Une prévalence sous surveillance - Le Moniteur des Pharmacies n° 3131 du 04/06/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3131 du 04/06/2016
 
GOUTTE

Temps forts

Enquête

Auteur(s) : MARJOLAINE LABERTONIÈRE

L’augmentation régulière du nombre de boîtes remboursées par la Sécurité sociale pour le traitement de la goutte ainsi que du nombre de consultations pour ce motif permet-elle d’en déduire que la prévalence et l’incidence de la goutte sont en hausse? Ce serait trop simple.

Connue depuis l’Antiquité, nommée la podagre (« pris au piège par le pied ») par Hippocrate, soignée par la colchique dès le Ve siècle, cette maladie a fait souffrir des rois bons vivants (Charles Quint, Henri VIII d’Angleterre) et nombre d’hommes célèbres (Isaac Newton, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Darwin, Montaigne). C’est Ambroise Paré qui adopte le terme goutte. Émile Zola dans La joie de vivre décrit par le menu les souffrances atroces du gourmand M. Chanteau. Jadis étiquetée maladie des riches et des puissants, voici qu’en 2016 elle touche toutes les couches de la population. En effet, en France, le nombre de patients consultant en médecine générale pour le motif « goutte » et le nombre d’actes en rapport sont en progression régulière. Logiquement, on constate en parallèle depuis une quinzaine d’années une augmentation des remboursements de l’Assurance maladie pour les traitements de première ligne de la goutte chronique. Il en est de même pour les traitements de la crise avec une stabilisation depuis 2012 qui s’explique par des préconisations à la baisse des posologies.

Pour Thierry Cardon, rhumatologue au CHU de Lille (Nord), « cette maladie, la plus ancienne des maladies inflammatoires articulaires connues, ne focalisait pas autant l’intérêt ni les recherches cliniques il y a dix ou vingt ans. L’arrivée de nouvelles molécules dont le fébuxostat a permis de sensibiliser les médecins généralistes à la prise en charge de la goutte. D’où un probable meilleur suivi ».

Un phénomène mondial

La prévalence de la goutte est en augmentation partout dans le monde. Ainsi aux Etats-Unis, elle est passée de 2,7 % dans les années 1990 à 3,9 % en 2008. En Europe, le Royaume-Uni présente le taux le plus élevé avec 2,5 % en 2012, l’Allemagne 1,4 %, l’Italie 0,9 %. Des pays où des populations quasi indemnes jusque-là sont touchés à leur tour : la Chine (prévalence estimée à 1,1 % dans l’est du pays en 2008), les Maoris de Nouvelle-Zélande (prévalence de 2,7 % en 1958, de 6,4 % en 1992 et de près de 15 % aujourd’hui).

En France, environ 600 000 personnes souffrent de la goutte (source : Haute Autorité de santé, avril 2014). Une enquête en population générale du Pr Thomas Bardin, rhumatologue à l’hôpital Lariboisière (Paris) a permis d’estimer la prévalence à 0,9 % en 2013, sans gradient suivant les régions. Ne disposant pas de chiffres antérieurs, il est difficile d’affirmer qu’elle progresse.

Pour le Dr Gérard Chalès, rhumatologue au CHU de Rennes (Ille-et-Vilaine), « le problème pour déterminer les prévalences vient du choix de la méthodologie – sur quels critères : déclaratif, présence des cristaux d’urates etc. –, mais, globalement, il semble y avoir une augmentation. La goutte reste le diagnostic le plus fréquent de rhumatisme inflammatoire devant la polyarthrite rhumatoïde et la spondylarthrite ankylosante dont la prévalence est de 0,3 % ».

La mise en cause des boissons sucrées

Parmi les facteurs qui influent sur le risque de développer une goutte, certains sont stables comme le sexe (risque 3 à 6 fois plus élevé chez l’homme que chez la femme par effet uricosurique des estrogènes), d’autres progressent comme le vieillissement. Les modifications du régime alimentaire en Europe de l’ouest, plus sucré et plus salé, concourent à faire grimper l’uricémie. À côté de l’excès de purines d’origine animale, la responsabilité des sodas sucrés ou autres boissons riches en fructose est moins connue.

Certaines comorbidités voient leur prévalence augmenter sans que l’on sache ce qui est la cause ou la conséquence, et elles sont légions : « syndrome métabolique » (obésité, hypertension artérielle, hyperlipidémie, diabète), maladies cardiovasculaires, insuffisance rénale… Comorbidités qui nécessitent la prescription de médicaments augmentant l’uricémie: diurétiques de l’anse et des thiazidiques, aspirine à faible dose, bêtabloquants, IEC, et dans une moindre mesure la ciclosporine et le tacrolimus. Gérard Chalès rappelle que « moins de 50 % des patients sont traités avec un inhibiteur de la xanthine oxydase et parmi eux, moins d’un sur deux atteint l’uricémie cible (60 mg par litre voire 50 mg). Les fortes posologies de l’allopurinol (jusqu’à 900 mg) ne sont pas assez utilisées en cas de besoin. D’un autre côté, des traitements pour des hyperuricémies asymptomatiques sont instaurés, exposant les patients à un risque thérapeutique non anodin, principalement avec l’allopurinol, mais aussi dans une moindre mesure avec le fébuxostat (toxidermie grave) alors qu’aucune étude d’intervention ne permet de dire qu’en traitant la fréquence des accidents cardiovasculaires serait réduite ».

Pour une meilleure prise en charge de la goutte, ce médecin préconise de lutter contre le « syndrome métabolique » avec un objectif de perte de poids. Mais sachant que l’obésité progresse, touchant 15 % de la population française, la goutte n’est pas prête de s’évaporer.

À RETENIR

• La prévalence de la goutte est en augmentation dans le monde entier.

• Le vieillissement de la population et le recours fréquent aux diurétiques pour traiter l’hypertension artérielle comptent parmi les causes de cette hausse.

• La goutte reste une maladie à forte prédominance masculine.

• Les pharmaciens peuvent bien sûr inciter à l’observance des traitements, mais aussi avoir une action de sensibilisation à destination de leur patientèle obèse.

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