Pourquoi pas un fonds d’investissemen t « made in pharmacie » ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3201 du 01/12/2017 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3201 du 01/12/2017
 
FINANCEMENT

Temps Forts

Enjeux

Auteur(s) : PAR FRANÇOIS POUZAUD 

Pour contrer les fonds d’investissement spéculatifs et couper court à leur dessein de titrisation de la pharmacie, la solution pourrait tout simplement être portée par la profession elle-même. Pour peu qu’elle crée son propre fonds. Science-fiction ?

L’immixtion des fonds d’investissement et de capitaux extérieurs dans le circuit du financement des pharmacies interroge la profession tout autant qu’elle l’inquiète. En effet, le capital-investissement, avec des fonds disponibles parfois colossaux, est mis au service de stratégies spéculatives. A visée « court-termiste », ce procédé pose en outre la double question de l’indépendance du pharmacien et de la confraternité. Ceci étant dit, ces fonds destinés à augmenter l’apport personnel des acquéreurs sont aussi une réponse au besoin de faciliter l’installation des jeunes et de renouveler la profession. Pour enrayer la mainmise de capitaux étrangers sur l’officine, l’idée d’un fonds d’investissement autofinancé par la profession fait son chemin autant qu’elle fait sens.

Il y a bientôt deux ans, Jean-Christophe Hurel, alors président du directoire d’Interfimo, encourageait déjà les pharmaciens à devenir des souscripteurs potentiels aux emprunts obligataires au travers d’un fonds financier détenu par la profession. Dans son Livre blanc sur l’avenir de l’officine remis le 22 septembre 2015 au ministère de la Santé, l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) souhaitait favoriser la mutualisation des ressources en permettant aux pharmaciens d’ouvrir le capital entre eux (pharmaciens retraités, mais aussi exerçant dans l’industrie, à l’hôpital, comme biologistes ou dans la répartition), afin d’éviter l’arrivée non maîtrisée d’acteurs extérieurs à la profession et tout risque de libéralisation sauvage et non contrôlée.

La profession à fond derrière

Pour faciliter les achats et ventes d’officines, le fonds d’investissement idéal aurait donc la particularité d’être abondé par les pharmaciens pour les pharmaciens. Un dispositif d’entraide à l’installation, ouvert à tous les candidats, jeunes ou moins jeunes, en première installation comme en réinstallation, avec des taux d’emprunt obligataire plus faibles que ceux pratiqués par les fonds « extérieurs » à la profession et rémunérant raisonnablement le risque financier des investisseurs. Un pot commun confraternel qui investirait dans les officines tout en préservant l’indépendance du chef d’entreprise et son entière liberté d’en sortir quand il veut, sa sortie du fonds étant permise par le désendettement naturel de la pharmacie.

Un tel projet et sa philosophie emportent l’adhésion des instances professionnelles. « Au moment où trouver des placements à la fois performants et sécuritaires n’est pas évident, un fonds d’investissement professionnel est un placement solidaire qui peut représenter une opportunité pour des pharmaciens en cours d’activité et des pharmaciens sortants du fait du disponible dégagé par la vente de leur officine », estime Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « C’est une aide intergénérationnelle qui a du sens », ajoute Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Monique Durand, présidente de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP), trouve également que « c’est une idée formidable pour aider les jeunes à s’installer et faciliter les transmissions d’officines ». Quant à Patrick Freva, président de l’ADIP (Association de défense de l’indépendance de la pharmacie) qui regroupe aujourd’hui 70 à 80 adhérents, il approuve également cette solution alternative. Lui qui mène un combat acharné contre les déviances des fonds spéculatifs appelle de ses vœux un sursaut de ses confrères et les invitent dans cette période charnière à ne pas se réfugier dans l’individualisme et à se mobiliser contre « les fonds prédateurs ». « La profession est confrontée à une course contre la montre contre l’ouverture programmée du capital », exhorte-t-il.

Sous la tutelle de la CAVP ?

Pour tenir le rôle de gestionnaire d’un fonds d’investissement professionnel, plusieurs noms sont pressentis : des établissements bancaires spécialisés « pharmacie » et engagés de longue date avec la profession ; Fédergy, le syndicat des groupements et enseignes, dans l’hypothèse de la coexistence de plusieurs fonds professionnels dont l’un serait dévolu aux pharmaciens de groupements ; une branche spécifique de la Banque publique d’investissement (BPI)… Mais le nom qui revient le plus fréquemment est celui de la CAVP, habituée à gérer un portefeuille de plus de 8 milliards d’euros, principalement composé d’obligations, d’actions et d’actifs immobiliers. Monique Durand n’exclut pas cette possibilité, sous réserve que trois conditions soient remplies. « Il faut voir comment techniquement cela pourrait s’articuler, il faut ensuite que ce nouveau rôle dévolu à la CAVP soit compatible avec les divs réglementaires, enfin il faut l’acceptation de l’ensemble de son conseil d’administration », précise-t-elle. Or, les divs actuels ne sont pas en mesure d’apporter des éléments de réponse. En effet, le décret n°2017-887 du 9 mai 2017 relatif à l’organisation financière de certains régimes de sécurité sociale (décret dit « sur les placements »), applicable normalement dès janvier 2018, nécessite un certain nombre de clarifications et devra être complété par plusieurs arrêtés non parus à ce jour. Des recours sont déposés en Conseil d’Etat concernant ce décret.

Transparence et contrôle

Ne rêvons pas, la création d’un fonds professionnel ne résoudra pas tout. Encore faut-il encadrer l’utilisation des obligations convertibles en actions (OCA) en pharmacie. Sur ce point, Serge Gilodi, dirigeant du cabinet Serendipity Conseil, a un avis bien tranché. « Il faut arrêter l’hypocrisie, aujourd’hui, au travers de sociétés écrans de type SAS* qui souscrivent des emprunts obligataires, les pharmaciens actionnaires de ces SAS peuvent détenir plus que les quatre participations dans d’autres officines autorisées par la loi, dénonce-t-il. De deux choses l’une, soit on va au bout de cette logique et on libéralise en ouvrant le capital, soit on encadre les OCA par une réglementation spécifique pour les professions libérales, en fixant un certain nombre de limites techniques et des obligations de transparence sur ces montages financiers. »

Faire toute la lumière et superviser les montages avec des OCA, c’est justement ce que réclame avec insistance Patrick Freva qui reproche à l’ordre des pharmaciens son immobilisme sur ce dossier : « Il faut que tous les contrats puissent être contrôlés par l’Ordre, et comme pour le réseau, il faut une ordonnance sur les règles de détention du capital. » Un appel qui semble entendu par la nouvelle présidente de l’Ordre, Carine Wolf-Thal, qui indique que des groupes de travail avaient été montés sur les fonds d’investissement. « L’objectif de ces groupes de travail est de faire un état des lieux et de mener une réflexion d’ensemble sur le respect de l’indépendance professionnelle du pharmacien dans la globalité de son exercice », précise Alain Delgutte, président du conseil central A de l’Ordre des pharmaciens. 

* La société par actions simplifiée (SAS) est à la fois société de capitaux, ce qui la rapproche de la société anonyme (SA), et société de personnes, ce qui en fait une société mixte. Elle se distingue surtout de la SA par la grande liberté laissée aux associés. Ce qui en fait un instrument de gestion privilégié par les grands groupes et les sociétés mères de LBO. La principale caractéristique de la SAS est qu'elle permet de dissocier le capital du pouvoir. Un associé peut donc disposer de prérogatives indépendantes de sa part de capital.

LE « OUI MAIS » DES BANQUES

Les banques trouvent certes un intérêt à ce qu’un fonds d’investissement « made in pharmacie » supplée à l’intervention des fonds spéculatifs dans un cadre plus respectueux de la réglementation et de l’économie des officines. Mais elles sont également réticentes à prêter en complément de l’apport fait par des acteurs financiers. Argument invoqué ? Ces derniers s’enrichissent fortement alors qu’ils ne portent qu’une faible partie de l’investissement, contrairement aux banquiers qui portent dans ces montages la majeure partie de la dette avec une rentabilité faible.

À RETENIR


•   Pour enrayer la diffusion de capitaux étrangers via des fonds spéculatifs, un fonds d’investissement autofinancé par la profession peut faire sens afin de faciliter les achats et ventes d’officines.

•   Pour tenir le rôle de gestionnaire de ce fonds professionnel, le nom qui revient le plus fréquemment est celui de la CAVP (Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens).

•   Des groupes de travail viennent d’être montés à l’Ordre sur les fonds d’investissement et le respect de l’indépendance professionnelle.

REPÈRES 

TROIS SOLUTIONS POUR FLUIDIFIER LA SORTIE DES AÎNÉS ET INTÉGRER LES JEUNES AU CAPITAL

Par François Pouzaud - Infographie : Franck L'Hermitte

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