Les anticoagulants oraux directs raflent la mise - Le Moniteur des Pharmacies n° 3169 du 18/03/2017 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3169 du 18/03/2017
 
MÉDICO-ÉCONOMIE

Temps Forts

Enquête

Auteur(s) : ELISE HARO-BRUNET 

Le nombre de patients sous anticoagulants oraux directs a été multiplié par 20 en 4 ans, avec à la clé une addition salée pour l’Assurance maladie. Devant la « déferlante AOD », la Haute Autorité de santé a dû revoir sa copie. Analyse.

A peine 25 000 en 2012, plus de 500 000 en 2016. Les patients sous anticoagulants oraux directs (AOD) représentent désormais 35 % des sujets traités par un anticoagulant oral, tendant à rattraper ceux sous antivitamines K (AVK). Avec pour conséquence une facture toujours plus lourde pour l’Assurance maladie : la part des AOD dans le budget consacré au remboursement des boîtes d’anticoagulants oraux en ville est passée de 55 % en 2012 à 90 % trois ans plus tard.

En 2015, les AOD ne représentaient qu’un quart du volume des ventes dans cette catégorie de médicaments, et plus de 300 millions d’euros avaient été alloués à la prise en charge des 5 millions de boîtes d’AOD vendues (Eliquis, Xarelto ou Pradaxa). Une note multipliée par 5 en 3 ans. Et une dépense colossale comparée à celle consacrée aux AVK (Sintrom, Minisintrom, Coumadine ou Previscan), moins de 34 millions d’euros pour plus de 13 millions de boîtes délivrées.

Rien de surprenant : avec un prix affiché avoisinant les 70 euros mensuels, un traitement médicamenteux par AOD coûte 20 fois plus cher que celui par AVK. Le surcoût de la boîte est-il compensé par l’absence de surveillance biologique ? Pas vraiment. En mettant dans la balance les 73 millions d’euros remboursés en 2015 par l’Assurance maladie pour les mesures d’INR, le compte n’y est pas : le coût d’un traitement par AOD reste 3 fois plus élevé. La rémunération des 43 600 entretiens pharmaceutiques AVK réalisés en 2015, en moyenne 213 € par officine, ne fait pas beaucoup bouger le compteur. Seul un coût moindre d’hospitalisations liées à un accident iatrogénique par un AOD pourrait changer la donne en faveur de cette classe thérapeutique. Pour l’instant, ce paramètre est inconnu. L’Assurance maladie, en collaboration avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), va lancer une étude à ce sujet dans les prochaines semaines.

Les AVK n’ont plus la cote

La prévalence des patients ayant pris un anticoagulant oral a augmenté de près de 20 % entre 2012 et 2016. Avec des ventes d’AVK qui restent relativement stables, la réponse est là : l’initiation d’un traitement anticoagulant oral par un AOD est désormais la règle dans plus de 60 % des cas. Le nombre de patients recevant un AVK en première intention a chuté de moitié en 5 ans. Particulièrement à l’hôpital, où 60 % des prescripteurs, toutes spécialités confondues, optent d’emblée pour un AOD. Claire Bal dit Sollier, coordinatrice au Centre de référence et d’éducation des antithrombotiques d’Ile-de-France (CREATIF) attaché à l’hôpital Lariboisière à Paris, le confirme : « Les cardiologues hospitaliers ne savent plus ce que sont les AVK ». Les cardiologues libéraux non plus : plus de 80 % d’entre eux ont fait le même choix que leurs homologues en établissements de santé.

Une situation non conforme aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), qui rappelait dans sa fiche « bon usage du médicament », en septembre 2015, que les AOD restaient des médicaments anticoagulants de seconde intention dans la majorité des cas.

Des cartes rebattues

Devant ce phénomène, la Commission de transparence de la HAS a lancé une réévaluation complète de tous les anticoagulants oraux afin d’affiner sa stratégie thérapeutique. « Il faut qu’on reconsidère notre position dans les indications communes aux AVK et aux AOD. Les arguments avancés à l’époque sont en train de tomber », affirme Anne d’Andon, chef de service de l’évaluation des médicaments de la HAS. Exit l’absence d’antidote pour les AOD pour justifier de leur relégation au second plan. Praxbind, antidote du Pradaxa, a été mis sur le marché en 2015 et est aujourd’hui disponible dans plus de 500 établissements français. Un essai clinique est en cours sur tout le territoire pour l’andexanet alpha, antidote du rivaroxaban, apixaban et de l’edoxaban (non commercialisé en France à ce jour), et une demande d’AMM est en cours d’évaluation en procédure centralisée. Cet argument ne tient plus. Celui de l’absence de test de routine pour les AOD permettant de suivre exactement leur degré d’anticoagulation non plus : l’Agence européenne du médicament a conclu fin 2015 qu’il n’y avait pas de nécessité à suivre ce paramètre. S’ajoute à cela une incidence d’événements hémorragiques globalement comparable entre les AOD et les AVK, selon les essais cliniques et les études du projet NACORA mené conjointement par l’Assurance maladie et l’ANSM et dont les résultats ont été publiés en 2014.

Les recommandations européenne et américaine de stratégie thérapeutique sur les anticoagulants oraux apportent également leur pierre à l’édifice. Elles positionnent clairement les AOD comme des traitements de première intention, avant même les AVK. « Dans les prochaines années, les AOD vont probablement monter à 80 % des prescriptions. Il restera une petite frange des patients anticoagulés sous AVK, ceux pour qui les AOD sont contre-indiqués », poursuit Claire Bal dit Sollier. En somme, les malades atteints de fibrillation atriale valvulaire ou ayant eu un infarctus du myocarde compliqué. L’âge avancé n’est plus considéré comme un obstacle à la prescription d’un AOD, à en juger par l’étude PRESAGE-ACO, en cours en Ile-de-France, chez les patients de 80 ans et plus souffrant de fibrillation atriale non valvulaire. La fonction rénale dégradée non plus, l’insuffisance rénale sévère étant problématique aussi bien pour la prescription d’un AOD que pour celle d’un AVK.

Devant tous ces éléments, les AOD devraient en toute logique se retrouver en première intention, avant ou au même rang que les AVK, dans les nouvelles recommandations de la HAS attendues pour la fin du deuxième trimestre 2017. Avec quelles conséquences ? Anne d’Andon est formelle : « L’aspect économique n’est pas pris en compte dans l’établissement de la stratégie thérapeutique par la HAS. Bien que la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016 nous ait confié une nouvelle mission, celle de définir les stratégies thérapeutiques les plus efficientes en termes de coût/efficacité, ce n’est pas l’objet de notre travail en ce moment sur les anticoagulants oraux. » L’Assurance maladie tempère toutefois en précisant que « l’ensemble des conditions d’accès au marché vont évoluer, notamment les conditions tarifaires, qui pourront être revues à l’aune de ces nouvelles recommandations ». Pour le pharmacien, à quelque chose malheur est bon : avec seulement 3 377 entretiens pharmaceutiques AOD réalisés entre le 1er juillet et le 30 novembre 2016, sa marge de progression est grande. Il y a désormais une vraie « clientèle AOD ».

À RETENIR


•  La part des AOD dans le budget consacré au remboursement des boîtes d’anticoagulants oraux en ville est passée de 55 % en 2012 à 90 % en 2015.

•  73 millions d’euros remboursés en 2015 par l’Assurance maladie pour les mesures d’INR.

•  L’Assurance maladie, en collaboration avec l’ANSM, va lancer dans les prochaines semaines une étude sur les économies d’hospitalisations liées aux AOD.

En 2015, plus de 300 M€ avaient été alloués à la prise en charge des 5 millions de boîtes d’AOD vendues. Un traitement qui coûte 20 fois plus cher que celui sous antivitamines K (AVK).

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