POUR OU CONTRE LA SUBSTITUTION PAR LES BIOSIMILAIRES ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3039 du 05/07/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3039 du 05/07/2014
 

Débat

Auteur(s) : Caroline Coq Chodorge

La France rejoue-t-elle un mauvais feuilleton ? Certains médicaments biologiques ont ou vont prochainement perdre leur brevet et seront concurrencés par des copies légales, les biosimilaires. Comme les génériques, ils sont source d’économies pour l’Assurance maladie. Mais la comparaison s’arrête là.

Un médicament biologique est un produit complexe dont la substance active est produite à partir d’une source biologique, donc vivante. Les biosimilaires sont soumis à une législation spécifique et bien plus contraignante que les génériques de médicaments chimiques. Ils suivent des règles de développement, de production et d’autorisation proches de leurs médicaments d’origine.

Mais comme pour les génériques, le débat se cristallise autour de la sécurité de ces produits et sur la possibilité donnée aux pharmaciens de substituer. Très sensibles aux procédés de fabrication, les biosimilaires auront-ils la même efficacité que les médicaments biologiques d’origine ? Est-il utile et sûr ­d’accorder un droit de substitution au pharmacien, comme le prévoit l’article 47 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2014, dont les divs d’application sont toujours attendus. Le décret limite cependant ce droit de substitution à l’initiation du traitement.

Cette substitution à l’officine est-elle indispensable pour assurer leur développement, dans un condiv de pénurie budgétaire ? Voici la réponse, parfois contrastée, de représentants de laboratoires de princeps et de génériques, de prescripteurs et futurs prescripteurs de biosimilaires, de pharmaciens d’officine. Les associations de patients n’ont quant à elles pas arrêté de position sur ce sujet neuf et complexe.

ÉRIC BASEILHAC, directeur des affaires économiques du Leem

« Aujourd’hui, le marché des biosimilaires est modeste. Mais nous entrons dans une phase de transition avec la chute prochaine de nombreux brevets de médicaments biologiques. La réalité du marché sera très différente en 2017. Les médicaments biologiques sont un marché significatif, en croissance. Certains seront les grands médicaments de l’avenir, contre le cancer, les pathologies immunologiques, inflammatoires… Les industriels du médicament n’ont rien contre le développement des biosimilaires, dont les prix moins élevés devraient permettre de dégager des économies nécessaires au financement des médicaments innovants.

Cependant, l’article 47 de la LFSS 2014 a mis le feu aux poudres. Pour le Leem et pour l’ensemble de l’industrie pharmaceutique, c’est un signal délétère. Le Conseil stratégique des industries de santé, réuni par le Premier ministre, a travaillé l’an dernier sur les bonnes conditions industrielles et économiques du développement des biosimilaires, dans un souci de la santé publique. La LFSS a balayé ce travail collaboratif. La substitution est le pire des choix pour développer les biosimilaires. On a vu le résultat pour les génériques : elle a suscité la défiance des prescripteurs. Il ne faut pas recommencer la même erreur. Au contraire, il faut créer une relation de confiance avec les médecins.

Il y a aussi un enjeu industriel autour des médicaments biologiques et des biosimilaires. La France est en train de rater ce virage. Le coût de développement et de production de ces médicaments est très élevé. Aujourd’hui, les usines sont implantées en Angleterre ou en Allemagne, mais pas en France. Peut-on rattraper ce temps perdu ? C’est tout le sujet de l’attractivité de notre pays, devenu moins compétitif, au regard de conditions d’accès au marché, de prix et de fiscalité… imprévisibles. »

JEAN-LOUIS PRUGNAUD, membre de l’Académie nationale de pharmacie, ancien président de la commission des biotechnologies de l’Afssaps

« A quoi servent ces copies ? Il n’y a aucun bénéfice scientifique. L’enjeu est donc économique. Les réductions de prix attendues sont bien moins importantes que pour les génériques, de l’ordre de 20 à 30 % environ. Mais est-ce que les prescripteurs et les patients vont accepter ces produits ? Il faut qu’ils soient assurés que ce sont des copies aussi sûres et aussi efficaces que les produits de référence. La substitution est-elle un bon moyen de promouvoir les biosimilaires ? L’agence européenne du médicament est très claire : elle n’est possible qu’en primoprescription. Dans ces conditions, la LFSS 2014 donne le droit de substituer aux pharmaciens d’officine. Mais le décret d’application n’a toujours pas paru. Et il faut que l’ANSM créé un groupe de biosimilaires pour qu’ils soient substituables. Se pose aussi le problème de l’extrapolation des indications pour un même produit. Par exemple, l’anti-TNF infliximab, Remicade (Merck) et bientôt son biosimilaire Inflectra (Hospira), est indiqué dans la polyarthrite rhumatoïde, le psoriasis sévère, ou encore la maladie de Crohn. Mais les études des biosimilaires ne concernent que certaines indications seulement.

Il faut que les médecins et les pharmaciens se forment à ces nouveaux produits, et discutent ensemble. L’hôpital sera le principal lieu de cette discussion, puisque la plupart des prescriptions et une grande partie des délivrances des biosimilaires seront hospitalières. Et dans cette discussion, il faut intégrer le patient, complètement oublié par la LFSS 2014. Il ne s’agit pas de recommencer la même erreur qu’avec le générique. » ;

Pr PHILIPPE CHANSON, chef de service endocrinologie à l’hôpital Bicêtre (Val-de-Marne)

« Pour les hormones de croissance, il existe des biosimilaires depuis 2006. Nous les utilisons d’ores et déjà sans distinction par rapport au médicament d’origine. La France a longtemps conservé une certaine défiance vis-à-vis des hormones de croissance depuis l’affaire de la maladie de Creutzfeldt Jacob. Comme le bénéfice de ces produits n’est pas jugé très important, la discussion sur les biosimilaires est plus facile. Et à la différence des génériques, les laboratoires concurrents ne les dénigrent pas. En ce qui concerne la substitution par le pharmacien, j’ai une réserve : la présentation et la facilité de conservation du médicament doivent être prises en compte. Pour nous médecins, la facilité d’emploi est un élément de choix important. » ;

Pr ANDRE SCHEEN, chef du service de diabétologie du CHU de Liège (Belgique)

« Les brevets de plusieurs insulines vont bientôt tomber. En Belgique, comme en France, on s’attend à voir arriver les premiers biosimilaires dans deux ans environ. Il y a bien sûr quelques inquiétudes. Les insulines sont des protéines, des médicaments complexes à fabriquer. Et les biosimilaires ne sont pas des copies conformes. Il peut y avoir quelques différences avec le médicament princeps. Auront-elles des répercussions sur la sécurité du médicament ?

Des règles très précises de développement et de production ont été édictées par l’Agence européenne du médicament. Pour la prescription, elle indique également qu’il ne faut pas changer de médicament en cours de traitement. Pour l’insuline, c’est très important, car elle est ajustée à chaque patient d’une manière précise. En Belgique, le pharmacien n’a pas ce droit de substitution. Le choix d’un biosimilaire relève de la décision du prescripteur et du patient. Mais nous devons accepter la contrainte économique, car la population des diabétiques augmente, comme le coût du traitement. »

DIDIER LALOYE, directeur général d’Hospira France et membre de la commission Biosimilaires du Gemme

« Le marché des biosimilaires en France est aujourd’hui inférieur à 100 millions d’euros. Il comporte trois acteurs : Teva, Sandoz et Hospira. Mais d’autres laboratoires de princeps sont en train de se positionner. Car en 2015, les brevets de médicaments biologiques majeurs vont tomber. Chez Hospira France, nous nous apprêtons à commercialiser le premier biosimilaire de l’anticancéreux infliximab (Remicade de Merck). Notre biosimilaire Inflectra a obtenu une AMM européenne en septembre 2013. Il est déjà commercialisé dans plusieurs pays européens, dont la Norvège, le Portugal ou l’Irlande. Il doit arriver sur le marché français en 2015.

Le Gemme* dispose d’une commission spécifique aux biosimilaires, car c’est un autre modèle économique. Ce sont des médicaments qui ont des coûts de développement importants. La baisse de prix par rapport au médicament de référence sera donc limitée. Mais en valeur absolue, l’économie reste importante.

Aujourd’hui, le marché des biosimilaires se développe sans politique d’incitation particulière. La plupart de ces médicaments sont prescrits à l’hôpital et restent sous surveillance hospitalière lorsqu’ils sont utilisés en ambulatoire. Il faut donc qu’ils soient adoptés d’une manière assez naturelle par les prescripteurs hospitaliers. Les pharmaciens hospitaliers sont les mieux à même d’expliquer au monde médical le bénéfice de ces produits et leur équivalence thérapeutique. »

JEAN MONIN, président d’Amgen France

« Amgen a 30 ans d’expérience dans les biomédicaments. Nous considérons que nous avons l’expertise et le recul nécessaires pour développer des biosimilaires, mais pas de nos propres produits. Notre facteur de croissance Neupogen (filgrastim) a, par exemple, déjà perdu son brevet. Nous travaillons sur des biosimilaires d’anticorps monoclonaux prescrits contre des cancers, des maladies rhumatoïdes et le psoriasis.

Les biosimilaires représentent des économies substantielles pour les autorités de santé, qui pourront ainsi continuer à financer les molécules innovantes. C’est un cercle vertueux. D’ici à 2020, une dizaine de molécules, qui pèsent 3 milliards d’euros, vont perdre leur brevet. Il y a là un gisement d’économies de 500 millions d’euros annuels. C’est normal, pour nous, fabricants de produits innovants, de vendre moins cher des médicaments qui ont perdu leur brevet.

La loi française a décidé de favoriser le développement des biosimilaires en accordant un droit de substitution aux pharmaciens. Mais il risque d’y avoir des limites à l’application de cette loi : comment le pharmacien sera-t-il certain qu’il s’agit réellement d’un début de traitement ? Il faudra qu’il joigne le médecin, ce qui n’est pas toujours simple. »

CLAUDE LE PEN, économiste de la santé et professeur à l’université Paris Dauphine

« En France, les médicaments biologiques représentent un marché de 7 milliards d’euros, soit 25 % du marché du médicament. Ce marché est réparti entre l’hôpital (3 milliards d’euros) et la ville (4 milliards d’euros). C’est un marché dynamique, qui progresse de 3 à 4 %. Parmi ces médicaments biologiques, on trouve des médicaments anciens et peu chers, comme les vaccins, et des médicaments innovants très chers, comme les anticorps monoclonaux, protéines recombinantes produites par le génie biologique. Aujourd’hui, il existe peu de biosimilaires. Le brevet de seulement trois molécules (filgrastim, érythropoïétine et somatropine) est tombé. L’arrivée prochaine sur le marché du biosimilaire de l’infliximab est attendue. Cet anti-TNF, prescrit dans le traitement des maladies inflammatoires graves, est le deuxième médicament sur le marché hospitalier. Son chiffre d’affaires est de 300 millions d’euros. Les brevets d’autres molécules vedettes vont tomber d’ici 2020 : Enbrel, Humalog, Mabthéra, Rémicade, Lantus, Neulasta, Herceptin, Avastin, Erbitux et Lucentis. Ce ne sont pas des médicaments qui pèsent lourd en volume, mais en prix : ils coûtent très cher. L’arrivée des biosimilaires, qui sont des copies de 20 à 30 % moins chères, est donc bienvenue pour l’Assurance-maladie.

La France est le seul pays au monde à avoir fait le choix de la substitution. Le débat est assez confus et un peu étrange. Si aujourd’hui 60 % des biosimilaires sont délivrés en ville, et 40 % à l’hôpital, ce sont pour la plupart des médicaments de prescription hospitalière. Je doute qu’une femme accepte que son pharmacien substitue son traitement contre le cancer du sein. Ce serait dommage qu’une législation maladroite torpille le développement des biosimilaires, aujourd’hui assez naturel. La France est même en avance sur la plupart des pays européens. »

ALEXANDRE MOREAU, directeur adjoint du département oncologie et référent biosimilaires à l’ANSM*

« Les biosimilaires n’ont rien à voir avec les génériques. Ils sont considérés comme des médicaments innovants et passent par la voie d’évaluation européenne dite centralisée : leur autorisation de mise sur le marché est accordée par l’Agence européenne du médicament. Leur dossier de demande d’AMM comprend des données sur la qualité pharmaceutique du produit, comme tout autre médicament biologique. Des études précliniques et cliniques prouvent leur similarité avec le médicament de référence. Ces études sont conduites sur des populations homogènes. Par exemple, pour l’érythropoïétine, les études cliniques sont menées sur des insuffisants rénaux, alors qu’il existe d’autres indications. D’autres études sont également fournies pour démontrer que l’on peut extrapoler les résultats à d’autres indications. Et chaque dossier est évalué au cas par cas : des guides spécifiques sont publiés pour chaque nouvelle molécule.

Pour les biosimilaires, la substitution n’est recommandée qu’en primoprescription. Pour des traitements au long cours, il est déconseillé de passer d’un produit A puis B ou C. Aujourd’hui, le marché des biosimilaires est essentiellement en ville. Mais il pourrait rapidement évoluer avec l’arrivée de molécules prescrites et souvent délivrées à l’hôpital (infliximab, rituximab, trastuzumab ou bévacizumab). On s’attend à ce que ces produits soient rapidement adoptés, ils sont sûrs et 20 à 30 % moins chers. Les hôpitaux vont donc vite faire leur compte. A l’avenir, la sub­stitution en ville sera un sujet à la marge. Mais elle sera bientôt possible, puisque le décret d’application de l’article 47 de la LFSS 2014 doit sortir dans les prochaines semaines. »

PHILIPPE BESSET, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF)

« La substitution des médicaments biosimilaires en ville n’est pas un sujet majeur, dans la mesure où la substitution reste limitée à la primoprescription et où les prochaines molécules dont les brevets vont tomber sont pour une bonne part délivrées à l’hôpital. Mais certains biosimilaires sont d’ores et déjà délivrés en ville, notamment l’érythropoïétine.

En réalité, le sujet n’est pas là. Les futurs biosimilaires, notamment les anticorps monoclonaux, seront prescrits contre des pathologies lourdes, qui nécessiteront dans les années à venir de la coordination entre médecins et pharmaciens, hospitaliers et libéraux. Devant une ordonnance pour un médicament biologique appartenant au répertoire des biosimilaires défini par l’ANSM, le pharmacien devra d’abord s’assurer qu’il s’agit bien d’une primodispensation. Soit le médecin l’a indiqué sur l’ordonnance, laissant ainsi le soin de substituer au pharmacien, soit ce dernier doit joindre le prescripteur, souvent hospitalier. On rejoint ici un débat plus large : celui de la coordination des soins entre la ville et l’hôpital. » ;

GILLES BONNEFOND, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO)

Les biosimilaires sont l’avenir des économies sur les médicaments. Pour développer la substitution, il faut des relations plus serrées entre le médecin et le pharmacien, en ville comme à l’hôpital. Il y a du travail. Les biosimilaires sont une opportunité pour créer de l’interprofessionnalité, de la coordination. Il faut trouver un accord sur la stratégie à adopter pour les biosimilaires, afin d’être encore plus précis sur la substitution, car les médicaments biologiques sont plus sensibles.

Aujourd’hui, j’entends les mêmes discours que ceux d’il y a vingt ans sur les génériques. Ce ne serait pas un sujet de ville ? Mais qui va dispenser les médicaments ? Parfois, les médecins hospitaliers prescrivent un médicament, non pas parce que c’est le plus adapté ou le plus économique, mais parce que c’est celui choisi par l’hôpital. Il faut que les gens comprennent, y compris les industriels, que le spécialiste du médicament, c’est le pharmacien.

*Aujourd’hui ANSM (Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé).

*Association des professionnels du médicament générique.

Déjà sur le marché

Sept spécialités biosimilaires sont aujourd’hui commercialisées en France :

• deux époétines (Binocrit et Retacrit) ;

• quatre références de filgrastim ou facteurs de croissance granulocytaire (Zarzio, Ratiograstim, Tevagrastim, Nivestim) ;

• une somatropine, hormone de croissance (Omnitrope).

Et seront bientôt commercialisés deux infliximabs (Remsima et Inflectra, biosimilaires de Remicade), qui ont récemment obtenu leur autorisation de mise sur le marché.

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