LES ANTICANCÉREUX - Le Moniteur des Pharmacies n° 3115 du 13/02/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3115 du 13/02/2016
 

Cahiers Formation du Moniteur

Iatrogénie

CAS N° 1 - INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES

Mme P. a l’estomac fragile

Mme P. est suivie pour un cancer bronchique non à petites cellules. Une première ligne de traitement par carboplatine et paclitaxel n’ayant pas permis une rémission, elle débute un traitement par Tarceva (erlotinib) 150 mg 1 cp/j. Elle vient à la pharmacie pour un conseil : « Je dois prendre mon traitement 1 heure avant de manger, mais ça me fait mal à l’estomac. Une amie m’a dit que Mopralpro peut me soulager. Je voudrais votre avis. »

Que répondre à Mme P. ?

Mopralpro (oméprazole) est un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) susceptible de diminuer l’efficacité du traitement de Mme P.

ANALYSE DU CAS

• L’erlotinib est un inhibiteur de tyrosine-kinase (ITK).

• La prise de l’erlotinib pendant un repas peut induire une augmentation de l’exposition. L’administration de Tarceva est donc recommandée au moins 1 heure avant ou 2 heures après un repas.

• La solubilisation dans l’estomac de certains ITK (erlotinib, géfitinib, dasatinib, bosutinib…) est très dépendante des variations du pH gastrique.

• Des études montrent une diminution de plus de 40  % de l’absorption de l’erlotinib en présence d’IPP. Leur association est donc à éviter.

• L’administration d’anti-H2 et d’antiacides risque également de diminuer la biodisponibilité de l’erlotinib, mais leur durée d’action étant plus courte, une administration espacée est possible. L’erlotinib doit être pris au moins 2 heures avant ou 10 heures après un anti-H2. Si nécessaire, les antiacides topiques (sels d’aluminium…) peuvent être utilisés à condition de les prendre 4 heures avant ou 2 heures après la dose d’erlotinib.

• Pour soulager Mme P., une adaptation posologique de Tarceva pourrait être envisagée.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien indique à Mme P. que Mopralpro n’est pas recommandé avec son nouveau traitement. Il l’incite à contacter son oncologue pour explorer les causes de ses douleurs et lui proposer une solution adaptée.

CAS N° 2 - INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES

Une baisse de moral

Mme X. est traitée par tamoxifène 20 mg/j depuis 4 mois pour un cancer du sein. Depuis plusieurs semaines, elle se sent déprimée et ne quitte plus son lit que pour les repas. Son mari, inquiet, a insisté pour qu’elle consulte un médecin. Il vient ce matin à la pharmacie avec l’ordonnance de sa femme : paroxétine 20 mg (Deroxat) 1 comprimé par jour pendant 1 mois. Le pharmacien fronce les sourcils.

Qu’est-ce qui inquiète le pharmacien ?

La paroxétine est déconseillée pour Mme X. car elle risque de diminuer l’activité du tamoxifène.

ANALYSE DU CAS

• 10 à 20  % des patients atteints de cancer souffrent d’un syndrome dépressif. La prise en charge de cette dépression est essentielle car elle expose les patients à un haut risque d’arrêt des traitements.

• Certains antidépresseurs inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (ISRS), comme la paroxétine ou la fluoxétine, sont des inhibiteurs puissants du cytochrome P450 2D6 (CYP2D6). Or, le tamoxifène est métabolisé par le CYP2D6 en un métabolite actif, l’endoxifène, à activité antiestrogène puissante.

• L’association de tamoxifène à un inhibiteur du CYP2D6 réduit la concentration plasmatique d’endoxifène de 65 à 75  %. Une diminution de l’efficacité du traitement est donc à craindre.

• La coadministration de tamoxifène et de paroxétine est déconseillée.

ATTITUDE À ADOPTER

• Avec l’accord de M. X., le pharmacien appelle le médecin pour savoir s’il a connaissance du traitement par tamoxifène de la patiente et pour lui indiquer l’interaction avec l’antidépresseur prescrit.

• Le pharmacien propose au médecin de remplacer la paroxétine par la venlafaxine (Effexor) 75 mg/j, faiblement inhibiteur du CYP2D6.

CAS N° 3 - INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES

Adepte de la médecine douce

M. Y. est traité pour une leucémie myéloïde chronique par nilotinib (Tasigna) 300 mg deux fois par jour. Depuis le début de sa maladie, il est très attentif à limiter les risques d’infection. Sa voisine lui a donné des conseils pour renforcer son immunité. Ce matin, il demande à Jeanne, la préparatrice, des ampoules de gelée royale, des gélules d’Echinacea et un tube de Vaccinotoxinum 15 CH. Jeanne s’interroge.

Qu’est-ce qui alerte la préparatrice ?

L’échinacée est un inducteur enzymatique.

ANALYSE DU CAS

• L’échinacée (Echinacea purpurea) est une plante médicinale traditionnellement utilisée pour stimuler les défenses immunitaires et prévenir les infections hivernales. Elle a une activité inductrice du cytochrome P450 3A4 (CYP3A4).

• Or le nilotinib est métabolisé par ce cytochrome. L’utilisation de nilotinib avec un inducteur du CYP3A4 peut donc réduire la concentration plasmatique de l’anticancéreux.

• Par ailleurs, compte tenu des effets revendiqués de stimulation du système immunitaire, l’utilisation d’échinacée fait l’objet d’une précaution d’emploi en cas de pathologies auto-immunes, d’immunodéficiences et de pathologies hématologiques.

• L’utilisation d’échinacée semble donc inadaptée pour M. Y.

CONDUITE À TENIR

• Jeanne indique à M. Y. que les produits dits « naturels » ne sont pas exempts de toxicité et peuvent interagir avec ses médicaments. Elle l’alerte également sur le millepertuis et le jus de pamplemousse qui pourraient déstabiliser son traitement.

• Pour éviter une infection, elle rappelle des mesures simples : se laver les mains, éviter les endroits très fréquentés et confinés, porter un masque…

• L’homéopathie et la gelée royale, sans véritable contre-indication, peuvent être utilisées en complément des autres mesures.

CAS 4 - PROFIL PARTICULIER

Mme F. refume

Mme F., 68 ans, ancienne fumeuse, est traitée pour un cancer du poumon non à petites cellules métastatique par erlotinib (Tarceva) 150 mg/j depuis 3 mois. Elle vient à la pharmacie pour renouveler son ordonnance. En cherchant sa carte Vitale, elle sort de son sac à main un paquet de cigarettes. Elle se justifie : « Je suis très angoissée en ce moment et j’ai repris la cigarette il y a 5 jours. Mais je vais arrêter… » Alice, la pharmacienne adjointe, réagit.

Qu’est-ce qui alerte Alice ?

• En dehors des conséquences néfastes pour la santé de Mme F., la consommation de tabac diminue l’efficacité de l’erlotinib.

ANALYSE DU CAS

• Les substances présentes dans les cigarettes sont actives sur les cytochromes P450 (CYP) et, notamment, elles sont inductrices du CYP1A2.

• Or, l’erlotinib est métabolisé par le CYP1A2. Les études ont montré que fumer diminue les concentrations sanguines d’erlotinib de 50 à 60 %. Aussi, les fumeurs sont fortement encouragés à arrêter de fumer avant de débuter leur traitement. La poursuite du tabagisme impose une augmentation de la dose d’erlotinib (la dose maximale tolérée est de 300 mg/j).

• Après l’arrêt du tabac, la récupération d’une fonction normale des cytochromes est courte. La posologie de l’erlotinib doit donc être précisément ajustée au cours du sevrage.

• Si nécessaire, l’utilisation de substituts nicotiniques, ne présentant pas d’interaction avec le traitement, est possible.

ATTITUDE À ADOPTER

• La pharmacienne explique à Mme F. que son tabagisme nuit à l’efficacité de son traitement et l’incite à appeler son oncologue.

• Elle lui propose d’accompagner Mme F. au cours de son sevrage, si elle le souhaite, et dans un premier temps d’évaluer sa motivation.

CAS 5 - EFFETS INDÉSIRABLES

« Ça bat dans ma tête »

Des métastases pulmonaires et ganglionnaires d’un cancer du rein ont été découvertes chez M. P., 55 ans. Depuis 2 semaines, il a débuté un traitement par sunitinib (Sutent) 50 mg/j pendant 4 semaines suivi d’un arrêt de 2 semaines. Ce matin, il se présente à la pharmacie : « J’ai mal à la tête depuis quelques heures. C’est comme si mon cœur battait dans ma tête. Qu’est-ce que je peux prendre ? » Le pharmacien, qui connaît bien M. P., s’interroge.

Quel problème est suspecté ?

Le pharmacien suspecte une hypertension artérielle iatrogène.

ANALYSE DU CAS

• Le sunitinib est un inhibiteur de tyrosine-kinase (ITK) non spécifique. Il présente notamment des effets inhibiteurs des récepteurs du facteur de croissance endothélial vasculaire (anti-VEGFR). Comme tous les médicaments à effet antiangiogénique, il peut provoquer une augmentation de la pression artérielle parfois sévère. Cet effet indésirable très fréquent (plus de 10  % des patients) survient en général au bout de 15 jours de traitement.

• Les signes d’alerte sont des céphalées pulsatiles et une épistaxis, éventuellement des vertiges et des acouphènes.

• L’hypertension est un facteur de risque majorant la toxicité cardiovasculaire des ITK. Elle doit donc être dépistée et traitée.

• Le médecin a demandé à M.P. un suivi de sa pression artérielle par automesure.

ATTITUDE À ADOPTER

• Après discussion, il s’avère que M. P n’a pas compris l’utilité du suivi de sa pression artérielle.

• Le pharmacien lui propose de la mesurer. Le tensiomètre indique une valeur de 160/100 mmHg (soit une hypertension modérée). Le pharmacien note le résultat sur un carnet de suivi et incite M. P. a appeler son médecin traitant.

CAS 6 - EFFETS INDÉSIRABLES

Colette a mal au mollet

Colette, âgée de 45 ans, est une habituée de la pharmacie. Elle est traitée pour un cancer du sein par tamoxifène depuis 3 mois. Ce matin, elle vient demander conseil : « Je ne sais pas comment ça se fait mais j’ai très mal au mollet droit depuis quelques heures et je ne me sens pas très bien. » La pharmacienne s’en alerte.

Qu’est-ce qui inquiète la pharmacienne ?

Les signes évoqués sont ceux d’une thrombose veineuse profonde (TVP).

ANALYSE DU CAS

• Le risque de développer une maladie thromboembolique veineuse est en moyenne multiplié par 4 chez le patient atteint de cancer et par 7 s’il est sous chimiothérapie.

• En outre, le tamoxifène est un antiestrogène qui augmente le risque de survenue de TVP et d’embolie pulmonaire.

• Colette présente des signes caractéristiques d’une TVP : douleur spontanée le plus souvent dans un membre inférieur, œdème, élévation de la température cutanée locale et fièvre modérée.

• La prise en charge d’une TVP chez un patient atteint de cancer repose sur l’utilisation d’héparines de bas poids moléculaire (HBPM) au long cours, ces molécules ayant prouvé leur supériorité par rapport aux autres anticoagulants chez le patient atteint d’un cancer : tinzaparine (Innohep) 175 UI/kg/j ou daltéparine sodique (Fragmine) 200 UI/kg/j pendant 1 mois puis 150 UI/kg/j. Le traitement est maintenu tant que la pathologie cancéreuse est considérée active ou tant que le patient est traité par une thérapie thrombogène, plus une période de 6 mois. Une compression veineuse peut être associée.

ATTITUDE À ADOPTER

• La pharmacienne indique à Colette qu’il s’agit peut-être d’un effet indésirable grave.

• Elle appelle le médecin traitant et lui décrit les signes cliniques de sa patiente. Un rendez-vous en urgence est pris.

CAS 7 - EFFETS INDÉSIRABLES

Des yeux qui démangent et larmoient

M. D., patient de 78 ans, est traité depuis quelques semaines par erlotinib (Tarceva) pour un cancer bronchique non à petites cellules à un stade métastatique. Six semaines après le début de son traitement par erlotinib il vient à l’officine chercher un collyre car depuis quelques jours ses yeux le démangent et larmoient. La pharmacienne, inquiète, incite plutôt M. D. à prendre contact avec un ophtalmologue.

Est-ce la bonne décision ?

Oui, l’erlotinib peut provoquer des effets indésirables oculaires gênants et parfois graves. Ils doivent être pris en charge par un spécialiste.

ANALYSE DU CAS

• L’erlotinib, comme tous les inhibiteurs de tyrosine-kinase anti-EGFR, est responsable d’effets indésirables de la sphère ophtalmique, notamment conjonctivite, blépharite (inflammation des paupières) et kératite (inflammation de la cornée).

• Le délai d’apparition de ces affections varie de quelques semaines à quelques mois. Elles nécessitent un avis médical spécialisé pour une prise en charge rapide afin d’éviter toute complication.

• Toute sensibilité à la lumière, vision floue, larmoiement ou douleurs ou inflammation oculaires chez un patient sous erlotinib doit alerter. Le port de lentilles, facteur de risque de kératite et d’ulcération, est déconseillé.

ATTITUDE À ADOPTER

• La pharmacienne informe M. D. sur les effets oculaires de son traitement et sur la nécessité de consulter sans tarder un ophtalmologue.

• En attendant le rendez-vous, elle lui conseille un lavage oculopalpébral (borax/acide borique) et des substituts lacrymaux type solution saline et polymères de vinyle (povidone, alcool polyvinylique) pour pallier la sécheresse oculaire.

CAS 8 - EFFETS INDÉSIRABLES

Une « acné » mal vécue

Xavier B., jeune retraité, a depuis toujours une vie sociale très active. Il est traité depuis 1 mois pour un cancer bronchique par géfitinib (Iressa). Alors que Gaspard, l’étudiant en pharmacie, renouvelle son ordonnance, M. B se plaint des boutons qui sont apparus sur son visage : « Je n’ai plus l’âge d’avoir de l’acné. » Il n’ose plus sortir de chez lui et broie du noir. Il avoue qu’il hésite à interrompre son traitement.

Que dire à M. B. ?

L’éruption cutanée certainement due au géfitinib peut être atténuée.

ANALYSE DU CAS

• Le géfitinib appartient à la classe des inhibiteurs de tyrosines-kinases. Il cible des récepteurs du facteur de croissance épidermique (EGFR).

• Le principal effet indésirable des molécules de cette classe est une toxicité cutanée, fréquente. Elle peut prendre différents degrés de gravité (éruptions cutanées, lésions bulleuses…).

• En cas de dermatite acnéiforme, la prise en charge repose sur une adaptation de la posologie du géfitinib ou sur la prescription d’une cycline per os. Une prise en charge précoce permet d’éviter une infection des lésions cutanées et une meilleure efficacité du traitement.

ATTITUDE À ADOPTER

• Gaspard oriente M. B. vers son oncologue afin d’assurer la prise en charge de cette éruption cutanée, a priori bénigne mais socialement handicapante.

• Dans l’attente, Gaspard conseille à M. B d’utiliser un syndet pour laver son visage et d’appliquer un soin cutané hydratant et réparateur pour atténuer les symptômes.

• Il lui rappelle qu’il ne doit jamais arrêter son traitement anticancéreux sans avis médical.

CAS 9 - EFFETS INDÉSIRABLES

Des aphtes douloureux

Christiane B., 65 ans, est suivie depuis 10 ans pour un cancer du sein. Il y a 2 ans, des métastases osseuses ont été traitées par létrozole (Fémara) et bisphosphonates. Récemment, sa maladie a encore évolué. L’oncologue a prescrit de l’évérolimus (Afinitor) 10 mg/j et de l’exémestane (Aromasine) 25 mg/j. Au 2e mois de traitement, elle vient renouveler son ordonnance et demande un produit contre les aphtes car elle a des douleurs qui la gênent pour parler.

Que dire à Mme B. ?

La mucite est l’un des effets indésirables les plus fréquemment observés avec l’évérolimus, nécessitant une prise en charge spécifique.

ANALYSE DU CAS

•La mucite buccale ou stomatite est une inflammation de la muqueuse de la bouche induite par les chimiothérapies ou la radiothérapie. Elle se manifeste par l’apparition d’ulcérations douloureuses et invalidantes.

• L’évérolimus est un inhibiteur de mTOR, une protéine-kinase dont l’activité est dérégulée dans de nombreux cancers, aux propriétés antilymphocytaires et antiangiogéniques.

• Les stomatites sont un effet indésirable commun à la classe des inhibiteurs de mTOR. Ces troubles apparaissent le plus souvent dans les 2 semaines qui suivent le début du traitement mais peuvent survenir jusqu’à 6 semaines après. Elles débutent par un érythème évoluant en ulcérations douloureuses. Les stomatites surviennent chez près de 60  % des patients traités par évérolimus.

• La mucite doit être prise en charge précocement car elle expose à un risque de surinfection, notamment en cas de neutropénie qui peut être induite par l’évérolimus ; elle peut aggraver une dénutrition, l’anorexie étant un effet indésirable de l’évérolimus ; enfin, elle présente un impact psychosocial majeur, en raison de son caractère algique et de l’impact sur l’élocution.

• Le traitement repose principalement sur la réalisation de bain de bouche au bicarbonate de sodium 1,4  % sans adjonction d’autre produit, à prendre dès le début du traitement et à réaliser aussi souvent que possible (voir encadré ci-dessous). Une adaptation de la posologie de l’évérolimus peut également être envisagée.

ATTITUDE À ADOPTER :

• Le pharmacien incite Mme B. à consulter son médecin traitant pour évaluer le grade de la mucite et prescrire un traitement.

• Il rappelle également quelques conseils sur l’hygiène buccodentaire et diététiques qui peuvent permettre de soulager Mme B. et de prévenir une dénutrition.

PHARMACOLOGIE

LES DIFFÉRENTS TYPES DE CHIMIOTHÉRAPIES ORALES*

Les cytotoxiques

Les molécules cytotoxiques ne sont pas spécifiques des cellules cancéreuses. Elles bloquent les divisions cellulaires en :

- interagissant directement sur la structure de l’ADN (agents alkylants et agents intercalants),

- inhibant la synthèse de l’ADN (antimétabolites - antifoliques, antipuriques et antipyrimidiques - et inhibiteurs de topo-isomérases).

- interagissant avec le fuseau mitotique (vinca-alcaloïdes).

Les thérapies ciblées

Elles agissent sur certains mécanismes spécifiques de la cellule cancéreuse. Les médicaments disponibles en officine inhibent des protéines-kinases, récepteurs à activité enzymatique situés à la surface de la membrane cellulaires (tyrosines-kinases) ou dans leur cytoplasme (sérines-thréonines-kinases). L’activation de ces récepteurs, surexprimés dans certains cancers, est à l’origine des divisions cellulaires. Les inhibiteurs de protéines-kinases perturbent donc la transmission des signaux enclenchant ou régulant les divisions.

Les antimétabolites empêchent la synthèse de l’ADN, soit par inhibition de réactions enzymatiques (antifoliques inhibant la dihydrofolate-réductase) soit par incorporation d’acides nucléiques frauduleux (antipuriques ou antipyrimidiques qui sont des analogues structuraux des bases).

Les agents alkylants sont capables de substituer un proton de l’ADN, par un radical alkyl, ce qui est à l’origine de pontages intra- et intercaténaires, déformant et cassant l’ADN.

Les agents intercalants sont des dérivés d’antibiotiques, capables de se « glisser » entre deux paires de bases contiguës de l’ADN, provoquant une déspiralisation de celui-ci, et empêchant la réplication et la transcription.

Les inhibiteurs de topo-isomérases inhibent les enzymes qui stabilisent la structure tridimensionnelle hélicoïdale de l’ADN, ce qui empêche les opérations de réplication et transcription.

Les vinca-alcaloïdes, poisons du fuseau, empêchent la polymérisation de la tubuline et l’élaboration du fuseau mitotique, bloquant ainsi les divisions en méatphase.

Les inhibiteurs de protéines-kinases inhibent plus ou moins sélectivement des récepteurs à activité enzymatiques (tyrosines-kinases ou sérines-thréonines-kinases) perturbant des voies de signalisation de division cellulaire.

TOXICITÉ DE LA CHIMIOTHÉRAPIE

Les cytotoxiques affectent toutes les cellules à division rapide (tissu hématopoïétique, muqueuse digestive, phanères et gonades), induisant de nombreux effets indésirables. Par ailleurs, l’arrivée des thérapies ciblées a vu apparaître des effets indésirables jusqu’alors peu courants en cancérologie, comme l’hypertension artérielle.

Toxicité hématologique

Leucopénie : La neutropénie chimio-induite (polynucléaires inférieurs à 1 G/l) expose à un risque de complications infectieuses.

Thrombopénie : Elle se traduit par un purpura, des saignements externes (épistaxis, gingivorragies) ou internes (saignements digestifs, hématuries). Elle est menaçante lorsque le taux de plaquettes est inférieur à 25 G/l. Elle est fréquente principalement avec la gemcitabine et la capécitabine. Elle peut nécessiter la transfusion de culots plaquettaires.

Anémie : Elle se traduit par une dyspnée, une pâleur, une hypotension, une asthénie. Elle se traite par érythropoïétines. Elle peut être sévère dans certains cas, avec une concentration en hémoglobine inférieure à 7 g/dl, et nécessiter une transfusion.

Toxicité digestive

Nausées et vomissements : Concernant 80  % des patients, les nausées et vomissements chimio-induits (NVCI) peuvent être de 3 types :

anticipatoires : liés à l’anxiété, ils apparaissent dans les 24 heures précédant l’administration de la chimiothérapie. Les NVCI anticipatoires sont prévenus par la prise de benzodiazépines ;

aigus, se produisant dans les 24 heures suivant l’administration de la chimiothérapie,

retardés, survenant dans les jours suivant l’administration de la chimiothérapie.

Les NVCI aigus et retardés peuvent être prévenus par l’administration d’antiémétiques (antagonistes des récepteurs 5HT3 ou sétrons, des récepteurs dopaminergiques et des récepteurs NK1) éventuellement associés à des corticoïdes.

Troubles du transit :

Les diarrhées, marquées sous lapatinib en particulier, sont dues à une irritation de la muqueuse intestinale et à une stimulation du péristaltisme par les cytotoxiques, ou à une infection (favorisée par une immunodépression). Elles peuvent être sévères et mener à une déshydratation et à une hypokaliémie. Elles nécessitent dans certains cas la prise de lopéramide.

La constipation, plus rare, est liée à une neurotoxicité périphérique induite par les vinca-alcaloïdes. Elle peut être majorée par les morphiniques et/ou les sétrons.

Dysgueusie : Certains anticancéreux peuvent induire des troubles gustatifs parfois liés à une hyposialie, associés ou non à des troubles olfactifs. Ces troubles, perturbant l’appétit, sont des facteurs de dénutrition.

Toxicité cutanéomuqueuse et des phanères

Alopécie : La perte des cheveux et des poils (dont cils et sourcils), qui débute 2 à 3 semaines après le début de la chimiothérapie, est due à une destruction des cellules des bulbes pileux par les cytotoxiques. Particulièrement fréquente avec le cyclophosphamide et les anthracyclines, c’est l’un des effets indésirables les plus redoutés des patients. Elle est cependant réversible en quelques semaines à quelques mois après l’arrêt du traitement.

Mucite : Il s’agit d’une inflammation des muqueuses, buccales en particulier, débutant par un érythème et évoluant en ulcérations à l’emporte-pièce. Elle constitue une complication fréquente et douloureuse de la chimiothérapie (évérolimus, agents alkylants, méthotrexate et vinca-alcaloïdes notamment), responsable de dénutrition et de surinfections.

Syndrome main-pied : Il se caractérise par des douleurs associées à un érythème, qui peut évoluer vers la formation de crevasses et une desquamation (voir encadré page 8). Il est fréquent avec la capécitabine (50  % des patients), le sorafénib et le sunitinib.

Atteintes unguéales : Il s’agit de sillons transversaux (lignes de Beau) ou de décollement de l’ongle avec les anthracyclines, le cyclophosphamide, la capécitabine. Les inhibiteurs de tyrosines-kinases agissant sur l’angiogenèse (sorafénib, sunitinib), sont responsables d’hématomes sous-unguéaux. L’erlotinib, le géfitinib, le lapatinib, qui inhibent les récepteurs EGFR (epidermal growth factor receptor), peuvent induire des inflammations des replis de l’ongle, douloureuses et invalidantes. En prévention, couper les ongles au carré, appliquer deux couches de vernis au silicium puis deux couches de vernis foncé non nacré (à retirer avant les consultations avec un dissolvant doux sans acétone).

Autres

- Réactions d’hypersensibilité cutanée plus ou moins sévères, avec les agents alkylants entre autres.

- Retard de cicatrisation des plaies sous inhibiteurs de tyrosines-kinases interagissant avec l’angiogenèse.

- Sécheresse cutanéomuqueuse nécessitant l’utilisation de produits hydratants et baumes émollients, de gels et sprays buccaux (Artisial, Bioxtra, Buccagel) et de sialagogues (Sulfarlem, Salagen).

- Réactions acnéiformes avec les inhibiteurs de tyrosines-kinases anti-EGFR. -Photosensibilisation, notamment avec la capécitabine, le méthotrexate, le tégafur/uracile, les anthracyclines, certains vinca-alcaloïdes, et certains inhibiteurs de tyrosines-kinases.

- Atteintes oculaires : sécheresse oculaire avec gêne, sensation de grains de sable voire de brûlures, éventuellement associée à une photophobie sous inhibiteurs de tyrosines-kinases, en particulier avec l’erlotinib qui peut être à l’origine de conjonctivite et de kératite. Ces effets indésirables peuvent être limités par l’utilisation de substituts lacrymaux dès l’initiation du traitement et le port de lunettes de soleil pour sortir. Déconseiller le port de lentilles.

Toxicités organiques spécifiques

Toxicité cardiovasculaire :

- Risque de troubles du rythme cardiaque et d’insuffisance cardiaque avec les anthracyclines, dont la cardiotoxicité peut être prévenue par la prise de dexrazoxane (Cardioxane, à l’hôpital).

- Possible allongement de l’espace QT, notamment avec le dasatinib, le sunitinib et le vandétanib.

- Risque d’apparition et d’aggravation d’hypertension artérielle sous sunitinib et sorafénib, nécessitant une surveillance renforcée de la tension artérielle.

Toxicité vésicale et rénale

- Le cyclophosphamide peut induire des cystites hémorragiques par accumulation de son métabolite urotoxique, l’acroléine, dans la vessie. Cette urotoxicité dose-dépendante peut être prévenue par la prise de mesna (à l’hôpital) et une hydratation abondante.

- Lorsque la masse tumorale est importante, les cytotoxiques peuvent induire une hyperuricémie (corrigée par l’allopurinol) et des troubles hydroélectrolytiques (hyperkaliémie, hyperphosphorémie, hypocalcémie). Ce syndrome de lyse peut se compliquer d’une insuffisance rénale aiguë et de troubles du rythme cardiaque.

Toxicité neurologique : Polynévrites, paresthésies ou dysesthésies, crampes ou convulsions, en particulier sous vinca-alcaloïdes.

Toxicité pulmonaire : Fibrose pulmonaire sous busulfan, de pneumopathie sous cyclophosphamide, fludarabine, méthotrexate et inhibiteurs de sérine-thréonine kinase.

Toxicité hépatique : En particulier sous méthotrexate et mercaptopurine.

Autres toxicités

- Thrombose veineuse profonde (induite par les ITK anti-VEGFR, le tamoxifène…) se manifestant le plus souvent par un œdème, une rougeur et une douleur au niveau des membres inférieurs. La survenue d’une dyspnée peut révéler une embolie pulmonaire. La maladie cancéreuse est également un facteur de risque de thrombose.

- Rétention hydrique : avec œdème des membres inférieurs, prise de poids, en particulier sous estramustine et imatinib (aussi à l’origine d’œdèmes palpébraux).

- Toxicité gonadique et fœtale : oligoazoospermie pouvant justifier une congélation du sperme, aménorrhée inconstamment réversible, et effets mutagènes et tératogènes, nécessitant souvent une contraception efficace, parfois à poursuivre après l’arrêt du traitement.

- Troubles métaboliques : hyperglycémies et hyperlipidémies sous inhibiteurs de sérine-thréonine-kinase.

- Troubles généraux : douleurs musculosquelettiques. La fatigue est un effet indésirable quasi constant de la chimiothérapie, liée au cancer, aux répercussions psychologiques du diagnostic, à l’anémie chimio-induite…

- Augmentation du risque de leucémies secondaires.

CAS 10 - EFFETS INDÉSIRABLES

Le poids de la maladie

Mme S., 58 ans, est suivie pour un cancer du sein depuis 3 ans. Elle a subi une mastectomie suivie d’une radiothérapie puis a été traitée par hormonothérapie, initialement létrozole (Fémara), puis exémestane (Aromasine) pour améliorer la tolérance. Devant l’inconfort persistant de la patiente face aux bouffées de chaleur et un début d’ostéoporose, l’oncologue décide d’instaurer un traitement par tamoxifène 20 mg/j. Lors de son deuxième renouvellement, Mme S. demande : « J’ai pris du poids dernièrement. C’est certainement dû à mes traitements. Quels produits de régime pouvez-vous me conseiller ? »

Le pharmacien doit-il accéder à cette requête ?

Les compléments alimentaires de régime ne sont pas appropriés. Mme S. a besoin d’un accompagnement spécifique, tenant compte de son état de santé et de ses traitements.

ANALYSE DU CAS

• L’hormonothérapie est indiquée chez une patiente en rémission dans la prévention de la récidive d’un cancer du sein hormonodépendant pour une durée de 5ans au minimum.

• La prise de poids est un effet indésirable quasi systématique de l’hormonothérapie. Elle concerne plus de 50  % des femmes traitées par tamoxifène. Elle résulte de l’induction d’une ménopause qui s’accompagne d’une diminution du métabolisme de base, et donc des besoins énergétiques.

• Cet effet indésirable présente un fort retentissement sur le moral des patientes ainsi que sur leur qualité de vie, induisant un risque d’inobservance des traitements et donc une perte de chance.

• En outre, le surpoids a été identifié comme un facteur de risque indépendant de survenue et de récidive de cancer du sein.

• La limitation de la prise de poids sous hormonothérapie passe par un meilleur équilibre alimentaire, tenant compte de la diminution des besoins caloriques.

• Cependant, le principal élément de la prise en charge est l’activité physique qui doit être adaptée à l’état de santé du patient (voir encadré ci-dessous).

ATTITUDE À ADOPTER

• Le pharmacien propose un bilan nutritionnel à Mme S. pour identifier des modifications à apporter à son alimentation et éventuellement l’orienter vers le diététicien du réseau d’oncologie de sa région.

• Il explique l’intérêt d’une activité physique adaptée (APA) et lui donne les coordonnées des structures à proximité.

CAS 11 - EFFETS INDÉSIRABLES

Expliquez-moi !

Mme K., 42 ans, va recevoir sa première cure de chimiothérapie de type FOLFOX (5-fluorouracile et oxaliplatine) à l’hôpital pour un cancer colorectal. Trois jours avant sa cure, elle se présente à l’officine pour son traitement antiémétique : Cortancyl, Zophren, Emend, Xanax. Elle semble un peu perdue : « Je ne me souviens plus très bien si je dois prendre tous ces médicaments. Vous pourriez me réexpliquer ? »

Que dire à la patiente ?

Une bonne prise en charge des nausées et vomissements chimio-induits (NVCI) dès la première séance est cruciale.

ANALYSE DU CAS

• Dans le protocole FOLFOX standard, l’oxaliplatine est utilisée à haute dose, ce qui en fait une chimiothérapie moyennement émétisante. Dans ce cas, les NVCI affectent statistiquement 31 à 90 % des patients.

• Les principaux facteurs de risque de survenue de NVCI sont le sexe féminin, l’anxiété et les antécédents de nausées et vomissements, notamment au cours des cures précédentes. Aussi, il faut prévenir leur survenue dès la première séance.

• Le protocole antiémétique préventif des NVCI aigus, survenant dans les premières heures suivant la chimiothérapie, associe un sétron (ici Zophren, antagoniste sérotoninergique), l’aprépitant (Emend, antagoniste des récepteurs de la substance P) et un corticoïde. Ils sont administrés le jour de la chimiothérapie et peuvent être poursuivis pendant 2 à 4 jours.

• Pour prévenir des nausées et vomissements anticipés, des benzodiazépines (ici Xanax, alprazolam) sont prescrites, à débuter 2 jours avant la séance.

ATTITUDE À ADOPTER

• Le pharmacien explique à Mme K. l’intérêt de son traitement antiémétique et lui propose un plan de prise détaillé. Elle lui indique que le traitement sera réévalué avant chaque séance.

• Elle rappelle aussi des mesures hygiénodiététiques : bien s’hydrater, fractionner les repas, manger lentement, éviter les aliments gras et très odorants.

CAS 12 - EFFETS INDÉSIRABLES

Traiter les diarrhées

M. A., 65 ans, est traité pour un cancer du côlon avec métastases hépatiques. Il explique à Lina, étudiante, qu’il a une perfusion d’irinotécan (Campto) à l’hôpital toutes les 3 semaines. Sa nouvelle ordonnance comporte de la capécitabine 500 mg (Xeloda) 3 cp 2 fois/j pendant 14 j puis arrêt 7 j et lopéramide 2 mg, 2 gélules à la première prise puis 1 gélule toutes les 2 heures pendant 48 h au maximum. Lina s’étonne de la posologie du lopéramide et interroge le pharmacien.

Y a-t-il une erreur de posologie ?

Non, le traitement de M. A. est susceptible d’induire des diarrhées sévères prises en charge par une forte dose de lopéramide.

ANALYSE DU CAS

• M. A. suit le protocole Xeliri associant de la capécitabine, un antimétabolite, à l’irinotécan, inhibiteur de la topo-isomérase I.

• La capécitabine peut induire des diarrhées parfois sévères. Elles sont aussi particulièrement redoutées avec l’irinotécan.

• Cet effet indésirable expose à un risque de déshydratation, pouvant entraîner une insuffisance rénale aiguë potentiellement fatale.

• La survenue de diarrhées impose un traitement par lopéramide. La dose usuelle initiale est de 2 gélules, puis 1 gélule supplémentaire après chaque selle liquide sans dépasser 8 gélules par jour. Le traitement recommandé avec l’irinotécan consiste en de fortes doses de lopéramide, 4 mg immédiatement puis 2 mg toutes les 2 h, pendant 48 h.

ATTITUDE À ADOPTER

• Le pharmacien explique à Lina les raisons de cette forte posologie de lopéramide.

• Il rappelle à M. A. qu’en cas de survenue de diarrhées, il doit boire régulièrement et éviter les fibres et les aliments mal tolérés (fruits crus, café, lait, fritures…).

• Des symptômes persistants, une diarrhée fébrile ou associée à des vomissements doivent amener M. A. à appeler sans délai le médecin.

CAS 13 - MÉSUSAGE

Tous les jours ?

M. A., 78 ans, fumeur, souffre d’un cancer bronchique non à petites cellules. Il débute un traitement par vinorelbine (Navelbine) 60 mg/m2, soit 90 mg associés à des perfusions toutes les 3 semaines de cisplatine à l’hôpital. Liliana, sa voisine qui l’aide régulièrement, vient à la pharmacie : « Le fils de M. A. est venu chercher le traitement de son père hier. M. A. dit qu’il doit prendre une capsule chaque jour, mais ce n’est pas ce qui est écrit sur l’ordonnance. Pourriez-vous m’expliquer ? »

Quelle est la fréquence de prise ?

De manière hebdomadaire.

ANALYSE DU CAS

• La vinorelbine (Navelbine) est un cytotoxique de la famille des vinca-alcaloïdes.

• Navelbine s’administre une fois par semaine à jour fixe. La prise continue expose à un risque de surdosage susceptible d’entraîner, notamment une neutropénie à l’origine de complications infectieuses.

• Pour éviter toute confusion, un livret de suivi et une trousse sont fournis par le laboratoire commercialisant Navelbine (voir ci-contre). La trousse se compose de quatre pochettes plastiques. Dans chaque pochette doit être rangé le nombre de capsules sous blister correspondant à une prise hebdomadaire, accompagné d’une étiquette où écrire le jour de prise prévu, la dose et le nombre de capsules à prendre.

• Navelbine se conserve entre + 2 °C et + 8 °C. La trousse remplie peut être placée au réfrigérateur.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien constate que la trousse n’a pas été remise au fils de M. A. Il indique à Liliana qu’il passera dans la journée pour remplir la trousse, expliquer à M. A. les modalités de prise du traitement et lui rappeler qu’un hémogramme doit être effectué avant chaque prise.

CAS 14 - MÉSUSAGE

Mme M. veut acheter un coupe-comprimé

Mme M. âgée de 85 ans, patiente habituelle de l’officine à qui l’on vient de diagnostiquer un cancer du poumon non à petites cellules, est traitée par afatinib 40 mg (Giotrif) 1 comprimé le matin. Après 2 jours de traitement, elle demande conseil pour l’achat d’un coupe-comprimé car elle trouve les comprimés durs à avaler et n’a plus de force pour les couper avec un couteau. Le pharmacien réagit immédiatement.

Qu’est-ce qui alerte le pharmacien ?

Les comprimés d’afatinib, comme beaucoup d’anticancéreux, ne doivent pas être écrasés ou coupés pour des raisons de sécurité.

ANALYSE DU CAS

• L’afatinib (Giotrif) est un inhibiteur de tyrosines-kinases anti-EGFR.

• L’interdiction d’écraser ou de couper les comprimés d’afatinib n’est pas liée à des critères galéniques mais à la toxicité du médicament.

• Quand le patient coupe ou broie ses comprimés, il risque de créer un aérosol de molécules toxiques qui vont contaminer son environnement et les autres membres du foyer.

• Par ailleurs, le procédé peut aboutir à la perte de fragments de dose et potentiellement nuire à l’efficacité du traitement.

• Les comprimés d’afatinib doivent donc être avalés en entier avec de l’eau. Si nécessaire, ils peuvent être dispersés dans de l’eau plate.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien indique à madame M. qu’elle peut disperser son comprimé dans l’eau. Pour éviter la perte de principe actif, le verre sera rincer avec un peu d’eau et l’eau de rinçage bue.

• Il précise que le médicament doit pris au moins une heure avant ou 3 heures après un repas.

CAS 15 - SURVEILLANCE

Dans l’attente des résultats…

Simon P., 80 ans, veuf, vivant seul, est sous traitement hormonal par Décapeptyl (triptoréline) depuis 3 ans pour un cancer de la prostate avec métastases osseuses initiales. Sa maladie ayant évolué, un traitement de 2e ligne lui a été prescrit. Il vient à l’officine avec sa nouvelle ordonnance : Zytiga 250 mg 4 cp/j en une prise, prednisone 5 mg 2 cp/j en une prise, Décapeptyl 11,25 mg LP. Monsieur P. dit au pharmacien qu’il ne sait pas encore s’il va prendre ce traitement car cela dépendra des résultats de sa prise de sang. Le pharmacien s’en étonne.

Monsieur P. a-t-il raison ?

Non. La prise de sang, obligatoire avant le début du traitement, ne conditionne pas la prise du Zytiga. Il permet de disposer de valeurs biologiques de référence avant traitement.

ANALYSE DU CAS

• L’initiation d’un traitement par Zytiga (acétate d’abiratérone) impose une surveillance particulière.

• L’acétate d’abiratérone est un inhibiteur des androgènes.

• Cette molécule présente une toxicité hépatique qui se manifeste par une élévation des taux de transaminases (ALAT et ASAT), associée à un surrisque de cytolyse. Un dosage est donc nécessaire avant de débuter le traitement pour déterminer le taux initial des transaminases, puis toutes les 2 semaines pendant les 3 premiers mois de traitement, puis tous les mois.

• Par ailleurs, le mécanisme d’action de l’acétate d’abiratérone est responsable d’une augmentation de la production de minéralocorticoïdes pouvant entraîner une hypertension artérielle, une hypokaliémie et une rétention hydrique qui seront également surveillés mensuellement. La coadministration d’un corticoïde permet de diminuer l’incidence et la gravité de ces effets indésirables par son action frénatrice de l’axe hypothalamohypophysaire.

• Au cours du traitement, en fonction des résultats des examens de surveillance, le traitement peut être arrêté de façon temporaire, avec éventuellement une reprise à dose réduite, ou définitivement.

• Toute hypokaliémie doit être corrigée.

ATTITUDE À ADOPTER

• Le pharmacien explique à M. P qu’il doit prendre Zytiga dès le lendemain matin, au moins une heure avant ou 2 heures après un repas.

• Il insiste sur la surveillance nécessaire au cours du traitement.

• Il encourage M. P. à se peser régulièrement. Une prise de poids rapide peut être le signe d’une rétention hydrique due à une augmentation des minéralocorticoïdes. Celle-ci peut être associée à une hypokaliémie potentiellement grave.

Prévenir l’iatrogénie

Les questions à se poser lors de la délivrance d’un anticancéreux

L’ordonnance est-elle recevable ?

• La plupart des médicaments anticancéreux sont à prescription hospitalière réservée à certains spécialistes.

Le patient connaît-il les modalités de prise ?

• La prise pendant ou à distance des repas peut fortement modifier l’absorption des médicaments.

• Le médicament peut-il être dissous dans l’eau (Hydréa, Giotrif, Iressa, Glivec, Tasigna, Caprelsa, Votubia…) ou doit-il être avalé entier ?

• Eviter toute manipulation des gélules et comprimés en raison de leur toxicité potentielle.

• Vérifier que le patient a compris le rythme de prise (par cycle, hebdomadaire…) et si nécessaire proposer un plan de prise.

• Insister sur l’importance d’une bonne observance.

Connaît-il les conditions de conservation ?

• Conservation au réfrigérateur : melphalan, topotécan, vinorelbine…

• En raison de la toxicité des traitements, être particulièrement vigilant à ranger les médicaments dans une armoire fermée, hors de portée des enfants.

Comment prévenir et gérer les principaux effets indésirables ?

• Insister sur le suivi scrupuleux du traitement préventif des nausées et vomissements chimio-induits dès la première séance. Recommander de bien s’hydrater, fractionner les repas, manger lentement, éviter les aliments très odorants.

• Traiter les mucites dès les premiers symptômes (inflammation, ulcération de la muqueuse buccale) : éviter tout ce qui peut irriter la muqueuse, utiliser une brosse à dents extrasouple et réaliser plusieurs fois par jour des bains de bouche au bicarbonate de sodium 1,4 %.

• Sous hormonothérapie, connaître les signes évocateurs d’une thrombose veineuse profonde nécessitant une consultation médicale urgente : œdème, rougeur et douleur au niveau d’un membre inférieur.

• En prévention d’un syndrome main-pied, appliquer une crème émolliente, éviter tout traumatisme, tremper les mains dans l’eau froide en cas de fourmillements.

• En cas de diarrhées : s’hydrater suffisamment, éviter les fibres (légumineuses, fruits…) et prendre du lopéramide si nécessaire.

• Sous inhibiteur de tyrosine-kinase, la survenue d’une gêne oculaire ou d’une éruption cutanée nécessite une prise en charge médicale.

• Tout signe infectieux ou fièvre inexpliquée (faisant suspecter une neutropénie) doit orienter vers une consultation médicale.

Le traitement nécessite-t-il une surveillance ?

La surveillance régulière (HTA, hémogramme, ASAT/ALAT…) de certains traitements est déterminante pour la tolérance et la prévention d’effets indésirables graves.

Le patient prend-il d’autres médicaments ?

• Inciter le patient à ne prendre aucun médicament sans l’avis d’un professionnel de santé, (inhibiteurs et inducteurs enzymatiques, IPP et anti-H2 qui diminuent l’absorption des ITK…).

• Rappeler que la phytothérapie peut interagir avec les traitements anticancéreux (échinacée, millepertuis…).

Ne sont traités que les anticancéreux disponibles en ville

À RETENIR

Les IPP sont susceptibles de diminuer l’absorption de la plupart des ITK (erlotinib, géfitinib, dasatinib, bosutinib…). Leur association est donc à éviter.

ATTENTION

L’association de tamoxifène à un inhibiteur du CYP2D6, comme la paroxétine ou la fluoxétine, expose à un risque de diminution de son efficacité.

ATTENTION

Les plantes utilisées en phytothérapie peuvent interagir avec les anticancéreux. Notamment, l’échinacée est un inducteurdu CYP3A4 interagissant avec le nilotinib.

ATTENTION

Le tabagisme réduit fortement l’exposition à l’erlotinib. La poursuite du tabagisme ou son arrêt au cours du traitement nécessite une adaptation de posologie.

ATTENTION

Les inhibiteurs de tyrosine kinase anti-VEGFR exposent à un risque d’hypertension artérielle qui impose un suivi de la pression artérielle.

À RETENIR

L’hormonothérapie par tamoxifène est un facteur de risque de thrombose veineuse profonde et d’embolie pulmonaire.

ATTENTION

L’erlotinib, comme tous les anti-EGFR, expose à des effets indésirables oculaires (conjonctivite, kératite) imposant une prise en charge par un ophtalmologue.

À RETENIR

Les éruptions cutanées sont des effets indésirables très fréquents des ITK dont les symptômes peuvent être atténués par une prise en charge précoce.

À RETENIR

L’évérolimus est fréquemmentà l’origine de mucite. Le traitement repose sur la réalisation de bains de bouche au bicarbonate de sodium à 1,4 %.

PRÉVENTION ET TRAITEMENT D’UNE MUCITE

• Conseils hygiénodiététiques

- Utiliser une brosse à dents non électrique, extrasouple en nylon (25/100e voire 7/100e ou postchirurgicale en cas de grande sensibilité).

- Brosser les dents après chaque repas avec une pâte gingivale sans appuyer et utiliser une solution au bicarbonate de sodium pour le rinçage.

- Le bicarbonate de sodium se conserve au réfrigérateur (environ 48 h). Le froid ajoute un effet calmant.

- Ne pas utiliser de bain de bouche avec alcool qui peut exacerber la douleur.

- En cas de port de prothèse dentaire, l’enlever et la nettoyer quotidiennement.

- Eviter de manger des aliments irritants (noix, fromages à pâte dure…) et croquants (biscottes, chips…) pouvant blesser la muqueuse buccale. En cas de lésion, éviter les aliments trop chauds, acides et épicés.

- Adapter la texture de l’alimentation selon la douleur.

• Traitement

- Une mucite doit être traitée le plus tôt possible, et même anticipée avec des traitements particulièrement à risque.

- Le traitement d’une mucite passe par la réalisation pluriquotidienne (au moins toutes les 4 h) de bains de bouche, de 30 secondes au moins, au bicarbonate de sodium 1,4  %. Une solution antiseptique sans alcool associée au bain de bouche peut être envisagée.

- La prise d’amphotéricine B (Fungizone) en bain de bouche peut éventuellement être proposée par l’oncologue. Elle doit se faire 3 à 4 fois par jour, non mélangée aux bains de bouche au bicarbonate de sodium 1,4  % pour préserver la concentration du produit.

- L’utilisation de xylocaïne visqueuse, l’ajout de xylocaïne ou de corticoïdes au bain de bouche est possible mais la cicatrisation sera ralentie et le risque infectieux augmenté. Leur utilisation est limitée aux mucites de grade élevé.

SYNDROME MAIN-PIED

En fonction de la sévérité des signes cliniques, on définit 3grades de syndrome main-pied :

grade 1 : dys- ou paresthésies, œdème sans douleur ou érythème, et/ou un inconfort qui n’empêchent pas les activités normales ;

grade 2 : érythème douloureux et œdème et/ou inconfort gênant les activités quotidiennes ;

grade 3 : desquamation humide, ulcérations, vésications, douleurs et/ou inconfort sévères empêchant de travailler ou d’effectuer les activités quotidiennes.

• En prévention : appliquer une crème émolliente sur les mains et les pieds, éviter l’exposition à la chaleur (soleil, bains ou douches très chauds), les activités à l’origine d’un traumatisme ou d’un frottement des mains ou des pieds (marche prolongée, lessive à la main, vaisselle…), les pansements adhésifs, le port de chaussettes ou de gants trop serrés, porter des chaussures confortables et souples, mettre des gants pour jardiner ou bricoler.

Lorsque des fourmillements ou des engourdissements apparaissent, tremper les mains et les pieds dans de l’eau froide.

• Les grades 2 et 3 justifient un arrêt du traitement jusqu’à régression des symptômes et une diminution des posologies (grade 3).

À RETENIR

La prise de poids est un risque de récidive en cas de cancer du sein. Elle doit être prise en charge efficacement par la diététique et une activité physique adaptée (APA).

L’activité physique adaptée (APA)

Il s’agit de la prise en charge de patients atteints d’un cancer au moyen d’activités physiques ou sportives encadrées par des professionnels formés.

Quand ?

L’activité physique adaptée (APA) doit idéalement être évoquée et mise en place le plus précocement possible, dès l’annonce du cancer. Elle peut cependant être commencée à n’importe quel moment.

Par qui ?

La détermination de l’activité adaptée au patient et le suivi du programme d’APA sont réalisés par un professionnel diplômé : enseignant ou ingénieur APA-Santé (professionnel issu de la filière STAPS titulaire d’une licence ou d’un master dans cette discipline), kinésithérapeute formé à la cancérologie (DU) et à l’APA ou éducateur sportif titulaire d’un brevet d’Etat option APT (activité physique pour tous) et d’un DU de cancérologie.

L’APA est proposée au sein de réseaux de santé et dans les centres de la CAMI (sportetsante.com).

Comment ?

Le programme débute par une consultation médicale aboutissant à la rédaction d’un certificat médical d’aptitude puis par une consultation par le spécialiste APA qui détermine les activités adaptées en fonction de la condition physique initiale du patient et des limites liées à sa pathologie.

Le programme fixe aussi des objectifs de fréquence, d’intensité, de durée. A terme, le patient doit être autonome dans la réalisation de son APA, mais elle peut être réalisée en groupe ou individuellement sous la supervision du professionnel.

Quels bénéfices ?

Un effet antiprolifératif direct est attendu par diminution des taux d’estrogènes, d’insuline, de l’insulinorésistance, de cytokines pro-inflammatoire…

Une action sur les effets indésirables de la pathologie, essentiellement sur la fatigue (seul traitement validé dans la fatigue en oncologie), l’anxiété, la dépression et le contrôle du poids, est également recherchée.

ATTENTION

Les nausées et vomissements sont des effets indésirables très fréquents des chimiothérapies anticancéreuses. Leur prise en charge dès la première séance est déterminante pour la suite du traitement.

ATTENTION

Les diarrhées sont des effets indésirables fréquents des chimiothérapies anticancéreuses. Leur prise en charge est essentielle pour éviter une déshydratation potentiellement grave.

À RETENIR

La vinorelbine est un traitement à prise hebdomadaire. Pour limiter le risque d’erreur, une trousse permettant de ranger la dose hebdomadaire et un carnet de suivi sont mis à la disposition des patients.

ATTENTION

Les comprimés d’afatinib ne doivent pas être fractionnés en raison de leur toxicité. Ils peuvent en revanche être dispersés dans l’eau.

À RETENIR

Un dosage du taux de transaminases sériques est nécessaire avant de débuter un traitement par acétate d’abiratérone mais ne conditionne pas la prise du traitement. Elles visent à établir une ligne de base.

EGFR et cancer

Qu’est-ce que l’EGFR ?

• Les récepteurs du facteur de croissance épidermique ou EGFR (epidermal growth factor receptor) sont présents à la surface des cellules épithéliales et sont impliqués dans leur croissance. L’ADN de certaines cellules cancéreuses peut subir une mutation touchant l’EGFR induisant une croissance incontrôlée.

• Les cellules tumorales porteuses de mutations de l’EGFR sont très sensibles aux traitements anticancéreux ciblés inhibant la tyrosine-kinase présente sur l’EGFR. Cette inhibition bloque la signalisation médiée par l’EGFR.

Quelles molécules ciblent l’EGFR ?

L’erlotinib (Tarceva), le géfitinib (Iressa) et l’afatinib (Giotrif) sont les inhibiteurs de tyrosine-kinase (ITK) ciblant l’EGFR. Des mutations de résistance peuvent survenir au niveau du récepteur au décours du traitement. Il est alors possible de remplacer un ITK anti-EGFR par un autre.

Quels sont les principaux effets indésirables ?

Ils touchent principalement les tissus épithéliaux.

- Au niveau des muqueuses orales et digestives supérieures, l’inhibition du renouvellement cellulaire favorise la survenue des mucites.

- Au niveau de la muqueuse intestinale, des diarrhées exposent à un risque de déshydratation.

- Au niveau de la peau, la perturbation de la maturation progressive des strates épidermiques entraîne une diminution de la qualité du film lipidique. Des manifestations de sécheresse avec prurit, érythème mais aussi des éruptions acnéiformes se retrouvent. Les atteintes dermiques sont plus rares mais des dermites bulleuses ont été rapportées.

- Au niveau oculaire, les conjonctivites et les blépharites sont fréquentes. La survenue de kératites (0,12  % des patients) est particulièrement redoutée.

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