Installer un adjoint, ils l’ont fait ! - Le Moniteur des Pharmacies n° 3062 du 10/01/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3062 du 10/01/2015
 

Enquête

Auteur(s) : François Pouzaud

Aujourd’hui, tous les outils existent pour qu’un titulaire puisse aider son adjoint à s’installer. Encore faut-il que l’un et l’autre aient envie d’en parler et de les utiliser. Ceux qui ont brisé le mur du silence, fait le deuil de leurs anciens rapports employeur/employé et franchi le rubicond de l’association, ne le regrettent pas. Des traces à suivre.

Officines trop chères, manque d’apport personnel, rareté des bonnes affaires… Les obstacles à l’installation des adjoints sont nombreux et sont souvent vécus comme insolubles par les intéressés. Pourtant, pour trouver les solutions qui permettent de devenir titulaire ou associé d’une officine sans trop s’endetter, il n’est pas forcément nécessaire d’entamer un parcours du combattant. De plus en plus de titulaires, satisfaits du travail de leurs collaborateurs, leur proposent de mettre le pied à l’étrier au travers d’une association, le plus souvent en SEL. « C’est une décision qui peut couler de source quand un titulaire est satisfait de son adjoint et c’est aussi une récompense méritée pour l’intéressé que d’être associé à la vie de l’officine », souligne Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département pharmacie de Fiducial Expertise.

Des avantages pour chaque partie

Ce schéma se rencontre de plus en plus souvent car tout le monde y trouve son compte.

Pour l’ex-employeur, une association en cogérance peut lui permettre de se reposer davantage sur son ex-adjoint, de lever un peu le pied et retrouver du temps pour soi, ce qu’il n’aurait peut-être pas envisagé dans la situation antérieure.

Dans un montage en SEL dans lequel il est associé investisseur, la motivation est différente : le titulaire cherche à générer de la croissance externe, parfois dans la même commune ou dans une commune limitrophe. En installant son adjoint dans une pharmacie proche de la sienne, il maîtrise ou fait disparaître la concurrence dans sa zone de chalandise. Lorsque la pharmacie à vendre connaît des difficultés, « les pharmaciens investisseurs préfèrent maintenir le point de vente ouvert et y installer un ancien adjoint plutôt que de racheter la clientèle et de restituer la licence, ce qui dans ce dernier cas expose au risque d’ouverture d’une nouvelle officine dans les communes où les pharmacies ne sont pas excédentaires », constate Jacques Morel, directeur régional à l’Auxiliaire Pharmaceutique.

Pour un titulaire à l’approche de la retraite, la vente du fonds devient une préoccupation et transmettre en une seule fois ou progressivement son affaire à un adjoint pour assurer la suite évite d’avoir à chercher un repreneur pendant de longs mois au cours desquels le fonds risque de se déprécier. « Une association avec son adjoint quelques années avant la cession est le meilleur moyen de trouver un successeur en interne », explique Luc-Bertrand Manry, avocat de l’étude parisienne Havre Tronchet.

Pour un titulaire s’associant avec son adjoint qui apporte son dynamisme et de nouvelles idées, c’est aussi une bonne façon de redynamiser l’activité et d’accroître les performances de l’officine. Avec à la clé, une opération patrimoniale intéressante à long terme au travers de la plus-value qu’il réalisera sur la revente des parts ou même du fonds, s’ils décident de vendre ensemble.

Pour l’adjoint qui manque de fonds propres, c’est une opportunité à saisir. Malgré la faiblesse de ses apports financiers, le jeune pharmacien trouve le moyen de s’installer grâce à la caution financière de son associé. En prenant des parts, le financement de la reprise sera plus facile à supporter, car échelonné. Jusqu’à racheter progressivement la participation de son associé pour devenir finalement le seul titulaire, lorsque l’heure de sa retraite aura sonné, ou parce que le pacte d’associés a prévu que le pharmacien investisseur en SEL revende ses parts à l’issue d’un délai de quatre ou cinq ans.

Autre intérêt : « En cas de reprise du fonds là où il a travaillé, l’ancien salarié sait a priori ce qu’il achète, et même s’il est gérant dans une autre officine, son ancien patron peut aussi lui apporter une assistance précieuse en lui faisant partager ses expériences professionnelles et en lui permettant de bénéficier de son réseau de partenaires habituels : banquier, expert-comptable, avocat, groupement, laboratoires, agenceur… », souligne Michel Watrelos, expert-comptable du cabinet Conseils et Auditeurs Associés.

La SEL dans laquelle s’associent un pharmacien investisseur déjà installé et un jeune sans moyens financiers est la pratique la plus répandue. « Le plus souvent, la SEL emprunte pour acquérir le fonds tandis que l’ex-titulaire apporte à la banque le plus gros de la somme, notamment au travers des sommes qu’elle a déposées en compte courant », explique-t-il. En effet, depuis le décret sur les SPF-PL de juin 2013, le pharmacien investisseur ne peut désormais plus détenir que moins de la moitié du capital des SEL au sein desquelles il investit. Son aide financière pourra toutefois être augmentée, en réalisant un apport complémentaire en compte courant d’associé.

Les holdings de pharmacies sont aussi une réponse au manque de renouvellement de perspectives de carrière des adjoints puisque le décret les autorise à participer au capital de ces sociétés. « C’est un bon moyen de les motiver et de leur confier de nouvelles tâches et des responsabilités différentes, c’est aussi un bon test dans la perspective d’une association ultérieure », estime François Gillot, expert-comptable du cabinet Conseils et Auditeurs Associés. Mais aujourd’hui, ce schéma n’a pas encore rencontré un réel succès, loin s’en faut, auprès des adjoints.

Beaucoup moins fréquente, la donation est une autre voie possible pour transmettre l’officine à un enfant diplômé, adjoint dans la pharmacie familiale, à moindre coût fiscal. Il n’est pas rare de trouver des familles de pharmaciens où l’on se transmet l’officine de parent à enfant. Dans ce cas, le pacte Dutreil leur tend les bras. Ce dispositif permet aux pharmaciens, qui souhaitent transmettre leur officine à un enfant diplômé, de bénéficier d’une exonération des droits de mutation. Cette exonération porte sur 75 % de la valeur du fonds de l’officine (si celle-ci est exploitée en nom propre) ou de la valeur des parts ou actions transmises (si l’officine est exploitée en société). Pour être valable, ce pacte doit respecter certaines conditions (engagement collectif et individuel de conservation des titres, détention minimum de titres, obligations du dirigeant…) et être enregistré auprès de l’administration fiscale.

Concernant la reprise des parts de son associé, rien n’empêche de les faire racheter par la société qui procédera alors à une réduction de capital. « Mais le mieux serait de constituer sa propre SPF-PL pour acquérir les parts de son ancien titulaire qui pourra, dans ces conditions, profiter de l’exonération des plus-values pour départ à la retraite », précise Michel Watrelos.

Partir de l’officine pour y revenir

L’histoire est cocasse. Jean-Christophe Lerondeau était adjoint depuis presque dix ans à la pharmacie de Serge Sayag à Villabé, dans l’Essonne, quand il décide un beau matin de lui donner sa démission. Divorcé, ce quinquagénaire veut tourner la page et se lancer avec sa nouvelle compagne dans le commerce de gros de fleurs à Rungis, avec un autre associé. Mais le projet avorte. N’ayant pas coupé les ponts avec son ancien employeur avec lequel il est resté en bons termes, il lui parle de son échec. Ce concours de circonstances va le ramener dans la filière de la titularisation. « Cette expérience n’a pas été inutile car elle m’a donné l’envie de devenir entrepreneur », explique Jean-Christophe Lerondeau. Le déclic ne s’était pas produit avant, au grand regret de Serge Sayag. « Mon ex-adjoint est quelqu’un d’honnête, de professionnel et de très compétent mais je ne lui avais jamais proposé avant son départ une association car je ne le sentais pas prêt pour cela ». Ayant une volonté indéfectible de travailler avec son conjoint – une personne très dynamique, communicante et qui a le sens du commerce –, l’idée de s’installer a fini par éclore. « Serge Sayag savait ce dont j’étais capable et avait bien senti que j’étais maintenant motivé pour acquérir une officine, il m’a donc aidé à m’installer dans une pharmacie dans le 15e arrondissement de Paris, via une SELAS dont il détient la majorité du capital (65 %) avec son associé de Villabé », raconte Jean-Christophe Lerondeau. Mais il a fait plus : « Il a embauché ma compagne en alternance dans son officine pour préparer le BP en deux ans. Ainsi, le temps des recherches, elle a fait sa première année à Villabé et après mon installation en juin 2013, a terminé sa deuxième année dans mon officine parisienne. »

Pour Serge Sayag, le recrutement de la compagne de Jean-Christophe Lerondeau ne s’imposait pas au vu d’un effectif déjà bien garni. « Je n’avais pas budgété cette embauche, mais tous les deux forment un couple très complémentaire et déterminé, et en ce qui me concerne, cette installation en parrainage est avant tout un projet humain avant d’être financier ». Malgré la distance entre les deux officines (40 km), Serge Sayag se rendait une fois par semaine à Paris dans les premiers mois de l’installation pour assister son ex-adjoint au démarrage. Aujourd’hui, les visites se sont espacées (une par mois) et le relais de l’accompagnement a été pris par son groupement car Jean-Christophe Lerondeau est passé à l’enseigne Well & Well.

S’associer sans se connaître : un pari osé

A l’inverse de Jean-Christophe Lerondeau, Noëlle Héno, après dix ans d’assistanat, souhaitait ardemment s’installer et attendait patiemment son heure pour prendre des participations dans la pharmacie du Centre Leclerc de Saint-Géréon (Loire-Atlantique) dans laquelle elle travaille. « Avant de partir en retraite, l’ancien titulaire, associé majoritaire de la société, m’avait promis de me faire rentrer au capital. A son départ, un projet de reprise à trois, entre l’associé minoritaire restant, un nouvel associé et moi-même, était à l’étude », explique-t-elle. Mais la complexité d’une association à trois a rebuté tout le monde pour des raisons personnelles et compte tenu également des enjeux financiers. « Il était écrit que cette histoire ne se ferait pas ! », lance Noëlle Héno. Mais cette adjointe ne désespère pas et rencontre par la suite plusieurs acquéreurs potentiels présentés par les cabinets de transactions pour bâtir une nouvelle association, cette fois à deux, car le troisième associé souhaite partir. Mais les prétendants à l’acquisition ne donnent pas suite jusqu’au jour où le cabinet POD lui présente Bertrand Commeil, son aîné de 11 ans, qui détient avec sa conjointe la pharmacie du centre commercial Carrefour La Beaujoire à Nantes. Pour sa troisième installation, Bertrand Commeil cherche en effet un associé, compte tenu de l’importance du CA de la pharmacie de Saint-Géréon (4,2 M€) sur laquelle il a jeté son dévolu.

Dès le premier contact, le courant passe entre eux et chacun voit rapidement ce que l’autre peut lui apporter. Le rachat se réalise en septembre 2011 selon une répartition 70/30 dans le capital en faveur de Bertrand Commeil. « J’ai apporté mon expérience sur la gestion du back-office d’une pharmacie de centre commercial et Noëlle Héno, ses compétences au comptoir, les responsabilités acquises au sein de l’équipe et sa connaissance de la clientèle. » Rapidement, leur complémentarité saute aux yeux. « Moi, j’achète les produits et elle s’occupe de les vendre », résume-t-il. « Nous avons beaucoup parlé ensemble, puisque nous ne nous connaissions pas et n’avions jamais travaillé ensemble, poursuit Noëlle Héno. Nous nous sommes aperçus que nous avions la même vision de la pharmacie et nourrissions le même projet de développement pour cette officine qui repose sur trois axes : le conseil, le choix, les prix. » Dès lors, cela suffisait pour sceller leur union avant même de trouver d’autres points d’accord sur l’attribution des rôles, la répartition du temps de travail et des jours de repos, les besoins personnels de chacun, etc. « Notre rapprochement s’est fait le plus naturellement du monde et la confiance s’est vite installée entre nous. »

Quand les titulaires font du sentiment

Pourtant, ne jamais avoir travaillé ensemble est une des principales causes d’échec de l’association. Les associés démarrent en se connaissant peu professionnellement et, après quelques mois, ils se rendent compte que leurs modes de fonctionnement ne sont pas compatibles. « Une bonne étoile veille sur nous, on ne calcule pas et chacun donne le meilleur de soi-même », confie Noëlle Héno. « C’était un coup de poker car nous partions dans l’inconnu », reconnaît Bertrand Commeil. Ce dernier détenant encore des parts dans la SEL de son épouse, il s’apprête maintenant à aider un jeune confrère de 28 ans, travaillant avec elle à la pharmacie de La Beaujoire, à franchir le pas du statut d’adjoint au statut de titulaire.

Sébastien Lefebvre a été adjoint pendant cinq ans dans l’unique pharmacie de Criel-sur-Mer (Seine-Maritime). Natif du coin, il aspire à devenir titulaire mais n’est pas prêt à s’exiler loin de ses terres. Pourtant, il va devoir s’y résigner car son apport personnel ne lui permet pas d’acquérir la pharmacie dans laquelle il travaille, détenue par Monique Pasquet, associée unique d’une SNC et à deux ans de la retraite. « Sans son concours, je ne pouvais rien faire », explique-t-il. Et elle le savait. Les difficultés d’accession à la propriété de son adjoint et son projet de s’installer un jour, sans fixer clairement d’échéance ni afficher ses ambitions personnelles, ont fait l’objet entre eux de discussions régulières. L’idée d’une association a doucement germé pendant trois ans, car depuis qu’ils travaillent ensemble, ces deux pharmaciens s’apprécient. « Progressivement, elle m’a confié de plus en plus de responsabilité, comme de passer commande aux laboratoires et j’ai gagné en autonomie », raconte-il.

Sans savoir vraiment qui a fait le premier pas, ils ont fini par se jeter à l’eau. Pour Monique Pasquet, cette association était un retour aux sources. « J’ai été associée pendant mes dix premières années de carrière », précise-t-elle. Le fonds a été revendu à une SELARL dans laquelle ils sont associés à 50/50. L’association n’a rien changé, elle continue de travailler au même rythme, et une fois retraitée, elle pourra toujours y rester en tant qu’investisseur.

Sébastien Lefebvre n’a pas eu besoin de trouver des arguments pour la convaincre de lui vendre son affaire plutôt qu’à un autre. Pourtant, compte tenu de la situation privilégiée de son officine (en bord de mer) et de sa taille (au-dessus de la moyenne), elle n’aurait eu aucune difficulté à retrouver un repreneur plus fortuné pour lui acheter en bloc la totalité de ses parts. Ce qui a fait pencher la balance en faveur de son ex-adjoint n’a pas de prix. « Je préfère transmettre mon affaire à un successeur en qui j’ai confiance, dont je sais qu’il assurera une continuité avec la clientèle et maintiendra l’esprit de service de la pharmacie », explique-t-elle. On dit qu’il ne faut pas faire de sentiment en affaires mais, visiblement, cette règle d’or ne s’applique pas à Monique Pasquet qui ne peut rien faire sans affect. « Je préfère finir ma carrière en aidant un adjoint qui n’a pas les moyens plutôt que vendre à des affairistes qui ont déjà plusieurs officines ». Pour Monique Pasquet, c’est une façon de le remercier, de rendre à son associé ce qu’il lui a apporté et donné en tant que salarié.

Adjoint/employeur en SEL : une affaire qui marche

Le succès de cet « attelage » se retrouve dans les statistiques de l’Ordre des pharmaciens. Au 1er janvier 2014, l’institution recensait 2 879 sociétés d’exercice libéral (SEL) comprenant au moins un associé non exerçant en son sein – soit près de 40 % des SEL –, et 32,4 % de titulaires d’officines ayant une participation dans une ou deux autres SEL. Le phénomène ne devrait d’ailleurs pas manquer de se développer à la faveur de l’assouplissement souhaité par les pouvoirs publics des règles d’installation.

En revanche, le nombre de SPF-PL avec des pharmaciens investisseurs pharmaciens adjoints est pour l’instant anecdotique (5 au 1er janvier 2014).

Installer des adjoints : un triple intérêt

A la cité de la butte rouge à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), les titulaires poussent leurs adjoints à s’installer pour maintenir une offre de service de proximité en réseau, sous couvert de SEL. Pour assurer la pérennité de leurs officines, Béatrice Clairaz-Mahiou et Ali Zahid ont pris des participations respectivement dans l’officine de l’une et de l’autre, après la réalisation d’une opération d’acquisition/fusion d’une pharmacie concurrente par le premier titulaire et après que le second a transféré son officine à l’intérieur de la cité. Mais ce n’est pas tout. Ils ont installé Ghizlane Berrada, l’adjointe d’Ali Zahid, dans une troisième officine du secteur, en prenant respectivement des participations dans sa SEL. Et l’installation d’un autre adjoint est en cours de réflexion…

« Il faut donner aux adjoints leur chance et en même temps veiller à les installer dans un secteur proche pour que l’on puisse mutualiser les moyens et, au besoin, faciliter le regroupement de nos officines si la situation économique des pharmacies devenait catastrophique dans quelques années », explique Béatrice Clairaz-Mahiou. Pour Ali Zahid, business et confraternité peuvent aller de pair. « Nous ne faisons pas cela par pure philanthropie, il y a un intérêt à la fois stratégique, financier et humain à installer des adjoints. »

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