RÉTROCESSION ENTRE OFFICINES LA FRONDE DES GROUPEMENTS - Le Moniteur des Pharmacies n° 3118 du 05/03/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3118 du 05/03/2016
 

Dossier

Auteur(s) : François Pouzaud

« Trop, c’est trop! » Le 27 février, dans un communiqué, le syndicat des groupements et enseignes Federgy s’en prend à la politique commerciale de certains laboratoires d’OTC, qui, par de meilleures remises, poussent à l’achat groupé et à la rétrocession entre pharmaciens.

Illégale mais pourtant pratiquée de manière régulière, la rétrocession est la plaie des groupements qui mettent aujourd’hui tout en œuvre, notamment au travers de Federgy, pour qu’ils soient enfin reconnus à la fois par les industriels et par les pouvoirs publics comme négociateurs pour les achats du pharmacien.

La vocation originelle de groupement se rapporte aux achats. Pourtant, plus de 25ans après leur apparition, la devise « l’union fait la force », formule fréquemment utilisée par les promoteurs d’une plus grande intégration verticale entre le groupement et les pharmacies adhérentes, est battue en brèche sur les achats. Certains pharmaciens ont beau adhérer à des groupements, ils préfèrent commander entre eux parce qu’ils obtiennent de meilleures remises auprès des laboratoires quand ils achètent à quatre ou cinq plutôt qu’à 100. C’est probablement pour cette raison que le mouvement de concentration annoncé dans le secteur depuis plusieurs années n’a toujours pas eu lieu. Le paysage des groupements reste très éclaté: on dénombre toujours une centaine de réseaux, de taille extrêmement hétérogène en nombre d’adhérents, critères d’adhésion et couverture géographique. On observe même un foisonnement d’initiatives au niveau local, favorisé par l’apparition de structures de regroupement à l’achat (SRA) de type GIE. Ainsi, des pharmaciens s’en donnent à cœur joie en pratiquant régulièrement les jeux interdits de la rétrocession, alors que les centrales d’achat pharmaceutiques (CAP) créées pour acheter de l’OTC par Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, ne fonctionnent pas en raison des conditions discriminatoires appliquées par les laboratoires.

« Nous sommes face à des refus de vente, par une remise à 0 %, ou à des propositions de remise grossiste, soit 14,75 %. Or une CAP ne vend pas à l’unité mais au colisage », explique Christian Grenier, président de Federgy, syndicat de groupements et d’enseignes de pharmacies d’officine*. Les seules CAP qui fonctionnent sont sur un modèle illicite ou sans stock avec des précommandes ou chez le grossiste. Face à ce constat, la bataille est devenue juridique. »

L’enjeu de cette bataille est de taille face à la réorganisation mondiale de l’industrie de la santé et à la concentration des circuits de distribution. Autour de la pharmacie, tout se concentre, y compris les centrales d’achat de la grande distribution. Les groupements et les pharmaciens n’ont pas le choix. « Ils devront trouver des alliances pour peser et rééquilibrer les relations avec l’industrie pharmaceutique », explique Christian Grenier. Sous l’impulsion de Federgy, la situation est en train d’évoluer. Des actions politiques sont menées avec le dépôt de trois amendements au projet de loi Macron 2 discuté au premier trimestre 2016, concernant l’évolution du statut de dépositaire, une nouvelle définition du commerce électronique des médicaments et une modification du champ de compétence matérielle de la SRA et de la CAP (voir encadré ci-contre).

Les membres de Federgy projettent la création d’un GIE de groupements nationaux permettant de mettre en commun des moyens et de massifier les achats, d’un « C6 » (un cercle de réflexion intergroupement entre Optipharm, Evolupharm, Apsara, Népenthès, Giropharm et Pharmodel) pour peser dans les négociations.

L’objectif ? Rééquilibrer les rapports entre les fournisseurs et les pharmaciens pour permettre, notamment aux groupements, de faire bénéficier leurs adhérents de meilleures conditions d’achats sur la parapharmacie et l’automédication, deux activités dont la croissance est essentielle pour l’économie de l’officine. A condition aussi de déléguer ses achats au groupement. Un jeu gagnant/gagnant entre le pharmacien et son groupement, défend Christian Grenier : « En déléguant ses achats, le pharmacien pourra se consacrer totalement à la partie commerciale et professionnelle de son activité. Au contraire, négocier ses achats soi-même ou faire de la rétrocession lui font gagner de la remise mais lui font perdre de la marge et du chiffre d’affaires. » Et un temps précieux. « 19 à 20 % du temps du pharmacien est consacré aux achats », ajoute Alain Grollaud, directeur général d’Optipharm et président de la commission économie de Federgy. Quant à Jean-Christophe Lauzeral, directeur opérationnel de Giropharm, il est encore plus critique sur les rétrocessions, estimant qu’elles retardent l’avènement du pharmacien soignant qui est l’avenir du métier. Toujours au sein de Federgy, Laurence Bouton, directrice générale d’Alphega Pharmacie, estime qu’il y a un travail de conviction à mener auprès des pharmaciens. « Il faut apporter une solution au niveau de la délégation des achats qui réponde aux mêmes besoins que la rétrocession ».

« Les pharmaciens risquent de se brûler les ailes »

Pour Lucien Bennatan, président du groupe PHR, les rétrocessions sont un véritable fléau à tous points de vue. « Elles sont illégales, grèvent les trésoreries des officines, font perdre la traçabilité des produits et font courir d’autres dangers quand elles alimentent le marché des importations parallèles. Faire de la rétrocession, c’est jouer avec le feu et comme Icare, les pharmaciens risquent de se brûler les ailes. » Alors que des crises sanitaires couvent toujours, Jean-Christophe Lauzeral regrette que les laboratoires, qui sont responsables des plans de retrait d’urgence, ne soient pas plus regardants sur la destination de leurs boîtes.

De son côté, Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO)**, va plus loin. « La rétrocession est une solution dégradée d’approvisionnement qui ne sert l’intérêt de personne, ni des laboratoires, ni des groupements, ni des pharmaciens. » S’il réprouve les pratiques des laboratoires, il comprend aussi leur point de vue. « Pour un fournisseur, passer par un groupement et lui donner plus de remises n’a d’intérêt que si ce dernier lui permet d’avoir une part de marché supérieure au sein de son réseau à celle qu’il détient au niveau national. Tout le monde réclame la mise en place d’une relation gagnant/gagnant mais force est de constater qu’il y a encore beaucoup d’hypocrisie de la part de certains groupements plus préoccupés par leurs remises de fin d’année. »

Aujourd’hui, la rétrocession ne se limite plus à des petits arrangements entre confrères. Alain Grollaud stigmatise pour sa part les abus des ventes parallèles au profit du site internet shop-pharmacie.fr géré par une société hollandaise. « Les boîtes de médicaments vendues sur ce site ont des notices françaises, leurs fournisseurs ne peuvent donc être que les laboratoires ou des officinaux se livrant à la rétrocession hors de nos frontières. » Et d’ajouter : « A vouloir jouer aux grossistes, il ne serait pas totalement absurde d’ouvrir le capital des officines et d’autoriser les répartiteurs à jouer le rôle des pharmaciens et à vendre au détail. »

Selon lui, les rétrocessions font courir un double risque. « Si les prix en OTC et parapharmacie continuent à varier dans un rapport de 1 à 3 entre les officines, il faut s’attendre à des brèches dans notre monopole. Par ailleurs, l’absence de la publication du nouvel arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique fait le jeu des sites Internet illégaux situés à l’étranger, des marchés parallèles et des contrefaçons. »

Porter le contentieux devant les tribunaux divise

En ne respectant pas les règles commerciales définies par la loi et en refusant de travailler avec des groupements structurés, les laboratoires ont favorisé les rétrocessions. « Ce sont les commerciaux eux-mêmes qui l’organisent sur le terrain », souligne Alain Bertheuil, président du groupe Astera.

Face à ce type de dérives, Lucien Bennatan demande à chacun, à l’Ordre (section B), au syndicat de l’industrie pharmaceutique (Leem) et à l’Afipa (association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable) de prendre leurs responsabilités et de faire appliquer les divs. Un coup de semonce qui, s’il devait rester infructueux, justifierait, selon lui, de porter le contentieux devant les tribunaux pour faire plier les laboratoires récalcitrants. Un point de vue qui divise les membres de Federgy. Alain Grollaud estime aussi qu’il est urgent d’agir plus durement. En 1991, Optipharm avait attaqué en justice Vichy, mettant en cause ses contrats de distribution sélective sur Cosmétique active et, en 2006, Mc Neil pour ses conditions générales de vente et avait à chaque fois obtenu gain de cause. Jean-Pierre Dosdat, vice-président de Federgy et président d’Objectif Pharma, pense qu’il ne sera pas nécessaire d’en arriver à cette extrémité. « Si tout le monde se montre intelligent, le conflit devrait pouvoir se résoudre à l’amiable. »

Plus raisonnables que d’autres, certains laboratoires montrent l’exemple à suivre pour tuer les rétrocessions. « Ils proportionnent leurs conditions commerciales aux volumes fournis, réduisent l’élasticité des grilles de remises et s’intéressent aux capacités de sell-out des points de vente pharmacie », signale Jean-Christophe Lauzeral.

Alain Bertheuil souhaite éviter les manœuvres inefficaces et dilatoires, c’est pourquoi il n’est pas favorable à un règlement par voie judiciaire. Comme Federgy, il prône le regroupement de groupements ayant une vision commune de l’avenir sous une structure d’achat commune. « Il faut limiter le nombre d’interlocuteurs auprès des fournisseurs, quatre structures d’achats pour l’ensemble des groupements suffiraient, ensuite chacun gérerait comme il l’entend son réseau, sa politique de prix, ses animations… »

Autre pomme de discorde : Lucien Bennatan n’est pas favorable à l’amendement visant à élargir le champ d’action des dépositaires aux CAP, estimant qu’il fait le jeu des laboratoires qui ne souhaitent qu’une chose: vendre directement au patient, comme cela se fait déjà dans d’autres pays. « Les dépositaires sont exsangues car de moins en moins de flux transitent par le direct, les joindre aux CAP permettrait aux uns et aux autres de retrouver un peu d’oxygène mais cette union fait courir le risque d’une verticalisation des ventes, après celle des achats, au travers de réseaux avec des assureurs privés », explique-t-il.

Le président de PHR s’en prend également aux fabricants de logiciels de gestion officinale et aux fonctionnalités d’achat qui soi-disant permettent de visualiser pour un produit à commander, l’ensemble des conditions commerciales (prix d’achat, remises, marges, unités gratuites et délais de livraison) des différents fournisseurs potentiels et ainsi de choisir le meilleur circuit de réapprovisionnement. « En réalité, les éditeurs de LGO développent une stratégie “push” sur les catalogues des laboratoires et font tout pour bloquer la puissance d’achat des groupements en faisant abstraction de leurs meilleures offres commerciales qu’ils ont négociées au niveau de la CAP ou du catalogue du short liner. Ils se rendent ainsi complices de l’industrie pharmaceutique. »

Imposer une discipline d’achats pour décrocher de meilleures remises

Après les déclarations d’intentions d’Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre national des pharmaciens, appelant de ses vœux une plus grande efficience des CAP et des SRA, Federgy attend maintenant des actes. Mais son message sera-t-il entendu au sein même de cette institution ? « Nous avons adressé plusieurs courriers au nouveau président de la section B, mais à ce jour, nous n’avons obtenu aucune réponse », signale Alain Grollaud. Il n’a pas non plus souhaité répondre aux questions du Moniteur.

Outre la loi Macron 2, les regards de ce syndicat sont également tournés vers l’Autorité de la concurrence et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui doivent rendre respectivement les conclusions de leur enquête.

Pour Serge Carrier, directeur général de Pharmactiv, la solution viendra de l’économie et du terrain. « Notre centrale d’achats fonctionne et obtient les conditions de remises du direct car elle fait un référencement sélectif et pousse les produits en sell-out auprès des adhérents pour faire gagner des parts de marché aux laboratoires référencés, explique-t-il. Parallèlement, leur réseau de délégués pharmaceutiques coûte cher, ils ne pourront pas indéfiniment financer des gens à faire signer des bons de commandes aux pharmaciens, leurs forces de vente vont devoir muter pour se consacrer uniquement à la mise en avant des produits, à la formation des équipes officinales au conseil, au merchandising. »

Alexis Berreby, cofondateur de Leader Santé, estime également avoir trouvé la recette gagnante: référencement imposé à l’adhérent, devoirs d’acceptation sur 50 % des promotions annuelles, partenariats exclusifs, quantités en push avec l’ensemble du réseau… « Nous avons une taille de réseau, soit 180 pharmacies, et une fédération des adhérents qui permettent aux laboratoires de faire de la croissance. »

Même souci chez Alphega Pharmacie d’inculquer une discipline interne d’achat pour décrocher de meilleures remises et référencer des produits différenciants. « Nous demandons à nos adhérents de s’engager contractuellement, explique Laurence Bouton. Nous avons ensuite des approches prix sur nos marques à travers les flux passés dans le groupe (via Alliance Healthcare, DirectLog et Alcura). A cela s’ajoute le partage de bonnes pratiques avec l’aide des pharmaciens relais, convaincus de l’intérêt des achats négociés. C’est un package complet de travail de compliance. » Les laboratoires doivent aussi faire des efforts au niveau de leur politique commerciale. « Pour atteindre les paliers maximums de remises sur leurs produits leaders, les pharmaciens sont contraints d’acheter leurs rossignols », déplore Alain Bertheuil qui considère qu’avoir trop de références à vendre est destructeur du sell-out, alors qu’au contraire, celui-ci serait plus efficient s’il se concentrait sur un nombre réduit de produits.

* 15 groupements et enseignes dont Alphega Pharmacie, Evolupharm, Giphar, Giropharm, Népenthès, Objectif Pharma, Optipharm, PHR, Plus Pharmacie.

** 16 groupements et enseignes, dont Univers Pharmacie, Directlabo, Lafayette, Pharmavance, Association des grandes pharmacies de France.

Trois propositions de Federgy

• Ouvrir la liste de donneurs d’ordre du dépositaire à la centrale d’achat pharmaceutique (CAP), afin de mutualiser des achats restant en dehors du champ de compétence de la CAP et défavoriser les achats en direct.

• Mutualiser le fonctionnement des sites Internet des pharmacies. La CAP pourrait jouer un rôle dans le commerce électronique de médicaments.

• Etendre l’activité des CAP et structures de regroupement à l’achat (SRA) aux médicaments remboursables de prescription médicale facultative. Le champ de compétence matérielle de la SRA et de la CAP est limité aux médicaments non remboursables, ce qui ne permet pas d’être suffisamment compétitif.

Qu’entend-on par délégation aux achats?

« Elle n’est pas totale, dans une première étape, l’objectif est de contractualiser avec des adhérents pour pousser les flux d’un produit en particulier, explique Jean-Pierre Dosdat. Les quantités sont définies en fonction de plusieurs critères tels que la capacité de vente de la pharmacie, le seuil de visibilité que l’on souhaite donner au produit et de la part de marché à laquelle on veut le hisser. » Il n’y a pas de délégation sans contrôle. « Le pharmacien ne fait que confier la négociation des marchés à son groupement mais conserve la maîtrise des approvisionnements », précise Alain Grollaud. entreprise

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