COUP DE FROIDSUR L’INTERPRO - Le Moniteur des Pharmacies n° 3074 du 04/04/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3074 du 04/04/2015
 
VACCINATION EN OFFICINE

L’événement

Auteur(s) : Loan Tranthimy

Malgré la suppression, dans le projet de loi de santé, de l’article 32 autorisant la vaccination par les pharmaciens, les tensions restent palpables entre médecins, infirmiers et pharmaciens. D’autant plus qu’une expérimentation sur cette mesure a été annoncée. La vaccination n’est-elle finalement pas révélatrice d’un malaise interprofessionnel ?

Combattu par les médecins et les infirmiers, l’article 32 autorisant les pharmaciens à vacciner en officine a été finalement supprimé lors de son passage devant la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, le 19 mars. Selon le député socialiste, à l’origine de cette suppression, Jean-Louis Touraine, « les pharmaciens ne disposent à ce jour ni des compétences, ni de la formation indispensables à la réalisation de vaccins ». Par ailleurs, il n’est pas prouvé que la vaccination à 10 € en officine aboutisse à des résultats significatifs sur les plans économique et sanitaire. Présente lors de ce vote, Marisol Touraine a reconnu que cette proposition avait « suscité des inquiétudes », tout en indiquant qu’une expérimentation de cette mesure « sera effectuée ». Cette annonce exacerbe encore plus les tensions interprofessionnelles entre les trois acteurs clés de l’équipe de soins de proximité que sont les médecins, les pharmaciens et les infirmiers. En tête de la fronde, les infirmiers, très en colère, refusent toute idée d’expérimentation. « A quoi cela va servir ? martèle Annick Touba, présidente du Syndicat des infirmiers et des infirmières libérales (Sniil). Les pharmaciens n’ont pas les compétences pour vacciner. Pourquoi ne s’occupent-ils pas de la lutte contre l’iatrogénie médicamenteuse des personnes âgées ou encore du suivi des patients chroniques qui prennent les médicaments au long cours ? ». Même agacement du côté de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). « C’est une appropriation des compétences des infirmiers. Aujourd’hui la pharmacie clinique n’existe pas encore », commente Philippe Tisserand, président du syndicat. De leur côté, les médecins ne se montrent guère enthousiastes à l’idée de l’expérimentation. « Je n’y suis pas favorable. C’est une mesurette pour régler le vrai problème du taux de couverture vaccinale en France. On doit avoir une réflexion globale sur la vaccination », ajoute Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Chez les pharmaciens, le malaise est palpable. Intervenant lors d’un débat « Vaccination contre la grippe : quel rôle pour le pharmacien d’officine ? », organisé le 26 mars par Alliance Healthcare, Philippe Gaertner, président de la FSPF a estimé « qu’il n’y aura plus de débat parlementaire dans le cadre du projet de loi de santé. Les parlementaires prendront leur responsabilité par rapport à la couverture vaccinale. Compte tenu de ce qui s’est passé, cela ne devrait pas revenir dans la loi ». Il écarte également toute idée d’expérimentation basée sur l’article 51 de la loi HPST de 2009, qui a instauré des protocoles de coopération entre professionnels de santé (transferts de tâches et de compétences). « Je ne crois pas à l’utilisation de l’article 51 sur la vaccination. Ce n’est pas le bon cadre pour le pharmacien car il permet une délégation de tâche directe par le médecin alors que la vaccination officinale s’inscrit dans une logique de prévention et pas de soins. En cas d’échec, je ne souhaite qu’on puisse le reprocher aux pharmaciens ». Sur un ton plus dur, celui-ci estime que cette possibilité donnée aux pharmaciens a permis « de montrer toute la force du corporatisme ». Faut-il voir là un aveu d’échec pour le travail collaboratif ? En permettant aux pharmaciens de vacciner, Marisol Touraine n’a-t-elle pas mis en péril les opérations de coopération interprofessionnelle développées ces dernières années ? Comment sortir de ces blocages ?

Une ROSP interprofessionnelle

Pour Luc Duquesnel, président de l’UNOF, branche généraliste de la CSMF (syndicat majoritaire chez les médecins libéraux), ces tensions interprofessionnelles s’étaient cristallisées autour de cet article, « arrivé en même temps que d’autres mesures tombant de Paris sans concertation et qui deviennent délétères sur le terrain pour l’interprofessionnalité ». Pour autant, la coopération interprofessionnelle n’est pas définitivement enterrée sur cette question, selon ce praticien. Au contraire, dans son département, la Mayenne, les pharmaciens participent activement avec les autres acteurs à des missions de santé publique. « Pendant la semaine européenne de la vaccination du 20 au 25 avril, nous, médecins, pharmaciens et infirmiers, allons informer la population sur le calendrier vaccinal et vérifier ou elle est dans ses vaccins », explique-il. Autre solution qui pourrait détendre l’atmosphère : la création d’une rémunération sur objectifs de santé publique interprofessionnelle (ROSP) à travers une politique de santé territoriale. « Après un état des lieux sur la couverture vaccinale, il sera possible de fixer un objectif avec une dotation versée à l’équipe si l’objectif est atteint. » Brigitte Bouzige, titulaire aux Salles-du-Gardon (Gard), estime que la vaccination est un sujet purement interprofessionnel. Elle plaide pour que ce débat puisse avoir lieu au sein de la Fédération nationale des maisons et des pôles de santé (FFMPS) dont elle est vice-présidente. « Rien n’empêche les maisons de santé de mettre en place des protocoles de coopération comme les entretiens pharmaceutiques sur les AVK. Les pharmaciens peuvent agir sur une population qui ne se vaccine pas et qui ne va pas chez les médecins », déclare-t-elle.

Relancer le débat entre les professionnels de santé

Pour l’heure sur le terrain, cette question de la vaccination reste un sujet tabou entre les professionnels de santé. Comme en témoigne Hervé Breteau, pharmacien titulaire à Saint-Brice en Cogles (Ile et Villaine). « Il y a une mauvaise compréhension de nos intentions. Il s’agit des vaccinations supplémentaires qui n’enlèvent pas le travail des infirmiers. Nous allons saisir une occasion pour en parler au sein de la maison de santé », explique-t-il. Jean-Paul Ortiz, également vice-président du centre national des professions liberales de santé qui fédère l’ensemble des organisations syndicales (CNPS) considère que cet épisode de crispation pourra servir de leçon pour doper l’interprofessionnalité. « Nous devons relancer la concertation pluridisciplinaire au sein du CNPS, car le moment est venu d’avoir une réflexion globale sur les évolutions de nos métiers », dit-il. Philippe Gaertner, qui est également président du CNPS, reconnaît que « les professionnels de santé ont besoin de se retrouver au sein de cette instance pour regarder dans le futur comment envisager les contours des métiers », tout en craignant néanmoins que l’évolution du projet de loi de santé « médico-centrée » ne casse la dynamique de l’interprofessionnalité. Peu importe, pour Gilles Bonnefond, le mal est fait. « Ceux qui ont poussé le dossier tellement fort au point de créer des blocages avec les médecins et les infirmiers ont rendu un mauvais service à la profession. Je vais relancer l’interpro et éviter le mot vaccination pendant quelque temps ».

L’ESSENTIEL

→ Février 2011 : Académie de pharmacie et IGAS évoquent dans leurs rapports la vaccination à l’officine.

→ Octobre 2014 : l’article 32 du projet de loi de santé autorise la vaccination en officine.

→ Février 2015 : 91% des infirmiers estiment que cette solution est une mauvaise mesure selon une enquête de l’Ordre des infirmiers.

→ Mars 2015 : Marisol Touraine annonce une expérimentation de la vaccination en officine.

→ Mars 2015 : suppression de l’article 32 par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.

Projet de loi de santé : plusieurs articlesvont toucher l’officine

Les députés ont jusqu’au 10 avril pour examiner le projet de loi santé qui comporte 57 articles et 2 400 amendements. Tout peut encore changer. Même si l’article 32 sur la vaccination en officine a été supprimé, d’autres articles qui vont toucher directement les pharmaciens sont à surveiller de très près : réforme en profondeur du développement professionnel continu (article 28), participations des adjoints dans les SEL (article additionnel après article 34) ou encore réforme par ordonnance du maillage officinal (article 50).

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