Contre les ruptures de stock, le Sénat mise sur vous - Le Moniteur des Pharmacies n° 3242 du 11/10/2018 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3242 du 11/10/2018
 
OBSERVANCE

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Enjeux

Auteur(s) : PAR MAGALI CLAUSENER 

Que les pharmaciens puissent proposer un autre médicament en cas de rupture, et sans l’accord systématique du médecin, s’il vous plaît ! Voilà ce que préconisent les sénateurs, sous les saluts de l’Ordre et des syndicats. Si seulement cela suffisait à résoudre le problème des ruptures d’approvisionnement.

Nous ne sommes pas allés à un train de sénateurs », a déclaré Yves Daudigny, élu de l’Aisne (membre du groupe socialiste et républicain du Sénat) et président de la mission sur les pénuries de médicaments et de vaccins. Mieux vaut en effet sourire de la situation tant elle est grave et ne cesse de se dégrader. En 2017, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a reçu 530 signalements de ruptures et de risques de rupture de stock et d’approvisionnement, soit dix fois plus qu’il y a dix ans. Le 2 octobre, la mission a donc présenté son rapport et ses propositions pour mieux faire face à la situation. Constituée en juin 2018 à l’initiative du groupe Les Indépendants – République et territoires, elle a dès juillet organisé une vingtaine d’auditions et de tables-rondes qui lui ont permis d’entendre près de 70 personnes représentatives de toutes les parties prenantes : l’État et ses agences, les laboratoires pharmaceutiques et des syndicats d’entreprises du médicament, les grossistes-répartiteurs, les pharmaciens et professionnels de santé, les associations de patients, etc. « Les difficultés concernent l’ensemble des médicaments et des vaccins, qu’il s’agisse de médicaments d’intérêt vital (dits médicaments d’intérêt thérapeutique majeur ou MITM), principalement dispensés à l’hôpital, ou de médicaments d’usage quotidien vendus en officine », relève la mission. Les classes thérapeutiques les plus touchées par le phénomène sont les anticancéreux, les anti-infectieux (antibiotiques et vaccins), les anesthésiants, les médicaments du système nerveux central (notamment pour l’épilepsie et la maladie de Parkinson) et ceux dérivés du sang. La durée moyenne des ruptures de MITM est d’environ 14 semaines, et celle des vaccins, de 179 jours. Pour mieux prévenir et gérer les pénuries, la mission formule 30 propositions, dont celle d’ouvrir aux pharmaciens la possibilité de proposer aux patients une substitution thérapeutique d’une spécialité en rupture. Une proposition qui s’inspire de l’exemple québécois.

Une mesure de bon sens

« La substitution serait possible uniquement en urgence et en cas de rupture, sans un accord systématique du médecin et dans le cadre d’un protocole de l’ANSM en collaboration avec l’Ordre des pharmaciens et l’Ordre des médecins », précise Yves Daudigny. Et d’insister sur le fait que cette possibilité serait encadrée et s’appliquerait lorsque le médecin n’est pas joignable. Enfin, les sénateurs envisagent d’introduire cette disposition par un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019 lors de son examen au Sénat, courant novembre. Une mesure bien accueillie par les représentants des pharmaciens d’officine, même si certains apportent des nuances. « C’est une mesure de bon sens », indique Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « Il ne faut pas appeler cette pos sibilité “substitution” mais “alternative thérapeutique”, déclare Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Il faut réserver le terme de “substitution” aux génériques, puisqu’il s’agit de la même molécule. Ce qui doit nous guider, c’est l’intérêt du patient. Lorsqu’il y a une rupture d’un médicament, il faut bien trouver une solution de remplacement, et nous le faisons quand nous arrivons à joindre le médecin. Cette mesure permettrait d’avoir un cadre juridique sécurisé. » Pour Alain Delgutte, président de la section A de l’Ordre, « c’est une solution afin de permettre au patient d’avoir un traitement en cas de rupture si le médecin n’est pas joignable », à condition que cela soit fait de manière encadrée avec l’ANSM et que le médecin traitant soit informé. « Actuellement, si nous ne pouvons pas contacter le médecin, nous sommes obligés d’orienter le patient vers le médecin de garde ou le 115 », explique-t-il. Quant à la réaction des praticiens et de l’Ordre des médecins si cette mesure était mise en place, Alain Delgutte est confiant. « Je n’imagine pas un médecin préférer que son patient n’ait pas de traitement… Il aurait l’information rapidement et pourrait, s’il le souhaite, changer le traitement », remarque-t-il. Et selon Philippe Gaertner, il n’y aurait pas vraiment besoin d’une expérimentation, les pharmaciens ayant déjà les compétences pour trouver une solution thérapeutique. Alain Delgutte y est, lui, favorable, car cela « permet d’ajuster et d’évaluer la procédure ». En revanche, il estime que le déconditionnement pour une délivrance « perlée », autre proposition du Sénat, ne va pas résoudre le problème des pénuries des traitements chroniques, conditionnés en boîtes de 28 ou 30.

S’attaquer aux causes

Le discours dissonant vient finalement de l’Académie nationale de pharmacie. Pourtant, dans des recommandations datant de 2013, l’institution préconisait déjà de « réfléchir à un modèle de dispensation s’inspirant du modèle québécois, avec protocoles de back-up encadrés pour l’adaptation des traitements médicaux en cas de ruptures ». « Nous n’avons pas repris cette proposition dans notre dernier rapport pour une raison simple : la plupart des médicaments en rupture sont des médicaments hospitaliers, et pour d’autres, des anticancéreux notamment, il n’existe pas d’alternative », explique Bruno Bonnemain, membre de l’Académie. La substitution par le pharmacien est néanmoins une « bonne idée » mais ne pourra résoudre qu’une toute petite partie du problème : « Il faut regarder les pénuries au cas par cas et s’attaquer à chaque cause du problème. Pour les anticancéreux, l’Institut national du cancer a proposé d’établir une liste des pénuries des médicaments considérés comme essentiels et non remplaçables, mais c’est compliqué. Une fois que nous aurons une liste définitive, nous pourrons travailler sur les causes. » De fait, comme l’exprime Philippe Gaertner, « dans le cadre d’une rupture, la première chose anormale c’est la rupture ». Et la marge de manœuvre du pharmacien est limitée puisqu’il est en bout de chaîne. C’est d’ailleurs pour cette raison que les sénateurs émettent des propositions au niveau de la production, notamment la réindustrialisation pharmaceutique en France (voir encadré). Quoi qu’il en soit, la substitution proposée par les sénateurs, si elle adoptée dans le PLFSS ou dans un autre div législatif, permettrait aux officinaux de mieux affronter la situation face aux patients. 

LES AUTRES MESURES DU RAPPORT

– Expérimenter sur une période de cinq ans des exonérations fiscales au bénéfice d’entreprises implantant en France des sites de production de substances actives ou de médicaments essentiels ;
– Instituer un programme public de production et distribution de quelques médicaments primordiaux concernés par des arrêts de commercialisation ;
– Revoir les objectifs et la dimension des appels d’offres hospitaliers ;
– Rendre publics les plans de gestion des pénuries des industriels, ainsi que les sanctions ;
– Mettre en place une plateforme d’information centralisée sur les situations de ruptures et de risques de rupture ;
– Créer une cellule nationale de gestion des ruptures d’approvisionnement, placée auprès du Premier ministre ;
– Activer l’achat groupé de vaccins essentiels par les États européens ;
– Introduire un statut spécifique au niveau européen pour certains médicaments anciens, mais fondamentaux, afin de les maintenir sur le marché.

À RETENIR


•   En 2017, l’ANSM a reçu 530 signalements de ruptures et de risques de rupture de stock et d’approvisionnement.

•   Pour mieux prévenir et gérer les pénuries, le Sénat a formulé, le 2 octobre, 30 propositions, dont celle d’ouvrir aux pharmaciens la possibilité de proposer aux patients une substitution thérapeutique d’une spécialité en rupture.

•   La proposition satisfait l’Ordre et les syndicats, à la différence du déconditionnement dans le but d’une délivrance « perlée ».

REPÈRES 

LES VULNÉRABILITÉS DE LA CHAÎNE D’APPROVISIONNEMENT DU MÉDICAMENT

Source : Sénat - Infographie : walter Barros

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