POUR OU CONTRE LA VACCINATION PAR LES PHARMACIENS ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3066 du 07/02/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3066 du 07/02/2015
 

Débat

Auteur(s) : Caroline Coq-Chodorge

C’est un point d’achoppement majeur du projet de loi santé qui, dans son article 32, fait légitimement se dresser depuis plusieurs semaines les syndicats de médecins : les pharmaciens d’officine pourraient être autorisés à vacciner sous conditions. Les principaux intéressés affirment qu’ils ne sont pas demandeurs, mais y voient une piste d’évolution de leur pratique. Et ils peuvent compter sur l’appui des patients et des enquêtes statistiques. Mais confrontée à la fronde des médecins, Marisol Touraine, ministre de la Santé, est à la recherche de compromis…

FRANCIS MEGERLIN, économiste de la santé, maître de conférences à l’université Paris-Descartes

« Nous assistons en France à un important recul de la vaccination. Cela pose un problème de culture et d’organisation. De culture, parce qu’il y a une perte de vue du bénéfice collectif de la vaccination, et qu’une défiance s’est installée à l’égard de la vaccination en général. Cela pose aussi un problème d’organisation parce que, dans certains territoires, on observe une pénurie de médecins et parfois d’infirmiers, saturés en cas de besoins massifs de vaccination, en période préépidémique de grippe saisonnière par exemple. En 2002, 67 % des Français de plus de 65 ans se vaccinaient contre la grippe. Ils ne sont plus que 53 % en 2012. Sur la même période, ce taux progressait au Royaume-Uni de 69 à 76 % et au Portugal de 37 à 43 %. Ces deux pays autorisent la vaccination contre la grippe par le pharmacien. Il n’y a pas nécessairement là de cause à effet, mais le système français est à bout de souffle. Comment les autres font-ils ? Les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Irlande et le Portugal notamment ont autorisé la vaccination par les pharmaciens en officine, aux Etats-Unis depuis vingt ans. Les résultats sont très positifs en termes de satisfaction des personnes, d’accroissement du taux de couverture, de proximité, d’accessibilité et de commodité du service. C’est particulièrement favorable à la « vaccination d’opportunité », par définition non programmée ni programmable. Bien sûr, les mêmes questions se sont posées partout : craintes de perte d’activité et donc de revenu par certains médecins, de perte d’information dans la chaîne des soins, etc. Mais, dans les faits, les pharmaciens vaccinent une population qui ne se rend pas ou peu chez le médecin. Surtout, dans tous ces pays, la vaccination a lieu sur prescription ou sur protocole, permettant l’orientation vers le médecin traitant en cas de doute. La vaccination y est donc sous conditions, elle ne peut être proposée que par un pharmacien habilité, dans un espace spécifique, avec un système d’information assurant la continuité interprofessionnelle des soins, comme les dossiers de suivi partagé ou les carnets en ligne. Cela a beaucoup aidé au consensus et à l’acceptation des pratiques. L’article 32 du projet de loi santé visant à autoriser le pharmacien à vacciner va dans la bonne direction, même si l’essentiel devra être précisé par la voie réglementaire: quelle formation professionnelle, quels vaccins concernés, quels protocoles, quel partage d’information ? On peut comprendre les inquiétudes des professionnels de santé, dans un climat d’incertitude. Mais cette complémentarité est nécessaire, c’est une nouvelle culture, et au final tous seront gagnants. »

BERNADETTE DEVICTOR, présidente de la Conférence nationale de santé (CNS) et du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) Rhône-Alpes

« Les objectifs de la politique vaccinale ne sont pas atteints : c’est sur la base de ce constat qu’a travaillé la Conférence nationale de santé pour rédiger son avis en 2012. Elle a recommandé de simplifier la politique vaccinale, ce qui a été fait, et de rapprocher les vaccins de la population, ce que le projet de loi santé s’efforce de faire. Aujourd’hui, le médecin prescrit le vaccin, le patient doit se rendre à la pharmacie pour le récupérer, puis se le faire injecter. Cette démarche en trois temps est trop compliquée pour une grande partie de la population. Pour la Conférence nationale de santé, la vaccination doit rester prioritairement dans un dialogue entre le médecin et le patient. Mais alors des stocks de vaccins doivent être disponibles au cabinet médical, ce qui pose des problèmes d’organisation, de gestion des stocks, etc. La Conférence nationale de santé a également recommandé la vaccination par la médecine scolaire et universitaire. Enfin, elle a évoqué l’implication du pharmacien, qui a une mission de vigilance, et qui doit pouvoir vacciner à partir du moment où il sait que le patient est en relation régulière avec son médecin, ou si le patient se présente avec une prescription médicale. Dans les autres cas, un dialogue doit s’instaurer avec le pharmacien, qui peut réorienter vers le médecin. La principale exigence est le partage d’information entre les professionnels de santé. S’il y a plusieurs lieux de vaccination non coordonnés, le patient ne sera pas gagnant. La répartition des tâches entre les professionnels de premier recours ne pourra se faire que grâce à la coordination. Celle-ci est un objectif inscrit à la stratégie nationale de santé. »

JEAN-LUC DELMAS, président de l’Académie nationale de pharmacie

« L’Académie a pris position en faveur d’une plus grande implication des pharmaciens dans la vaccination dès 2011, quand les premiers signes d’une baisse de la couverture, en particulier antigrippale, sont apparus. Nous estimons aussi que le pharmacien doit se préoccuper du respect du calendrier vaccinal, dans le cadre de son suivi habituel des patients. Le dossier pharmaceutique peut être un outil utile, c’est à cette fin qu’il est prévu que la durée de conservation des données sur les vaccins soit prolongée de 4 mois à 21 ans. Et si les pharmaciens vaccinent, peut-on espérer une augmentation de la couverture vaccinale ? Parce qu’il est facile d’accès, le pharmacien peut déclencher une vaccination d’opportunité chez des personnes qui ne voient pas souvent leur médecin, qui ne prennent pas le temps de vérifier où elles en sont avec leurs vaccins. C’est un raisonnement simple, suivi dans d’autres pays, qui ont vu augmenter leur taux de vaccination contre la grippe d’au moins 10 %, sans qu’il y ait de répercussions sur l’activité des médecins et des infirmiers. L’intérêt de la vaccination par les pharmaciens est le plus évident pour la grippe. En cas d’épidémie sévère, les patients à risque affluent chez les médecins généralistes qui sont déjà saturés par les patients malades, sans parler des déserts médicaux. Le réseau des pharmaciens peut rendre un service complémentaire. Pour l’Académie, la vaccination par les pharmaciens doit être basée sur le volontariat, conditionnée à une formation réalisée dans un espace de confidentialité, et limitée à la grippe et à quelques rappels. La vaccination des nouveau-nés et les primovaccinations doivent, selon moi, rester de la seule compétence des médecins. Nous entendons les arguments de santé publique des médecins, inquiets de ne pas être informés. Ce problème d’information est à traiter, au niveau de l’équipe de soins de premier recours. Et doivent être écrits des protocoles de soins, qui détaillent les vaccins concernés, les conditions d’administration, et les contre-indications. »

ASH SONI, président de la Royal Pharmaceutical Society (Royaume-Uni)

« La Royal Pharmaceutical Society constitue le principal corps professionnel des pharmaciens en Angleterre, au pays de Galles et en Ecosse, auquel 55 % des pharmaciens adhèrent. Nous accompagnons le développement de la vaccination par les pharmaciens, qui a débuté il y a 8 ans par des expérimentations dans des zones reculées où la densité médicale est faible. Au départ, le constat était que les médecins ne vaccinaient pas assez contre la grippe. La pharmacie ouvre une nouvelle opportunité de le faire, notamment pour les personnes fragiles, les diabétiques, les asthmatiques, les hypertendus, qui ne vont chez leurs médecins que tous les six mois. Et cela marche: les pharmaciens ont vacciné contre la grippe 100 000 personnes à Londres, 200 000 personnes dans toute l’Angleterre. Nous vaccinons aussi les adultes contre le zona, le pneumocoque, la rubéole. Nous nous interrogeons aujourd’hui sur la vaccination des enfants contre la rougeole et les oreillons. Au départ, les médecins, qui sont payés à l’acte pour la vaccination, étaient opposés à la vaccination par les pharmaciens. Mais, aujourd’hui, ils sont satisfaits de voir progresser la couverture vaccinale de la population de 7 % en 10 ans. Et ils constatent qu’ils ne vaccinent pas moins. Les pharmaciens qui vaccinent doivent disposer d’une pièce isolée et privée, où le patient peut s’asseoir. Tous ont reçu une formation spécifique, et ils ont été supervisés par un médecin ou une infirmière pour les dix premières vaccinations. Les pharmaciens interrogent le patient sur ses antécédents. Et ils doivent informer le médecin traitant par mail sécurisé ou par fax, bientôt grâce à un système d’information partagé. »

PHILIPPE BESSET, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF)

« Cet article du projet de loi n’est pas de notre initiative, les pouvoirs publics n’en ont jamais discuté avec nous. Mais notre assemblée générale s’est prononcée en faveur de la vaccination par les pharmaciens. Nous prendrions très mal que cet article 32 soit finalement supprimé. Nous approuvons l’objectif des pouvoirs publics d’améliorer la couverture vaccinale, nous avons aussi étudié les expériences à l’étranger, toutes positives. Et nous sommes bien sûr toujours favorables à l’évolution des missions des pharmaciens, qui répondent aux besoins des patients. Mais pour que cela soit faisable, nous avançons trois revendications : l’acte vaccinal doit être rémunéré, le pharmacien doit bénéficier d’une formation adaptée, et nous avons besoin d’un système d’information adapté pour que l’équipe de soin de premier recours, et en particulier le médecin traitant, soit informée des vaccinations réalisées. Quel doit être le vecteur de cette information : le dossier pharmaceutique, le dossier médical personnel ou l’Assurance maladie ? C’est aux pouvoirs publics de le décider. L’information est aussi indispensable pour le pharmacien, qui ne doit pas vacciner deux fois un même patient. De notre point de vue, le pharmacien peut réaliser tous les rappels de vaccination de l’adulte, dont la grippe. Mais les primovaccinations doivent rester réservées aux médecins. Sur le terrain, il n’y aura pas de problèmes : c’est une population additionnelle qui sera vaccinée, les médecins ne vont pas perdre d’activité. »

CLAUDE LEICHER, président du syndicat de médecins généralistes MG-France

« Pour nous, le problème n’est pas la pratique du geste vaccinal. Le problème de la vaccination, c’est le manque de confiance et de pédagogie. Par exemple, on paie encore les conséquences de la campagne de vaccination de masse contre l’hépatite B lancée en 1994 jusque dans les collèges, sans discussions préalables. Et je réfute l’idée que la vaccination est un geste simple : il peut y avoir des complications, notamment avec les patients fragiles. Les médecins doivent rester les promoteurs et les pédagogues de la vaccination. C’est aussi une question identitaire. On ne comprend pas bien pourquoi les pharmaciens veulent enlever des missions aux médecins, de la même manière que Leclerc veut leur prendre une partie de leur activité. Et cela va encore un peu plus désorganiser, éclater le système français. Aujourd’hui, je ne suis pas informé lorsqu’une infirmière vaccine un de mes patients. Et pourquoi les pharmaciens seraient-ils plus capables de mieux faire face à une épidémie ? Il y a 230 000 pharmacies en France et 52 000 médecins généralistes. Le gouvernement doit investir dans la médecine générale, pour que l’on puisse se doter de secrétariats qui appellent les patients pour leur rappeler qu’ils doivent se vacciner. Une solution efficace serait aussi de mettre à disposition des médecins des stocks de vaccins dans les cabinets, gérés par les pharmaciens. J’ai demandé au ministère le retrait de l’article 32 du projet de loi santé. Sinon, cela sera considéré comme un acte de guerre vis-à-vis des médecins généralistes. Je réclame au contraire que soit écrit dans la loi que le dossier médical partagé, la vaccination et les pratiques avancées des infirmières sont sous la responsabilité du médecin traitant. »

GILLES BONNEFOND, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO)

« Il y a une urgence: il faut reconquérir une confiance dans la vaccination. On voit resurgir la rougeole chez les adultes. Faut-il attendre une épidémie de grippe d’envergure pour assister à un sursaut ? Je suis favorable à la vaccination par les pharmaciens, mais je suis contre le fait que cela soit un sujet de discorde entre professionnels de santé. Ce débat est très mal parti. L’article 32 a été inséré à la va-vite dans le projet de loi santé à la demande de la FSPF et de l’Ordre, et sans qu’il y ait au préalable la moindre discussion avec les médecins et les infirmiers. Au final, cela radicalise et cristallise les positions. Il faut reprendre le sujet depuis le début, en engageant un dialogue interprofessionnel. Il faut surtout éviter que le patient se retrouve pris dans un conflit entre le médecin et le pharmacien, et n’y comprenne plus rien. Si on remet de l’huile dans les rouages, peut-être que l’on pourra expérimenter cette mesure dans les territoires où les médecins sont débordés. Mais ce n’est possible que s’il existe une véritable équipe de proximité, associant le médecin, le pharmacien et l’infirmière. »

PHILIPPE TISSERAND, président de la Fédération nationale des infirmiers

« Depuis 2009, les infirmières libérales ont le droit de pratiquer, sans prescription médicale, des revaccinations antigrippales. La population peut donc aller au cabinet infirmier pour se faire vacciner, même si dans la pratique nous vaccinons surtout les patients que nous prenons en charge à leur domicile. Nous sommes indignés par cette mesure du projet de loi santé qui n’était même pas réclamée par les pharmaciens. Nous revendiquons depuis longtemps un rôle vaccinal plein et entier pour les infirmières, suivant l’exemple de nombreux pays. Nous espérons que les prochaines négociations interprofessionnelles qui doivent reprendre aborderont le sujet de la vaccination. La principale difficulté est sa traçabilité : nous avons un devoir d’information des médecins, mais nous n’en avons pas les moyens. Nous avons besoin d’un dossier médical personnel et d’une messagerie sécurisée. »

JEAN-LUC FOURNIVAL, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF)

« L’interprofessionnalité va faire évoluer nos méthodes de travail. Mais pour y parvenir, il faut respecter le cœur de métier de chaque profession. Alors seulement nous pourrons réfléchir sur ce que les médecins, les pharmaciens et les infirmiers peuvent faire ensemble. Il faut se respecter mutuellement pour construire des zones de travail communes. Cet article du projet de loi santé crée du conflit, les médecins sont contre. Les pharmaciens considèrent majoritairement que la vaccination ne relève pas de leur compétence. Comment dans ces conditions parvenir à élargir de 5 à 6 % la couverture vaccinale contre la grippe, comme au Portugal ou en Angleterre ? Je ne refuse pas la vaccination par les pharmaciens. Elle est possible, en accord avec les médecins et les infirmiers, uniquement contre la grippe et dans des cas bien particuliers : en cas de pandémie, pour renforcer le premier recours. Mais cela n’a pas de sens tant qu’il n’y a pas une interprofessionnalité admise. Les pouvoirs publics doivent aussi donner des garanties aux pharmaciens : je veux savoir quelle sera notre responsabilité, dans quelles conditions matérielles nous pourrons vacciner, et pour quelle rémunération.

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