DEUXIÈME VIE - Le Moniteur des Pharmacies n° 3034 du 31/05/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3034 du 31/05/2014
 
DE L’INDUSTRIE À L’OFFICINE

Enquête

Auteur(s) : Marie Luginsland

En sixième année d’études, ils avaient choisi avec détermination de travailler dans l’industrie pharmaceutique ou la répartition. Leur parcours les a menés à la porte de l’officine. Qu’ils ont franchie sans hésitation, avec pour bagages une expérience de gestionnaire, de manager et de négociateur. Et l’envie de se frotter à la réalité du comptoir.

Un ami disait : « Quand tu as fait des études de pharmacie, si tu ne t’installes pas, tu a raté quelque chose », se souvient Philippe Bernard. Le fondateur du groupement Alphega a suivi ce conseil. Après vingt-cinq ans passés dans la répartition, il s’est installé il y a six ans et demi en Savoie, où il détient deux officines en SEL avec une ex-collègue d’Alphega Italie.

Comme lui, de nombreux pharmaciens qui avaient opté en sixième année pour la filière industrie prennent le virage de l’officine. Leur nombre est difficile à estimer. Car, s’ils sont près de 400 pharmaciens de moins de 57 ans à se faire radier chaque année du tableau de la section A, les vagues de « déserteurs » des sections industrielles et hospitalières qui poussent la porte de l’officine ne sont pas précisément évaluées. En revanche, ces primo-installants constituent en moyenne 10 % de la demande des cabinets de transaction. Sans compter ceux qui arrivent sur le marché du travail en officine comme adjoints.

L’herbe serait-elle plus verte derrière le comptoir ? Les motifs de ces nouveaux arrivants varient. Certains sont contraints d’envisager une reconversion à la suite des plans sociaux de l’industrie et des restructurations dans la répartition. D’autres négocient leur départ car ils se disent usés par le rythme des grandes entreprises. Enfin, l’impression « d’avoir fait le tour de la question » dicte parfois le changement. « J’ai compris, après avoir remplacé une collègue en congé maternité au poste de directeur de l’agence, que je n’aurai plus de promotion », expose Denis Vacarie. Celui qui avait pourtant choisi la répartition par vocation et obtenu un DESS de répartition à la faculté de pharmacie de Limoges, a finalement repris l’officine de ses parents à Saint-Léonard-de-Noblat, toujours dans la Haute-Vienne. Avec bonheur.

La vie familiale est aussi à la source de ces nouveaux caps. Après plusieurs années dans l’industrie comme attachée scientifique d’un laboratoire de recherche et dans le marketing de la filiale allemande d’un groupe international, Caroline Jubert a décidé de raccrocher. « J’étais enceinte de ma troisième fille, nous avions déjà beaucoup bougé et mon mari venait d’être muté. C’est la pharmacienne de mon quartier qui m’a donné la chance d’essayer le comptoir », se souvient cette consoeur aujourd’hui embauchée dans une officine du Nord.

C’est aussi pour profiter de la famille et d’un certain confort que Tâm Doco – un pur et dur « industrie » à la sortie de la faculté de Châtenay-Malabry – a opté pour le rachat d’une officine à Sens (Yonne). Quant à François Charretier, pharmacien hospitalier au Puy-en-Velay (Loire), il ne supportait plus les lourdeurs hiérarchiques. Il s’est donc installé il y a huit ans à Firminy. D’autres pharmaciens ont un parcours plus atypique, comme ce couple de titulaires du Maine-et-Loire, autrefois parfumeurs.

Pour la plupart quadragénaires, ils ont pour point commun d’avoir l’esprit d’entreprise dans leurs veines. « Dans un rendez-vous avec une personne issue de l’industrie, ça se sent tout de suite, elle va droit à l’essentiel », constate Philippe Meunier, négociateur « Val de Loire » du cabinet de transaction Channels.

Une longueur d’avance en termes de gestion du back-office

Car ces pharmaciens arrivent à l’officine avec un sérieux bagage. Après avoir travaillé à l’issue de ses études de pharma en tant qu’assistante en officine et effectué un troisième cycle en école de commerce où elle a obtenu un master en management d’entreprise, Majda Squalli a travaillé pendant sept ans dans une société de traitement des DASRI (déchets d’activités de soins à risques infectieux) avant de racheter une officine en mai 2013 dans un quartier de Lille. « Dans une petite entreprise, on est appelé à intervenir en gestion et en management, ce qui représente un plus lorsqu’on acquiert sa propre pharmacie. J’ai certes fait des découvertes en arrivant mais j’avais les outils pour m’adapter rapidement », note-t-elle. Une agilité que confirment dans leur ensemble les pharmaciens issus du monde de l’entreprise. « J’ai appris dans l’industrie qu’il fallait toujours avoir un coup d’avance, anticiper, être proactif », déclare Tâm Doco, qui développe aujourd’hui son cœur de métier. Un constat partagé par Philippe Bernard, lequel ajoute : « Il est difficile de mettre en place des actions à long terme dans l’officine, on ne peut prendre de recul car on se situe toujours dans l’immédiateté. »

Loin de se résigner, ces nouveaux titulaires sont décidés à tirer profit de leur vie antérieure. « Mon expérience en répartition me sert tous les jours », affirme Denis Vacarie, qui annonce ses atouts : l’obsession de la qualité qu’il a développée chez son ancien employeur et la logistique, qu’il maîtrise parfaitement.

Les titulaires passés par la case répartition sont souvent redoutables dans les négociations avec les laboratoires. « La répartition est la meilleure école car elle donne une vision du monde de l’officine », affirme Tâm Doco. Sans aller jusque-là, nombre de ses confrères reconnaissent que leur parcours industriel ou chez un grossiste leur confère une longueur d’avance en termes de gestion du back-office, dans les domaines du merchandising et du management. Jusqu’à en garder certains tics. « Les années passées dans la répartition permettent d’avoir une très bonne analyse des chiffres à la passation de commandes. Personnellement, j’attache beaucoup d’importance à la rotation des stocks », déclare Philippe Bernard. Quand il s’est installé, il a demandé au comptable de pouvoir, à l’instar de l’industrie, saisir lui-même ses factures et garder la main sur ses pièces comptables. Cette méthode a contribué à une progression de 25 % de son chiffre d’affaires en six ans.

L’expérience donne une certaine crédibilité. Anne Cazorla, licenciée économique après vingt années à la tête d’un service marketing de six personnes dans un laboratoire pharmaceutique, a des atouts imparables face à l’équipe et au client. « Je peux rassurer un patient qui refuse un générique et lui expliquer en détail les contrôles qualité », note Anne Cazorla. De manière générale, ces pharmaciens qui ont roulé leur bosse déclarent avoir un regard plus ouvert sur l’officine. « Ils ont en général fait un choix volontaire et, de leur expérience dans l’industrie, ils apportent de bonnes connaissances de gestion d’assurance qualité et une sensibilisation à la formation », confirme Hélène van den Brink directrice du DU de préparation à l’exercice officinal à la faculté de Châtenay-Malabry. « Ces pharmaciens ont le profil inverse des officinaux classiques. Ils ont l’habitude des négociations, du management de la gestion. Ce qui leur manque, c’est une pratique de comptoir », résume de son côté Alain Aubard, gérant du cabinet de transactions Planète Officine avant de lâcher : « Ce sont des entrepreneurs. Ils analysent le marché. »

Des candidats idéaux pour les sociétés d’exercice libéral

Cette expérience professionnelle fait mouche auprès des banquiers et compense le manque de moyens financiers dont souffrent en général ces candidats à l’installation. Car, salariés depuis la fin de leurs études, ils n’ont pu capitaliser comme leurs copains de faculté, installés depuis plusieurs années. Jamais les indemnités d’un plan social ou d’une rupture conventionnelle ne suffiront à combler ce retard. Et pourtant ces primo-installants parviennent à acquérir des officines pour un prix moyen de 1,8 million d’euros.

« Quand nous avons voulu racheter, nous avions rapporté aux banquiers un dossier structuré comprenant nos CV, un état des lieux de la pharmacie, une analyse géomarketing, nos axes de développement, comme un business plan. Cela les a impressionnés », détaille Philippe Bernard. « Nous sommes parvenus à convaincre la banque sur nos seuls profils », annonce de son côté Tâm Doco, qui a racheté une officine à 70 % de son chiffre d’affaires.

Ces pharmaciens sont effectivement les candidats idéaux pour les SEL. « Ils ne disposent certes pas toujours des capitaux mais ils font de très bons gérants, notamment pour les grosses structures », observe Alain Aubard. Tandis que son concurrent Philippe Meunier constate : « Ils ont souvent suivi un cursus de management en complément. Quand ils s’installent, ils passent dans des SEL et réinvestissent très vite. » Pour autant, il est vivement conseillé à ces candidats de s’associer en veillant à la complémentarité des compétences. Le succès de leur installation en dépend souvent. « Ils sont intelligents, ils connaissent les limites de leur personnalité », lâche un consultant. De fait, ces pharmaciens savent bien que, si en sixième année d’études, ils avaient initialement choisi l’industrie, c’est qu’ils sentaient que le comptoir n’était pas leur fort.

Des cours de rattrapage sont parfois nécessaires

Après tant d’années passées dans l’entreprise, il l’est resté. Le comptoir qu’ils ont peu ou prou pratiqué leur fait en général peur. « D’où l’intérêt que j’ai eu de m’associer avec un ami qui avait cinq ans de comptoir. Sans compter l’aide que j’ai reçu de l’équipe. Il faut insister sur le rôle essentiel des préparatrices », reconnaît Tâm Doco. A ses débuts, Philippe Bernard a lui aussi ressenti ces lacunes, « en conseil associé et tout particulièrement avec les enfants. Tout comme pour la délivrance des médicaments sur certaines ordonnances ».

Pour ces pharmaciens qui n’ont pas vu de comptoir depuis leur deuxième année d’université, des cours de rattrapage s’imposent. Plusieurs facultés de pharmacie proposent une remise à niveau par le biais d’un DU de pratique officinale (voir tableau page 27). « Les plus grandes lacunes se situent autour du médicament et de sa délivrance. Il faut reprendre le vocabulaire devant le patient quand on délivre, quand on conseille… », constate Thierry Dîne, directeur du DU « Pratique de la pharmacie d’officine » à Lille. « Il s’agit particulièrement de revoir la pharmacologie, mais aussi d’acquérir des connaissances en orthopédie, c’est-à-dire le contenu des cours enseignés en sixième année », renchérit Brigitte Pech, directrice du DU du même type à Angers (Maine-et-Loire).

Car si la plupart de ces pharmaciens sont restés en contact avec le médicament au long de leur carrière précédente, les nouveautés leur ont ­souvent échappé. « Pendant un an, j’ai repris mes cours, j’ai lu beaucoup d’ouvrages, j’ai appris le conseil associé à l’ordonnance », confie Caroline Jubert. Majda Squalli soutient cependant que « le comptoir revient très vite, c’est une question de contact avec le patient. Et de personnalité ». La jeune titulaire a retrouvé les bancs de la fac pour suivre un DU de pratique officinale. « Légalement, je n’en avais pas besoin, mais il m’a permis de me sentir plus à l’aise en révisant et de trouver un stage plus facilement », reconnaît-elle.

Car changer de métier en gardant le même titre n’est pas si facile. « Un titulaire qui recrute préférera en règle générale un jeune confrère ayant tout juste terminé ses études à une personne qui provient de l’industrie », affirme le responsable du DU de Lille. S’il n’est pas indispensable, le DU permet de mettre le pied à l’étrier et de se donner toutes les chances sur le marché du travail. « Leur projet est fabuleux mais cela peut être compliqué. Je leur dis que tout est gagné le jour où leur maître de stage est prêt à leur confier les clefs ! », lance Thierry Dîne, précisant qu’environ 80 % de ses étudiants trouvent un emploi.

De l’utilité de passer un diplôme universitaire

Valeur ajoutée du DU : il est également un tremplin précieux pour le stage, indispensable mais difficile à trouver pour un pharmacien isolé qui n’a pas de titulaires dans son entourage. « Le DU donne une crédibilité à la reconversion tout en nous forçant en même temps à l’humilité », apprécie de son côté Anne Cazorla. Comme Caroline Jubert, elle doit expliquer qu’elle n’a pas le même bagage que la personne de son âge au comptoir. A la cinquantaine, elle doit aussi accepter d’apprendre auprès de collaborateurs bien plus jeunes qu’elle. « C’est un enrichissement humain », affirme-t-elle. Aucun de ces transfuges ne regrette son bond par-dessus le comptoir. Bien au contraire. Ils ont la conviction que leur passé enrichit leur exercice officinal. De la même façon que Philippe Bernard, qui souffrait de l’éloignement du patient au cours des années antérieures.

Ces nouveaux pharmaciens continuent de découvrir chaque jour le monde de l’officine. Moins stressés en rentrant chez eux le soir, ils ont en revanche découvert qu’à la pharmacie ils étaient constamment sollicités. Contrairement à l’organisation des grands groupes industriels, ils ne peuvent se reposer sur personne pour régler des problèmes administratifs, logistiques ou techniques. Même quand il n’y a plus de papier dans l’imprimante…

Carine Wolf « Je voulais renouer avec mon rôle d’acteur de santé »

Elle devait partir pour Boston. Elle s’est installée dans le quartier de la Grand-Mare, sur le plateau ouest de Rouen (Seine-Maritime). Carine Wolf rit encore de ce bon tour qu’elle a joué à la vie. Après 16 ans passés dans l’industrie, avec en point d’orgue un poste de directrice des opérations du développement clinique européen, elle a poursuivi l’aventure sur un autre versant. « J’avais vu ce que je voulais voir. Je voulais renouer avec mon rôle d’acteur de santé, ce qui avait motivé mon choix d’études. Certes, au départ, dans l’industrie, j’avais le sentiment de contribuer aux avancées dans le domaine de la santé, par de nouvelles thérapies, de nouvelles molécules…Mais plus le temps passait, plus je perdais cette perception, tant les enjeux économiques et politiques étaient omniprésents », explique la titulaire issue d’une famille de pharmaciens.

Passionnée par son métier et soucieuse d’apporter une valeur ajoutée à son environnement, elle provoque la chance. En six mois, tout se met en place grâce au soutien d’amis installés en Normandie. Elle signe un compromis de vente pour l’officine de Rouen qu’elle convoite. Et démissionne le jour même de Boston Scientific. Pas question pour autant de regarder de haut le monde de l’officine : « Il est plus difficile de gérer une équipe de dix salariés dans un espace de 100 m2 que de manager une équipe de quarante personnes de dix nationalités différentes dans sept pays et trois bureaux ! »

A l’officine, la créativité est au rendez-vous. « La gestion quotidienne d’une pharmacie et la prise en charge des patients sont un défi de tous les jours. Ce sont mes victoires », s’enthousiasme-t-elle. Mais sa motivation à être utile ne s’arrête pas là. Pharmacienne dans l’âme, elle a créé avec quatre confrères des hdivs de Rouen l’association PharmHDR, un réseau de proximité de professionnels – médecins et infirmiers y sont associés – qui se rejoignent dans des actions de santé (journées d’information, dépistage…). Et pour compléter son engagement professionnel, Carine Wolf a pris en 2012 la tête du conseil régional de l’Ordre de Haute-Normandie. A bientôt 48 ans, elle est la plus jeune présidente de France.

Pas de place pour l’improvisation

Pour exercer en officine en tant qu’adjoint ou remplaçant, il suffit pour tout pharmacien, docteur en pharmacie issu d’un autre secteur d’activité, de s’inscrire au tableau de la section D (art. L. 4221-1 du Code de la santé publique). Les choses se compliquent pour ceux qui désirent s’installer. Car, pour devenir titulaire, le pharmacien qui n’a pas effectué son stage de pratique professionnelle de 6e année en officine ou en pharmacie hospitalière doit justifier d’une expérience professionnelle de six mois dans une ou plusieurs officines en qualité d’adjoint ou de remplaçant inscrit au tableau de l’Ordre (art. L. 5125-9 du CSP). En sont exemptés les pharmaciens inscrits à l’Ordre – toutes sections confondues – avant le 1er janvier 1996 ainsi que les pharmaciens ressortissants de l’Union européenne et de l’Espace économique européen qui peuvent justifier d’un exercice professionnel dans leur pays.

Les diplômés ayant suivi une autre orientation professionnelle peuvent suivre les DU avec stages proposés par certaines facultés. Dans ce cas, ils devront être inscrits au tableau de la section D durant leur stage.

Faire jouer les DIF

Difficile pour des transfuges de l’industrie d’entrer dans les cases de la reconversion prévues par le Fongecif. Diplômés, et ne changeant pas de secteur d’activité, ils n’ont aucune priorité pour se voir financer pendant la poursuite de leur DU. Reste donc à compter leurs économies. A moins qu’ils n’assurent la portabilité de leurs DIF figurant sur leur certificat de travail lors de leur inscription à Pôle Emploi. Un montage financier pourra alors être effectué par le biais de l’OPCA (organisme paritaire collecteur agréé) de leur dernier employeur, complété par une aide individuelle à la formation (AIF) de Pôle Emploi.

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