« Ma journée de pharmacien québécois » - Le Moniteur des Pharmacies n° 3124 du 16/04/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3124 du 16/04/2016
 

Temps forts

REPORTAGE

Auteur(s) : Thomas Weil

Chaque année, l’Ordre des pharmaciens du Québec organise une semaine de sensibilisation à la pharmacie. En 2016, elle s’est déroulée du 7 au 13 mars et a mis à l’honneur les nouvelles activités professionnelles du pharmacien. Une occasion toute trouvée pour demander à Thomas Weil, formé en France et exerçant à Montréal depuis 2014, de nous raconter sa journée type de travail.

8 h 50 Arrivée à la pharmacie. Accompagné de mon fidèle café filtre matinal, je découvre les dossiers laissés en suspens la veille. Nous sommes quatre pharmaciens et souvent, des dossiers sont en attente, car ils nécessitent une intervention pharmaceutique. C’est le cas de celui de Mme Desjardins, sortie d’hôpital hier, dont le furosémide n’a pas été represcrit alors qu’elle est insuffisante cardiaque chronique. Je dois joindre rapidement le médecin qui a signé l’ordonnance de sortie d’hôpital en omettant de joindre le bilan comparatif entrée-sortie. Ce bilan, c’est une ordonnance qui reprend la liste des médicaments avant l’hospitalisation, pendant et à la sortie pour vérifier ce qui a été oublié, ajouté ou arrêté volontairement.

9 h On ouvre ! Le flux arrive progressivement en provenance du cabinet médical situé au-dessus de la pharmacie. Le téléphone sonne, avec le traditionnel appel de M. Boivin qui veut s’assurer que nous n’avons pas oublié la livraison de sa dose quotidienne d’hydromorphone. Ce patient est servi à la journée par décision de la pharmacie et avec l’accord du médecin traitant en raison d’antécédents majeurs d’abus d’opiacés. Les demandes de renouvellement s’enchaînent (en face-face, par téléphone et par Internet). Les assistants techniques (ATP) commencent à courir dans tous les sens : Ophélie pour l’accueil des patients, Alex au comptage, Michelle à la caisse, Véronique à la commande quotidienne et Anick au poste de gestion des piluliers. Quant à moi, je suis le chef d’orchestre d’une chaîne de travail dont l’objectif est d’assurer une dispensation efficace.

10 h Ophélie vient me voir avec l’ordonnance de Lisa, âgée de 6 ans. Il s’agit d’un collyre antibiotique prescrit il y a 2 jours en cas de persistance de sa conjonctivite. Sauf qu’il s’agit de gentamycine ophtalmique dont la commercialisation a cessé depuis des années. J’essaie de joindre le prescripteur, mais sa secrétaire m’informe qu’il n’est présent à la clinique que le mardi. Le reste de la semaine, il est à l’hôpital et ne répond pas aux questions concernant les patients vus à la clinique. J’applique donc la Loi 41 qui me permet de substituer la gentamycine par la tobramycine ophtalmique. Depuis juin 2015, le pharmacien peut remplacer un médicament en rupture de stock par un équivalent thérapeutique et pharmacologique. La mère de Lisa repart contente d’avoir obtenu le traitement sans avoir dû consulter de nouveau. J’envoie un fax au médecin afin de lui signifier la substitution thérapeutique.

10 h 30 Les patients donnent leur nom et attendent leur tour dans la salle d’attente pour un conseil (rhume, gastro, vaginite, et autres affections dites « mineures » gérées à l’officine). Ce matin, j’ai le loisir de réaliser une opinion pharmaceutique ; je fais remplacer la prescription de clarithromycine par de l’amoxicilline pour le traitement d’une sinusite en raison d’une interaction avec le ticagrélor pris par le patient. En revanche, j’attends toujours le retour d’appel du médecin de Mme Desjardins concernant son furosémide. Depuis l’ouverture, j’ai servi une soixantaine d’ordonnances et prodigué une dizaine de conseils (une ordonnance correspond à une ligne de prescription au Québec).

11 h 30 Les problèmes s’accumulent. Le Dr Laplante, omnipraticien aux urgences, a prescrit de la moxifloxacine à un patient sous amiodarone afin de traiter une pneumonie. J’ai appelé le service mais on me dit que le médecin est trop occupé pour me répondre par téléphone, et on me demande d’envoyer ma demande par fax avant 15 h (parce que le médecin finit à 15 h 30). Sauf que je n’ai pas eu le temps de rédiger mon fax ! Les paniers de renouvellements et de conseils s’enchaînent.

13 h Ma collègue arrive enfin ! Je lui laisse la chaîne de distribution à l’avant afin de me consacrer aux autres tâches. J’avale mon sandwich en rédigeant mon opinion pour le Dr Laplante. J’ai aussi deux changements de pilulier en attente ; le premier est celui de Mme Desjardins dont le médecin nous a finalement répondu par fax. Il avait bel et bien oublié de represcrire le furosémide. Le second est l’ajustement d’une dose de neuroleptique pour un patient. Le livreur est allé chercher son pilulier hebdomadaire à son domicile le matin, et il faut le renvoyer pour la livraison de 14 heures.

14 h Je prends une pause en regardant le télécopieur, cette machine infernale que j’ai découverte en arrivant au Québec et qui crache 5 à 6 pages par heure : renouvellements d’ordonnances, nouvelles prescriptions, INR de M. Trudeau à 3,3, publicité pour un automate dernier cri… Comment ça 3,3 ? Le patient est stable entre 2 et 3 depuis des mois sous warfarine… Bon, je m’en occuperai après ma consultation santé-voyage : M. Maisonneuve part en voyage en Amérique du Sud pendant deux semaines. Il a rendez-vous à 14 h et nous allons déterminer ses besoins : prophylaxie du paludisme, conseils associés (moustique, soleil, diarrhée du voyageur…). Si besoin, je lui prescrirai la médication nécessaire et je l’orienterai vers notre infirmière, présente une fois par semaine, pour la mise à jour vaccinale (hépatite A notamment).

14 h 30 La consultation est terminée. Je laisse M. Maisonneuve régler à la caisse les honoraires. Moi, c’est mon problème d’INR que je dois régler. J’appelle M. Trudeau et après vérification des causes pouvant expliquer les variations, je comprends que son déséquilibre de l’INR provient de douleurs d’arthrose depuis deux semaines soulagées par la prise de 2-3 g de paracétamol par jour. Nous convenons de réduire progressivement l’antalgique et de contrôler l’INR dans deux semaines afin de s’assurer que tout est rentré dans l’ordre. Et maintenant, c’est parti pour la vérification des piluliers. Nous avons environ 200 patients en pilulier et la production doit être vérifiée régulièrement. Avant de me plonger dedans, je jette un œil à ma collègue à l’avant qui m’indique que tout va bien.

16 h Dernière heure de boulot ! La pharmacie restera ouverte jusqu’à 22 h. Entre-temps, j’ai bien reçu le retour de fax du Dr Laplante qui accepte ma suggestion de remplacer la moxifloxacine par une association amoxicilline-acide clavulanique en absence d’allergie à la pénicilline. Un suivi téléphonique est prévu et noté à l’agenda avec le patient afin de vérifier l’efficacité et la tolérance du traitement.

17 h Les surprises arrivent toujours 15 minutes avant la fin. Tout d’abord, M. Gingras m’apporte une nouvelle ordonnance pour initier la saxagliptine à 5 mg par jour prescrite par l’endocrinologue consulté l’après-midi même. Sauf que le patient souffre d’une insuffisance rénale avec une clairance à 40 ml/min selon les derniers résultats disponibles sur le site Dossier Santé Québec (où médecins et autres professionnels de santé peuvent consulter les résultats de biologie et avoir accès aux renseignements essentiels pour intervenir rapidement). Le médecin n’est plus joignable car il finit à 16 h. Heureusement, la Loi 41, encore elle, me permet d’ajuster la dose. Ainsi, je réduis à 2,5 mg par jour et j’envoie une opinion pharmaceutique pour l’aviser de mon intervention. Ensuite, Mme Laviolette a voulu me parler pendant plusieurs minutes car elle redoute l’ajout d’un nouveau médicament par son médecin généraliste. « Le médecin m’a assuré qu’il n’y aurait pas de problèmes, je préfère vérifier avec vous, car après tout c’est vous le spécialiste du médicament », se rassure-t-elle. Ce que j’aime ici, c’est la diversité de mes activités pharmaceutiques et la reconnaissance de mon statut de professionnel du médicament. De pharmacien, quoi.

Découvrez le blog de Thomas Weil : pharmaciequebec.wordpress.com

LE RÔLE DE L’ASSISTANT TECHNIQUE

L’assistant technique (ATP) aide le pharmacien dans l’aspect technique du métier : recevoir les patients, enregistrer les ordonnances dans le système informatique, préparer les médicaments, gérer les stocks, gérer les assurances, effectuer les préparations magistrales, etc. Contrairement aux préparateurs français, les ATP n’ont pas le droit de valider les ordonnances ou de délivrer des conseils aux patients.

L’ÉQUIVALENCE DE DIPLÔME

Dans le cadre d’arrangements pour la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles (ARM) signés en 2009 pour favoriser la mobilité entre la France et le Québec, le diplôme d’Etat de docteur en pharmacie français est reconnu équivalent au diplôme de pharmacien au Québec. Un diplômé français peut donc y exercer (après avoir réussi un examen d’équivalence et suivi un stage de 600 h), tandis qu’un québécois peut pratiquer en France (suite à un stage de 6 mois en officine). Alternative ? La poursuite d’une formation d’appoint de 17 mois à la faculté de pharmacie de Montréal.

ZOOM SUR LA LOI 41

Entrée en vigueur en juin 2015, elle permet au pharmacien de réaliser de nouveaux actes comme ajuster des doses de médicaments pour des raisons de sécurité (fonction rénale ou effet indésirable), de prescrire pour des pathologies mineures déjà diagnostiquées (rhinite allergique, herpès labial, dermatite atopique…) et de prescrire si aucun diagnostic n’est nécessaire (prophylaxie du paludisme, vitamines de grossesse…). D’autres actes sont possibles comme substituer un médicament en cas de rupture de stock ou prescrire des examens biologiques de surveillance (créatinine, potassium, fonction hépatique par exemple).

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