Épisode 30 L’affaire du pain maudit

17 août 1951

Chère Marie-Rose,

Il se passe des choses vraiment étranges à Pont-Saint-Esprit. La chaleur s’est abattue sur le village et a rendu malade plusieurs habitants. Une épidémie de diarrhées se répand. Par cette chaleur, c’est inhabituel et malheureux. Je suis assez inquiète pour les enfants.

Les médecins du bourg sont débordés. Ils m’ont appelée dans la nuit pour les aider à prendre en charge les patients.

Tu devais venir la semaine prochaine mais je préfèrerais que tu reportes ton séjour. La situation est assez préoccupante. J’ai entendu le Dr Brunet s’entretenir avec un confrère cette nuit. Un patient est décédé. Il souffrait de bouffées de chaleur et d’hallucinations.

Je t’embrasse. Prends soin de toi et de ta petite Solange. Mathurine

21 août 1951

Marie-Rose,

J’espère que tu vas bien. Ici, c’est de pire en pire. Cinq habitants sont à nouveau décédés. Plus de 100 personnes sont intoxiquées et trois enfants ont dû être hospitalisés.

D’après les médecins, il s’agirait d’une intoxication alimentaire. Peut-être à cause du pain de la boulangerie de la Grande rue. Ma voisine parle de l’eau des fontaines. Ce matin, je me suis arrêtée pendant ma tournée chez notre ancien maître d’école, M. Dupuis, pour lui faire des injections. J’ai l’impression qu’il n’a plus toute sa tête. Il prétend que la Russie est derrière tout ça, que c’est une guerre bactériologique.

L’ambiance est pesante. Je vais me reposer quelques heures. Embrasse toute la famille. Mathurine

30 août 1951

Chère Marie-Rose,

J’ai bien reçu ta missive. Hélas, je ne peux toujours pas t’accueillir pour l’instant. La situation s’est à nouveau dégradée et je suis exténuée. Plusieurs patients sont devenus fous. Heureusement, cela ne semble pas contagieux. Mais c’est l’unique sujet de conversation.

Le pire a été atteint dans la nuit du 25 août, les gens parlent même de « la nuit de l’apocalypse ». Une vingtaine de personnes ont été internées d’urgence à l’hôpital, et durant la nuit plusieurs se sont jetées par les fenêtres.

La piste du pain maudit semble avérée. D’ailleurs, les gens ne mangent plus que des biscottes. Le maire a fait fermer hier les trois boulangeries de la ville jusqu’à nouvel ordre.

D’après le Dr Brunet, tout cela serait dû à un parasite du blé ou un traitement contre les champignons. J’ai hâte que cette épidémie prenne fin. Beaucoup d’enfants sont encore très malades et ne pourront faire la rentrée.

Bonne reprise à toi, à Arlette et à Solange.

Mathurine

30 septembre 1951

Marie-Rose,

C’est enfin terminé. Hier, le boulanger de la Grande rue et un meunier ont été arrêtés.

Un de mes patients, Monsieur Carl, a passé 21 nuits sans dormir, à compter les perles d’un rideau et répéter le même mot inlassablement. D’après les registres, plus de 200 personnes ont été intoxiquées.

Le Dr Brunet a parlé d’ergotisme. Tous les symptômes observés : frissons, maux de ventre, vomissements, bouffées de chaleur, hallucinations, accès de folie, seraient dus à l’ingestion d’ergot de seigle, un champignon. Il m’a donné une publication à ce sujet. L’ergot contient une substance proche du LSD, cette drogue testée aux Etats-Unis pour traiter les troubles mentaux. Les journaux en avaient même parlé l’an dernier, « un traitement miraculeux », paraît-il. Ce n’est pas le cas du parasite en tout cas, loin de là.

Je viendrai te voir à la fin du mois d’octobre. Prends bien soin de toi et des enfants.

Mathurine