RIEN NE VAUT LE DIALOGUE - Le Moniteur des Pharmacies n° 3094 du 12/09/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3094 du 12/09/2015
 
PHARMACIENS ET MÉDECINS

Enquête

Auteur(s) : Magali Clausener

En France, certains sujets comme la vaccination suscitent des polémiques entre médecins et pharmaciens. Qu’en est-il à l’étranger ? Les relations entre les deux professions sont-elles aussi tendues ? Focus sur la Suisse, la Belgique et le Québec.

C’était déjà le cas avec les entretiens pharmaceutiques des patients sous AVK. Le projet de vaccination par les pharmaciens, finalement abandonné, a ranimé la franche opposition des médecins. Voilà pour la France. Mais comment cela passe-t-il entre les deux professions dans les autres pays ? En Suisse, le climat n’est pas si calme qu’il y paraît. « Le pharmacien a une fonction typique et claire : vendre des médicaments. Et il y a une complémentarité entre les médecins qui prescrivent et les pharmaciens qui vendent », explique Jacques de Haller, ancien président de la FMH, la Fédération médicale suisse (équivalent de l’Ordre des médecins) et futur président du CPME (Comité permanent des médecins européens). A l’évidence d’autres champs d’activité pourraient s’ouvrir au pharmacien : la prévention, la « médecine aux pieds nus », c’est-à-dire la médecine de base non médicale, l’automédication et les affections mineures. C’est concevable, car la pharmacie est la porte d’entrée du système de santé, mais il faut respecter les compétences académiques de chacun, médecin et pharmacien, obtenir une qualité optimale des prestations du pharmacien et garantir la sécurité des patients.

Les entretiens de polymédication, instaurés il y a quatre ans, ont soulevé parfois des interrogations de la part des médecins locaux et même un certain mécontentement chez quelques-uns. C’est aussi le cas de NetCare lancé par PharmaSuisse, la société des pharmaciens. Ce dispositif permet à des patients de bénéficier en officine de conseils voire d’un traitement sans ordonnance ou d’une orientation vers un médecin ou les urgences, ou encore d’une consultation médicale par vidéo ou téléphone. Sa mise en place en 2012 n’a pas été simple. « NetCare a suscité des réactions de la part des médecins. Au départ, nous voulions travailler avec la FMH, mais elle n’était pas prête à se lancer dans l’aventure », relate Martine Ruggli, chef du département de collaboration interdisciplinaire à PharmaSuisse.

Cette dernière s’est donc tournée vers un centre de télémédecine et a élaboré des arbres décisionnels validés par les médecins du centre. Pour Jacques de Haller, ce service peut entretenir une confusion des rôles et ne pas assurer une totale confidentialité de la consultation médicale. Il est cependant favorable à des services dont « les bénéfices sont clairs ». Et de citer l’exemple de la cystite (qui fait partie des arbres décisionnels de NetCare : « On peut imaginer que le pharmacien puisse délivrer un traitement à partir d’une ligne directrice, qui permette de prendre en compte certains critères et d’assurer la sécurité et la qualité des soins. Il y a d’ailleurs des projets pilotes dans le canton de Fribourg. »

En Suisse, une vaccination qui pose problème

La vaccination par les officinaux provoque également des remous dans le monde médical. Elle est autorisée depuis le 1er juillet dans les cantons de Fribourg et de Neuchâtel. Pour le moment, seule la vaccination contre la grippe peut être réalisée à l’officine. D’autres cantons devraient suivre. « C’est une victoire puisque la vaccination a été intégrée dans les compétences de base du pharmacien au niveau fédéral, explique Martine Ruggli. Le public cible diffère de celui du médecin : nous cherchons à atteindre les adultes en bonne santé qui ne sont pas suivis par un médecin afin d’améliorer la couverture vaccinale. »

PharmaSuisse a en outre encadré la pratique de ce nouvel acte. Une formation de 5 jours alliant connaissances théoriques et formation pratique est obligatoire. Elle débouche sur l’obtention d’un certificat de formation complémentaire. Le pharmacien doit ensuite suivre tous les deux ans le cours actualisé pour pouvoir conserver son certificat. « Cette formation va intégrer très prochainement les études universitaires de pharmacie », précise Martine Ruggli. De plus, l’officine doit posséder un local de confidentialité. Enfin, selon les cantons, le pharmacien doit avoir souscrit à une assurance de responsabilité civile couvrant les risques liés à la vaccination. Ces arguments ne convainquent pas vraiment les médecins. « Nous sommes plutôt réticents. C’est une question de sécurité. Le pharmacien n’a pas tout le dossier médical du patient. Il ne connaît pas toutes les interactions entre les maladies. Par exemple, les allergies peuvent poser problème lors d’une vaccination », détaille Remo Osterwalder, membre du comité central de la FMH.

Jacques de Haller souligne également le risque de choc anaphylactique d’un patient en officine, ce qu’a prévu PharmaSuisse en demandant aux pharmaciens d’avoir de l’oxygène à disposition. Pour lui, la vaccination est bel et bien un acte médical. De plus, il permet au médecin de voir un patient qui consulte rarement, et par conséquent de faire le point sur sa santé.

Au-delà de ce débat, les médecins helvétiques sont conscients que la situation doit changer. « Les pharmaciens éprouvent effectivement le besoin de se repositionner dans le système de santé, qui évolue avec des professions qui évoluent aussi, reconnaît Jacques de Haller. Le système de santé va rencontrer une pénurie de personnel et les compétences de chacun vont devoir être redéfinies. Près de 70 % des médecins généralistes suisses vont atteindre la retraite dans les dix prochaines années. Il faudra trouver des solutions et réfléchir sur les idées de principe. » Pour Remo Osterwalder, « il faut développer la collaboration, par exemple dans un centre de santé ». Les médecins émettent un bémol pour d’autres missions. Remo Osterwalder s’interroge sur les suites d’une complication dans le cas d’une prolongation d’ordonnance : « Qui sera responsable ? Le médecin prescripteur ou le pharmacien qui a prolongé l’ordonnance ? Le patient doit être rassuré, sa sécurité assurée, et la situation juridique clarifiée ».

Québec : un travail en commun

Au Québec, la question de la vaccination ne se pose pas : seules les infirmières la pratiquent ! Quant aux pharmaciens, ils peuvent depuis le 20 juin 2015 exercer 7 nouvelles activités par application de la loi 41 : prolonger l’ordonnance d’un médecin pour la durée prescrite sans dépasser un an ; prescrire un médicament lorsque aucun diagnostic n’est requis ; prescrire et interpréter des analyses de laboratoire ; ajuster une ordonnance ; substituer un médicament en cas de rupture d’approvisionnement ; prescrire des médicaments pour certaines pathologies mineures lorsque le diagnostic et le traitement sont connus (11 pathologies concernées) ; administrer un médicament pour en démontrer l’usage approprié. Une évolution très attendue par les pharmaciens québécois, mais qui a demandé du temps. « Le travail a été effectué entre 2009 et 2011. En 2011, il y a eu une opportunité avec les médecins et une volonté des pouvoirs publics. Fait rare, la loi 41 a été adoptée à l’unanimité en décembre 2011. L’application a été retardée en raison des négociations sur la rémunération », détaille Michel Caron, adjoint professionnel à la direction générale de l’Ordre des pharmaciens du Québec. L’opportunité évoquée correspond à la conjonction de plusieurs éléments : la difficulté d’accès des Québécois à un médecin de famille, 25 % des familles n’en ayant pas (voir encadré ci-contre), l’évolution de la formation des pharmaciens, les nouvelles missions déjà réalisées par les pharmaciens des autres provinces et la nécessité d’unifier les pratiques au niveau canadien. Le Collège des médecins (équivalent de l’Ordre), ayant donné son aval, a donc, en 2012, travaillé de concert avec l’Ordre des pharmaciens pour élaborer 12 « règlements » qui encadrent ces missions. La collaboration s’est plutôt bien déroulée, mais Michel Caron reconnaît que certaines activités ont suscité des « discussions animées », comme la prescription d’un médicament : « Les médecins étaient prudents et inquiets, mais nous avons réussi à trouver un terrain d’entente », précise-t-il. « Le pharmacien n’a pas acquis le droit de poser un diagnostic. L’objectif est la collaboration et que chacun reconnaisse les limites de sa formation et de sa responsabilité », remarque néanmoins Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins. Outre l’encadrement de la pratique pharmaceutique, les officinaux qui veulent réaliser ces nouvelles activités doivent suivre une formation de quatre heures. « La formation a été proposée en 2013, car nous pensions que les activités allaient se mettre en place plus rapidement, et 90 % des pharmaciens l’ont suivie. Les activités ayant été lancées deux ans plus tard, elles amènent des questions de la part des pharmaciens et nous avons mis en œuvre un système de soutien pour eux », explique Michel Caron.

Un accompagnement sur le terrain

Pour accompagner les deux professions, l’Ordre et le Collège des médecins ont communiqué auprès de leurs membres, y compris sur leur site Internet respectif. Un guide conjoint a également été rédigé. Enfin, en juin 2015, un Comité de vigie, qui réunit des représentants de médecins, pharmaciens et usagers, a été créé pour suivre l’implantation des nouvelles activités sur le terrain. « Nous demandons le signalement de toutes les situations qui posent problème. Au fur et à mesure, les questions sont formulées et nous imaginons des solutions. C’est un investissement important à court terme et à long terme, car toutes les questions doivent avoir une réponse, stipule le Dr Yves Robert. Les deux ordres professionnels ont intérêt à ce que les nouvelles activités fonctionnent. »

Un travail qui devrait porter ses fruits. Thomas Weil, un pharmacien français qui a émigré au Québec, est salarié dans une grande pharmacie à Montréal. Il pratique déjà les nouvelles activités à l’instar de ses collègues. « Beaucoup de médecins ne sont pas encore au courant des nouvelles activités et on leur communique les informations par fax. Mais, par rapport à la France, d’une façon générale, les interactions entre pharmaciens et médecins sont plus nombreuses, notamment avec les jeunes médecins qui sont plus formés à travailler en collaboration, relate Thomas Weil. Pour l’instant, les prolongations d’ordonnances sont l’activité la plus courante. Nous prescrivons aussi des médicaments en prévention contre le paludisme ou la diarrhée du voyageur. J’ai fait une fois un ajustement d’une ordonnance pour une patiente sous anticoagulants, après avoir prescrit un test, car elle ne pouvait pas aller voir le médecin. Cela a débloqué la situation. C’est vraiment valorisant. » Pour ce pharmacien, l’exercice au Québec est « sans comparaison » avec l’exercice en France : « Nous sommes reconnus comme des professionnels de santé par les patients et les médecins ».

Suisse

• Plus de 8 millions d’habitants.

• 7 804 médecins dans le secteur ambulatoire, dont 5 945 généralistes en 2014 (source : FMH).

• 1 764 pharmacies (source : Société suisse des pharmaciens).

• 26 cantons qui édictent leurs propres lois de santé et se chargent de leur application.

Dans les deux tiers des 26 cantons, les médecins sont propharmaciens et vendent des médicaments.

Les pharmaciens peuvent, comme les médecins, réaliser des analyses capillaires de glycémie et de cholestérol. Les médecins disposent à leur cabinet des vaccins courants et de médicaments d’urgence.

Québec

• 8,215 millions d’habitants.

• 19 147 médecins exerçant dans la province dont 9 080 médecins de famille (source : Collège des médecins du Québec).

• 1 790 pharmacies (source : Association québécoise des pharmaciens propriétaires).

• L’accès difficile aux médecins de famille n’est pas dû aux distances géographiques.

Au début des années 90, pour rétablir l’équilibre budgétaire, médecins et infirmiers ont été incités à partir à la retraite. Le programme a été plus populaire que prévu mais le nombre d’admissions à l’université n’a pas augmenté en contrepartie. Au milieu des années 90, les médecins de famille avaient aussi l’obligation de travailler en partie dans les établissements de santé et beaucoup l’on fait, délaissant les cabinets. Aujourd’hui, la situation s’améliore, mais le problème d’accès persiste.

En Belgique, les médecins et les pharmaciens sont représentés par la même association

« Les acteurs de santé et les médecins, en particulier, ont peur de perdre des prérogatives. Toute initiative d’un autre partenaire suscite des craintes », déclare d’emblée Alain Chaspierre, porte-parole de l’APB (Association pharmaceutique belge). Un projet pilote de vérification des rythmes cardiaques en officine (mesures du poids, de la taille, de la tension, prélèvements sanguins pour l’hémoglobine glyquée et le cholestérol) a ainsi suscité une levée de bouclier des médecins et a été abandonné. Aujourd’hui, la situation est en train de changer. L’APB a pris l’initiative il y a deux ans de réunir l’ensemble des syndicats de pharmaciens et de médecins au sein d’une association sans but lucratif (ASBL) pour une concertation médico-pharmaceutique (CPM).

Une initiative renforcée par la parution en juillet dernier d’un arrêté royal qui encadre la CPM et prévoit un financement de 2 M€ pour soutenir des programmes de promotion de la qualité et des projets locaux. L’ASBL s’inscrit dans ce cadre en mettant en place un processus de concertation sur tous les enjeux qui concernent l’organisation de soins, les modalités de prescription, l’échange de données, etc. A terme, un site Internet sera créé pour permettre aux médecins et pharmaciens de trouver les programmes validés et les intégrer. « L’ambiance est bonne, le climat serein. Il y a une volonté d’avancer. Il y a 5 ou 10 ans, cela aurait été inconcevable », remarque Alain Chaspierre. « Toutes les études montrent que la prescription n’est pas optimale. Or un bon dialogue médico-pharmaceutique vaut mieux que toutes les mesures contraignantes pour obtenir une meilleure prescription et une meilleure utilisation du médicament, observe de son côté Roland Lemye, généraliste et ancien président de l’Absym (Association belge des syndicats médicaux).

Les patients n’ont pas toujours une bonne observance et, parfois, il y a des divergences entre le discours du médecin et celui du pharmacien. Là aussi, le dialogue est indispensable. C’est vrai au niveau national, local et individuel. » Un dialogue qui devrait s’améliorer puisque les étudiants en médecine et en pharmacie ont des cours communs. De plus, des écoles de médecine générale expérimentent pour les étudiants des stages d’un ou deux jours en officine.

3 QUESTIONS À Juraté Švarcaité, secrétaire général du GPUE*

Le GPUE souhaite développer de nouvelles missions pour les pharmaciens. Comment envisage-t-il une collaboration avec les médecins ?

La collaboration entre médecins et pharmaciens d’officine est cruciale, non seulement pour réaliser le plein potentiel de ces deux professions, mais également, et c’est le plus important, pour le bénéfice ultime de nos patients dont nous nous sommes engagés à servir l’intérêt. Il y a suffisamment de preuves scientifiques qui indiquent qu’une collaboration plus étroite entre les deux professions assure la sécurité des patients et peut potentiellement améliorer leur qualité de vie.

Dans certains pays, les pharmaciens ont des missions comme la vaccination ou la consultation de premier recours. Qu’est-ce qui a permis ces avancées ?

Il est important de noter que de nouveaux services sont introduits dans les pharmacies parce qu’il y a un besoin du public. Par exemple, les gouvernements des pays dont les taux de vaccination étaient faibles et où il y avait une pénurie d’autres professionnels de santé ont relevé ces défis en permettant aux pharmaciens d’offrir ce service, après avoir acquis une formation supplémentaire. En Irlande, au cours de la première année de mise à disposition de ce service de vaccination, plus de 20 % des patients ayant été vaccinés à la pharmacie recevaient une injection vaccinale pour la première fois.

Comment l’Union européenne peut-elle développer le dialogue entre médecins et pharmaciens ?

La promotion de bonnes pratiques peut favoriser la collaboration entre les deux professions. Il y a aussi un manque notable de communication entre les deux professions au niveau local et national. A mon avis, c’est plus efficace lorsque cela se produit au niveau local. Gagner la confiance est beaucoup plus facile quand les personnes se connaissent. Les associations nationales ou de l’UE réunissant les pharmaciens et les médecins doivent se rappeler que cette collaboration est indispensable.

* Groupement pharmaceutique de l’Union européenne.

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