Liaison aux protéines plasmatiques - Le Moniteur des Pharmacies n° 3102 du 07/11/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3102 du 07/11/2015
 

Comptoir

FICHE PHARMACOLOGIE

Auteur(s) : Denis Richard

Le déplacement de médicaments liés aux protéines plasmatiques n’a en pratique de conséquences éventuelles que si leur index thérapeutique est réduit.

La concentration des protéines dans le plasma est normalement de 60-70 g/l. Deux d’entre elles participent fortement à la fixation passive des médicaments.

• L’albumine a une concentration plasmatique d’environ 45 g/l (homme d’âge moyen), ce qui représente une capacité de liaison considérable. Elle fixe surtout les médicaments acides (AINS, certains hypolipémiants, etc.) et les molécules endogènes (acides gras, thyroxine, estradiol, etc.). Elle possède des sites de liaison différents pour les molécules anioniques et cationiques.

• Parmi les glycoprotéines acides, l’alpha-1-glycoprotéine acide (orosomucoïde) est riche en glucides et en acide sialique qui lui donnent un caractère acide. Elle fixe des molécules basiques comme la lidocaïne ou la prazosine.

Modalités de liaison plasmatique

• La liaison entre un médicament et une protéine plasmatique, généralement de nature électrique (ionique), est aspécifique et réversible et répond à une loi d’action de masse (voir infographie ci-dessous).

• Le degré de liaison s’exprime sous la forme d’un pourcentage généralement noté « l » :

« l » (%) = (médicament fixé/médicament total) x 100.

• « l » varie de 0 à près de 100 % : à titre d’exemples, le montélukast, l’ivacaftor, l’étravirine, l’oméprazole ou la loratadine ont des taux de fixation à l’albumine excédant 99 %.

• La liaison médicament/protéine dépend de plusieurs facteurs :

– le nombre de sites de liaison sur la molécule de protéine ;

– l’affinité du médicament pour les sites de liaison, liée à ses caractéristiques acidobasiques. La fixation des AINS ou des tricycliques est supérieure à 95 %. La fixation du phénobarbital, de la théophylline est de l’ordre de 50 %. La fixation du paracétamol est négligeable ;

– la concentration du médicament : dès qu’un médicament a saturé ses sites de fixation, tout apport supplémentaire demeure libre dans le plasma ;

– le caractère hydrophobe du médicament favorisant son approche des protéines et donc sa fixation.

• L’affinité des médicaments pour les protéines plasmatiques restant faible (plus faible que leur affinité pour les récepteurs membranaires), leur liaison avec celles-ci est, en pratique, proportionnelle à leur concentration dans leur zone d’efficacité thérapeutique.

• Il est d’usage de distinguer deux types de liaison protéique (voir tableau p. 55).

A noter : la liaison protéique peut entraîner une interprétation erronée des taux sériques mesurés car les techniques de dosage distinguent mal la forme libre de la forme liée pour une même concentration totale dans le sang.

Variations physiopathologiques

• Le taux plasmatique de protéines varie en fonction de l’âge (l’albuminémie diminue avec les années) et de l’état physiologique : par exemple, le taux d’albumine diminue au cours d’une grossesse ou en cas de régime végétarien.

• Il varie aussi en fonction de l’état pathologique : une immobilisation prolongée, les traumatismes dont notamment les brûlures, les cirrhoses le diminuent alors que les syndromes néphrotiques ou les hépatopathies l’augmentent.

• De fait, « l » varie selon les individus et les situations (ex. : pour le phénobarbital, l = 50 % chez l’adulte et 60 % chez l’enfant).

Liaison plasmatique et interactions

• La fixation protéique des médicaments peut être à l’origine de deux phénomènes susceptibles d’avoir des conséquences iatrogènes.

Compétition entre deux médicaments pour un même site de fixation plasmatique, l’un pouvant déplacer l’autre et en augmenter ainsi la fraction libre active (qui sera de ce fait plus rapidement éliminée). Le médicament déplacé peut se révéler toxique, mais il est aussi rapidement métabolisé et éliminé. Les incidences cliniques de cette interaction seule sont aujourd’hui controversées.

Compétition entre un médicament et une substance endogène : les acides gras et la bilirubine entrent en compétition avec les médicaments acides au niveau des sites de fixation de l’albumine.

• Une liaison à un petit nombre de sites (de type 1) est facilement saturable, même pour des concentrations plasmatiques faibles du médicament : le médicament fixé sera aisément déplaçable par des molécules endogènes (acides gras, bilirubine…) ou exogènes dont l’affinité pour la protéine est plus importante.

Par exemple : le déplacement de la bilirubine de ses sites de liaison à l’albumine par un sulfamide ou par un anion organique augmente le risque d’encéphalopathie bilirubinémique chez le nourrisson.

Quelle incidence en pratique ?

• La liaison protéique n’a une incidence significative que si elle est élevée (> 90 %) et si le médicament a un index thérapeutique étroit : cela concerne en fait très peu de molécules. De plus, le seul déplacement des protéines plasmatiques est rarement responsable de l’interaction : d’autres mécanismes y participent (notamment une inhibition de la dégradation du médicament déplacé par compétition au niveau de ses sites de métabolisation).

En théorie : pour un médicament A, 99 % des molécules sont fixées aux protéines et son activité est obtenue avec 1 % du produit libre. Si un médicament B déplace A de 1 %, en réduisant donc « l » à 98 %, la fraction libre du médicament est doublée. Les conséquences de cette augmentation peuvent être graves si l’index thérapeutique de A est étroit. En revanche, le déplacement de 1 % de A n’a pas d’importance si le pourcentage de liaison est faible car les modifications de la fraction libre sont alors peu significatives.

En pratique : si quelques exemples se retrouvent classiquement évoqués dans la littérature, leur incidence réelle reste controversée :

– la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens peut déplacer des sulfamides hypoglycémiants avec risque de brutale hypoglycémie ;

– la prise de fibrates peut déplacer les AVK avec risque hémorragique ;

– la prise d’aspirine (≥ 3 g/j) peut également déplacer les AVK avec risque hémorragique (s’ajoutant bien sûr à l’interaction pharmacologique responsable majeure de ce risque).

Sources : Singlas E., Taburet AM. (1987), Abrégé de pharmacocinétique, Hoechst Biologie ; Rolan P.E. (1994), Plasma protein binding displacement interactions - Why are they still regarded as clinically important ? Br. J. Clin. Pharmacol., 37 (2), pp. 125-128 ; Benet L.Z., Hoener B.A. (2002), Changes in plasma protein binding have little clinical relevance, Clinical Pharmacology & Therapeutics, 71 (3), pp. 115-121.

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