Pourquoi les pharmacies restent - Le Moniteur des Pharmacies n° 3131 du 04/06/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3131 du 04/06/2016
 
EXERCER EN ZONES SENSIBLES

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Enjeux

Auteur(s) : François Pouzaud*, Loan Tranthimy**

Braquages, agressions verbales et physiques… Les faits d’insécurité sont en progression dans les pharmacies, selon l’observatoire 2015 de l’Ordre. Malgré cette montée de violence, les pharmaciens concernés tiennent bon et continuent à s’acquitter de leur mission auprès de la population.

Les statistiques publiées par l’Ordre des pharmaciens pour l’année 2015 montrent une réalité d’une ampleur inquiétante. Sur les 131 agressions déclarées à l’Ordre, 14 % ont été commises par armes à feu, une proportion qui témoigne de l’extrême violence subie parfois par les pharmaciens. L’instance relève une hausse des violences à main armée (+ 3 %) après 3 années de stabilité, une hausse des agressions avec menace (+ 9 %) ou liées à un refus de prise en charge (+ 6 %), alors que les agressions verbales continuent de représenter la moitié des déclarations (48 %). Concernant la typologie des pharmacies les plus exposées, les officines de villes de moins de 50 000 habitants concentrent à elles seules 80 % des agressions déclarées. Les pharmacies des petits centres commerciaux deviennent également des cibles « prisées » (+ 11 %) et les officines rurales ne sont guère plus épargnées, victimes de « razzias » réalisées sur une courte période par un même groupe de malfrats. Malgré un protocole santé sécurité mis en place en 2011, dont l’objectif est de sécuriser l’exercice professionnel au niveau national comme régional, à l’image du dispositif « Vigidel » en Rhône-Alpes, cette montée de violences inquiète. Mais les pharmaciens qui exercent dans ces zones sensibles font souvent le choix de rester.

Des tensions extrêmesdans certains quartiers

C’est le cas de Jean-Louis Baudouin, pharmacien à Hombourg-Haut (Moselle), ancienne cité minière jadis bien tranquille où les nuits sont souvent mouvementées par des actes de pyromanes. Le titulaire installé en 1990 a essuyé trois incendies depuis 2013. La devanture de l’officine et ses volets sont régulièrement endommagés. « J’ai été obligé de murer mes vitrines et de les remplacer par des vitrophanies », précise ce pharmacien qui reste sans réponse face à cette montée de violence inexpliquée. Cette cité semble dans l’impasse. « Les renforts supplémentaires de brigades de police et même de patrouilles de CRS sont ponctuels pour assurer le retour au calme mais cela n’est pas suffisant », déplore-t-il. Le pharmacien n’envisage pas de s’exiler ailleurs, d’autant qu’il est bien intégré dans le tissu social et que les journées sont, en comparaison, relativement paisibles. « J’entretiens depuis toujours une très forte proximité avec les habitants et j’ai vu grandir leurs enfants que je n’hésite pas à recadrer s’il le faut. ». Dans l’Yonne, la ZUP d’Auxerre traîne aussi une mauvaise image d’insécurité. Les trafiquants de drogues pourrissent la vie du quartier. « Paradoxalement, je n’ai jamais subi d’agressions ou de braquages », rapporte Driss Mezgueldi, installé au cœur de cette ZUP depuis 2003. Il a souffert davantage de dégâts collatéraux puisqu’il s’est retrouvé en redressement judiciaire, suite à la baisse de fréquentation de sa pharmacie et du départ de deux médecins. « Pour se rendre à l’officine, il faut traverser un porche mal éclairé. Passé 17 heures l’hiver, les gens ont peur de s’y aventurer », raconte-t-il. Pour s’en sortir, ce pharmacien n’a eu guère le choix. « Ma pharmacie était devenue invendable, la seule alternative salvatrice était le transfert de l’officine », expose-t-il, attaché à son quartier. En février dernier, la pharmacie a été transférée à 500 mètres sur un axe passant, sans quitter la ZUP et sans abandonner la clientèle. De son côté, Pierre Tellier, installé dans le quartier de Montconseil, l’un des plus sensibles de Corbeil-Essonnes (Essonne), vit un calvaire depuis 13 ans. Menaces, agressions, injures, actes de vandalisme, braquages sont le quotidien de ce titulaire qui a déposé plus de 25 plaintes en 10 ans. Malgré les interventions de la police, la violence va crescendo dans ce quartier marqué par une délinquance endémique. « Les commerces ferment les uns après les autres: la boucherie, la papeterie, le restaurant du coin… Aujourd’hui, je vis dans une zone de non-droit », raconte-t-il. L’homme est à bout de nerfs, jetant l’anathème à tout va sur la municipalité qui n’a rien fait, selon lui, pour rétablir l’« Etat de droit » dans son quartier. « Le sort des pharmaciens n’émeut pas l’opinion publique et les élus, la situation serait différente si c’était un conducteur de bus qui s’était fait agresser », fulmine-t-il. Il reproche aussi l’immobilisme de ses instances professionnelles.

Des solutions au cas par cas

Une reproche que Patrick Chavenon, président du syndicat des pharmaciens de l’Essonne jusqu’à fin 2015, dément. « Nous avons créé une commission de sécurité départementale autour des pharmacies et le cas de M. Tellier a été étudié à plusieurs reprises. » Il aurait pu se traiter avec une issue plus favorable, comme cela a été le cas pour deux autres confrères installés dans le quartier sensible des Tarterêts, au nord de la ville. « Nous avons pu transférer les deux pharmacies », précise-t-il. Mais Pierre Tellier n’est pas résolu à transférer. Outre cette solution locale, l’Ordre souhaite aussi inciter les pharmaciens à déclarer davantage. « Cela permettra aux référents de sécurité de l’Ordre d’avertir rapidement les autres confrères d’une recrudescence des agressions dans un secteur donné et leur rappeler les mesures de prévention de base contre la malveillance », martèle Alain Marcillac, référent national sécurité à l’Ordre. Consciente qu’une telle déclaration demande du temps, l’instance ordinale va proposer un nouveau formulaire de déclaration en ligne plus simple au dernier trimestre 2016. Quels autres remèdes faut-il prévoir pour sécuriser l’officine ? « Organiser des passages réguliers des forces de l’ordre dans les zones d’insécurité est un élément rassurant et dissuasif ? », avance Philippe Gaertner, président de la FSPF. « Le premier objectif recherché est de diminuer le ressenti d’insécurité du pharmacien, complète Alain Marcillac. En Seine-Saint-Denis, le fait qu’une patrouille de police fasse ses rondes en voiture sérigraphiée et non plus banalisée a suffi à rassurer un confrère ». A Montélimar (Drôme), « le transfert d’une centaine de mètres d’une officine enclavée dans un quartier sensible au bord d’une rue sécurisée avec l’arrivée d’autres commerces et l’installation d’une vidéosurveillance extérieure ont permis de réduire très sensiblement le nombre de sinistres », indique Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Enfin, ajoute Philippe Gaertner, « il est important d’établir un lien permanent entre pharmaciens et la police ou la gendarmerie, pour bénéficier de conseils et de rappels sur la conduite à tenir et les comportements à adopter face à une situation d’agression ».

À RETENIR

• L’observatoire 2015 de l’Ordre des pharmaciens montre une recrudescence des agressions à main armée.

• Les pharmaciens installés dans les quartiers sensibles choisissent souvent de rester.

• Face à une sous-déclaration récurrente des actes de violence par les pharmaciens, l’Ordre va proposer une déclaration simplifiée à la fin de l’année 2016.

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