Jeunes diplômés : S’installer demain - Le Moniteur des Pharmacies n° 3078 du 02/05/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3078 du 02/05/2015
 

Dossier

Auteur(s) : François Pouzaud

L’intention un instant affichée par certains politiques d’autoriser la libre installation a soufflé le froid auprès des pharmaciens, installés ou pas. Mais cette proposition iconoclaste a eu le mérite de raviver le débat sur les moyens nécessaires au renouvellement de la profession. La prochaine loi de santé devrait permettre quelques avancées en ce sens.

En 2014, les piliers de la pharmacie ont été mis une nouvelle fois à rude épreuve. Mais ils ont résisté aux assauts des ministres de l’Economie Arnaud Montebourg et Emmanuel Macron qui ont tour à tour sonné la charge sur les professions réglementées. En ligne de mire : le maintien du monopole officinal, la liberté d’installation et l’ouverture du capital aux investisseurs étrangers. Face à la mobilisation massive du 30 septembre puis à la concertation qui a suivi entre les syndicats et les ministères de la Santé et de l’Economie, le gouvernement a fini par jeter l’éponge, annonçant, mi-octobre, la réintégration des mesures touchant l’officine dans le projet de loi de santé. Pourtant, lors des débats parlementaires, la vigilance reste de mise concernant l’ouverture du capital et les mesures de simplification des règles d’installation. Même si toute disposition en faveur d’une liberté totale d’installation semble désormais écartée.

La libre installation fait l’unanimité de la profession contre elle

L’ensemble des composantes de la profession est vent debout contre la libre installation, convaincu qu’elle ne résoudra rien. « Les règles de répartition démogéographique des officines et la cohérence de notre maillage territorial sont les grandes forces de notre métier et font l’unanimité. Il faut les préserver ! » , estime Pascal Louis, président du Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO). Cette position fait consensus. « Les pharmacies de proximité sont importantes pour les soins de premiers recours et le lien social. Il y a une volonté partagée des syndicats professionnels et des pouvoirs publics de les conserver, mais peut-être pas en l’état », relève Olivier Desplats, président du réseau de cabinets d’expertise-comptable indépendants spécialisés en pharmacie CGP. « Il n’est pas question de reproduire les mêmes erreurs que les médecins en créant des déserts pharmaceutiques », lance pour sa part David Ruczkal, président de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF). A contrario, l’offre pharmaceutique deviendrait pléthorique dans les zones les plus attractives. « Un vent de libéralisme sur l’installation ne serait bénéfique qu’aux consommateurs résidant dans les zones concernées, estime Jean-Michel Peny, président du cabinet de conseils Smart Pharma Consulting. Cela va en effet intensifier la concurrence et faire baisser les prix non réglementés des produits de vente libre, ce qui était le but recherché dans le rapport de l’Inspection générale des finances. » Les conclusions de ce rapport avaient filtré à l’été 2014 et provoqué l’ire de la profession.

Les syndicats ont du mal à comprendre la cohérence de la proposition. « Comment peut-on nous dire d’un côté qu’il faut libérer l’installation des pharmacies et, de l’autre, que leur nombre est trop important sur le territoire national ?, s’étonne Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). En fait, la manœuvre envisagée par le gouvernement était la suivante : déréguler, attendre que le réseau se concentre et au besoin remettre de l’argent pour ouvrir des officines là où il y a des trous à combler. »

Selon Jean-Michel Peny, la dérégulation n’aurait pas coûté plus cher à l’Etat. « Les volumes dépendent des prescriptions médicales et du numerus clausus des médecins, pas du nombre des officines, explique-t-il. Moins de pharmacies, c’est plus de chiffre d’affaires par officine et plus de latitude pour le gouvernement à baisser les prix des médicaments remboursables sans pour autant les mettre en péril. En revanche, un détricotage désordonné du maillage territorial aurait été dangereux au plan politique. » Cependant, si le nombre d’officines décroît lentement et s’il n’y a pas plus de regroupements volontaires, les chiffres d’affaires vont baisser. Mécaniquement, le nombre d’adjoints au chômage et, par voie de conséquence, celui des candidats à l’installation va augmenter.

Quelles seraient les conséquences de la liberté d’installation sur la valeur des fonds d’officines et sur le marché des transactions ? Désastreuses, de l’avis de tous. « A quoi bon acheter un fonds s’il suffit de visser sa plaque et d’installer une nouvelle croix verte pour attirer la clientèle du voisin ? », s’interroge par exemple Patrick Bordas, responsable des professions de santé au cabinet d’experts-comptables KPMG. Une telle ouverture provoquerait une guerre de générations, à l’instar de ce qui se passe entre les taxis et les chauffeurs VTC (voiture de tourisme avec chauffeur). La libre installation entraînerait une dépréciation des fonds des titulaires en place sans pour autant apporter des gages de pérennité pour les nouveaux installés.

Plus il y aura d’outils législatifs, mieux ce sera !

Dans un monde qui change, rien n’est figé éternellement. Les instances professionnelles sont prêtes à faire bouger les lignes et à prendre part aux décisions sur de nouvelles règles concernant l’installation et la répartition des officines. A commencer par la suppression de l’obligation pour un pharmacien de détenir de manière directe 5 % des parts de la société dans laquelle il exerce. Les syndicats et l’Ordre la réclament d’urgence pour fluidifier les transmissions de parts de SEL et faciliter ainsi l’accès des jeunes à la propriété.

La profession semble avoir été entendue puisqu’un amendement a été adopté en ce sens en mars par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Une autre disposition votée satisfait Jérôme Paresys-Barbier, président de la section D de l’Ordre des pharmaciens : la possibilité pour un adjoint de participer au capital d’une SEL dans laquelle il exerce son activité dans la limite de 10 %, directement ou par l’intermédiaire d’une SPF-PL, tout en restant salarié. « J’aurais souhaité que la quotité de participation des adjoints soit fixée par décret plutôt que dans une loi où ce taux risque d’être figé pour longtemps, regrette-t-il. Néanmoins, en autorisant les adjoints à prendre des participations jusqu’à 49 % dans une holding, et demain peut-être dans une SEL, nos politiques nous apportent des gages de confiance qui peuvent donner du baume au cœur au marché de la première installation. » Jumeler le statut d’adjoint à celui d’investisseur laisse Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), plus circonspect. « A quelle caisse de retraite cotisera l’adjoint associé ? S’il démissionne ou s’il est licencié, devra-t-il céder ses parts ? Cela risque de soulever trop de problèmes… A un moment donné, l’adjoint doit faire un choix, soit il reste adjoint salarié, soit il assume pleinement le statut de cotitulaire ! »

Au-delà des outils mis à la disposition de la profession, le président de la section D veut surtout faire cesser le pessimisme ambiant, même si beaucoup d’adjoints souhaitant s’installer se heurtent à un manque d’engagement financier : « La pharmacie reste un bon terreau et un jour l’économie repartira. L’envie des adjoints de s’installer est intacte, il faut juste les bons outils pour obtenir l’impulsion. » Un avis que partage David Ruczkal : « Les adjoints, en devenant plus nombreux, finiront bien par provoquer un changement des mentalités et donner envie aux jeunes de s’installer. » Mais, pour Olivier Desplats, ce n’est pas en tenant en permanence des discours alarmistes sur l’officine que l’on y arrivera. « A raison de 500 au cours des 5 dernières années, les fermetures marquent une tendance sur laquelle on se focalise. En s’arrêtant à ce constat et sans faire de pédagogie auprès des jeunes, nous continuerons de les effrayer et de ne pas leur donner le goût de s’installer », déplore-t-il. Pour le président de l’ANEPF, les mentalités doivent aussi évoluer chez les titulaires : « Ceux qui proposent une association à un jeune représentent encore une minorité. »

L’officine reste un axe de développement important pour les banquiers

Tant que les fondamentaux de la pharmacie française demeurent, l’officine représente un axe de développement important pour les banques. Au-delà des outils disponibles et des montages autorisés, « la meilleure façon de relancer l’installation est d’abord de stabiliser l’économie de l’officine, sinon il n’y aura plus de banquiers et d’investisseurs pour s’y intéresser », considère Philippe Gaertner. Mais avec la fin programmée au 3 juillet 2015 de la dérogation accordée aux SELAS, l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) craint que les conditions d’accès au crédit se durcissent encore pour les jeunes. « L’interdiction de dissociation entre droits de vote et capital va limiter l’accès des jeunes diplômés comme titulaires de pharmacies prometteuses, regrette Michel Caillaud, conseiller du président de l’UNPF. La profession s’est bloquée en ne regardant que le mauvais côté des SELAS. Un jour, il faudra revenir en arrière. Confrontés à la frilosité importante des banques, les jeunes qui recherchent des pharmacies d’une taille conséquente ont besoin d’associés investisseurs majoritaires en capital qui apportent leur caution financière. »

Pour éviter la fuite des capitaux en dehors de la pharmacie, le représentant du syndicat suggère que les investisseurs souhaitant se désengager financièrement d’une société de pharmacie puissent laisser leurs capitaux dans un fonds mutualisé d’aide à l’installation.

Par ailleurs, l’UNPF estime que le réseau a besoin de se restructurer financièrement. « Les politiques drastiques et durables des baisses de prix vont laminer les trésoreries et empêcher les pharmacies d’investir, sauf à pouvoir compter sur des capitaux extérieurs. Il faut donc engager la réflexion sur cette éventualité d’ouverture du capital à des investisseurs partenaires des pharmaciens tels que les grossistes-répartiteurs car autour de nous, de telles stratégies continuent à se mettre en place. Il ne faudrait pas un jour se retrouver en France avec des schémas de participations extérieures que la profession n’aurait pas souhaités. »

Des petites officines enterrées un peu trop vite

Les structures importantes, cela ne fait pas tout. Les petites officines ne sont pas à mettre au rebut. Leur acquisition à des prix hors marché revient au goût du jour et cette tendance devient réalité. « Une affaire de 800 000 euros achetée 150 000 euros, qui dégage une marge commerciale de 30 %, sans concurrence autour d’elle et qui rend un service à la population, est tout à fait viable, souligne Pascal Louis. Le marché des transactions est d’ailleurs en train de se réarbitrer en faveur des cessions à très bas prix. » Preuve en est, les banques continuent à financer les officines se situant entre 700 000 à 800 000 euros et 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires, moyennant quelques précautions supplémentaires.

« Nous apportons un financement après une analyse au cas par cas qui permet de déterminer si cette taille, inférieure à la moyenne nationale, résulte d’une zone de chalandise modeste mais bien identifiable, ou d’un surnombre d’officines sur le même secteur, explique Luc Fialletout, directeur général adjoint d’Interfimo. Dans le premier cas, la pharmacie tient sa place dans l’offre de santé locale. Elle présente donc une pérennité probable et pourra continuer à intéresser d’autres acquéreurs. Dans le second cas, il paraît préférable d’encourager les titulaires à se regrouper plutôt que de chercher à vendre, même à prix très réduit. »

Entre cette évolution encore balbutiante des transactions à prix bradés et les réorganisations capitalistiques des officines portées notamment par la future loi de santé, « de nouvelles opportunités d’installation vont s’ouvrir aux jeunes », assure Pascal Louis.

Plaidoyer pour le modèle succursaliste

Olivier Desplats appelle de ses vœux une évolution des schémas juridiques d’exploitation pour que les pharmacies se regroupent et que les petites structures soient cessibles. « Les professions qui ne s’organisent pas pour accueillir des jeunes et faciliter leur accession à la propriété foncent tout droit vers l’ouverture du capital. » Le réseau CGP demande la possibilité pour une seule et même société d’exploiter plusieurs pharmacies succursalistes (trois ou quatre). Un modèle déjà défendu il y a quelques années par le CNGPO. « Chaque titulaire serait associé-gérant d’un point de vente tandis que les fonds de commerce seraient situés sur un même territoire de santé prédéfini par l’agence régionale de santé, détaille Olivier Desplats. Ainsi, une détention de deux ou trois fonds sur un périmètre restreint permettrait de favoriser un éventuel regroupement, s’il devenait nécessaire. »

Selon le réseau CGP, cette nouvelle organisation permettrait au jeune diplômé de prendre progressivement des participations dans la SEL et la valeur de ses titres ne dépendrait que de la valorisation globale de la société, indépendamment de la taille du point de vente dans lequel il aurait engagé son diplôme. Le réseau d’experts-comptables souhaite également la suppression des détentions directes des 5 % par titulaire et la possibilité pour plusieurs associés d’une même SPF-PL de détenir majoritairement plusieurs SEL. Pour sa part, Philippe Gaertner n’est pas favorable aux pharmacies succursalistes qui, selon lui, créeraient des situations de monopole de fait. Ce risque n’existerait pas dans la variante proposée par l’USPO qui se limite à l’acquisition d’une pharmacie secondaire par pharmacie. « Dans le cadre d’un projet de santé de territoire, ce dispositif viserait à maintenir ouverte une officine rurale menacée de fermeture en raison de la désertification médicale, elle serait alors rachetée à titre exceptionnel par une pharmacie voisine et en deviendrait sa succursale ouvrant un certain nombre d’heures par semaine de manière à sauvegarder la desserte pharmaceutique, expose Gilles Bonnefond. La gestion en sera confiée à un adjoint, lui offrant ainsi une évolution de carrière et par la suite une opportunité d’entrer dans le capital. »

Regroupements et transferts, les deux autres leviers

Les regroupements débouchant sur une taille critique des officines peuvent également, selon Gilles Bonnefond, offrir des opportunités de prises de participation des adjoints dans le capital en même temps que le développement de nouveaux services. Jean-Michel Peny suggère de favoriser les demandes de transferts en faveur des adjoints qui s’installent. En effet, la voie royale pour ouvrir une officine dans une commune qui en est dépourvue ou encore dans une commune qui se trouve sous le quorum de population est de faire une acquisition et ensuite un transfert. La stratégie est bien rodée. Le jeune diplômé achète une petite officine située dans une zone en surdensité, à un prix très décoté et avec un apport personnel faible.

Reste à trouver une commune d’accueil qui, après recensement officiel de la population, atteint ou va atteindre le quorum, mais aussi un bon emplacement qui permettra de redéployer son activité. La formule séduit. Les cabinets de transaction se sont déjà bien positionnés sur le marché de l’acquisition/transfert.

Serge Carrier (Pharmactiv) : « En Allemagne, le nombre de pharmacies est régulé par le marché »

« En France, l’existence d’une pharmacie est liée à une licence, ce qui explique que le prix pour accéder à la propriété soit élevé. En Allemagne, où l’installation est libre, c’est uniquement l’emplacement qui fait le prix, souligne Serge Carrier, directeur général du groupement Pharmactiv. Dans ce pays, si une pharmacie n’est pas rentable à un endroit, elle ferme et n’est pas remplacée. A l’inverse, une pharmacie bien placée se vendra très cher, ce qui explique que l’écart de prix entre les pharmacies le moins valorisées et celles le plus valorisées soit beaucoup plus élevé outre-Rhin qu’en France où les prix sont plus resserrés entre pharmacies de même taille ou de même typologie du fait de la licence. En Allemagne, le nombre des pharmacies est régulé par le marché, il tend à diminuer légèrement chaque année car il se ferme plus de pharmacies qu’il ne s’en ouvre. »

« La meilleure façon de relancer l’installation est d’abord de stabiliser l’économie de l’officine. »

Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France

« A quoi bon acheter un fonds s’il suffit de visser sa plaque et d’installer une nouvelle croix verte pour attirer la clientèle du voisin ? »

Patrick Bordas, responsable des professions de santé au cabinet d’experts-comptables KPMG

« A un moment donné l’adjoint doit faire un choix, soit il reste adjoint salarié, soit il assume pleinement le statut de cotitulaire ! »

Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine

« Le marché des transactions est en train de se réarbitrer en faveur des cessions à très bas prix. »

Pascal Louis, président du Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine

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