Michel Chassang Président de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) - Le Moniteur des Pharmacies n° 3069 du 28/02/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3069 du 28/02/2015
 

Entretien

Auteur(s) : Loan Tranthimy*, Laurent Lefort**

Elu en février 2013 à la tête de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL), Michel Chassang apprend avec enthousiasme à défendre d’autres familles professionnelles que la sienne. Alors que le projet de loi Macron est passé en force à l’Assemblée nationale, l’ex-président du premier syndicat des médecins libéraux (CSMF) ne baisse pas les bras et porte l’affaire devant la Commission européenne. Le médecin généraliste veut mettre aussi en garde les professions de santé contre la toute-puissance de Bercy.

LE MONITEUR des PHARMACIES : Quelle est la mission de l’UNAPL ?

MICHEL CHASSANG : Représentant trois grandes familles classiques (santé, droit, technique et cadre de vie), l’Union nationale des professions libérales est une intersyndicale interprofessionnelle des professions libérales. Sa mission est transversale concernant les droits européens, les dossiers fiscaux et l’accessibilité dans les cabinets, et elle ne se préoccupe jamais de ce qui est propre à chacune des professions, voire propre à chacune des familles d’ailleurs. Voici sa mission originelle. S’y ajoute au fil du temps une autre activité dévorante: celle d’une organisation patronale représentative dans le secteur des professions libérales. Nous participons donc à toutes les instances du dialogue social, lequel occupe de plus en plus de place dans notre société. L’Etat a tendance ces derniers temps à légiférer moins qu’il ne le faisait dans le champ du travail, laissant la place aux conventions de gré à gré. C’est la naissance des fameux ANI, les accords nationaux interprofessionnels, négociés par le patronat et les syndicats de salariés et traduits dans la loi française. On fait quelque part office de prélégislateur.

Vous avez un long passé de syndicaliste médical. Se retrouver à la tête d’une organisation interprofessionnelle requiert-il des dispositions particulières ?

C’est une continuité dans mon propre parcours. J’ai commencé ma carrière syndicale en étant président de l’UNOF pendant 10 ans, puis président de la CSMF, confédération regroupant différentes spécialités avec des divergences fortes de revenus, de modes d’exercice. En soi, la CSMF est déjà un organisme interprofessionnel. Puis j’ai été président du CNPS pendant six ans où j’ai pu travailler en interprofessionnalité. Aujourd’hui, s’occuper des professions libérales dans leur ensemble est une continuité et cela nécessite beaucoup d’investissements. J’ai découvert des mondes nouveaux mais, finalement, plus j’avance plus je trouve que les mécanismes sont semblables et qu’il y a des points communs entre toutes les professions libérales : l’indépendance professionnelle, la proximité, la relation individuelle avec son client, son patient, la responsabilité directe, un investissement personnel dans sa propre entreprise en temps, une prestation intellectuelle… Les pharmaciens ont ceci de singulier qu’ils délivrent des produits. Mais pas n’importe lesquels, ce sont des médicaments, qui nécessitent beaucoup de connaissances… et leur rôle de conseil devient de plus en plus important.

Quelle est la profession libérale la plus menacée aujourd’hui selon vous ?

C’est difficile de répondre à cette question. Je dirais que c’est l’esprit libéral qui est menacé. D’abord il y a une confusion dans le grand public entre libéralisme et professions libérales. Le libéralisme, c’est la vision économique d’un système qui repose sur la compétitivité, la concurrence, le libre échange. Je fais ce que je veux où je veux quand je veux. Les professions libérales demandent au contraire d’être très réglementées dans l’intérêt du public. Le libéralisme fait assez mauvais ménage avec les professions libérales.

Pourquoi alors les Français ont-ils le sentiment que la réglementation privilégie davantage les professionnels qu’eux-mêmes en créant des rentes de situation ?

Parce qu’il y a une seconde confusion des genres entre réglementer et protéger. On réglemente dans l’intérêt du public. Protéger, c’est dans l’intérêt du professionnel. On a réglementé des professions dans l’intérêt du public en raison d’une grande dissymétrie d’informations. Le public a souvent du mal à comprendre ce qu’il achète et est forcément obligé de faire confiance à son notaire, son chirurgien, son pharmacien… C’est celui qui sait, pas celui qui est destinataire de la prestation. D’où la nécessité de moraliser et donc de réglementer. Par exemple en termes de compétences, qu’il faut justifier à un instant t et au long de la vie professionnelle d’ailleurs, avec la formation continue. Il y a aussi des règles d’exercice, déontologiques ou autres. Le professionnel ne peut pas faire n’importe quoi sinon il est sanctionné et cela peut aller jusqu’à l’interdiction d’exercer. Puis il y a des règles en termes de prix administrés ou fixés par voie conventionnelle. Dès lors, aucune concurrence ne peut s’instaurer par le prix. Et cela change tout. Enfin, j’ajouterais qu’il y a des conditions liées à l’installation, notamment en pharmacie.

Donc les professions libérales ne sont pas des professions protégées ?

Non. Des professions protégées il y en a, et moi j’en connais.

Lesquelles ?

Les hauts fonctionnaires. Parfaitement protégés. A l’issue des études, ils ont automatiquement accès à une place dans l’administration qui vaut jusqu’à la fin de leurs carrières. On peut être médecin ou avocat sans avoir de travail ou en gagnant le smic. Le monde salarié d’une façon générale, et en particulier certains postes, est protégé par le statut. Un pharmacien ou un médecin n’est protégé en rien. Par exemple, il engage son patrimoine personnel en cas de difficulté financière, d’erreur médicale. Le gouvernement a utilisé cette confusion des genres (« libéralisme-libéral, réglementé-protégé ») pour utiliser des mots comme « rentier », « privilégié », ce qu’il n’aurait jamais dû faire, allant jusqu’à dire que ces rentes sont à l’origine d’une captation de pouvoir d’achat à hdiv de 6 milliards d’euros. Autrement dit, on a mis en place toutes ces barrières de protection pour permettre aux professionnels de s’en mettre plein les poches.

Oui, mais ça c’était le discours d’Arnaud Montebourg. Celui d’Emmanuel Macron a tout de même changé, non ?

Emmanuel Macron a changé la forme car il est plus sympathique, plus rond, plus adroit, mais il est sur la même problématique. Pour lui, il n’y a pas de croissance car il n’y a pas de concurrence. Or, le règne de la concurrence débridée, c’est le low cost. Une prise de conscience doit s’amorcer chez les Français car ces professions les protègent. Demain, sans ces protections, les multinationales, la finance internationale vont régner et ils n’auront plus qu’à obéir. Des emplois de proximité seront détruits. Il y a une verrue dans cette loi Macron: le chapitre des professions réglementées, qui d’ailleurs ne comporte plus que des mesures touchant au secteur du droit puisque celles touchant à la santé ont été renvoyées à la loi santé.

Pour autant, ce qui concerne les professions du droit pourra-t-il à terme concerner les professions de la santé ?

Bien sûr, la loi Macron est un laboratoire d’idées et les professions de santé doivent en prendre conscience. Le jour où la loi Touraine va venir à l’Assemblée, on sait tous qu’elle comportera un chapitre « professions réglementées », lequel va concerner entre autres les pharmaciens. Personne n’a lu le div, personne ne sait ce qu’il y a dedans.

Ce sera par ordonnance ?

Peut-être une partie. On n’en sait rien. Mais ce que je sais c’est que plus Emmanuel Macron aura de facilité à faire passer sa loi sur les professions réglementées du droit, plus il sera tenté évidemment d’en rajouter lorsqu’il va aborder le sujet des professions de santé, et moins Marisol Touraine aura de pouvoir. Au-delà de la loi Macron se cache l’emprise directe de Bercy sur la politique de notre pays, dans tous les secteurs.

C’est déjà le cas depuis un moment, non ?

Cela prend des proportions dramatiques. Aujourd’hui Emmanuel Macron discute de sujets qui ont trait au domaine social, au domaine judiciaire… Une commission spéciale transversale à l’Assemblée regroupant toutes les commissions avec un rapporteur général a même été créée. C’est une première et cela en dit long sur ce qu’il risque de se passer. On va demander demain à monsieur Macron de gérer les hôpitaux, la médecine libérale, le prix du médicament… Il y a un danger absolu à ce que Bercy s’immisce dans les affaires concernant la santé. Les deux domaines obéissent à des règles radicalement différentes.

Oui, mais il y a tout de même un dénominateur commun, la logique économique…

Je n’ignore pas qu’il y a un objectif national des dépenses d’assurance maladie [ONDAM] dans le monde de la santé, mais je n’ignore pas non plus qu’il y a une sécurité sanitaire qui n’est pas toujours compatible avec l’ONDAM. Et si incompatibilité il y a, c’est la sécurité sanitaire qui doit dominer et pas l’ONDAM. Si demain il y a un scandale comme celui du sang contaminé ou de la vache folle, ce n’est pas Emmanuel Macron qui en subira les conséquences mais le ministère de la Santé et par ricochet les professionnels de santé.

Ce sont des arguments comme celui-ci qui ont permis à Marisol Touraine de se faire entendre ?

C’est parce que nous avons poussé à la roue les uns et les autres que Bercy a lâché du lest. Et a considéré qu’il valait mieux traiter le sujet dans un second temps au cours de la loi santé. ça c’est la version officielle, mais ce n’est pas la vérité. La vérité c’est qu’Emmanuel Macron a eu peur de subir l’unité de l’ensemble des professions libérales contre sa loi. Il a voulu séparer les sujets.

Comment alors libérer de la croissance dans le domaine de la santé ?

Il n’y a pas de croissance à libérer dans le domaine de la santé à partir du moment où il y a un ONDAM qui est dégressif et fixé par l’Etat. Nous ne sommes pas dans un secteur marchand. Si les prix sont trop élevés, il faut peut-être les réviser. S’il y a des règles à changer en matière d’installation. La loi Macron est une loi de déclin qui vise à lutter contre l’indépendance des professionnels. Car derrière tout cela, il y a l’ouverture du capital des sociétés d’exercice libéral qui ne vise qu’à mettre fin à l’indépendance des professionnels libéraux.

L’entrée de capitaux extérieurs, c’est non pour vous. Mais l’entrée de capitaux « interprofessionnels » serait-elle possible ?

Nous sommes favorables à l’ouverture du capital en interprofessionnel pour peu qu’on ait éliminé les divergences déontologiques et les conflits d’intérêt. C’est un sujet sur lequel il faudra être prudent. Imaginons par exemple une association médecin-pharmacien à Aurillac, cela peut être compliqué. En revanche, une association d’un médecin à Dunkerque et d’un pharmacien à Marseille, cela peut s’envisager. Avec des capitaux extérieurs, il y a un danger extrême. Notamment que des fonds de pension américains ou la Mutualité française, Axa deviennent propriétaires des pharmacies. Et pour cela, pas besoin d’être majoritaire.

Mais, dans le cas des maisons de santé, des professionnels de santé peuvent dès aujourd’hui être amenés à travailler en collaboration étroite et à mêler des intérêts communs. Là, vous y êtes favorable. Nous avons du mal à comprendre la nuance ?

Oui, nous y sommes favorables dans la mesure où l’avenir est au regroupement et au travail multidisciplinaire, tout en restant très vigilant. Les SISA [sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires] auxquelles vous faites allusion permettent de partager la rémunération d’un cabinet pluridisciplinaire liée au seul travail d’équipe et non à la gestion totale de la structure. C’est différent d’une SEL où le capital est partagé pour l’intégralité de l’activité de la société. Il faut construire des sociétés d’exercice libéral qui permettent d’éliminer ces conflits d’intérêts.

Faut-il encadrer la liberté d’installation comme l’envisage Emmanuel Macron ?

Je pense qu’on ne peut pas déstabiliser un secteur sans l’accord de celui-ci. C’est le grand péché de la loi Macron. Dans le domaine de l’installation, il faut aborder la question profession par profession car les choses sont plus compliquées qu’il n’y paraît. Pour les médecins, c’est compliqué. Il y a aujourd’hui des endroits où il n’y pas suffisamment de clientèle pour avoir de médecins. Cela supposerait que si on met fin à la liberté d’installation des médecins, on mettra fin aussi à la liberté de choix des patients. L’Angleterre, par exemple, a mis en place des cartes sanitaires – sinon, cela n’a pas de sens. C’est vrai qu’il manque des médecins dans certains endroits, en particulier dans des zones couronnes périurbaines. Puis il y a des carences dans certaines spécialités comme les ophtalmos. Mais rien n’obligera jamais un professionnel de s’installer là où il ne le souhaite pas. L’obligation est une mauvaise idée.

Vous avez déposé plainte auprès de l’Europe contre le projet de loi Macron. Pourquoi ?

Parce que ce div qui comporte le volet « professions réglementées » contrevient au droit communautaire. La Commission européenne ne demande pas à ce qu’on porte atteinte à la sécurité des citoyens. On n’est pas dans un marché ordinaire. Cette marchandisation correspond certes à une partie de l’Europe anglo-saxonne mais n’est pas du tout la philosophie de la Commission européenne. Si d’autres pays également portent plaine sur ce chapitre, alors nous pourrons demander à surseoir à sa mise en application. Je considère qu’il s’agit uniquement d’une opération politicienne pour donner des gages à une partie de la gauche.

Quelle est votre position sur le tiers payant généralisé ?

Je pense que cette affaire a été mal commencée. Tous les patients qui ont des difficultés financières devraient bénéficier du tiers payant. C’est évident. Je comprends Marisol Touraine quand elle dit qu’il ne doit pas y avoir d’accès aux soins dépendant des revenus. La question du tiers payant ne se pose pas non plus au-delà d’un certain tarif pratiqué. Pour une opération chirurgicale par exemple où le patient doit sortir 1 500 euros, ce n’est pas possible. Il est naturel qu’il y ait un tiers payant au-delà d’un certain tarif. A l’exception de ces deux conditions, proposer des mesures incitatives pour développer le tiers payant, pourquoi pas, mais le rendre obligatoire est une hérésie. A ce problème s’additionnent d’autres problèmes techniques qui ne sont pas minces comme la garantie de paiement. Ce qui fait que les médecins n’en veulent pas.

Pourtant, les pharmaciens pratiquent depuis longtemps le tiers payant…

La situation est un peu différente pour plusieurs raisons. D’abord, le montant moyen des ordonnances en pharmacie n’a rien à voir avec la consultation à 23 euros. Puis, les pharmacies ne sont pas les mêmes structures d’entreprise que celles des médecins. 55 % des médecins travaillent seuls sans secrétaire. Ceux-là n’ont pas de temps pour s’occuper du tiers payant. Aujourd’hui, vouloir persister dans le tiers payant obligatoire est un autisme mal placé. Si l’administration montre qu’elle est capable d’assurer l’indépendance des professionnels, et le paiement en temps réel, cela marchera. Pas besoin d’obligation.

Pourquoi les coopérations interprofessionnelles ne fonctionnent-elles pas ?

Là encore, il y a une confusion générale entre coopération et transferts de tâche. Le médecin pense que le pharmacien va lui prendre ses actes. Et les pouvoirs publics vont exploiter à fond cette méprise. C’est la plus mauvaise façon d’aborder la question. Il faut amener les professionnels de santé à travailler ensemble en mettant en place des outils avec une organisation et une nomenclature. Les pharmaciens ne gagnent rien à prendre des actes aux médecins, et ces derniers à critiquer les missions des pharmaciens et à s’opposer à certaines évolutions comme la rémunération forfaitaire prévue pour la surveillance des patients sous AVK ou l’accompagnement des patients asthmatiques. Si la vaccination est perçue comme un travail en équipe, une coopération avec un protocole, alors cela sera accepté par les médecins. On a trop longtemps mené une politique du « tout-médecin » et dévalorisé les autres professions de santé. Sans les autres, un médecin ne peut rien faire.

1984 : doctorat de médecine (faculté de médecine de Toulouse).

1993 à 2002 : président de l’Union nationale des omnipraticiens français (UNOF), branche médecins généralistes de la CSMF.

2002 à 2014 : président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF).

2007 à 2013 : président du Centre national des professions de santé (CNPS).

Depuis 2013 : président de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL).

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