Le train partirait-ilsans vous ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3125 du 23/04/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3125 du 23/04/2016
 
PRÉVENTION

Temps forts

ENJEUX

Auteur(s) : Afsané Sabouhi

Pour tous les Français, le pharmacien est l’acteur de santé publique le plus proche et le plus accessible. Du cardiovasculaire à l’addictologie en passant par les maladies infectieuses, la littérature scientifique démontre l’efficacité de votre implication. Comment expliquer alors que vous restiez le parent pauvre de la prévention, sans rémunération ni reconnaissance ?

Une grande déception », « une bêtise sans nom », « une décision aberrante ». L’exclusion des pharmaciens de la délégation de prescription des substituts nicotiniques aux fumeurs en demande de sevrage tabagique, actée par la loi de santé, fait l’unanimité contre elle dans la profession et parmi les spécialistes des addictions. Argument avancé par le ministère : éviter que le dispensateur puisse être en situation de prescripteur. « Une terrible erreur d’analyse », estime Philippe Gaertner, car « il n’y a pas de risque inflationniste avec un forfait de prise en charge plafonné » (à 50 € par an ou 150 € dans les cas particuliers des femmes enceintes, des 20-30 ans, des bénéficiaires de la CMU-c ou des patients en ALD cancer). Pour le président de la FSPF, « ce n’est pas de la défiance envers les pharmaciens, seulement de la bêtise, ce qui est peut-être pire encore ! ». Pour Eric Myon, seccrétaire général de l’UNPF, les pharmaciens ne sont tout de même pas logés à la même enseigne que d’autres professions : « s’il faut à tout prix éviter les risques d’intérêt croisé entre dispensateur et prescripteur, il va falloir qu’on m’explique le cas des vétérinaires, je n’ai pas dû bien comprendre ! »

Quelle que soit la cause réelle de cette décision, ses conséquences en matière de lutte contre le tabac sont bien réelles et viennent contrecarrer une dynamique positive, portée par l’arrivée du paquet neutre le mois prochain, qui voyait de plus en plus d’équipes officinales s’engager dans le sevrage tabagique comme dans le repérage des consommations problématiques d’alcool. « Vous vous formez, vous faites en sorte d’avoir des traitements à des prix accessibles, vous conseillez les patients et, au moment de l’acte commercial, la personne veut bénéficier, à juste titre, de la prise en charge forfaitaire. Vous devez donc la renvoyer vers son médecin, qui se réapproprie le travail de repérage et d’évaluation que vous avez passé 25 minutes à faire au comptoir. Lui sera rémunéré et, in fine, il n’est même pas certain que le patient revienne dans votre officine pour acheter les substituts prescrits. Dans ces conditions, il est très difficile de maintenir l’implication des officinaux sur la durée », regrette Nicolas Bonnet, pharmacien de santé publique et directeur du Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (Respadd).

Reconnaissance et valorisation financière

Pourtant, malgré cette absence de reconnaissance de leur statut d’acteur de prévention, les pharmaciens sont déjà très impliqués. « Nous donnons des conseils de prévention au comptoir, assure Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Et lorsqu’il a fallu organiser des actions de prévention plus structurées, des programmes d’échanges de seringues à la dispensation de la pilule du lendemain en passant par le préservatif à 1 franc pour contrer l’épidémie de sida ou la récupération des déchets à risque infectieux des patients diabétiques, la profession a toujours montré qu’on pouvait compter sur elle. » A ses dépens semble-t-il puisqu’elle continue aujourd’hui à devoir s’investir à titre gracieux. Mais jusqu’à quand ? Entre le condiv économique délicat des officines et la légitime lassitude de ces acteurs bénévoles depuis trop longtemps, la désillusion des substituts nicotiniques pourrait bien être la goutte de trop. La reconnaissance et la valorisation financière des actions de santé publique des pharmaciens sont désormais urgentes.

« Le mode de rémunération actuel ne pourra plus durer très longtemps. L’exercice est en train de changer et va aller dans la direction de la prévention. A la fac, on nous apprend à être des professionnels de santé, pas des vendeurs de boîtes », souligne Selma Metaane, vice-présidente en charge de la santé publique et de la solidarité au sein de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France, qui vient de lancer le label Medic’action pour regrouper et soutenir toutes les initiatives étudiantes en faveur du bon usage du médicament. A moyen terme, les représentants syndicaux partagent son optimisme, mais ils ne comptent ni sur Marisol Touraine ni sur la prochaine négociation conventionnelle pour y parvenir. « La prévention est le parent pauvre du système de santé. Alors quand vous êtes le parent pauvre du parent pauvre, imaginez ce qui reste pour le pharmacien ! », résume Philippe Gaertner. « La convention ne peut être que dans l’accompagnement de ce que la loi autorise. Or, pour le moment, la loi oublie la prévention », poursuit Gilles Bonnefond. L’UNPF a d’ores et déjà la tête en 2017 puisqu’elle a commencé à rencontrer tous les candidats officiels et pressentis pour la prochaine présidentielle. Il s’agit de « présenter le métier de pharmacien, nos missions, nos compétences et faire connaître aux politiques les études qui démontrent notre efficience », explique Eric Myon.

Dans l’intervalle, une première réponse pourrait venir de l’Ordre et de la refonte du code de déontologie attendue au dernier trimestre 2016. Etre investi dans un réseau de prévention du diabète, des addictions ou de toute autre pathologie pourrait être une spécificité mise en avant par les officines pour se singulariser. Autrement dit faire de cet engagement bénévole de santé publique un argument marketing…

TROIS QUESTIONS À… NICOLAS BONNET directeur du Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (Respadd)

« Même la motivation des engagésde la première heure est en train de s’émousser »

Les pharmaciens ont-ils suffisamment conscience du rôle qu’ils peuvent jouer en addictologie ?

Nicolas Bonnet : Nous avons dépassé le cercle des pionniers, militants de la première heure de la lutte contre le VIH, de l’accès aux seringues et aux traitements de la dépendance aux opiacés. De plus en plus d’équipes se forment pour participer aux programmes d’échanges de seringues mais aussi pour accompagner le sevrage tabagique ou repérer les consommations problématiques d’alcool. Mais l’absence de valorisation financière de l’acte pharmaceutique en santé publique est un frein considérable à l’engagement des pharmaciens sur la durée. Même la motivation des engagés de la première heure est en train de s’émousser, la lassitude est perceptible.

Ce n’est pas faute de preuves de l’efficacité de l’engagement des pharmaciens ?

N.B. : Un grand nombre d’études anglo-saxonnes, en Australie, au Royaume-Uni ou encore au Québec valident non seulement leur rôle dans la prévention des addictions mais démontrent surtout qu’il est très rentable de s’appuyer sur les pharmaciens. Mais en France, les décisions fondées sur les preuves en santé publique sont longues à prendre : elles répondent souvent davantage aux pressions et aux positionnements économiques et idéologiques qu’aux arguments rationnels…

Prenons le cas des mésusages de sirops pour la toux. Que peut faire le pharmacien au comptoir ?

N.B. : C’est typiquement l’actualité qui démontre la pertinence de son rôle d’observatoire, par exemple sur les achats réitérés de médicaments codéinés à la sortie du lycée. Face à un mineur, hors prescription médicale, je déconseille de vendre la boîte, surtout si c’est par vague de plusieurs adolescents. Les officinaux me disent souvent « si je ne leur vends pas, ils vont chez mon confrère à côté »… Dont acte. C’est notre responsabilité professionnelle qui est engagée en cas d’accident : si par exemple le jeune prend ces codéinés avec des bières et fait une dépression respiratoire.

PROPOS RECUEILLIS PAR AFSANÉ SABOUHI

REPÈRES

Cespharm, boîte à outils de la prévention

1 A quoi sertle Cespharm?

Le Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française (Cespharm) a pour mission d’impliquer les pharmaciens dans le domaine de la prévention et de l’éducation pour la santé et leur donner les moyens d’intervenir auprès de leurs patients.

2 Quelle est son organisation ?

Commission permanente de l’Ordre des pharmaciens placée sous la tutelle du président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, le Cespharm est composé d’une équipe administrative de 6 personnes et de 40 membres qui représentent l’ensemble des branches professionnelles de la pharmacie (syndicats, URPS-pharmaciens Ile-de-France, étudiants en pharmacie) et les principaux acteurs de la prévention et de l’éducation pour la santé : ministère de la Santé, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), Haute Autorité de santé et Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Le président du Cespharm est désigné pour 3 ans par le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens.

3 Commentest-il financé ?

Le Cespharm est entièrement financé par l’Ordre des pharmaciens, qui vote chaque année un budget à lui allouer. Les cotisations des pharmaciens permettent donc de financer l’ensemble des activités du Cespharm, y compris les salaires de l’équipe administrative, le stockage et l’expédition des documents.

4 Quelles sont ses principales activités ?

– Le Cespharm dispose d’un catalogue de 300 documents (brochures, cartes, dépliants, affiches) sur 40 thèmes, régulièrement actualisé. Ils sont destinés aux pharmaciens ou à être remis au public (carnet AVK, dépliant sur la contraception d’urgence).

– Il relaie une trentaine de campagnes de santé publique chaque année. Les pharmaciens en sont informés via le site Internet et le Journal de l’Ordre.

– Des membres du Cespharm participent à des groupes de travail au sein de différents organismes afin que les pharmaciens soient impliqués dans l’élaboration et la diffusion des messages de santé publique, par exemple le groupe de travail de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) ou celui de l’ANSM sur le suivi des patients sous AVK.

5 Comment utiliser les services du Cespharm ?

– Ils sont proposés gratuitement aux pharmaciens.

– Les actualités et l’agenda des campagnes de santé publique sont en libre accès.

– L’ensemble du catalogue peut être consulté et la plupart des documents téléchargés librement.

– La commande des documents, réservée aux pharmaciens inscrits à l’Ordre, se fait exclusivement en ligne (cespharm.fr). L’expédition s’effectue sous 2 jours en moyenne.

ALEXANDRA BLANC

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