens, sages-femmes, etc., l’amendement est « une initiative de bon sens », les pharmaciens étant « des professionnels de santé susceptibles d’apporter une réponse immédiate et sûre à de nombreux besoins de santé », et « disponibles ». Elle juge même cette avancée trop timide, car « la limiter dans le temps, sur un territoire expérimental et réduite à quelques molécules n’a d’autre sens que si on souhaite ménager des corporatismes ».

Le pharmacien correspondant, lot de consolation

Corporatisme. Le grand mot est lâché. A l’évidence, le lobbying des médecins a bien fonctionné – pour la prescription « pharmaceutique », s’entend. Car, surprise, l’amendement déposé par le député Thomas Mesnier portant sur le « pharmacien correspondant » (donnant la possibilité de renouveler les traitements chroniques et ajuster au besoin leur posologie) est adopté sans discussion. Cet alinéa à l’article 29 permet le déploiement du pharmacien correspondant prévu dans la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009, dans le cadre du dispositif d’expérimentation créé par l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale 2018. Il sera dès lors possible de déroger à l’obligation de s’inscrire dans un protocole de coopération. Le pharmacien et le médecin traitant devront néanmoins être adhérents ou signataires du projet de santé d’une MSP, d’une équipe de soins primaires ou d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Pour Thomas Mesnier, cette nouvelle disposition doit répondre aux attentes du terrain, en l’absence de protocole validé par la Haute Autorité de santé depuis 2009.

Et c’est derrière cet amendement que se sont retranchés Olivier Véran, rapporteur général du PLFSS, et Agnès Buzyn, pour donner un avis défavorable à la prescription « pharmaceutique ». « A titre personnel et à la différence de la commission, je donne donc un avis défavorable », déclare Olivier Véran. Ce à quoi les députés ayant déposé l’amendement répondent qu’il ne s’agit pas du même sujet. Peine perdue. Le député communiste Pierre Dharréville (Bouches-du-Rhône), opposé à l’amendement, n’hésite pas à dire : « Un certain nombre de réactions nous sont parvenues de la part de médecins », qui se seraient plaints de l’absence de discussion en amont. Agnès Buzyn évoque également « les nombreuses réactions sur les réseaux sociaux » et, prudente, rappelle que le gouvernement est « très respectueux des métiers ». Dans le même temps, Olivier Véran et la ministre proposent d’expérimenter la délivrance de médicaments à PMO dans le cadre de l’article 51 de la LFSS 2018.

S’agit-il d’une porte de sortie ? L’USPO, la FSPF mais aussi l’Ordre des pharmaciens et l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf) sont bien décidés à ne pas abandonner la partie. Le PLFSS est maintenant examiné par le Sénat. « Cela fait dix ans qu’on essaie de mettre en place ce type de délivrance. Il faut être patient », remarque Philippe Gaertner. « A un moment donné, les lobbyings ne pourront pas durer », lance Gilles Bonnefond. Car, si l’amendement sur le pharmacien correspondant les satisfait, il ne résoudra pas le problème des patients du soir et des week-ends. « Le pharmacien correspondant se situe dans la même logique que l’expérimentation rejetée : il se mettra en place dans un secteur où les professionnels de santé seront d’accord », glisse le président de la FSPF. 

À RETENIR


•  Cédant à la pression des médecins, les députés qui ont adopté le 30 octobre en première lecture le PLFSS pour 2019 n’ont pas retenu l’amendement sur la « prescription pharmaceutique ».

•  Exit le pharmacien « prescripteur », place au pharmacien correspondant dont le rôle est renforcé dans les pathologies chroniques.

•  Toujours pas d’avancée pour les situations « d’urgence » dans lesquelles les médecins font défaut.

REPÈRES 

AMENDEMENTS : DE LA PRESCRIPTION PHARMACEUTIQUEAU PHARMACIEN CORRESPONDANT

Par magali clausener – infographie : laurence krief jaoui et walter barros

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