Médecins et i nfirmiers tiennent à l’œil les bilans de médication - Le Moniteur des Pharmacies n° 3225 du 12/05/2018 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3225 du 12/05/2018
 
INTERPROFESSIONNALITÉ

Temps Forts

Enjeux

Auteur(s) : PAR FRANÇOIS POUZAUD 

Alors que les officinaux assurent la montée en charge des bilans partagés de médication, comment leur arrivée est-elle perçue par les médecins et les infirmiers ? L’interprofessionnalité en sortira-t-elle renforcée ? Réponses.

L’arrêté publié le 16 mars 2018 au Journal officiel a officialisé les modalités de mise en œuvre du bilan de médication partagé pour les personnes âgées polymédiquées, mais les prescripteurs ont encore du mal à discerner le nouvel axe collaboratif pharmacien-médecin. « C’est flou ! Je reçois beaucoup de questions de mes confrères, il y a autour des bilans de médication une forme d’ignorance du fait que les médecins n’ont pas été consultés officiellement sur cette nouvelle mission des pharmaciens », rapporte Jacques Battistoni, président du syndicat MG France. Selon lui, leur mise en place nécessite une phase de concertation pluriprofessionnelle et, pour cela, le lieu idéal au plan national est la Fédération des soins primaires. « Les professionnels de santé doivent également se rencontrer au niveau des territoires de santé », ajoute-t-il.

Face aux interrogations des organisations de médecins soucieuses de garder la main, Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), veut rassurer : « L’objectif des bilans de médication est d’accompagner les patients dans la prise des médicaments et l’adhésion à leurs traitements, de venir en appui de la prescription… Il n’est pas question de modifier une ordonnance ou de changer une posologie à l’initiative du pharmacien, il n’y a donc aucun élément de frottement possible avec les médecins. »

Son alter ego à l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Gilles Bonnefond, n’est pas inquiet non plus quant à la bonne acceptation des bilans de médication par les médecins au vu des informations issues de la commission paritaire nationale des médecins et de l’Union nationale des professions de santé (UNPS). « Les médecins trouvent intéressants de pouvoir récupérer une série d’informations sur tout ce que prend, voire fait le patient pour sa santé », souligne-t-il, ajoutant que les bilans de médication ont pour but d’optimiser les prescriptions. Ce que ne contredit pas Jacques Battistoni. « Ces bilans de médications vont permettre de renforcer les liens entre professionnels de santé sur le terrain et d’aller vers la création de nouvelles équipes de soins primaires, ils sont les prémices d’un tra vail intéressant au service du patient et de la qualité des soins », espère-t-il.

Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF), tient quant à lui un discours plus tranché. « Il faut arrêter de vouloir créer un nouveau métier du pharmacien, les bilans de médication font partie de son rôle de sécurité sanitaire qui consiste à réduire le risque iatrogène, vérifier l’innocuité des traitements et l’absence d’interactions médicamenteuses. Il faut seulement changer le concept afin que le pharmacien référent du patient soit rémunéré sous forme de forfait », propose-t-il.

De son côté, Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), comprend la volonté des pharmaciens de faire évoluer leur mode de rémunération et de rechercher une meilleure reconnaissance de leur métier au travers des bilans de médication. « Cependant on a mis la charrue avant les bœufs, la coordination médecin-pharmacien est abordée du bout des lèvres et ses outils n’ont pas été suffisamment identifiés et valorisés », juge-t-il. Or, selon lui, c’est la condition sine qua non de la réussite des bilans de médication.

Le DMP, un frein paradoxal

Les outils de coordination auxquels Jean-Paul Ortiz fait allusion, c’est le fameux dossier médical partagé (DMP). « Il sera généralisé auprès des patients lors du dernier trimestre 2018, mais combien de temps faudra-t-il patienter avant d’accéder au contenu du volet de synthèse médicale et de pouvoir le partager ? » Sceptique, le président de la CSMF craint un démarrage poussif des bilans de médication. « En l’absence de véritable outil de coordination à disposition, leur impact risque d’être limité en termes d’amélioration de la qualité des soins et de la prise en charge des patients âgés polymédiqués. »

Jean-Paul Hamon est tout aussi critique et dubitatif. Dans sa conception actuelle, le DMP ne lui paraît pas adapté à recevoir les comptes rendus de bilan de médication. « En l’absence d’indexations, le DMP ne sera qu’un empilement de données difficiles à aller chercher », affirme-t-il. Aussi prêche-t-il davantage pour des échanges directs et informels avec les pharmaciens, par téléphone ou via une messagerie sécurisée, et la transmission des ordonnances via le dossier pharmaceutique et la carte Vitale du patient.

Bilan partagé contre visite de médication

Peu importe l’outil, pour Damien Nicolini, infirmier libéral, président d’une communauté professionnelle territoriale de santé en Ile-de-France, tous les professionnels de santé intervenant auprès du patient doivent être dans la boucle de ces échanges partagés. « Une modification de traitement ne peut pas se penser uniquement entre le pharmacien et le médecin mais dans le cadre d’équipes de soins primaires qui permettront d’apprécier davantage la plus-value apportée par ces bilans de médication, explique-t-il. Par exemple, lorsqu’un nouveau traitement est mal supporté, l’infirmier comme le kinésithérapeute peuvent être des sentinelles donnant l’alerte au médecin et au pharmacien. »

Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) va encore plus loin, réfléchissant même au cadre des négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie : « L’observance est un sujet qui doit mobiliser tous les professionnels concernés. Sur les 4 millions de patients ciblés dans ces bilans de médication, 1 million concernent des patients polymédiqués avec perte d’autonomie qui ne se déplacent plus en officine. Ce million que les infirmiers voient quotidiennement pourrait faire l’objet d’une visite de médication infirmière ayant pour but de mesurer l’observance, donner des conseils d’éducation en santé et qui se solderait par la remise d’un bilan obligatoire au médecin qui reste pilote de l’observance. » Le pharmacien serait lui aussi informé et intégré dans cette coordination grâce à des outils numériques auxquels travaille actuellement la FNI.

Jacques Battistoni souligne l’intérêt de « ces différents liens d’observation » que sont les autres acteurs de soins. « Ils permettent d’avoir des éclairages différents sur les patients, leurs prises de médicaments, leurs consultations médicales, par exemple, les médecins généralistes ne sont pas toujours informés lorsqu’ils consultent des spécialistes de second recours ».

Dont acte. Damien Nicolini rappelle qu’un fonctionnement du système de soins harmonieux ne peut se concevoir sans une coordination efficace entre soignants, dans le respect des compétences de chacun. « Or, le gouvernement crée des nouveaux dispositifs sans les faire converger, ce qui n’a pas de sens !, reproche-t-il. La seule façon d’y arriver est de faire de la pédagogie, pour expliquer à chaque professionnel de santé que l’interprofessionnalité, c’est prendre du temps pour en gagner. »

Un travail de longue haleine à l’évidence. Plusieurs pharmaciens ont rapporté à Damien Nicolini que certains médecins expliquent à leurs patients que ces bilans sont dénués d’intérêt et les invitent à changer d’officine si le pharmacien continue à leur en proposer. Cela n’est pas sans rappeler les débuts des génériques. De quoi rester… intraitable. 

À RETENIR


•  Selon les syndicats de médecins, les bilans de médications vont permettre de renforcer les liens entre professionnels de santé sur le terrain et d’aller vers la création de nouvelles équipes de soins primaires.

•  Ils soulignent d’ailleurs que la coordination médecin-pharmacien est la condition sine qua non de la réussite de cette mission.

•  La Fédération nationale des infirmiers milite en parallèle pour une visite de médication infirmière.

REPÈRES 

LE MÉDECIN DANS LE BILAN DE MÉDICATION

PAR Matthieu Vandendriessche - Infographie : Franck L'Hermitte

Pourrez-vous respecter la minute de silence en mémoire de votre consœur de Guyane le samedi 20 avril ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !