Pharmacie vétérinaire Et si le salut venait de l’Europe ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3093 du 05/09/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3093 du 05/09/2015
 

Dossier

Auteur(s) : François Pouzaud

Au fil des affaires et des attaques contre la profession, les pharmaciens ont presque tous abandonné la distribution du médicament vétérinaire destiné aux animaux de rente. La lutte contre l’antibiorésistance, qui occupe désormais le cœur du débat, pourrait bien servir leur cause.

40 ans après la promulgation de la loi du 29 mai 1975 sur la pharmacie vétérinaire, la distribution du médicament vétérinaire en France souffre toujours de dysfonctionnements. Bien que le décret prescription-délivrance du 24 avril 2007 a fixé un cadre légal à certaines pratiques jusqu’alors illicites (prescriptions et délivrances sans avoir vu les animaux, renouvellements de certaines délivrances sans mention expresse du vétérinaire…), des infractions aux règles de prescription et de délivrance sont régulièrement relevées concernant les animaux de rente. De part et d’autre. Alors que les pharmaciens sont répréhensibles pour délivrance sans ordonnance de médicaments vétérinaires soumis à prescription, les vétérinaires le sont pour le même motif, mais aussi pour ordonnances rédigées sans avoir vu les animaux, entrave au libre choix du dispensateur, officine ouverte au public, délivrances de médicaments vétérinaires effectuées par du personnel sans qualification, absence de tenue de registre d’élevage chez l’éleveur…

Sauf que, sur le terrain, les contrôles des services d’inspection sont souvent à sens unique. Les syndicats de pharmaciens d’officine affichent clairement leur sentiment que la profession est attaquée. Et ce, de façon inéquitable par rapport aux vétérinaires.

« Alors que moins de 1 % des médicaments vétérinaires pour animaux de rente sont dispensés en pharmacie, les contrôles se multiplient dans les officines avec une violence inouïe : perquisition, descente de la gendarmerie, sortie du pharmacien menottes aux poings, garde à vue, mise en examen, menace d’interdiction d’exercice… fustige Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine. Les services de l’Etat et de la justice sont en fait utilisés pour éliminer les derniers foyers de résistance dans la profession. »

A l’inverse, le même zèle n’est pas déployé à l’encontre des vétérinaires qui sont, en comparaison, très peu contrôlés. Le phénomène serait lié, selon Gilles Bonnefond, à un activisme conjugué de l’Ordre et des syndicats vétérinaires et à un déséquilibre entre les deux ministères concernés (Agriculture et Santé). « 80 % des dispensations des vétérinaires sont en infraction, les contrôles doivent donc être rééquilibrés et faire appel aux mêmes moyens. »

Une destruction organisée de la délivrance en officine

Jacky Maillet, président de l’Association nationale de la pharmacie vétérinaire d’officine (ANPVO), proteste également contre ces vagues d’enquêtes vétérinaires opérées presque exclusivement sur la pharmacie. « La quinzaine de confrères très investis dans les soins aux animaux de rente ont quasiment tous déjà reçu la visite des inspecteurs », signale-t-il. Et pour les autres pharmaciens qui n’ont pas encore été sérieusement inquiétés par les inspecteurs du ministère de l’Agriculture ou de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP), cela ne saurait tarder !

De son côté, Guy Barral, président de l’Union nationale pour la pharmacie vétérinaire d’officine (UNPVO), association qui compte une soixantaine de pharmacies adhérentes, dénonce « une interprétation très partiale du décret d’avril 2007 par une administration corporatiste qui met en œuvre des moyens régaliens très coûteux : écoutes téléphoniques, leurres à destination des juges et parquets, forces de police… » Du spectaculaire qui sonne faux. Et de citer une affaire récente où un pharmacien a été accusé de recel et de trafic de médicament au profit d’une filière roumaine d’approvisionnement. « Or, une fois devant le juge, ces chefs d’accusation avaient disparu… »

En revanche, début 2015, l’UNPVO a présenté à la BNEVP et au ministère de l’Agriculture les derniers résultats d’une enquête à charge contre les vétérinaires démontrant que dans 100 cliniques vétérinaires, 79 contrevenaient aux règles de prescription et délivrance (ordonnance remise sans voir l’animal, vente de médicaments soumis à prescription sans ordonnance ou par du personnel non qualifié, délivrance sans juger de l’opportunité de la vente…). « En tant qu’agent de l’Etat, la BNEVP a l’obligation de saisir la justice mais elle ne le fait pas », déplore Guy Barral.

« L’Ordre des pharmaciens ne nous soutient pas »

Face à autant de maltraitances et d’acharnement contre la profession, ce responsable regrette le manque de soutien de l’Ordre des pharmaciens. « L’Ordre considère que si le pharmacien est accusé, c’est qu’il est en tort, et donc il ne le défend pas devant la justice, ce qui aggrave le risque de condamnation du pharmacien », reproche-t-il.

Si le conseil central A de l’Ordre est chargé de suivre le dossier vétérinaire, force est de reconnaître qu’il a peu de pouvoirs au sein de l’institution. « Je comprends la déception des confrères qui s’estiment injustement attaqués et je condamne les procédés employés car les pharmaciens ne sont pas des criminels, répond Alain Delgutte, son président. Tant qu’un pharmacien n’est pas condamné, il est présumé innocent. Le problème, c’est que le conseil central A n’a pas accès au dossier car il n’est pas habilité à se porter partie civile, cette prérogative est du ressort du Conseil national de l’Ordre et elle n’est pas systématique. Par ailleurs, le procureur de la République ou le ministère de la Santé peut saisir l’Ordre en vue de poursuites disciplinaires d’un pharmacien, il ne peut donc être juge et partie. »

Des avancées timides sur le découplage prescription/délivrance

Stigmatisant sans relâche le conflit d’intérêts prescripteur-vendeur qui pénalise la santé publique et le chantage à l’ordonnance réalisé par certains vétérinaires auprès des éleveurs (pas d’achat de médicament, pas d’ordonnance !), l’ANPVO est intervenue à de nombreuses reprises auprès de différentes instances judiciaires, autorités de la concurrence, pouvoirs publics, ordres professionnels. Mais jusqu’ici sans grands résultats.

Les avancées sont timides. En octobre 2012, les deux ordres professionnels (Conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires et conseil central A de l’Ordre des pharmaciens) ont cosigné une déclaration commune rappelant aux vétérinaires et pharmaciens leurs obligations respectives en matière de prescription et de délivrance de médicaments et les risques encourus en cas de manquements. Mais, dernièrement, lorsque des vétérinaires bourguignons ont été pris en train de délivrer sans ordonnance des médicaments soumis à prescription, en l’occurrence des pilules pour chattes, ils n’ont eu qu’un simple rappel à l’ordre par courrier sans que leur instance ordinale régionale n’engage d’action disciplinaire à leur encontre.

De même, en novembre 2012, le Parlement européen avait adopté une disposition en faveur du découplage dans le cas des antibiotiques afin de prévenir toute forme d’incitation économique à prescrire, mais ce n’est jusqu’ici qu’une résolution non contraignante.

Pourtant, les enjeux de santé publique attachés à la lutte contre l’antibiorésistance et à l’utilisation des antibiotiques vétérinaires sont aussi voire plus importants que ceux liés à l’utilisation de son homologue humain. « 70 % des antibiotiques sont consommés en Europe par l’élevage animal », rapporte Jacky Maillet d’après un rapport sur le sujet du 30 janvier 2015. Avec potentiellement un impact sur la santé humaine du fait de la présence de résidus dans la viande consommée.

Un nouveau règlement européen en projet

Mais ce qui ne semblait pas susciter encore grand intérêt en 2012 chez les décideurs semble vouloir aujourd’hui engendrer des décisions de fond susceptibles de combler les faiblesses et défaillances du système actuel de délivrance des médicaments vétérinaires, notamment des antibiotiques.

Une nouvelle résolution relative aux « soins de santé plus sûrs en Europe », adoptée le 19 mai 2015, recommande le même principe de découplage. Ces deux résolutions de 2012 et 2015 ont l’opportunité d’être transposées en obligation dans la nouvelle réglementation européenne pour les médicaments vétérinaires qui sera votée le 22 septembre 2015 et adoptée par le Parlement et le Conseil européens en novembre prochain. Pour une entrée en application, sans transposition en droit national, en 2017.

Pour Jacky Maillet, l’espoir est permis. D’abord la presse (dont la revue Que Choisir en France) s’est emparée du sujet et a pris position en faveur du découplage dans le cas des antibiotiques. Ensuite, dans les pays nordiques, il est à l’origine des taux d’antibiorésistance les plus bas observés en Europe.

L’article n° 107 de ce projet de règlement européen constitue une réelle avancée puisqu’il vise à limiter la vente des antibiotiques par les prescripteurs aux seuls cas où le traitement est destiné aux « animaux qu’ils soignent » (lire l’interview ci-contre). « Cet énoncé ouvre la porte à différentes interprétations, estime Jacky Maillet. Aussi avons-nous adressé au rapporteur du div, la députée Françoise Grossetête, un amendement dans lequel est ajoutée la mention “après qu’un diagnostic a été posé, uniquement à la suite immédiate de leur examen clinique”. Ainsi, le pharmacien serait repositionné comme dispensateur dans le cas où le vétérinaire n’aurait pas la possibilité de se déplacer pour examiner un animal ou un lot d’animaux. » Comme l’issue de cet amendement est encore incertaine, le président de l’ANPVO tente de calmer le jeu face au lobby vétérinaire : « Nous ne demandons pas le découplage, ni remettons en cause la possibilité pour un vétérinaire de prescrire des antibiotiques hors examen clinique, mais sa légitimité à vendre des antibiotiques doit être attachée au fait d’avoir vu cliniquement l’animal. »

Le décret prescription/délivrance de 2007 également en révision

La lutte contre l’antibiorésistance ne se joue pas uniquement devant l’Europe et ses institutions. En France, les ministères de la Santé et de l’Agriculture ont mandaté en début d’année une mission IGAS-CGAER* pour dresser un bilan du décret prescription/délivrance de 2007 dans le but également d’améliorer ce dispositif et les conditions de délivrance des médicaments vétérinaires. Ce div autorise les vétérinaires à prescrire sans examen clinique préalable les médicaments dans le cadre de protocoles de soins prédéfinis, après la réalisation d’un bilan sanitaire d’élevage (BSE) annuel. Mais en faisant de la rétention d’ordonnances, ils s’arrogent le monopole de dispensation, au grand dam des pharmaciens et des éleveurs. « Il y a une opportunité avec la révision de ce décret de faire évoluer les pratiques permissives des vétérinaires pour que le libre choix du dispensateur par l’éleveur soit enfin respecté », explique Jean-Luc Fournival, président de l’Union nationale des pharmacies de France, rappelant qu’un éleveur sur trois ne peut toujours pas disposer librement des ordonnances.

Parmi les mesures correctives proposées par l’ANPVO (dont la plupart ont été présentées à la Direction générale de la santé fin 2014 conjointement avec le conseil central A de l’Ordre des pharmaciens), on retrouve une recommandation en phase avec l’article n° 107 du règlement européen pour limiter l’incitation commerciale à prescrire des antibiotiques. L’association souhaite aussi introduire dans le div du décret révisé le renforcement de l’obligation de remises des ordonnances aux éleveurs en lien avec le protocole de soins et le BSE et l’interdiction formelle de la mention « renouvellement interdit » préimprimée ou apposée informatiquement sur les ordonnances. Le rapport de la mission IGAS/CGAER est attendu pour septembre 2015.

* Inspection générale des affaires sociales et Conseil général de l’agriculture et des espaces ruraux.

« En tant qu’agent de l’Etat, la BNEVP a l’obligation de saisir la justice mais elle ne le fait pas. »

Guy Barral, président de l’Union nationale pour la pharmacie vétérinaire d’officine

80 % du marché du médicament vétérinaire aux mains des vétérinaires libéraux, 14 % aux groupements d’éleveurs et 6 % aux pharmaciens d’officine.

Animaux de compagnie : vers une nouvelle liste d’exonérations ?

Ce ne sont pas seulement quelques dizaines mais toutes les officines qui peuvent se retrouver dans le collimateur des inspecteurs. L’arrêté du 24 avril 2012 « portant exonération de la réglementation des substances vénéneuses destinées à la médecine vétérinaire », en révisant à la baisse la liste des substances vétérinaires exonérées pour les animaux de compagnie (en particulier suppression de l’exonération pour les pilules contraceptives, le phénobarbital, la dompéridone, limite d’exonérations pour les vermifuges) fait peser une insécurité juridique : les pharmaciens se retrouvent exposés à des délivrances non conformes à la réglementation du fait de l’absence de présentation d’une ordonnance. Et c’est majoritairement le cas. « Plus de 800 000 boîtes sont délivrées chaque année de façon illicite aussi bien dans le circuit officinal que dans le circuit vétérinaire », indique Philippe Gaertner, président de la FSPF, à propos des pilules contraceptives. C’est un autre combat à mener. « Il n’est pas normal qu’il y ait plus de contraintes de prescription et délivrance en médecine vétérinaire qu’en médecine humaine, concernant des molécules atoxiques ou peu toxiques. Le pharmacien doit pouvoir disposer en conseil vétérinaire de l’équivalent de ce qu’il a en humain », explique-t-il.

A l’issue des travaux ayant conduit à l’arrêté de 2012, le principe d’une révision de la liste tous les trois ans avait été suggéré. La profession sollicite donc une révision urgente de cet arrêté.

1 %

La part de marché détenue par les pharmaciens est inférieure à 1 % sur les animaux de rente.

30 %

En moyenne, les produits vétérinaires sont 30 % moins chers en pharmacie qu’en circuit vétérinaire.

70 %

Chiffre d’affaires généré par le médicament dans l’activité des vétérinaires ruraux.

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