La pharmacie connectée vue par les groupements - Le Moniteur des Pharmacies n° 3079 du 09/05/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3079 du 09/05/2015
 

Dossier

Auteur(s) : Chloé Devis

L’avenir de l’officine sera 3.0 ou ne sera pas ! Les groupements l’ont bien compris et se préparent à affronter les remises en question qui en découleront pour la profession. Chacun a déjà commencé à négocier ce virage avec sa culture et ses outils propres, défiant des horizons encore nébuleux. Cross canal, santé connectée, digitalisation du point de vente : autant de facettes de la pharmacie connectée, vues par huit d’entre eux.

Santé mobile, e-santé e-commerce… Face à ces lames de fond, « se préparer, se projeter, innover est indispensable, quels que soient les freins actuels », rappelle Jean-Christophe Lauzeral, directeur opérationnel de Giropharm. Un état d’esprit largement partagé par ses pairs : le digital est aujourd’hui au cœur des réflexions stratégiques des groupements. Toutes les conditions sont réunies pour en faire un « facteur d’évolution obligatoire » de la profession, assure Jean-Pierre Dosdat, président d’Objectif Pharma. D’un côté des pharmaciens plutôt ouverts aux nouvelles technologies et appelés à redéfinir leur métier et leurs missions dans une conjoncture économique incertaine. De l’autre des consommateurs « multiéquipés, qui font davantage confiance à leurs pairs qu’aux marques, en demande d’interactions et de personnalisation », dépeint Patrick Lebranchu, directeur de la communication de PharmaVie.

Dans le champ de la santé, « les données médicales se retrouvent de plus en plus entre les mains des patients, une tendance qui coïncide avec l’essor d’une médecine plus individualisée, prédictive et préventive, explique Lucien Bennatan, président du groupe PHR. Les professionnels de santé sont amenés à devenir des coaches pour les bien-portants. Or ce marché de la bonne santé, encore peu exploité en France, est en train d’être préempté par des géants tels que Google, Apple ou Microsoft… » Aussi, « soit le pharmacien s’exclut complètement de ce monde, soit il décide de devenir un acteur pivot du parcours de santé de ses patients et, dès lors, il ne peut ignorer la circulation des données ». Chez Giropharm, on se fonde sur la loi HPST pour défendre une approche « clinicienne » de la pharmacie connectée : « La sortie en masse de médicaments de la réserve hospitalière et la marge thérapeutique étroite de ces produits nous conduisent à renforcer la posture éducative de nos adhérents », fait savoir Jean-Christophe Lauzeral. De manière paradoxale, « le patient connecté est aussi en recherche d’hyperproximité avec son pharmacien, d’où l’importance de réhumaniser la relation au travers du digital », affirme Jean-Pierre Dosdat. La technologie devient alors un moyen essentiel pour s’en rapprocher : « Tous nos projets en matière de pharmacie connectée ont pour objet de mieux connaître nos clients pour mieux les conseiller », relève Patrick Lebranchu. Aurore Pinel, chef de projets web chez Pharmactiv, enfonce le clou : « Rien ne se fera sans des équipes performantes qui constitueront toujours la valeur ajoutée de l’officine. » Or face aux défis qui les attendent, « les groupements jouent un rôle crucial, d’une part pour les former et les accompagner dans l’acquisition des compétences nécessaires, d’autre part parce qu’il faut des ressources dédiées pour mettre en œuvre ces solutions de digitalisation », ajoute-t-elle.

Atteindre le consommateur par tous les moyens

Ainsi, si avoir pignon sur le web est devenu le premier commandement du pharmacien connecté, « la mutualisation des moyens informatiques et logistiques, mais aussi l’accès à une offre élargie proposés par son groupement lui permettent de garder la place qui est la sienne derrière le comptoir », renchérit Jean-Pierre Dosdat. « Grâce à une offre progressive et clés en main, nous sommes en mesure d’emmener avec nous tout notre réseau, composé d’adhérents qui n’ont pas tous la même maturité digitale », plaide Laurence Bouton, directrice d’Alphega. Le groupement s’apprête à déployer un nouveau site plus « personnalisable » auprès de ses membres, à l’instar de CEIDO et de sa solution Pharmaplay. Ce modèle de « site individuel indépendant mutualisé », que l’enseigne entend proposer à d’autres groupements, représente « une ouverture vers le business connecté », indique Christian-Eric Mauffré, président du réseau. Car aujourd’hui, il va de soi qu’optimiser la relation à distance avec le consommateur implique d’aller au-delà d’une simple vitrine sur le web et de proposer un panel de services… à l’image du point de vente physique.

L’e-commerce fait partie des évolutions inéluctables, mais « la finalité doit être de faire revenir le patient vers le repère de vie qu’est l’officine », insiste Christian Grenier, dirigeant de Népenthès et président de la chambre syndicale des groupements et enseignes Federgy. D’où le succès du modèle « click and collect » : « Le client peut payer en ligne et gagner du temps tandis que le pharmacien se recentre sur le conseil », souligne Maurice Torrano, chargé de mission nouveaux métiers chez PharmaVie. Une démarche favorisée par les incertitudes législatives sur la vente en ligne de médicaments, illustrées par le récent retoquage de l’arrêté des bonnes pratiques par le Conseil d’Etat.

Parallèlement, d’autres outils de la relation à distance sont investis par les groupements dans une logique « cross canal » : réseaux sociaux, newsletters… Chez Népenthès, « nous montons une communauté de consommateurs liée à une page Facebook pour créer de l’interactivité autour de nos pharmacies et de nos produits », annonce Christian Grenier. Mais parce que là encore, les limitations réglementaires imposées aux pharmaciens en termes de communication invitent à la prudence, la démarche est mise en place par l’intermédiaire des laboratoires émanant des groupements. De son côté, Giropharm envisage avec intérêt « la possibilité d’un contact direct avec le patient via l’envoi automatisé de SMS pour prévenir de la disponibilité de produits, de l’arrivée à échéance d’un contrat de mutuelle… ». Un rouage essentiel en sera « l’interconnexion entre les logiciels de gestion et les applications utilisées ». Chez Univers Pharmacie, c’est un chantier bouclé. Le très controversé programme Premium* comprend ainsi l’envoi régulier d’informations ciblées aux clients adhérents. Supports d’informations médicales ou de services, les applis téléchargeables fleurissent également à l’enseigne de groupements comme Univers Pharmacie, PharmaVie, Giphar ou Giropharm. Convaincu du potentiel de la m-santé, CEIDO prévoit de décliner prochainement ses outils digitaux en version mobile. « Le monde de la santé en général et en particulier celui de la pharmacie se caractérisent par une absence de service après-vente. Le digital offre l’opportunité de l’inventer en suivant le patient jusqu’à son domicile, soit en s’adressant directement à lui, soit à travers la transmission de ses données de santé », se félicite Jean-Pierre Dosdat.

Des informations à faire fructifier… et à conserver !

Ces fameuses données, véritable Graal de la santé 3.0, les groupements n’ont pas l’intention de les laisser filer aux mains des GAFAM, acronyme désignant les géants du secteur Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Or « aujourd’hui, ces acteurs ont développé leurs propres applis santé et les objets connectés vivent en dehors de la pharmacie, dans les rayons des distributeurs spécialisés », déplore Christian Grenier. Pourtant « que ce soit en matière d’observance, d’entretiens thérapeutiques ou de maintien à domicile, les enjeux autour de la gestion des données médicales sont cruciaux pour les pharmaciens », assène-t-il. Dans ce condiv, là encore, « les groupements auront une carte décisive à jouer en matière de mutualisation des moyens, de sécurisation et d’interconnexion des données », poursuit-il. Y compris « en développant des synergies entre eux ». Si des initiatives se dessinent en ce sens, c’est plutôt en ordre dispersé que les groupements avancent aujourd’hui leurs pions. Ainsi, plutôt que de tenter de les contrer, PHR entend se positionner comme un interlocuteur « référent » vis-à-vis des poids lourds de la « big data » : « Il ne nous apparaît pas pertinent de développer nos propres applications qui ne seraient que des têtes d’épingle face aux leurs. De même, il n’est pas dans notre intérêt d’imposer notre propre cloud. En revanche, les collecteurs de données privés comme publics auront besoin de s’appuyer sur des réseaux de professionnels de santé comme le nôtre pour les analyser », arguë Lucien Bennatan. En attendant, PHR a conclu un partenariat avec la chaîne spécialisée Lick pour le lancement de sa nouvelle enseigne Ma Pharmacie Référence, focalisée sur la santé connectée. Un certain nombre d’autres groupements prévoient également de mettre des objets connectés dans les linéaires dès cette année. Alphega, en synergie avec la société de services en santé Alcura également membre d’Alliance Healthcare, entend évoluer progressivement vers cette offre santé. D’autres comme Univers Pharmacie ou Giropharm visent directement le champ des pathologies.

« Plutôt que de se battre sur le terrain de la communication des enseignes vers le grand public, il nous paraît préférable de mener une réflexion autour des matériels destinés aux malades, notamment chroniques », fait valoir Jean-Christophe Lauzeral. « Nous ne déploierons une offre que lorsque nous aurons mis au point une plate-forme d’agrégation des données, aujourd’hui en cours de développement », indique pour sa part Christian-Eric Mauffré, tandis que Népenthès travaille actuellement avec un prestataire à la mise au point d’une offre globale, vendue par le pharmacien (téléphone santé et objet connecté) et qui participerait à la collecte de données avec l’accord du patient « pour contribuer à une meilleure observance, à la sortie hôpital-ville, à des entretiens pharmaceutiques plus ciblés ».

Le réseau PharmaVie a pour sa part prévu de mettre à la disposition des patients un portail Internet pour la centralisation et le suivi de leurs données et mène avec un groupe de pharmacies une démarche pilote autour du suivi de l’observance de patients hypertendus. Engagé également sur le front de l’observance à travers la conception d’un « arbre décisionnel » destiné à permettre aux équipes officinales de mieux cerner les raisons de la non-adhésion pharmaceutique. Objectif Pharma entend mettre à profit dans le cadre de cette démarche des outils digitaux comme le pilulier électronique. Reste que ces initiatives doivent prendre en compte des impératifs éthiques et juridiques dans un cadre national très protecteur. « Le partage des données de santé n’est une évidence ni pour nos confrères ni pour les patients, c’est pourquoi nous devons avancer pas à pas », relève Lucien Bennatan. Christian Grenier rappelle toutefois que « les pharmaciens, par définition, sont au courant des pathologies dont sont atteints leurs patients, et restent, quoi qu’il advienne, soumis au secret professionnel ». « Derrière toute collecte de données de santé, il y a des enjeux de santé publique, avec à la clé de nombreux pans d’activité à travailler pour les officines, par exemple autour de l’évaluation de certains médicaments », souligne pour sa part Laurence Bouton.

Des concepts tournés vers les services et l’information

Si la digitalisation des officines se traduira dans l’offre de produits et de services, elle aura aussi un impact sur leur agencement. En témoigne une floraison de nouveaux concepts aussi bien du côté des poids lourds que des réseaux de dimension plus restreinte ou locale, comme Paris Pharma. Pharmactiv déploiera à l’échelle de 60 à 80 points de vente d’ici la fin de l’année le modèle Optimum Care, déjà éprouvé au niveau de son réseau international, European Pharmacy Network. Il s’agit de valoriser l’expérience client en combinant des supports interactifs, des outils de diagnostic et de tests autour de deux catégories, la dermocosmétique et la douleur. Chez PHR, l’officine Ma Pharmacie Référence est pensée comme « un espace de santé qui dépasse le cadre du soin en offrant la possibilité de s’informer, d’échanger, de télécharger des données… ». Le concept s’articule autour d’un « web bar santé » associant un linéaire d’objets connectés er des écrans tactiles. Entre mai et décembre, ce seront 28 à 30 pharmacies équipées qui verront le jour.

Giropharm travaille également à une évolution de son concept qui fera la part belle à la « connectique », aussi bien côté espace de vente que côté back-office. Le groupement explore plusieurs pistes : des comptoirs éclatés avec des tablettes à disposition des équipes, des linéaires virtuels autorisant un gain de place dans l’espace de vente pour revaloriser la partie arrière et les espaces réservés aux services et à la confidentialité. L’enseigne propose notamment à ses pharmaciens un système baptisé Dispositif Conseil Interactif, constitué de tablettes tactiles thématiques pour les aider à personnaliser leur discours à travers l’accès à des données axées sur les besoins spécifiques des patients.

Chez PharmaVie, l’heure est au déploiement, entamé en janvier, de la troisième génération de points de vente à l’enseigne, au rythme d’une trentaine par an : la stratégie multicanale se reflète dans l’organisation des flux de clientèle au sein de l’espace avec la mise en place de comptoirs « click and collect » et de bornes interactives destinées à l’orientation du client en fonction de son motif de visite.

Quant au réseau Objectif Pharma, c’est d’ici le début de l’année prochaine qu’il concrétisera ses projets autour de la digitalisation de ses points de vente, en misant toujours et encore sur « la complémentarité des outils avec la capacité d’écoute des équipes ». Parmi d’autres, citons Forum Santé et son concept largement interactif One and All dévoilé à l’automne dernier. Mais la révolution reste en marche : du carnet de santé connecté aux bornes I-Beacon en passant par les bilans sanguins réalisés au moyen de patchs électroniques… autant de pistes que les groupements explorent déjà, autant d’ingrédients appelés à faire recette dans la pharmacie de demain.

* Lancé par Univers Pharmacie en janvier 2015, le programme Premium propose notamment une remise de 10 % sur la parapharmacie et l’exonération de paiement des honoraires de dispensation hors prescription. Son coût est de 25 euros par an pour les clients des officines (voir également pages 34 et 35).

« Nous ne déploierons une offre que lorsque nous aurons mis au point une plate-forme d’agrégation des données. »

Christian-Eric Mauffré, président de CEIDO

« Le patient connecté est aussi en recherche d’hyperproximité avec son pharmacien, d’où l’importance de réhumaniser la relation au travers du digital. »

Jean-Pierre Dosdat, président d’Objectif Pharma

« Derrière toute collecte de données de santé, il y a des enjeux de santé publique, avec à la clé de nombreux pans d’activité à travailler pour les officines. »

Laurence Bouton, directrice d’Alphega

Le modèle économique en question

Si les groupements tendent à considérer leurs investissements digitaux comme incontournables, la question du modèle économique associé à ces nouveaux développements n’en est pas pour autant tranchée. Des pistes s’esquissent toutefois. Chez Pharmactiv, on met en avant les résultats très prometteurs en termes de CA et de trafic des pharmacies ayant déjà mis en œuvre son nouveau concept. Univers Pharmacie a d’ores et déjà fait le choix du payant pour son programme de services Premium, alors que CEIDO envisage Pharmaplay comme « une porte d’entrée services et produits à même de faire venir à l’officine des populations qui la fréquentent habituellement peu, comme les jeunes ». De son côté, PHR mise sur un décollage progressif du CA lié aux objets connectés. Chez PharmaVie, on estime que, sur le modèle des pays anglo-saxons, l’accompagnement des patients justifiera une rémunération à leur charge. En ce qui concerne l’observance, Jean-Christophe Lauzeral (Giropharm), en est convaincu : « les laboratoires, attachés au maintien du remboursement de leurs médicaments, les assureurs, qui veulent des sociétaires en bonne santé, les payeurs que sont la Sécu et les mutuelles sont prêts à mettre des moyens, y compris financiers, à disposition des pharmaciens pour qu’ils en prennent en charge le pilotage des patients, et tout particulièrement des chroniques ».

« Le partage des données de santé n’est une évidence ni pour nos confrères ni pour les patients, c’est pourquoi nous devons avancer pas à pas. »

Lucien Bennatan, président du groupe PHR

Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre: « Préservez la confiance que l’on nous accorde »

« C’est une excellente chose que les groupements se préoccupent de santé connectée, car c’est un sujet riche de potentialités en termes de suivi, d’éducation thérapeutique aussi bien que de conseil au patient vis-à-vis de l’offre d’applications et d’objets connectés… Mais à une condition : les pharmaciens doivent continuer à préserver la confiance qu’on leur accorde, et sur laquelle repose leur valeur ajoutée, à travers le respect du secret professionnel. Ils se doivent ainsi d’être vigilants sur l’utilisation qui est faite des données de leurs patients et, qu’ils soient indépendants ou sous enseigne, ne participer qu’à des démarches ou ne délivrer que des produits qui présentent toutes les garanties dans ce domaine. »

« La finalité doit être de faire revenir le patient vers le repère de vie qu’est l’officine. »

Christian Grenier, dirigeant de Népenthès et président de la chambre syndicale des groupements et enseignes Federgy

« les groupements jouent un rôle crucial pour mettre en œuvre ces solutions de digitalisation. »

Aurore Pinel, chef de projets web chez Pharmactiv

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