TROIS SCÉNARIOS POUR ÉVALUER SES BESOINS

Le pharmacien titulaire ne peut bien évaluer ses besoins financiers que s’il a une bonne appréciation de la situation financière de son entreprise », rappelle Joffrey Blondel, directeur de gestion officinale de la CERP Rouen (groupe Astéra). Les réponses se trouvent donc dans l’analyse du bilan et le chef d’entreprise doit veiller à ce que l’équilibre soit maintenu entre les besoins de l’entreprise et les charges financières.

La situation de trésorerie dépend en premier lieu de la situation financière initiale : un équilibre est impératif entre le coût des actifs immobilisés acquis par l’officine (fonds de commerce, agencements, matériels, parts de SEL, etc.) et les capitaux mis en contrepartie afin de les financer (capital social, emprunt, apport en compte courant). La différence entre le coût de ces actifs et les ressources est le fonds de roulement (FR). Ce montant de fonds de roulement couvrira les besoins de fonctionnement. En outre, l’exploitation va générer un besoin de trésorerie pour l’achat du stock, le délai de règlement du tiers payant, l’avance de TVA. Une partie sera assurée par le crédit accordé par les répartiteurs et les laboratoires. La différence est appelée besoin en fonds de roulement (BFR). En pratique, comment évaluer le BFR à partir du bilan ? « Pour ce faire, il y a lieu d’écarter de l’actif et du passif, les valeurs de trésorerie (titres de placement, banques, caisse) », précise Philippe Becker, directeur du département pharmacie de Fiducial Expertise. Le calcul du BFR s’effectue en retranchant du fonds de roulement les besoins de financement, c’est-à-dire : le montant des marchandises ; les créances de clients non encaissées à la date de clôture de l’exercice et les comptes rattachés ; les autres créances telles que les crédits de TVA et les charges constatées d’avance ; les ressources de financement (dettes fournisseurs) ; les dettes fiscales et sociales qui restent dues. « Si le total est positif, cela signifie que l’exploitation de l’officine engendre un besoin de financement », indique Philippe Becker. La trésorerie est la résultante de l’opération FR – BFR. Une trésorerie négative provient du déséquilibre entre les deux.

1 Les besoins financiers à long terme

« Il est essentiel de faire appel à des financements à long terme pour couvrir des investissements. Ainsi, il ne faut pas financer des travaux, le coût d’un transfert ou d’un regroupement avec de la trésorerie à court terme ou en tirant sur les délais fournisseurs », martèle Laurent Cassel, expert-comptable du cabinet AdequA.

Dans un condiv de baisse des taux, la restructuration du prêt initial peut s’apparenter à une mesure opportune. « Il faut évaluer les besoins, restructurer le prêt et demander à la banque un nouvel échelonnement de la dette en y incluant le montant des travaux (d’après une estimation détaillée). Il est prudent de s’octroyer, dans le calcul, une marge de manœuvre de 10 % supplémentaires », conseille Joffrey Blondel.

En cas de difficultés financières structurelles, le fait de réétaler l’emprunt n’appauvrit absolument pas la structure et redonne de la sérénité au titulaire. « La restructuration de la dette à long terme, en diminuant la mensualité de remboursement, recrée du fonds de roulement et n’assèche pas la trésorerie », explique Joffrey Blondel. Il existe aussi des solutions internes pour couvrir les besoins de trésorerie tels que le renforcement des fonds propres (par apports en comptes courants d’associés en cas de société), l’optimisation des achats et des stocks, la négociation de délais fournisseurs plus importants…

« Lorsqu’un entrepreneur rencontre des difficultés financières structurelles, il met souvent en place des solutions à court terme telles que la sollicitation d’un découvert bancaire supplémentaire ou la demande d’étalement d’échéances auprès de ses fournisseurs, constate Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet AdequA. Mais le remède n’est pas adapté au mal. En effet, il importe d’apporter des solutions structurantes et pérennes à des difficultés structurelles telles que l’anticipation du réétalement des emprunts, l’adaptation du montage juridique et fiscal, l’augmentation de capital réservé aux pharmaciens ou encore, en cas d’insuffisance récurrente de la rentabilité, la mise en place d’un plan d’action visant à son redressement. »

Un financement à long terme est également à privilégier en phase de croissance du chiffre d’affaires. Dans ce cas, le besoin en stock et les créances des clients deviennent plus importants. « Une partie de la richesse en trésorerie dégagée par l’augmentation du chiffre d’affaires doit être allouée au fonds de roulement », précise Joffrey Blondel. Le besoin en fonds de roulement est donc financé à long terme par le fonds de roulement qui augmente grâce à la remontée des bénéfices dans les capitaux propres.

2 Les besoins financiers à moyen terme

Ils correspondent à des investissements de moindre importance (de l’ordre de quelques dizaines de milliers d’euros) tels que l’informatique, l’automatisation… Trois modes de financement sont possibles : l’emprunt (si la pharmacie n’a plus d’endettement), le crédit-bail et la location financière (dans le cas inverse). C’est la nature du bien lui-même qui orientera le choix entre ces deux dernières solutions : la location financière sera adaptée au financement du matériel à obsolescence rapide (informatique, imprimante…) et le crédit-bail pour des produits à obsolescence lente (croix, préparation des doses à administrer…).

En dehors de ce cadre, il ne faut pas utiliser les solutions de financement à moyen terme pour faire face à des besoins de trésorerie liés à une augmentation anormale du besoin en fonds de roulement. Pour Joffrey Blondel, il convient d’abord de s’interroger sur les causes de la dérive du besoin en fonds de roulement. Mon crédit clients est-il au bon niveau ? Pourquoi ai-je autant de dossiers rejetés par les organismes payeurs ? Sont-ils bien renseignés ? Mes rejets sont-ils bien suivis ? Dois-je revoir mes circuits d’achat afin d’obtenir de bonnes remises avec de bons volumes ? « Le pharmacien doit se référer aux ratios moyens des éléments du BFR communiqués par les cabinets d’expertise comptable pour identifier un niveau anormal des stocks et des créances clients », conseille Joffrey Blondel.

3 Les besoins financiers à court terme

« Il faut faire la distinction entre des besoins financiers de trésorerie passagers et tendanciels, ce qui suppose de faire une véritable analyse de la situation financière car une mauvaise réponse à un besoin financier à court terme peut obérer ensuite la mise en place d’autres solutions plus adaptées », alerte Joffrey Blondel. Ainsi, une facilité de caisse (autorisation de débit accordée quelques jours par mois) ne conviendra que pour pallier des besoins de trésorerie dus aux décalages de quelques jours entre les dépenses et les recettes. De même, une ligne de découvert autorisée ne sera adaptée que pour des besoins de trésorerie ponctuels et qui n’augmentent pas. Car il n’y a rien de plus inquiétant qu’un découvert bancaire qui oscille vers le bas.