LE TIERS PAYANT GÉNÉRALISÉ CHEZ LE MÉDECIN - Le Moniteur des Pharmacies n° 3051 du 18/10/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3051 du 18/10/2014
 

Débat

Auteur(s) : Caroline Coq-Chodorge

Depuis la fin du mois de juillet, le projet de loi relatif à la santé circule entre les ministères et les syndicats de professionnels de santé. Et son article 17 est d’ores et déjà l’un des plus débattus. Le gouvernement veut généraliser la dispense d’avance de frais chez les médecins de ville. Si la loi est adoptée, le processus devrait se faire par étape : d’ici fin 2015, le tiers payant, déjà pratiqué par les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU), sera étendu à ceux de l’aide à la complémentaire santé (ACS). Et, d’ici 2017, il devra être étendu à tous les médecins de ville.

La mesure du tiers payant généralisé est moins anecdotique qu’il n’y paraît : elle acte la fin du seul paiement à l’acte du médecin libéral et ouvre la voie au développement du paiement au forfait. Elle pose aussi la question de l’avenir des franchises – dont celle sur les médicaments – jusqu’ici récupérées sur le remboursement au patient de la consultation médicale. Elle interroge encore les relations des médecins avec l’assurance obligatoire et les complémentaires. Et c’est bien sûr une nouvelle incitation à l’organisation des médecins libéraux en cabinets de groupe et en maisons de santé avec secrétariat et systèmes d’information performants.

Une partie des médecins conteste le principe même de cette mesure, la jugeant contraire aux principes de la médecine libérale. D’autres la considèrent indispensable pour favoriser l’accès aux soins dans un condiv de crise sociale. Mais tous craignent sa mise en œuvre technique, son coût et ses difficultés de gestion, jugées insurmontables.

La Direction de la Sécurité sociale conduit actuellement des négociations avec les représentants des médecins, des patients et des organismes complémentaires, mais aussi des autres professionnels de santé libéraux, qui pourraient se voir imposer à terme la solution technique trouvée pour les médecins. On aura compris que les négociations sont encore loin d’aboutir et les points de vue on ne peut plus divergents.

CLAUDE LEICHER Président de MG-France, syndicat de médecins généralistes

« Cela fait des années que nous réclamons le tiers payant chez le médecin traitant. Si on ne le fait pas, les patients ne viendront plus nous voir, tant la situation économique est grave. Mais, aujourd’hui, le médecin généraliste est dans l’incapacité économique de faire du tiers payant. Nous connaissons bien le sujet puisque certains de nos adhérents le pratiquent déjà sur la part obligatoire. Et c’est déjà très compliqué de devoir vérifier que toutes les consultations ont bien été remboursées par l’assurance maladie. Quant à la part complémentaire, toutes les solutions avancées par les mutuelles, les assureurs et les institutions de prévoyance sont bien trop compliquées ! Ils nous proposent un système qui nous contraint à vérifier les droits de chaque patient. Chacun campe sur ses positions. Nous réclamons de notre côté une garantie de paiement : que l’Assurance maladie et les complémentaires nous paient a priori, et ne nous signalent que les cas litigieux. »

JEAN-PAUL ORTIZ Président de la CSMF, syndicat de médecins généralistes

« Nous sommes favorables au tiers payant social, pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle, de l’aide à la complémentaire santé, de l’aide médicale d’Etat. Il ne faut pas d’obstacle social à l’accès aux soins, cela fait partie de l’éthique médicale. Mais nous sommes absolument opposés au tiers payant généralisé. C’est tout d’abord très compliqué d’aller récupérer la part complémentaire auprès d’une centaine d’organismes. Il y a ensuite beaucoup d’erreurs dans la pratique du tiers payant, les pharmaciens le savent bien. C’est enfin une incitation à une attitude de consommateur de la part des patients. Cela va encore accroître le nombre des rendez-vous pris et non honorés. C’est aussi la fin de la médecine libérale, selon laquelle le médecin est choisi librement par le patient et honoré par le paiement direct de la consultation. Avec le tiers payant généralisé, les liens de dépendance entre les médecins libéraux et les caisses d’assurance maladie se resserrent encore. On se rapproche du salariat. C’est extrêmement dangereux dans le condiv budgétaire actuel : dans de nombreux pays européens, comme la Grèce ou le Portugal, les professionnels de santé au tiers payant n’ont pas été payés pendant des mois. Nous allons nous opposer sous toutes les formes possibles à ces mesures toxiques. Il n’est pas exclu que les médecins, qui sont majoritairement opposés à cette disposition, entrent dans un mouvement de résistance. »

GILLES BONNEFOND Président de l’USPO

« Je n’ai pas d’avis à donner aux médecins sur leur organisation. Mais je les mets en garde : il faut qu’ils maîtrisent le processus de bout en bout. Ils ont raison d’exiger un seul organisme payeur, l’Assurance maladie. Tous les autres systèmes vont leur compliquer la vie. Il ne faut pas oublier que la plupart n’ont pas de secrétariat et d’outils informatiques aussi performants que les nôtres. Quand on voit le travail que représente le tiers payant pour les pharmaciens… Nous avons moins de 1 % d’incidents sur la part obligatoire, mais 1,5 % sur la part complémentaire, lorsque les cartes d’assurés ne sont pas à jour, lorsqu’une mutuelle change de taux de prise en charge, etc. Ce sont autant de réclamations, de contentieux. Je comprends que les médecins soient réticents : vous les voyez, le soir, régler ces problèmes de rejets des complémentaires ? Si les médecins parvenaient à obtenir un paiement unique et automatisé par l’Assurance maladie, cela nous intéresserait car elle générerait elle-même les contentieux avec les complémentaires. L’autre problème est le paiement des franchises sur le médicament, jusqu’ici récupérées sur le remboursement de la consultation chez le médecin. Pour nous, il est impensable de déduire cette somme au comptoir. C’est à l’Assurance maladie de prélever ces sommes sur le compte des assurés. Aujourd’hui, des patients refusent des médicaments prescrits et remboursés, parce qu’ils les ont déjà dans leur armoire à pharmacie. Les Français sont conscients du coût des dépenses de santé. »

FRANÇOIS MARTIAL Président de la commission protection sociale de la FSPF

« Sur le tiers payant, les syndicats de médecins ne parlent pas d’une même voix, mais tous mettent en avant des problèmes de gestion. Pour l’officine, le tiers payant est une charge, bien sûr, mais il est en partie lissé par les caisses d’assurance maladie, qui nous remboursent une partie de ces coûts de gestion. Dans 98 à 99 % des cas, le tiers payant marche bien. Mais il est exact que les 1 à 2 % d’impayés sont lourds à gérer. Nous sommes cependant opposés à la généralisation d’un système de type Noemie, c’est-à-dire du paiement de la part complémentaire par l’assurance maladie. Il y a plus de 20 ans, nous avons créé Résopharma, un organisme concentrateur qui sert d’intermédiaire entre le pharmacien et les complémentaires. C’est un outil conçu et maîtrisé par le professionnel de santé, qui sécurise les échanges de données. Il intéresse d’ailleurs certains médecins et pourrait être adapté à leur pratique. »

PATRICK BOUET Président du Conseil national de l’ordre des médecins

« L’Ordre n’a pas vocation à participer aux négociations actuelles sur la mise en œuvre du tiers payant. Il s’exprime uniquement sur la déontologie médicale. Nous considérons que le tiers payant n’est pas contraire à cette déontologie. Si le paiement direct des honoraires fait partie de l’histoire de la médecine libérale, il ne résume pas la relation médecin-malade. La médecine libérale est capable d’évoluer. Mais il faut bien distinguer le paiement direct du paiement à l’acte, qui doit demeurer l’un des piliers de la médecine libérale, même s’il n’interdit pas une part de paiement forfaitaire. Nous formulons aussi des observations. Il faut être vigilant à ce que le tiers payant ne remette pas en cause l’indépendance du médecin : il pourrait se retrouver à la merci des financeurs, le versement de ses honoraires pourrait servir de variable d’ajustement pour la trésorerie de l’Assurance maladie obligatoire ou des complémentaires. Le médecin ne peut pas non plus se mettre en relation avec une multiplicité de payeurs. Pour cette raison, l’Assurance maladie doit être la seule à payer le médecin : c’est plus simple, plus rapide, plus direct. Les règlements et compensations entre assureurs obligatoires et complémentaires ne sont pas l’affaire des médecins. »

JEAN-MARTIN COHEN SOLAL Délégué général de la Mutualité française

« La Mutualité française a toujours été favorable au tiers payant. Nous avons été les premiers à le mettre en place dans nos pharmacies mutualistes. Il a démontré son utilité pour limiter les renoncements aux soins, mais aussi pour simplifier les procédures. Les infirmières, mais aussi beaucoup de médecins (radiologues et biologistes) pratiquent déjà le tiers payant. Cela devrait rassurer les médecins généralistes. Les modalités envisagées aujourd’hui par l’Assurance maladie et la Direction de la Sécurité sociale ne nous conviennent pas. Le gouvernement souhaite mettre en place dès la fin de l’année 2015 le tiers payant pour les bénéficiaires de l’ACS en passant uniquement par l’Assurance maladie, suivant le modèle déjà pratiqué pour la CMU. L’Assurance maladie deviendrait le seul payeur du médecin, et se retournerait ensuite vers les complémentaires. Sur le même principe, l’intervention des complémentaires avec le forfait médecin traitant est déjà masquée : il est versé par l’assurance maladie, et les médecins ne sont même pas informés que ce sont les complémentaires qui le paient. C’est ignorer le fait du double paiement, inscrit dans l’histoire de notre système de santé depuis 45 ans et qui l’est de façon pérenne. Les mutuelles et autres complémentaires doivent avoir un lien direct avec les médecins et tous les professionnels de santé. Il est possible d’organiser les flux entre ces deux payeurs et les médecins de manière pérenne et simple. Les complémentaires, dans un projet qui permettra, en 2017, à l’ensemble des professionnels de santé, y compris les médecins, de pratiquer le tiers payant intégral sans que cela empiète sur le temps consacré aux soins. »

MARC MOREL Directeur du CISS, collectif regroupant 40 associations de patients

« Le tiers payant a bien plus d’avantages que d’inconvénients. Dans le condiv de crise actuel, l’avance des frais est compliquée pour des millions de Français. Ils se retrouvent aux urgences quand leur santé se dégrade, faute d’autres modes de recours aux soins primaires. Cela coûte très cher au système de santé. Si certains syndicats de médecins sont opposés au tiers payant, ce n’est pas parce que cela va déresponsabiliser les gens. Ces arguments sont des contre-feux pour masquer le vrai sujet, qui est le mode de rémunération des médecins. Si l’Assurance maladie est le seul payeur du médecin, alors celui-ci devient une sorte de salarié. Leur crainte est excessive : ce n’est pas une mesure anecdotique, mais ce n’est pas non plus la mort de la médecine libérale. Mais c’est vrai, les liens se resserrent avec l’Assurance maladie, qui régule de plus en plus l’exercice du médecin. Pour nous, c’est une bonne chose. Et au bout de cette logique, il y a la remise en cause du tout paiement à l’acte. L’autre problème qui irrite les syndicats concerne les dépassements d’honoraires, qui vont devenir plus visibles avec le tiers payant sur l’ensemble du tarif opposable, donc moins supportables. Les arguments sur les problèmes techniques ne me semblent pas non plus valables : le tiers payant existe déjà pour les bénéficiaires de la CMU, et cela se passe très bien. Il y a deux pistes de discussion actuellement : l’assurance maladie paie l’intégralité de la consultation et se fait ensuite rembourser par les complémentaires ; les complémentaires paient directement leur part, en passant par un concentrateur, unique interlocuteur des médecins. Reste le problème de la franchise de 1 euro, jusqu’ici récupérée sur le remboursement de la consultation du médecin. Nous demandons qu’elle soit supprimée, cela représenterait un manque à gagner de 800 millions d’euros. L’autre piste étudiée par l’administration serait de la prélever sur le compte bancaire de l’assuré, par tranche de 10 euros par exemple. Nous y sommes très réservés. »

PIERRE-YVES GEOFFARD Economiste de la santé, Ecole d’économie de Paris

« Personne ne peut dire si l’avance de frais est réellement une barrière d’accès aux soins pour des personnes aux revenus faibles. Et pour celles-là, il reste une barrière plus importante encore qui est l’absence de complémentaire. Le tiers payant va surtout simplifier la vie des patients : c’est l’argument le plus fort. Est-ce que c’est très compliqué à mettre en place ? On a entendu exactement les mêmes arguments au moment du passage au tiers payant en pharmacie. Le tiers payant remet aussi en cause toutes les franchises, y compris sur le médicament, qui sont récupérées sur le remboursement de la consultation du médecin. Je suis partisan d’un mécanisme simple de franchise annuelle : une fois par an, il faut payer les soins jusqu’à une certaine somme. Avec le tiers payant, le paiement à l’acte est maintenu, mais on pourra le faire évoluer plus facilement, de manière invisible pour le patient. Et c’est absolument nécessaire : quand le médecin est payé majoritairement à l’acte, il essaie d’en faire le plus possible. Un médecin passe en moyenne 15 minutes par consultation, c’est très peu quand 40 % des patients ont des troubles psychologiques ou sociaux. Le paiement à l’acte encourage aussi les pratiques individuelles et freine la coordination des tâches entre les professionnels de santé et le développement des maisons de santé. 15 % des médecins font leur secrétariat et passent un coup de balai dans leur cabinet médical ! Financer 8 années d’étude pour passer le balai, ce n’est pas bien utiliser l’argent public. Avec le tiers payant, le choix est fait de ne pas réguler la demande des soins par une responsabilisation pécuniaire des patients. C’est un choix fort qui nous rapproche du système anglais. Dans les autres pays dont les systèmes de santé sont assuranciels – Pays-Bas, Allemagne et Belgique – il y a toujours des mécanismes de responsabilisation de la demande, avec des franchises. Mais faire payer comme aujourd’hui 23 € une consultation médicale ne permet aucune prise de conscience sur le coût réel du système de soins. »

Sondage directmedica

Sondage réalisé par téléphone du 9 au 15 septembre 2014 sur un échantillon représentatif de 100 pharmaciens titulaires et de 100 médecins en fonction de leur répartition géographique et du chiffre d’affaires.

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