L’INSUFFISANCE CARDIAQUE CHRONIQUE - Le Moniteur des Pharmacies n° 3046 du 13/09/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3046 du 13/09/2014
 

Cahiers Formation du Moniteur

ORDONNANCE

ANALYSE D’ORDONNANCE

M. A., 71 ans, vient d’être diagnostiqué insuffisant cardiaque

RÉCEPTION DE L’ORDONNANCE

Pour qui ?

M. Gérard A., âgé de 71 ans.

Par quel médecin ?

Un cardiologue.

L’ordonnance est-elle recevable ?

Oui.

QUEL EST LE CONdiv DE L’ORDONNANCE ?

Que savez-vous du patient ?

M. A. est sous périndopril (4 mg/j), prescrit par son généraliste pour une hypertension artérielle. Il a arrêté de fumer il y a quelques années.

Quel était le motif de la consultation ?

M. A. a d’abord consulté son généraliste pour lui faire part de ses essoufflements. Ce dernier, ayant constaté des œdèmes au niveau des membres inférieurs et une tachycardie, a suspecté une insuffisance cardiaque et l’a orienté vers un cardiologue.

Que lui a dit le cardiologue ?

• Le cardiologue a réalisé un ECG et une échocardiographie qui ont confirmé le diagnostic. Il a expliqué à M. A. que son cœur ne se contracte plus assez et n’est plus capable d’assurer le débit nécessaire pour perfuser correctement ses organes. D’où la fatigue, l’essoufflement et l’apparition d’œdèmes. Le médecin a également expliqué à M. A. qu’il était nécessaire qu’il contrôle son poids et limite le plus possible sa consommation de sel.

• Le cardiologue a augmenté la dose de périndopril et a prescrit un diurétique. Dans 15 jours, il évaluera l’efficacité et la tolérance du traitement.

Vérification de l’historique du patient

La pharmacie dispense régulièrement du périndopril 4 mg à M. A.

LA PRESCRIPTION EST-ELLE COHÉRENTE ?

Que comporte la prescription ?

• Le furosémide, un diurétique de l’anse, favorise l’élimination rénale de l’eau et du sodium.

• Le périndopril, un IEC, bloque la synthèse de l’angiotensine II, peptide vasoconstricteur qui stimule par ailleurs la production d’aldostérone ; cette dernière induit une rétention hydrosodée. Ainsi, les IEC exercent une action vasodilatatrice qui abaisse la tension artérielle, et facilite le travail du cœur ainsi qu’une action natriurétique.

Est-elle conforme aux référentiels ?

• Oui. Les IEC sont recommandés quels que soient le stade et l’étiologie de l’insuffisance cardiaque, car l’altération de la fonction cardiaque provoque une activation du système rénine-angiotensine-aldostérone.

• Les diurétiques de l’anse, d’action puissante et utilisables quelle que soit la fonction rénale du patient, constituent le traitement symptomatique de référence en cas de rétention hydrosodée.

Y a-t-il des médicaments à marge thérapeutique étroite ?

Non.

Y a-t-il des contre-indications ?

Non. M. A. ne présente pas d’antécédent d’œdème de Quincke lié à la prise de périndopril. Il ne souffre pas de déshydratation, d’hyponatrémie ni d’hypokaliémie contre-indiquant le furosémide.

Les posologies sont-elles cohérentes ?

• Oui. Dans le traitement des œdèmes d’origine cardiaque, la posologie du diurétique est ajustée pour contrôler les signes de la rétention hydrosodée. Pour le furosémide, elle peut aller de 20 à 500 mg/jour selon la HAS (soit des doses supérieures à celles du RCP).

• Les IEC doivent être instaurés à dose progressive dans l’insuffisance cardiaque (pour éviter toute hypotension), de manière à se rapprocher de la posologie cible recommandée. Pour le périndopril tert-butylamine, elle est de 4 mg par jour (selon la HAS). Mais chez ce patient hypertendu déjà traité par ce médicament, cette posologie est insuffisante : la posologie maximale de 8 mg par jour est donc justifiée, d’autant que M A. n’est pas insuffisant rénal.

Y a-t-il des interactions ?

• L’association d’un IEC à un diurétique majore le risque d’hypotension artérielle. Il faudra mettre en garde M. A., d’autant que sa dose d’IEC est doublée.

• Le pharmacien découvre la boîte d’ibuprofène 200 mg prise dans le rayon libre accès. M. A. explique qu’il s’est fait mal à l’épaule en jardinant.

Les AINS en automédication sont à proscrire en cas d’insuffisance cardiaque (réponse 2) car ils interagissent avec les diurétiques et les IEC exposant à un risque d’insuffisance rénale aiguë, en particulier chez le sujet âgé, et à une réduction de l’effet de l’IEC. Ils peuvent aussi aggraver l’insuffisance cardiaque car ils sont susceptibles d’induire une rétention hydrosodée. Le pharmacien propose donc du paracétamol non effervescent à M. A. et lui recommande de signaler ses douleurs au médecin, si elles persistent, dans les jours qui viennent.

Le traitement nécessite-t-il une surveillance particulière ?

Le traitement par IEC et diurétique nécessite un contrôle de l’ionogramme sanguin et de la fonction rénale.

QUELS CONSEILS DE PRISE DONNER ?

Utilisation des médicaments

• Le furosémide s’administre préférentiellement le matin pour éviter les levers nocturnes.

• Le périndopril se prend généralement en une prise le matin avant le petit déjeuner. M. A. prendra désormais deux comprimés à 4 mg au lieu de un.

Quand commencer le traitement ?

Le traitement doit être débuté le plus tôt possible. M. A. peut prendre le diurétique dès qu’il sera chez lui ; il le poursuivra chaque matin. Dès le lendemain matin, il doublera sa dose d’IEC.

Que faire en cas d’oubli ?

En cas d’oubli, les médicaments doivent être pris le plus tôt possible, mais il ne faut pas doubler les doses suivantes.

Le patient pourra-t-il juger de l’efficacité du traitement ?

Oui. Les œdèmes doivent régresser et les essoufflements s’améliorer.

Quels sont les principaux effets indésirables ?

• Le furosémide est surtout responsable de perturbations hydro-électrolytiques (hypokaliémie, hyponatrémie), d’hypotension orthostatique en cas d’hypovolémie, voire de déshydratation, en particulier chez le sujet âgé. Des troubles auditifs (rares et généralement transitoires) peuvent s’observer.

• Le périndopril peut induire une hypotension, des céphalées, une toux sèche rebelle et une hyperkaliémie. Des cas d’œdème de Quincke sont rapportés (rares).

Quels sont ceux gérables à l’officine ?

En cas d’hypotension, la dose quotidienne de périndopril peut être répartie matin et soir. L’hypotension orthostatique peut être prévenue par un lever progressif (en deux temps).

Quels signes nécessiteraient d’appeler le médecin ?

• La survenue d’une toux doit être signalée au médecin : elle peut être d’origine iatrogène et nécessiter le remplacement de l’IEC par un ARA II (toux moins fréquente), ou être un signe de décompensation de la pathologie.

• M. A. doit connaitre les autres signes de décompensation qui imposent une consultation rapide : fatigue ou essoufflement anormal, prise de poids rapide (2-3 kg sur quelques jours), aggravation des œdèmes des chevilles.

CONSEILS COMPLÉMENTAIRES

• Il est essentiel que le patient soit bien observant pour soulager les symptômes et ralentir la progression de la maladie. M. A. venant d’être diagnostiqué insuffisant cardiaque, il faut lui rappeler les conseils d’hygiène de vie pour limiter l’aggravation de la maladie, en particulier se peser régulièrement (tous les deux jours) et limiter sa consommation de sel et d’alcool (voir page 14).

• M. A. se demande justement s’il peut utiliser un sel de régime pour rehausser le goût des plats. Les sels de régime, sans sodium, peuvent renfermer une quantité non négligeable de potassium risquant de modifier la kaliémie. Leur utilisation ne doit être envisagée qu’après avis médical et contrôle du ionogramme sanguin (réponse 2). Il est préférable de conseiller à M. A. d’utiliser des épices ou des herbes aromatiques pour cuisiner.

15 JOURS PLUS TARD

M. A. présente une nouvelle ordonnance du cardiologue.

Que comporte la prescription ?

Le cardiologue initie un traitements par bisoprolol (Cardensiel), un bêtabloquant cardiosélectif indiqué dans l’insuffisance cardiaque, tout en maintenant le diurétique à plus faible posologie (20 mg au lieu de 40 mg par jour) et l’IEC à dose maximale tolérée.

Est-elle recevable ?

Oui. Cardensiel est un médicament dont la prescription initiale est réservée aux spécialistes en cardiologie et en médecine interne.

Est-elle conforme aux référentiels ?

Oui. L’association IEC-bêtabloquant, à dose maximale tolérable, correspond au traitement de fond de 1re intention de l’insuffisance cardiaque. Le bêtabloquant agit en bloquant l’activation sympathique provoquée par la pathologie.

Y a-t-il des contre-indications ?

• Non, M. A. ne souffre pas de bradycardie ou d’hypotension sévère, d’asthme ou de BPCO sévère, ni de syndrome de Raynaud, qui contre-indiqueraient un bêtabloquant.

• Par ailleurs, son insuffisance cardiaque est stabilisée, ce qui permet l’initiation du bêtabloquant (en baissant le débit cardiaque, ce dernier aggrave dans un premier temps la maladie).

Les posologies sont-elles cohérentes ?

• Oui. Dans l’insuffisance cardiaque, les bêtabloquants sont initiés à très faible dose, augmentée par paliers d’au moins 1 à 2 semaines, jusqu’à se rapprocher de la dose cible efficace, soit 10 mg/jour pour le bisoprolol.

• Les œdèmes de M. A. ayant régressé, le cardiologue a baissé la posologie du furosémide, ce qui limite le risque d’atteinte rénale ou de toxicité auditive du diurétique. M. A. préfèrant ne pas à avoir à couper les comprimés de 40 mg sécables, le pharmacien lui délivre le dosage 20 mg en lui demandant de rapporter les comprimés restant à 40 mg pour éviter toute confusion.

Y a-t-il des interactions ?

L’association bêtabloquant, périndopril et furosémide nécessite des précautions d’emploi car elle majore le risque d’hypotension.

Le bêtabloquant nécessite-t-il une surveillance particulière ?

Oui. Cardensiel est soumis à surveillance particulière en raison d’un risque de chute tensionnelle et de bradycardie pouvant aggraver la maladie en début de traitement. Dans 15 jours, le médecin généraliste surveillera la tension et le pouls de M. A., et augmentera la posologie en concertation avec le cardiologue.

Utilisation du bisoprolol

Les comprimés se prennent le matin avec une boisson.

Quels sont les effets indésirables ?

• Outre l’aggravation de l’insuffisance cardiaque pendant la période de titration, les bêtabloquants peuvent notamment induire une bradycardie (responsable de fatigue), des vertiges, une hypotension, un refroidissement des extrémités, une impuissance.

• La fatigue et la bradycardie s’améliorent habituellement dès le 3e mois de traitement. M. A. doit se lever doucement pour anticiper une hypotension orthostatique.

• Un problème d’impuissance doit être évoqué avec le cardiologue car il peut justifier le remplacement du bisoprolol (vasoconstricteur) par du nébivolol (aux propriétés vasodilatatrices), mais ne doit en aucun cas motiver un arrêt brutal du traitement.

PATHOLOGIE

L’insuffisance cardiaque en 5 questions

L’insuffisance cardiaque complique l’évolution de la plupart des maladies touchant le muscle cardiaque. Le vieillissement de la population et la meilleure prise en charge de la pathologie coronaire, de l’HTA ou des valvulopathies, conduisent à une augmentation de sa prévalence.

1 COMMENT DÉFINIR L’INSUFFISANCE CARDIAQUE ?

• L’insuffisance cardiaque est un syndrome clinique réunissant :

– des symptômes (dyspnée, fatigue) et des signes caractéristiques (œdèmes périphériques, tachycardie, râles crépitants pulmonaires, épanchement pleural, turgescence jugulaire, hépatomégalie) ;

– une preuve objective d’une anomalie structurelle ou fonctionnelle du cœur au repos (anomalie à l’échocardiogramme, élévation du dosage des peptides natriurétiques…).

• L’insuffisance cardiaque (IC) peut être :

– gauche, droite ou globale ;

– aiguë ou chronique ;

– à fonction systolique préservée ou altérée. L’IC à fraction d’éjection préservée (ICFEP) est plus fréquente chez le sujet âgé, chez la femme et chez le sujet hypertendu (voir Physiopathologie page 7).

2 QUELS SONT LES SIGNES CLINIQUES ?

Ils sont souvent peu spécifiques, notamment au stade précoce.

• Dans l’IC gauche, les symptômes sont de type congestifs systémiques. Ils sont dominés par la dyspnée. Il peut s’agir d’une dyspnée d’effort, d’une orthopnée (dyspnée survenant en position couchée, soulagée par la position semi-assise, évaluée par le nombre d’oreillers que le patient utilise pour dormir) ou d’un œdème aigu du poumon (voir les complications pages 7). Les autres symptômes sont la toux (la nuit ou à l’effort), l’asthénie, les hémoptysies (rejet par la bouche de sang provenant des voies respiratoires), l’oligurie.

• Dans l’IC droite, on observe des symptômes veineux pulmonaires : œdèmes bilatéraux des membres inférieurs, déclives (situés au niveau des pieds et des chevilles pour quelqu’un de non alité), prenant le godet (la pression du doigt laisse une empreinte), associés ou non à une turgescence des jugulaires et à un reflux hépatojugulaire, ainsi que des anomalies de l’auscultation cardiaque.

• Chez le sujet âgé, les symptômes sont peu spécifiques : asthénie, confusion, troubles du comportement, désorientation, troubles du sommeil, chutes.

• La sévérité du tableau clinique est classée en 4 stades, en fonction de l’importance de la dyspnée et de la limitation des activités quotidiennes.

3 QUELS EXAMENS COMPLÉMENTAIRES ?

• L’électrocardiogramme peut mettre en évidence une arythmie, des troubles de conduction, des signes d’ischémie, une hypertrophie ventriculaire gauche. La normalité de l’ECG rend peu probable le diagnostic d’insuffisance cardiaque.

• L’échocardiographie Doppler, systématique, permet de calculer la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) et de mesurer sa taille, l’épaisseur pariétale, la qualité de l’éjection et du remplissage ventriculaire gauche. Elle est indispensable pour confirmer le diagnostic et classer l’IC, selon que la fonction systolique soit altérée ou préservée. Une fraction d’éjection inférieure à 40-50 % affirme l’IC systolique (la plus anciennement connue). Au-dessus, il faut rechercher des troubles de la relaxation cardiaque (diastole) pour affirmer l’existence d’une ICFEP. L’échocardiographie donne aussi accès au diagnostic étiologique : cardiopathie ischémique, cardiomyopathies, valvulopathie…

• Sur le plan biologique, le dosage des peptides natriutétiques (sécrétés par le cardiomyocyte en cas d’insuffisance cardiaque) – BNP (B-Type natriuretic peptide) et NT-proBNP (N-Terminal pro-B-type natriuretic peptide) – peut être utilisé en cas de doute diagnostique. Une valeur de BNP < 100 pg/ml ou de NT-proBNP < 300 pg/ml rend le diagnostic d’IC très improbable même en présence de symptômes. Dans les formes asymptomatiques ou parfaitement contrôlées, les taux peuvent se normaliser : c’est un reflet de la stabilité de la maladie.

• Des examens biologiques (hémogramme, fonction rénale et hépatique, ionogramme…) sont systématiquement réalisés.

4 QUELS ÉTIOLOGIES ET FACTEURS DE RISQUE ?

• Les deux premières causes d’IC gauche dans les pays industrialisés sont l’athérosclérose coronaire (infarctus du myocarde) et l’HTA (cardiopathie hypertensive). Suivent les valvulopathies, les cardiomyopathies primitives, les causes infectieuses ou toxiques (alcool, chimiothérapie par anthracyclines), les troubles du rythme (fibrillation auriculaire), les cardiopathies de surcharge (hémochromatose, amylose), les cardiopathies congénitales.

Les causes d’IC droite sont l’insuffisance ventriculaire gauche avec HTA pulmonaire (HTAP), le rétrécissement mitral, les pathologies pulmonaires chroniques compliquées d’HTA pulmonaire, l’embolie pulmonaire, l’HTAP primitive, certaines cardiopathies congénitales, l’infarctus du ventricule droit.

• Les facteurs de risque d’IC sont ceux à l’origine des pathologies citées (HTA non contrôlée ou poussée hypertensive, diabète, obésité, dyslipidémies, abus d’alcool…). S’y ajoutent les anémies, la prise hydrosodée excessive, les broncho- pneumopathies et les infections pulmonaires intercurrentes, l’insuffisance rénale, la déshydratation, le syndrome d’apnées du sommeil, la prise récente de certains médicaments (AINS, corticoïdes, vérapamil, diltiazem, antiarythmiques de classe I, trastuzumab, inhibiteurs de la tyrosine kinase, monoxidine).

5 QUELLES SONT LES COMPLICATIONS ?

L’évolution de l’insuffisance cardiaque peut être marquée par des épisodes de décompensation. Ils imposent l’hospitalisation et surviennent soit de façon aiguë, soit progressivement.

• L’œdème aigu du poumon (OAP) est une urgence thérapeutique. Il s’explique par l’élévation, dans un condiv d’IC gauche, de la pression sanguine dans l’oreillette gauche et dans les capillaires pulmonaires. Cela induit une exsudation liquidienne vers les alvéoles pulmonaires à l’origine d’une dyspnée. Lorsque ce phénomène est massif, il aboutit à l’œdème aigu du poumon.

L’OAP se manifeste par une dyspnée intense apparaissant brutalement, associée à une expectoration mousseuse et rosée. Le patient est obligé pour respirer de rester en position assise. Il ne faut jamais forcer un patient en OAP à s’allonger.

• Des signes de bas débit cardiaque (pression artérielle basse, extrémités froides, marbrures, confusion ou troubles cognitifs, insuffisance rénale) peuvent conduire au choc cardiogénique (PA basse voire imprenable, trouble de la conscience), voire à la défaillance multiviscérale.

THÉRAPEUTIQUE

Comment traiter l’insuffisance cardiaque chronique ?

La prise en charge de l’insuffisance cardiaque chronique systolique repose sur l’association d’un IEC et d’un bêtabloquant. En cas d’échec, la trithérapie IEC-bêtabloquant-antialdostérone est indiquée. Les diurétiques sont utilisés en cas de signes de rétention hydrosodée.

STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE

Objectif

• Chez tous les patients, le traitement vise à diminuer la gêne fonctionnelle, à améliorer la qualité de vie, à ralentir la progression de la maladie, à prévenir les épisodes de décompensation et à réduire la mortalité.

• L’éducation thérapeutique joue un rôle primordial (voir page 14) : médicaments à éviter (AINS…), autosurveillance des symptômes (poids, œdèmes, dyspnée), alimentation sans sel…

IC « systolique »

Associé aux règles hygiénodiététiques, le traitement médicamenteux de l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée est bien codifié. Il est justifié chez tous les patients symptomatiques. Les IEC et les bêtabloquants, en l’absence de contre-indication, ont également montré leur intérêt chez les patients asymptomatiques (stade NYHA I, voir page 6) pour enrayer l’évolution de la maladie.

Traitement symptomatique

En cas de signes de rétention hydrosodée, les diurétiques de l’anse sont prescrits à dose suffisante pour faire régresser les symptômes, puis sont maintenus à dose minimale efficace ou sont stoppés. Le choix se porte sur les formes d’action rapide, les formes LP étant peu efficaces. Les diurétiques thiazidiques, moins puissants, peuvent être associés aux diurétiques de l’anse dans les formes sévères.

Traitement de fond initial

L’association IEC-bêtabloquant à dose maximale tolérable est à la base de la prise en charge.

• Les IEC sont débutés à faible dose, augmentées par palier afin d’atteindre ou de se rapprocher de la posologie cible maximale, en conservant une pression artérielle systolique supérieure à 90 mm Hg. Les antagonistes de l’angiotensine II sont utilisés en cas de contre-indication ou d’effets indésirables sous IEC (toux ou angio-œdème).

• Les bêtabloquants sont généralement instaurés chez des patients recevant des IEC à la dose cible recommandée. Le traitement, instauré à faible dose, est augmenté par palier selon la tolérance clinique.

Deuxième étape

• Chez les patients demeurant symptomatiques, l’adjonction d’un antialdostérone (spironolactone, éplérénone) est préconisé (les IEC ne bloquant que partiellement la synthèse d’aldostérone). L’association IEC-bêtabloquant-antialdostérone implique un avis cardiologique et une surveillance étroite en raison du risque d’hyperkaliémie, notamment chez les patients âgés ou insuffisants rénaux, et également favorisé par une déshydratation ou la prise de médicaments néphrotoxiques.

• L’association IEC-ARA II est déconseillée. Dans les situations exceptionnelles où elle est réalisée (par exemple intolérance aux antialdostérones), un renforcement de la surveillance biologique (kaliémie et créatininémie) et clinique (tension artérielle) est nécessaire.

Autres options

• L’ivabradine est indiquée en cas de contre-indication des bêtabloquants, ou en association aux bêtabloquants chez les patients en rythme sinusal avec une fréquence cardiaque supérieure à 75 battements par minute.

• La digoxine est éventuellement prescrite en cas de symptômes persistants malgré un traitement optimal, ou chez les patients en fibrillation atriale.

Traitements des comorbidités

Les dérivés nitrés ont une place limitée dans l’insuffisance cardiaque (action symptomatique). Ils peuvent être utilisés, de même que certains inhibiteurs calciques (seuls l’amlodipine et la félodipine sont sans effet délétère sur l’insuffisance cardiaque systolique), pour contrôler un angor ou une HTA. En cas de troubles du rythme, l’amiodarone est le seul antiarythmique utilisable. Les AVK ou les anticoagulants oraux directs sont indiqués en cas de fibrillation auriculaire.

Dispositifs implantables

Chez les patients conservant une FEVG inférieure à 35 % sous traitement médical maximal, est discutée l’implantation d’un défibrillateur automatique ou d’un resynchroniseur (stimulateur biventriculaire).

IC « diastolique »

La prise en charge de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée repose avant tout sur le traitement des comorbidités associées (voir Point de vue page 12).

TRAITEMENT

Diurétiques

Devant des signes de rétention hydrosodée, ils améliorent la dyspnée, la tolérance à l’effort et la qualité de vie.

• Les diurétiques de l’anse, d’action puissante, s’utilisent quel que soit le degré d’altération de la fonction rénale du patient.

• L’hydrochlorothiazide, un diurétique thiazidique, est contre-indiqué en cas d’altération sévère de la fonction rénale.

• Effets indésirables : Troubles hydroéléctolytiques (hypokaliémie, hyponatrémie), risque de déshydratation et d’hypotension, réactions de photosensibilité, risque d’hyperglycémie chez les diabétiques, risque d’accès de goutte chez les patients hyperuricémiques. Troubles auditifs (rares) sous diurétiques de l’anse. En cas d’hypotension, il faut réduire la posologie du diurétique avant de diminuer celle de l’IEC ou du bêtabloquant.

Inhibiteurs de l’enzyme de conversion

Les IEC améliorent la fonction ventriculaire gauche en luttant contre le remodelage ventriculaire, améliorent la survie et réduisent les hospitalisations. Chez le sujet normotendu, ils sont initiés à faible posologie de préférence le soir, le patient devant être allongé pour limiter les risques d’hypotension.

• Effets indésirables :

Principalement hypotension, insuffisance rénale, hyperkaliémie, toux sèche et angio-œdème (peu fréquent à rare). La créatininémie et la kaliémie sont évaluées régulièrement. En cas d’insuffisance rénale, la dose d’entretien sera adaptée.

• Interactions : Sels de potassium et diurétiques épargneurs de potassium (sauf antialdostérone) sont à éviter (risque d’hyper-kaliémie), ainsi que le lithium.

Antagonistes des récepteurs à l’angiotensine II

Les ARA II suivent les mêmes règles d’utilisation que les IEC : faible dose de départ et titration jusqu’à la dose cible.

• Effets indésirables :

Hypotension, insuffisance rénale et hyperkaliémie avec une fréquence comparable aux IEC. La survenue d’angio-œdème est très rare. Les interactions sont les mêmes que sous IEC.

Bêtabloquants

• Les bêtabloquants (carvédilol, métoprolol, bisoprolol, nébivolol) améliorent la survie et les symptômes, et réduisent les hospitalisations. La composante alphabloquante du carvédilol lui permet de diminuer la post-charge et peut le faire préférer en cas d’insuffisance cardiaque sévère ou de tension artérielle élevée. En cas de BPCO, le métoprolol, le bisoprolol ou le nébivolol, qui sont cardiosélectifs, peuvent être utilisés mais doivent être introduits à distance d’un épisode d’exacerbation. Le nébivolol est le seul bêtabloquant étudié chez le sujet âgé. Il a par ailleurs une action vasodilatatrice via la libération de NO.

• Le traitement débuté à faible dose doit être initié par un spécialiste en cardiologie ou médecine interne (ou par un médecin ayant l’habitude de prendre en charge l’insuffisance cardiaque pour le nébivolol) : la première prise notamment nécessite une surveillance clinique de quelques heures (pression artérielle, fréquence cardiaque, signes d’aggravation de l’insuffisance cardiaque, troubles du rythme).

• Effets indésirables : Essentiellement vertiges, fatigue, bradycardie, sensation de refroidissement des extrémités (liées à une vasoconstriction périphérique), hypotension, impuissance. Les bêtabloquants masquent certains signes annonciateurs d’une hypoglycémie (tachycardie, tremblements). En cas d’hypotension, il est nécessaire de supprimer tout antihypertenseur autre que les IEC ou ARA II, avant de réduire la dose du bêtabloquant.

• Interactions déconseillées : Inhibiteurs calciques bradycardisants (vérapamil ou diltiazem, risque de bradycardie ou défaillance cardiaque), antihypertenseurs centraux (clonidine, méthyldopa, moxonidine, rilménidine).

Antagonistes de l’aldostérone

La spironolactone est utilisée lorsque les IEC et les bêtabloquants aux doses maximales ne suffisent plus à contrôler la pathologie, et à condition que la kaliémie soit inférieure à 5 mmol/l. L’éplérénone est indiqué en post-infarctus immédiat avec signes d’insuffisance cardiaque, ou chez les patients en classe II avec FEVG” 30 %.

L’association IEC-bêtabloquant-antialdostérone implique de vérifier régulièrement la kaliémie et la fonction rénale.

• Effets indésirables :

Principalement hyperkaliémie, insuffisance rénale et troubles hormonaux (moins fréquent avec l’éplérénone) ; impuissance et gynécomastie chez l’homme, troubles des règles et aménorrhée chez la femme.

• Interactions : L’association au lithium doit être évitée (augmentation de la lithémie) de même que la prise d’AINS (majoration du risque d’insuffisance rénale).

Ivabradine

L’ivabradine est indiquée chez les patients en rythme sinusal, et dont la fréquence cardiaque est supérieure ou égale à 75 battements par minute. Selon la HAS, elle est surtout utile chez les patients pour lesquels les bêtabloquants sont contre-indiqués ou mal tolérés.

• Effets indésirables : les plus fréquents sont des phénomènes lumineux (phosphènes) et une bradycardie, une vision trouble, des vertiges, une hypotension.

• Interactions : L’association aux médicaments allongeant l’intervalle QT est déconseillée (mizolastine, méfloquine, amiodarone…). Les inhibiteurs (jus de pamplemousse…) et inducteurs du CYP3A4 (millepertuis…) peuvent interagir avec l’ivabradine.

Digoxine

Elle est indiquée chez le patient en fibrillation auriculaire. La fonction rénale et la kaliémie doivent être contrôlées avant l’instauration du traitement.

• Effets indésirables : Hyper-excitabilité ventriculaire et troubles digestifs sont les 1ers signes de l’intoxication digitalique. Un trouble de la vision ou des troubles psychiatriques, notamment chez le sujet âgé, font aussi suspecter un surdosage.

Dérivés nitrés

Leur utilisation ne doit pas gêner celle des autres traitements en favorisant une baisse tensionnelle. Les principaux effets indésirables sont des céphalées, des bouffées vasomotrices, une hypotension, des vertiges.

Traitements non médicamenteux

• L’implantation d’un dispositif de resynchronisation cardiaque s’adresse à des patients, sous traitement médicamenteux maximal, présentant un bloc de branche gauche avec une FEVG < 35 %. Elle peut être associée à un défibrillateur.

• Le défibrillateur automatique implantable (DAI) permet le traitement des troubles du rythme ventriculaire graves (tachycardie, fibrillation ventriculaire) par la délivrance d’un choc électrique (prévention de la mort subite).

• La transplantation cardiaque, traitement ultime de l’insuffisance cardiaque chronique, et l’assistance ventriculaire gauche, sont réservées à une population ciblée de patients.

Perpectives

Les inhibiteurs de la néprilysine, une enzyme rénale, semblent être une nouvelle classe de médicament prometteuse dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. Un premier représentant, le sacubitril, associé au valsartan (le LCZ696), pourrait être disponible dès 2015.

ACCOMPAGNER LE PATIENT

Témoignage : Pierre, 58 ans, dessinateur industriel

«  Il y a un an, je me sentais anormalement essoufflé en montant les escaliers. Mon médecin m’a adressé à un centre cardiologique où on m’a diagnostiqué une insuffisance cardiaque. J’y suis resté une semaine car j’ai fait un œdème aigu du poumon. Outre les médicaments quotidiens, je me suis bien adapté au régime pauvre en sel, car j’ai appris à cuisiner avec des épices. J’étais sportif et je continue à pratiquer la marche et le vélo, mais le plus pénible est de me sentir limité dans certaines activités et de devoir me justifier auprès des autres qui ne s’imaginent pas mon handicap. Les transports ou le bricolage me fatiguent beaucoup. Aujourd’hui je suis en mi-temps thérapeutique. On a l’air en forme, mais on ne l’est pas !  »

L’INSUFFISANCE CARDIAQUE VUE PAR LES PATIENTS

Impact physique

• L’insuffisance cardiaque entraîne une limitation plus ou moins importante des activités : difficulté à monter un escalier, à accomplir les activités ménagères ou des travaux de jardinage ; elle a des répercussions sur les loisirs et peut rendre pénibles la toilette et l’habillage.

• La maladie peut être à l’origine d’hospitalisations prolongées et récurrentes.

Impact psychologique

• Les patients peuvent éprouver de l’anxiété face à leur pathologie. Souvent, ce sentiment s’estompe avec la stabilisation de la maladie par le traitement. Mais chez certains, les sentiments négatifs (impression d’être une charge pour l’entourage, activités sociales limitées…) perdurent et une dépression peut s’installer.

• Le régime hyposodé peut être difficile à accepter et être vécu comme une frustration.

À DIRE AUX PATIENTS

À propos de la pathologie

• L’insuffisance cardiaque est une maladie chronique dont on ne peut guérir, mais qui peut être stabilisée. Expliquée avec des mots simples, la maladie est mieux comprise par le patient, qui accepte mieux les contraintes du traitement et les règles hygiénodiététiques : « Le cœur n’est plus capable d’apporter suffisamment de sang aux organes, notamment aux reins qui éliminent moins bien l’eau. La pression du sang augmente dans les poumons, c’est pourquoi vous vous sentez essoufflé. Pour tenter de conserver un débit suffisant pour l’organisme, le cœur s’accélère d’où les palpitations ressenties ».

• Insister sur l’autosurveillance du poids (de préférence le matin à jeun, après avoir uriné), au moins 1 à 2 fois par semaine voire davantage en stade III ou IV.

• Apprendre au patient et à son entourage à connaître les signes d’aggravation de la pathologie devant amener à une consultation médicale rapide : prise de poids supérieure à 2 kilos en quelques jours, apparition ou aggravation des œdèmes, majoration de l’essoufflement, apparition d’une dyspnée de décubitus avec nécessité de dormir assis ou de superposer plusieurs oreillers.

• Le patient doit aussi connaitre les situations qui peuvent entrainer une décompensation de la maladie : prise d’AINS, abus d’alcool, mauvaise observance du traitement ou du régime hyposodé, déshydratation, activité physique trop importante ou inadaptée à son état.

• Encourager la vaccination antigrippale (tous les ans) et antipneumococcique (tous les 5 ans), les infections respiratoires étant des facteurs de risque de décompensation.

• L’autosurveillance tensionnelle n’est utile qu’en cas d’HTA. Le plus souvent, le patient est hypotendu du fait de sa maladie et des traitements : l’automesure risque de l’affoler et de compromettre l’observance. Or, tant que la pression systolique est supérieure ou égale à 90 mmHg, le traitement doit être respecté si la tolérance clinique est bonne (absence de voile noir devant les yeux, de vertiges et de lipothymie).

À propos des conseils hygiénodiététiques

Ils concernent tous les patients, symptomatiques ou non.

• La consommation de sel doit être généralement inférieure à 6 g/24 h. Pour cela, il faut éviter les aliments particulièrement riches en sel (charcuterie, fruits de mer, biscuits apéritifs, plats cuisinés industriels, fromages), cuisiner sans sel et ne pas saler son assiette. En effet, une alimentation cuisinée sans sel apporte déjà naturellement 2 g de sel par jour. Il est possible de réhausser les mets avec des épices, des aromates ou du jus de citron.

Les sels de régime qui renferment du potassium sont à utiliser après avis du cardiologue.

• Le cas échéant, l’arrêt du tabac est impératif, et une réduction du poids doit être recommandée (le surpoids et l’obésité augmentent le travail du cœur).

• La consommation d’alcool doit être limitée à 1 à 2 verres de vin par jour, voire proscrite (si maladie d’origine éthylique).

• L’activité physique, pilier indispensable de la prise en charge, permet de réduire la fatigue, l’essoufflement et améliore l’activité sociale. Elle doit être adaptée à l’état du patient, à son âge et à ses co-morbidités (si besoin réadaptation cardiaque en centre spécialisé) : marche quotidienne d’une demi-heure ou sport d’endurance sur avis du cardiologue (vélo, natation…). Le patient doit éviter la pratique d’exercices physiques après un repas copieux ou en plein air s’il fait trop chaud ou trop froid, et doit apprendre à connaitre ses limites.

À propos des traitements

Importance de l’observance

Elle est primordiale. Des horaires réguliers d’administration évitent les oublis. Il peut être utile de réaliser un plan de prise détaillé. Le patient ne doit jamais interrompre le traitement sans l’avis du médecin. Il doit l’informer des effets indésirables pour ajuster les traitements (toux, vertiges, hypotension, impuissance…).

Gestion des effets indésirables

• La fatigue sous bêtabloquant se manifeste surtout en début de traitement puis s’améliore.

• L’hypotension orthostatique doit être prévenue par un lever en 2 temps.

• Une perte de poids rapide fait évoquer une déshydratation liée aux diurétiques, en particulier dans un condiv de forte chaleur ou de diarrhée, et doit amener à une consultation médicale rapide.

• Bien respecter les contrôles biologiques prescrits (natrémie, kaliémie, bilan rénal).

• Sous digitalique, le patient et son entourage doivent savoir reconnaître les premiers signes d’une intoxication : anorexie, vomissements, diarrhées, troubles de la vision, troubles psychiatriques (sujet âgé).

Automédication

Pas d’AINS en automédication (risque de décompensation et risque d’insuffisance rénale aiguë par interaction avec les autres traitements), ni de laxatifs stimulants qui sont hypokaliémiants (risque de déséquilibrer une kaliémie et de potentialiser les effets toxiques de la digoxine). Proscrire les formes galéniques effervescentes.

PRÉVENTION

La correction des facteurs de risque cardiovasculaires (arrêt du tabac, obésité, atteintes des objectifs glycémiques, tensionnels et lipidémiques) est importante pour prévenir l’apparition de la maladie.

Délivreriez-vous ces ordonnances ?

ORDONNANCE 1 : OUI. Mais il faut s’assurer que M. L. a bien compris qu’il devait arrêter de prendre l’énalapril, qui est désormais remplacé par le candésartan. En effet, la triple association IEC/ARA II/anti-aldostérone est formellement contre-indiquée du fait d’un risque important d’hyperkaliémie. Pour éviter toute erreur, le pharmacien demande à M. L. de ramener la boîte d’énalapril à la pharmacie. Il s’assure également qu’un contrôle de l’ionogramme sanguin est bien prévu par le cardiologue.

ORDONNANCE 2 : NON. L’association de la josamycine à l’ivabradine est contre-indiquée en raison d’une inhibition du métabolisme de l’ivrabadine, d’une augmentation de ses concentrations plasmatiques et de ses effets indésirables par la josamycine. Il faut prendre contact avec le généraliste pour remplacer la josamycine par un autre antibiotique.

MÉMO-DÉLIVRANCE

CONCERNANT LA MALADIE

Le patient sait-il reconnaitre les signes d’aggravation de la maladie ?

La prise de poids de plus de 2 kilos en quelques jours, l’apparition ou l’aggravation des œdèmes, l’apparition de l’essoufflement ou d’une dyspnée nécessitant de dormir assis ou de superposer plusieurs oreillers imposent un avis médical. Le patient doit se peser au moins 1 à 2 fois par semaine.

Est-il vacciné contre la grippe et le pneumocoque ?

Les vaccinations antigrippales (tous les ans) et antipneumococciques (tous les 5 ans) sont recommandées.

CONCERNANT LE TRAITEMENT

Le patient a-t-il compris l’enjeu d’une bonne observance ?

La maladie peut être stabilisée par une bonne hygiène de vie et le suivi rigoureux des traitements. Vérifier également le bon respect des contrôles biologiques prescrits : ionogramme et bilan rénal en général tous les 3 à 6 mois ou en cas de modification de posologie.

Sait-il à quel moment prendre les traitements et comment gérer les effets indésirables ?

• Administration : Les IEC peuvent être initiés le soir pour limiter les risques d’hypotension. Les bêtabloquants se prennent généralement le matin, les diurétiques également pour limiter les levers nocturnes.

• Effets indésirables gérables ou transitoires : L’hypotension orthostatique doit être prévenue par un lever en 2 temps. Tant que la pression systolique est supérieure ou égale à 90 mmHg et que la tolérance est bonne (pas de malaise…), le traitement doit être respecté. Pas d’autosurveillance tensionnelle systématique (crainte des hypotensions). La fatigue sous bêtabloquant s’améliore après quelques mois.

• Consultation médicale rapide :

– En cas de perte de poids rapide faisant évoquer une déshydratation liée au diurétique (en particulier si condiv de forte chaleur, diarrhée).

– Sous digoxine, devant des signes de surdosage : anorexie, vomissements, diarrhées, troubles de la vision, confusion.

Connait-il les médicaments d’automédication à éviter ?

Il s’agit des AINS, des laxatifs stimulants (hypokaliémiants) et des formes galéniques effervescentes (apport sodé).

CONCERNANT L’HYGIÈNE DE VIE

• La consommation de sel doit être le plus souvent inférieure à 6 g/jour : cuisiner sans sel, éviter les aliments riches en sel (charcuteries, fromages, plats cuisinés tout-prêts…). Les sels de régime (hyperkaliémiants) ne s’utilisent que sur avis médical. Si besoin : perdre du poids, le surpoids et l’obésité augmentent le travail du cœur.

• La consommation d’alcool doit être limitée (1 à 2 verres/jour) ou stoppée (si origine éthylique de la maladie). L’arrêt du tabac est impératif.

• L’activité physique diminue la fatigue et l’essoufflement. Elle doit être adaptée et se faire avec l’accord du médecin.

• Attention aux risques de déshydratation en cas de chaleur, de diarrhée, etc.

LE CAS :

M A., 71 ans, hypertendu, est traité depuis plusieurs années par périndopril 4 mg. Depuis quelques temps, il se sentait essoufflé en montant des escaliers ou en jardinant et il avait remarqué que ses chevilles étaient gonflées.

M. A. sort aujourd’hui d’une consultation cardiologique et présente l’ordonnance suivante.

Qu’en pensez-vous

Chez ce patient, la prise d’ibuprofène :

1) ne pose aucun problème

2) est à proscrire en automédication

Qu’en pensez-vous

Un sel de régime :

1) peut tout à fait être recommandé

2) requiert l’avis du cardiologue

EN CHIFFRES

• Prévalence en Europe : 1 à 2 % dans la population adulte ; > 10 % à partir de 70 ans. En France, prévalence déclarée estimée à environ 1 130 000 personnes.

• Age moyen des patients : 75 ans. Au moins la moitié ont une insuffisance cardiaque « systolique ».

• Les cardiopathies ischémiques sont en cause dans 70 % des cas ; les valvulopathies et les cardiomyopathies dans chacune 10 % des cas.

• Plus de 50 % des patients décèdent dans les 4 ans et 40 % des sujets hospitalisés pour insuffisance cardiaque décèdent ou sont réhospitalisés dans l’année qui suit.

Les stades fonctionnels de l’IC selon la NYHA*

• Stade I : pas de symptôme ni de limitation des activités physiques.

• Stade II : pas de gêne au repos, mais l’activité ordinaire entraîne une fatigue, des palpitations, une dyspnée.

• Stade III : pas de gêne au repos, mais limitation franche des activités physiques et gêne lors des activités même modérées de la vie courante.

• Stade IV : limitation sévère des activités, symptômes présents même au repos.

* New York Heart Association

Physiopathologie de l’insuffisance cardiaque

• La fonction du cœur est de délivrer l’oxygène aux tissus grâce à un débit sanguin suffisant, tout en maintenant un niveau de pressions de remplissage intracavitaire normal. L’insuffisance cardiaque (IC) survient lorsque, à la suite d’un événement altérant le muscle cardiaque (infarctus du myocarde, HTA augmentant le travail du cœur…), celui-ci se trouve dans l’incapacité d’assurer ses fonctions. Le débit sanguin cardiaque diminue et/ou les pressions augmentent en amont de la zone lésée (congestion).

• Ces anomalies hémodynamiques induisent des phénomènes compensateurs via la mise en jeu de systèmes neuro-hormonaux : la stimulation sympathique génère une augmentation de la fréquence et de la contraction du cœur afin de maintenir le débit cardiaque ; la stimulation du système rénine angiotensine (SRA) entraine une rétention hydrosodée qui contribue à augmenter la volémie.

• Au fil du temps, ces phénomènes compensateurs, initialement bénéfiques, deviennent délétères et aboutissent à un remodelage ventriculaire. D’où l’intérêt d’un traitement de fond qui comporte des bloqueurs des systèmes neuro-hormonaux impliqués : IEC ou ARA2, bêtabloquants, antialdostérones).

• Le remodelage peut s’effectuer selon deux modalités : dilatation ou hypertrophie.

– En cas de dilatation, les parois de la cavité cardiaque sont amincies et le volume d’éjection systolique altéré : c’est l’IC « systolique » ou « à fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) altérée » (le ventricule gauche étant le plus souvent concerné).

– En cas d’hypertrophie, la paroi est épaisse. La contraction peut rester longtemps normale mais le remplissage est anormal : c’est l’IC « à FEVG préservée » ou « à fraction d’éjection préservée (ICFEP), improprement appelée insuffisance cardiaque « diastolique ».

• Le remodelage lui-même entretient une stimulation neuro-hormonale permanente qui à son tour aggrave l’insuffisance cardiaque.

CE QUI A CHANGÉ

• 2012 : extension d’AMM de l’ivabradine dans l’insuffisance cardiaque.

• Avril 2014 : l’ANSM rappelle, dans un point d’information, que l’association IEC-ARA II augmente le risque d’hypotension, d’hyperkaliémie et d’insuffisance rénale. Elle est déconseillée chez tous les patients et notamment ceux atteints de néphropathie diabétique.

VIGILANCE !!!

Principales contre-indications des traitements :

• IEC : antécédent d’angio-œdème (œdème de Quincke) lié à la prise d’un IEC, 2e et 3e trimestres de grossesse.

• ARA II : insuffisance hépatique sévère, 2e et 3e trimestres de grossesse.

• Bêtabloquants : insuffisance cardiaque aiguë ou non contrôlée, bradycardie (< 50 ou 60 bpm selon les molécules, avant le début du traitement), hypotension sévère, asthme ou BPCO sévères ou non contrôlés (asthme et BPCO sont des contre-indications absolues pour le carvédilol, non cardiosélectif), troubles artériels périphériques et phénomène de Raynaud sévère.

• Diurétiques : hypersensibilité aux sulfamides. Thiazidiques : insuffisance rénale sévère. Diurétiques de l’anse : déshydratation, hypokaliémie ou hyponatrémie sévère.

• Antialdostérones : hyperkaliémie (> 5 mmol/l à l’instauration du traitement), insuffisance rénale sévère ou aiguë, allaitement.

• Ivabradine : fréquence cardiaque < 60 bpm au repos avant instauration du traitement, hypotension ou angor sévère, grossesse, allaitement.

• Digoxine : tachycardie et fibrillation ventriculaires, hypokaliémie non corrigée.

POINT DE VUE Professeur Michel Galinier, chef de service de cardiologie, CHU de Toulouse

« De nombreux patients sont sous-dosés »

Où en est l’éducation thérapeutique dans l’insuffisance cardiaque ?

Les réseaux de soin sont encore peu nombreux en France. On estime que seuls 10 % des insuffisants cardiaques sont bien éduqués. Or ceci pourrait, par exemple, permettre au patient de gérer lui-même l’augmentation des doses du diurétique selon l’apparition de signes de rétention hydrosodée. La télémédecine, en revanche, se développe et nous l’expérimentons au CHU de Toulouse. Le patient se pèse chaque matin et répond à huit questions que nous réceptionnons. Si besoin, il bénéficie ensuite d’une adaptation de son traitement par téléphone. L’objectif est de prévenir les décompensations.

Quel rôle pour les pharmaciens ?

Veiller aux interactions médicamenteuses est primordial. Intervenir davantage dans le suivi du patient me semble un rôle important dans l’avenir. De nombreux patients sont loin d’atteindre les doses cibles efficaces des IEC et des bêtabloquants qui permettent une diminution de la morbi-mortalité de la maladie. Souvent par crainte de l’augmentation des doses par le médecin généraliste. Il me semble qu’avec une formation adéquate (contrôle de la tension artérielle et de la fréquence cardiaque et analyses biologiques telles que kaliémie, fonction rénale), le pharmacien, qui voit tous les mois les patients pour leur renouvellement d’ordonnance, a là un rôle essentiel à jouer.

Comment traiter l’insuffisance cardiaque diastolique ?

La prise en charge repose sur le contrôle de la ou des maladie (s) causale (s), c’est-à-dire principalement l’HTA, le diabète et l’obésité. Chez ces patients généralement âgés, les recommandations hygiénodiététiques ont une place importante : surveillance du poids et réduction de l’obésité, vaccinations… La restriction sodée doit être modérée (environ 6 g par jour) pour éviter toute dénutrition qui peut être à l’origine d’un épisode de décompensation.

QUESTION DE PATIENTS

L’insuffisance cardiaque a-t-elle des répercussions sur l’activité sexuelle ?

La pathologie peut participer à une impuissance (origine psychologique, trouble de l’érection en rapport avec une atteinte vasculaire, etc.). Les bêta-bloquants peuvent majorer ce problème. Il faut en parler au cardiologue. Les inhibiteurs de phosphodiestérase peuvent être prescrits, mais ils sont contre-indiqués avec les dérivés nitrés.

QUESTION DE PATIENTS

Les objets de la vie quotidienne peuvent-ils interférer avec mon défibrillateur ?

Les cas rapportés d’effets indésirables avec les objets courants sont très rares. Seules quelques précautions sont à prendre : ne pas ranger un téléphone portable ou un Ipod dans une poche de veste près du dispositif, et utiliser l’oreille contro-latérale lors d’un appel, et ne pas s’appuyer contre un portique antivol. Si vous prenez l’avion, il faut en informer le personnel de sécurité car votre dispositif implantable sera détecté lors des contrôles à l’aéroport.

INTERNET

www.has-sante.fr

“Guide du parcours de soins Insuffisance cardiaque” (Juin 2014). Document faisant le point sur la prise en charge le suivi et l’éducation du patient.

www.heartfailurematters.org/fr_FR

Des informations pratiques pour les patients.

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