CETTE NOUVELLE MALADIE - Le Moniteur des Pharmacies n° 3049 du 04/10/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3049 du 04/10/2014
 
DISPARITÉS RÉGIONALES

Enquête

Auteur(s) : Chloé Devis

Comparativement à leurs voisins, les Français ne se portent pas si mal. Avec toutefois des évolutions préoccupantes, comme celle des pathologies chroniques et des inégalités régionales en la matière. Or la centralisation sanitaire semble avoir vécue, les politiques de prévention se heurtent encore à une double complexité : les causes de ces disparités et le manque d’outils adaptés à l’échelon local. État des lieux.

Inscrite au cœur de la loi HPST, la nécessité de décliner territorialement les politiques de prévention et d’accès aux soins irrigue la plupart des discours et des orientations adoptées en matière de santé publique ces dernières années. En dévoilant en juillet le nouvel outil de pilotage de la stratégie nationale de santé qu’est le tableau de bord synthétique de l’Etat de santé des Français élaboré par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), son président, le Pr Roger Salamon, a présenté comme une « vertu majeure » le caractère « régionalisable » des indicateurs prioritaires retenus. Certes, à l’échelle européenne, « la France jouit d’une situation plutôt enviable », nous rappelle l’INSERM : les Français se classent en quatrième position au sein de l’Union pour l’espérance de vie (78,5 ans pour les hommes, 84,9 ans pour les femmes), et enregistrent le taux le plus faible de mortalité cardiovasculaire. L’organisme pointe cependant un nombre de décès prématurés évitables (avant 65 ans) plus élevé que la moyenne, et les fortes inégalités persistantes entre les sexes, les niveaux sociaux et, donc, les régions. Sur le plan de la mortalité (soit le rapport entre le nombre de décès annuel et la population d’un territoire donné), deux grands ensembles géographiques se détachent : le croissant nord du pays, moins favorisé que la moyenne, le Sud-Ouest et le Centre-Ouest, plus favorisés. L’espérance de vie à la naissance varie de plusieurs années selon que l’on est nordiste (75,4 ans pour les hommes, 82,8 ans pour les femmes) ou francilien (80 ans pour les hommes 85,5 ans pour les femmes).

La progression inégale des pathologies lourdes

Comme en témoignent les statistiques des affections de longue durée (ALD) publiées annuellement par la CNAM, ces indicateurs recoupent en grande partie l’emprise très hétérogène des maladies chroniques qui, de manière générale, progressent significativement sur l’ensemble du territoire. Dans le Nord-Pas-de-Calais, l’incidence et la prévalence des maladies respiratoires, du diabète, des maladies cardiovasculaires, de l’obésité et de la plupart des cancers est supérieure à la moyenne nationale. La situation en Midi-Pyrénées ou en Aquitaine est, en revanche, plus favorable que la moyenne pour la majorité des ALD. Mais c’est encore une fois l’écart entre régions plus ou moins avantagées qui peut surprendre par son ampleur. Ainsi, parmi les territoires les plus en difficulté, les DOM TOM se distinguent par un taux de diabète deux fois supérieur à la moyenne nationale. Dans le Nord-Pas-de-Calais encore, l’indice de surmortalité liée à la BPCO dépasse largement la moyenne nationale. De même, le nombre de nouveaux patients augmente chaque année en proportion très variable selon les régions pour les principales ALD : entre 2003 et 2011, il progresse de moins de 25 % à plus de 35 % (Languedoc-Roussillon, Corse, Alsace) pour le cancer, de moins de 20 % (Guadeloupe) à plus de 70 % (Franche-Comté, Basse-Normandie) pour le diabète, de moins de 30 % (Champagne-Ardenne) à plus de 65 % (Alsace, Lorraine et PACA) pour les AVC… Certaines régions affichent des taux très variables en fonction des pathologies, comme la Bretagne marquée par une incidence record de cancers de la prostate mais l’une des plus faibles pour le cancer du sein. La tendance est cependant à l’homogénéisation de la situation sanitaire des grandes métropoles, situation qui tend pourtant à se dégrader au fur et à mesure que l’on s’éloigne des centres urbains. Au sein même de l’Ile-de-France, les variations de mortalité sont aussi importantes qu’entre le nord et le sud de la France…

Des déterminants sociaux et environnementaux

« Il y a des dynamiques territoriales qui font que des populations défavorisées sont davantage exposées à des facteurs à risque pour la santé », analyse Thierry Lang, épidémiologiste et président du groupe de travail sur les inégalités sociales de santé du HCSP. « Inégalités sociales et inégalités territoriales sont de fait liées, mais sans être réductibles les unes aux autres », souligne-t-il. De fait, l’approche des disparités géographiques de santé ne peut être que multifactorielle. La démographie, les comportements culturels spécifiques à une aire géographique, qu’il s’agisse de l’alimentation ou du rapport à la santé, l’offre de soins, le taux de dépistage, les prédispositions génétiques ou l’environnement physique ou chimique entrent en jeu. Dès lors, la prévention doit intégrer ces multiples dimensions, souvent difficiles à démêler, et qui ne relèvent pas, loin s’en faut, du seul champ des politiques de santé. Quid, par exemple, du lien démontré par un nombre croissant d’études entre l’essor des maladies chroniques et celui des émissions toxiques d’origine agricole, industrielle ou urbaine auxquelles nous sommes tous exposés, mais sous des formes et à des degrés variables selon notre lieu de résidence ? Certes, une stratégie nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens vient d’être lancée, et un nouveau plan Santé-Environnement est attendu. André Cicolella, toxicologue et président du Réseau Santé-Environnement, à l’origine de l’interdiction du bisphénol A, n’en déplore pas moins le manque de réactivité des pouvoirs publics face à la multiplication des signaux d’alarme, au niveau national et local : « La France détient le record des cancers hormonodépendants, or ni l’Institut national de veille sanitaire, ni l’Institut national du cancer n’y font référence. De même, le quasi-doublement du nombre d’AVC en Alsace en l’espace de huit ans, un rythme huit fois plus rapide que la démographie, semble n’inquiéter personne. » Si pour l’div de Toxique planète(1) « la clé est à chercher dans les coexpositions », il y a urgence à « tirer toutes les conclusions des données disponibles pour mener une politique de santé environnementale à la hdiv des enjeux », martèle-t-il. Et d’en appeler à la création de « dynamiques régionales autour de pôles de compétences à même d’exploiter les outils scientifiques d’analyse disponibles ».

La nécessité de disposer de données plus approfondies en matière de répartition territoriale des pathologies est le leitmotiv des experts en santé publique(2). Elle va de pair avec une autre exigence : le développement de politiques de prévention toujours plus adaptées au terrain. Reste que « la mise en œuvre de programmes spécifiques à des populations soulève des problèmes d’ordre éthique et politique, des risques de stigmatisation, d’où la tendance à privilégier des interventions territoriales ». Les espoirs du chercheur résident dans les possibilités de croiser données sanitaires, sociales et administratives, conditionnées par la levée de freins réglementaires.

La transparence est aussi un cheval de bataille des acteurs associatifs en santé. Christian Saout, administrateur du CISS (Collectif interassociatif sur la santé), en souligne l’importance également vis-à-vis de la diversité des pratiques et de l’offre sanitaires : « Les différences de nature et de qualité dans l’offre sont territoriales, infrarégionales et même infradépartementales. Accéder aux données est déterminant pour le démontrer. » Objectif : « permettre une meilleure affectation des ressources en fonction des besoins ». Une évidence aux yeux de Jean-Louis Salomez, professeur de santé publique à Lille-2 et président de la conférence régionale santé-autonomie du Nord-Pas-de-Calais, qui réclame à corps et à cris un plan de rattrapage pour sa région : « Le décrochage sanitaire du Nord-Pas-de-Calais par rapport au reste du pays s’est accentué au fil des années, au point que la surmortalité représente aujourd’hui le nombre annuel en France des accidents de la route. D’où l’idée d’en faire une véritable zone de prévention prioritaire », fait-il valoir.

Le condiv est décidément propice à une mobilisation croissante des pharmaciens, acteurs clés du maillage territorial de santé, dans la réduction des inégalités régionales. Les projets régionaux de santé ont à ce titre défini un certain nombre d’expérimentations qui les impliquent, mais leur mise en place est encore laborieuse. Le futur plan de santé environnementale prévoit par ailleurs de former les professionnels de santé à cette problématique, ce qui devrait permettre aux équipes officinales de jouer un rôle essentiel de sensibilisation et d’information.

(1) « Toxique planète », éd. du Seuil, 2013.

(2) L’Assurance maladie établit actuellement une cartographie détaillée des pathologies et des traitements qui devrait être publiée prochainement.

Un Français sur cinq est un patient chronique

En 2012, 12,6 millions de personnes (affiliées au régime général) étaient traitées pour une maladie chronique en France, soit 21,3 % de la population, qui représentent 50 % de la dépense totale en matière de soins couverts par l’Assurance maladie. Parmi ces patients, 3,5 millions sont pris en charge pour des pathologies cardiovasculaires, 8 millions pour le traitement du risque cardiovasculaire, 7,3 millions pour des maladies psychiatriques ou des traitements psychotropes, 3 millions pour des diabètes, 3 millions pour des maladies respiratoires chroniques, 2,5 millions pour des cancers. A noter que 56 % de la population protégée par le régime général eu recours au système de santé en 2012 uniquement pour des soins courants. Source : AMELI.

ENTRETIEN

« Les inégalités sanitaires infrarégionales se creusent »

Stéphane Rican, géographe de la santé, codiv de l’« Atlas de la santé en France », responsable du mastère « Villes, territoires et santé » à l’université Paris Ouest Nanterre la Défense

L’approche régionale est-elle la plus pertinente pour expliquer les inégalités de santé en France ?

Oui et non. Historiquement, la fracture la plus nette se situait entre le nord et le sud, le premier étant caractérisé par une surmortalité, le second par une sous-mortalité par rapport à la moyenne française. Mais ces agencements régionaux se sont progressivement reconfigurés autour d’une diagonale centrale allant de la Champagne-Ardenne à l’Auvergne et présentant une forte surmortalité. Le fait régional reste donc marqué, comme l’attestent les travaux menés à partir d’une base exhaustive depuis 1968, celle des causes de décès. Mais il s’accompagne aujourd’hui de nouvelles segmentations, inter- mais surtout infrarégionales, entre grandes et petites villes, centre et périphérie, zones urbaines et rurales, entre quartiers des grandes villes, qui se renforcent au fil du temps.

Comment s’explique cette nouvelle donne ?

Ces changements sont liés à des mutations économiques, sociales, environnementales et démographiques depuis les années 1950, ce qui implique une approche multisectorielle de la question. Les importantes phases d’urbanisation puis de désindustrialisation ont profondément marqué le paysage sanitaire français. Le bassin rennais, par exemple, est passé en moins de 30 ans de l’une des plus faibles espérances de vie en France à l’une des meilleures, en fort décalage avec le reste de la Bretagne. Le passage d’une activité économique encore marquée par l’agriculture dans les années 1950 à une tertiarisation accentuée (développement de secteurs technologiques de pointe), l’investissement dans le secteur éducatif en ont fait un territoire attractif pour des populations plus jeunes et en meilleure santé. Les vallées alpines ont connu le même type d’évolution, cette fois propulsée par le boom touristique des années 1950-1960. Mais le développement économique ne se traduit pas toujours par une amélioration globale des états de santé sur un territoire. Dans une partie du pourtour méditerranéen, la situation sanitaire a stagné ou s’est peu améliorée au regard d’un essor important du tourisme et d’une forte tertiarisation de l’économie, comme le montre l’exemple de Montpellier. Ce hiatus est lié à de forts écarts sociaux, avec la présence de populations en marge de ce développement économique.

Ces évolutions sont-elles suffisamment prises en compte par les politiques publiques de santé ?

La montée en puissance du niveau infrarégional en termes d’inégalités de santé justifie une prise en charge accrue des problématiques sanitaires par les collectivités locales. Or ce n’est pas forcément dans leurs prérogatives actuelles. Il me paraît donc nécessaire de mettre en place des politiques qui leur donnent des moyens en ce sens.

Pourrez-vous respecter la minute de silence en mémoire de votre consœur de Guyane le samedi 20 avril ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !