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Temps Forts
Reportage
Auteur(s) : TEXTE ET PHOTOS OLIVIER JACQUINOT
L'addiction, c'est une maladie. J'ai donc mission de délivrer des médicaments pour les soins. Mais mon acte va bien au-delà. » A Bellac, petite ville de Haute-Vienne, et ses alentours, les toxicomanes savent qu'ils peuvent trouver à la pharmacie Chevalier, écoute, aide, et empathie. « Dès que les traitements de substitution ont été autorisés, j'ai compris que nous allions être confrontés à des difficultés : des patients généralement marginaux, évoluant dans un condiv social compliqué, arrivant à l'officine avec un dossier qui n'est pas à jour, parfois avec une ordonnance falsifiée… Ils savent que cela va mal se passer et ne sont pas à l'aise, parfois agressifs. Ils se sentent regardés... Mon équipe aussi était mal à l'aise et, inconsciemment, mettait une barrière. Il fallait faire quelque chose, je le sentais ! » Est-ce le souvenir de ses années de coopération au Maroc, lorsqu'il travaillait sur l'addictologie à la faculté de médecine et à l'hôpital de Casablanca ? Ou simplement l'intuition, comme celle qui l'a conduit à transférer en 1988 la petite officine de centre-bourg acquise en 1982 vers une zone périphérique alors peu cotée et qui est devenue la principale zone commerciale de l'agglomération ? Toujours est-il que Bernard Chevalier apprend l'existence de formations en addictologie à Esquirol, l'hôpital psychiatrique de Limoges. « Cela a été déterminant ! Grâce à ces formations, j'ai appris à porter un autre regard sur les toxicomanes, un regard que j'ai pu transmettre à mon équipe. » Et Bernard Chevalier d'expliquer : « D'abord, il faut aller vers eux, établir le contact. Donc, dès qu'un tel patient se présente, mon équipe le dirige vers ma fille, Marie, ou moi. Nous lui proposons de le recevoir dans le bureau. Il y a toujours un moment de flottement et la personne s'interroge : c'est un policier ou un thérapeute ? » Là, une fois installé, le patient est mis à l'aise. On l'informe de la possibilité de se faire aider par le réseau de santé ville hôpital en addictologie, AddictLim avec les médecins de l’hôpital Esquirol, et de l'existence de ses permanences à Bellac une fois par semaine. Il faut aussi lui parler du travail en réseau avec le spécialiste d'Esquirol, son médecin généraliste et le pharmacien. Sans oublier de lui rappeler l'importance de respecter le protocole thérapeutique et le cadre réglementaire. « Enfin, je lui donne mon numéro de portable, au cas où il aurait un souci avec son traitement. Et là, en quelques minutes, l’attitude change. Les patients se sentent rassurés, considérés, respectés. Le dialogue est établi et déjà, les rapports ne sont plus les mêmes. » Si Bernard Chevalier sait établir ce contact, il sait aussi qu'avec ce type de patients, il y a des hauts et des bas, des échecs, des rechutes. Et qu'il faut énormément d'empathie. « Attention toutefois de ne pas se laisser déborder par le lien qui se crée, à ce que l'affectif ne s'en mêle pas trop », prévient le pharmacien à qui il arrive de porter lui-même les médicaments de substitution à un patient en difficulté de se déplacer. Lorsqu'il était conseiller municipal, il en a même aidé plusieurs à se réinsérer professionnellement.
« S'intéresser à l'addictologie oblige à s'ouvrir à de multiples domaines », intervient Marie Chevalier. Bernard, son père, lui a fait partager son intérêt pour le sujet. Au point que la jeune femme, après avoir exercé plusieurs activités liées au médicament, a finalement choisi comme sujet de thèse « L'accompagnement du patient addictif aux opiacés par le pharmacien d'officine ». « J'ai mis par écrit ce que mon père pratique depuis des années ! » Alors que Bernard Chevalier part à la retraite cet automne, elle a repris le flambeau avec enthousiasme. « Il y a de plus en plus de personnes en situation d’addiction, à Bellac. Bon nombre viennent d'autres régions de France, souvent sur décision de justice ou pour couper les ponts avec leurs anciennes fréquentations. Nous en suivons cinq à six par an. Une fois qu'elles ont compris le cadre réglementaire, elles sont bien plus observantes qu'un patient diabétique ou asthmatique ! » Par ailleurs, Marie Chevalier s’est rendu compte que lorsque l’on considère les patients addictifs, on fait un grand pas envers la considération et le respect de tous les autres patients. On développe sa capacité d'empathie. Pour la pharmacienne, il y a des similitudes entre prendre en charge un patient addictif et un patient sous AVK dans le cadre d’un entretien pharmaceutique.
Très active dans de multiples domaines – elle copréside l'association pour la création d'une maison de santé pluridisciplinaire, s'implique dans la communication de clubs de basket –, Marie Chevalier apprécie le travail en réseau que propose AddictLim. « Ce n'est pas si fréquent de travailler étroitement avec des spécialistes, des généralistes, des infirmiers... et d’échanger en toute liberté. » Des relations entre professionnels qu'elle développe encore pour le projet de maison de santé. « Notre profession évolue vite ces dernières années et il faut en profiter, changer certaines habitudes. Pour ma part, je ne veux pas de bureau où m'enfermer. Un titulaire doit être au comptoir conseiller les patients. Les médecins n'ont plus le temps de parler avec eux. A nous de faire du sur-mesure ! A l'officine, nous sommes huit à servir au comptoir, et chacun a sa spécialité : orthopédie, esthétique, huiles essentielles... Cela aussi, indirectement, c'est une conséquence de notre spécialisation en addictologie. »
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