DOIT-ON VACCINER CONTRE LE PAPILLOMAVIRUS ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3028 du 19/04/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3028 du 19/04/2014
 

DÉBAT

Auteur(s) : Caroline Coq-Chodorge

Le vaccin contre le papillomavirus a-t-il vraiment sa place dans la stratégie de prévention du cancer du col de l’utérus ? Quels sont ses bénéfices réels ? Comporte-t-il des risques supérieurs à d’autres vaccins ? Ces questions agitent le grand public et le milieu médical. Bien que vigilantes, les autorités de santé ont tranché. Mais elles ont bien du mal à contrer ce qui s’apparente à une nouvelle offensive antivaccinale.

Elle n’a que 19 ans. Fin novembre 2013, Marie-Océane Bourguignon a porté plainte contre Sanofi Pasteur MSD et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour « violation d’une obligation manifeste de sécurité et méconnaissance des principes de précaution et [de] prévention » : en 2010, elle a vu apparaître les premiers symptômes d’une maladie auto-immune après des injections de Gardasil.

Un médecin généraliste de La Réunion, qui dénonce depuis plusieurs années le manque d’efficacité de ce vaccin, son coût et de possibles d’effets indésirables graves, a de son côté lancé une pétition « pour la mise en place d’une mission parlementaire » qui, au 1er avril, avait recueilli « près de 1 000 signatures », dont celle d’Irène Frachon, la pneumologue qui a joué un rôle décisif dans l’affaire du Mediator.

Sanofi Pasteur MSD a une nouvelle fois assuré, mercredi 2 avril dans un communiqué, de l’intérêt de son vaccin, alors que de nouvelles plaintes impliquant ce médicament doivent être enregistrées d’ici à la fin avril. div de la première plainte, l’avocat Jean-Christophe Coubris a en effet annoncé que 25 nouvelles plaintes allaient être enregistrées auprès du pôle de santé publique du tribunal de grande instance de Paris contre Sanofi Pasteur MSD et l’ANSM.

Doit-on douter du bien-fondé de la politique de santé publique ? Le 10 avril, l’ANSM a confirmé le rapport bénéfice/risque favorable de Gardasil, tout en indiquant lancer avec la CNAMTS une étude de pharmacoépidémiologie qui a pour objectif d’évaluer et de compléter les données sur le risque de survenue de maladies auto-immunes chez les femmes vaccinées.

POUR

BRUNO TOUSSAINT, DIRECTEUR ÉDITORIAL DE « PRESCRIRE »

Ce vaccin est une option raisonnable. Mais cela reste un choix du prescripteur, et surtout des jeunes femmes. Il n’y a rien d’obligatoire, car il y a beaucoup d’incertitudes sur son efficacité. La plus grande part de ces cancers du col de l’utérus sont dus à une infection par un papillomavirus. Ces infections sont très fréquentes, banales dans la grande majorité des cas. Mais apparaissent parfois des lésions précancéreuses, dont une toute petite partie finit par évoluer vers un cancer. Les études scientifiques montrent que Gardasil et Cervarix – dont l’efficacité est comparable – diminuent de 30 à 40 % le risque de voir survenir ces lésions précancéreuses. L’efficacité est donc partielle et il n’y a pas de preuve d’une baisse de la mortalité. C’est une hypothèse, mais nous considérons qu’il est plausible que le risque de cancer soit un peu diminué. Il faut aussi rappeler que la vaccination ne dispense pas du tout d’un dépistage régulier par frottis. De l’autre côté de la balance, il y a les risques de ce vaccin. Il est certain qu’il n’y a aucun risque de transmission du papillomavirus par le vaccin, parce qu’il n’en contient que des fragments. Les seuls effets indésirables attestés sont allergiques. Quand des problèmes de santé – par exemple la maladie de Guillain-Barré – apparaissent suite à une vaccination, y a-t-il un lien de cause à effet ? Les atteintes neurologiques ne sont pas plus fréquentes dans la population vaccinée que non vaccinée. Il n’y a donc pas de preuve, début 2014, d’une augmentation des événements indésirables graves, pas plus que d’une baisse de l’incidence du cancer. On y verra plus clair dans cinq ou dix ans. S’il y a un emballement médiatique autour de ce vaccin, c’est sans doute parce qu’il est à la conjonction de plusieurs sujets sensibles : les vaccins sur lesquels plane un doute après des campagnes de vaccination peu justifiées, la santé des jeunes filles, la sexualité avant les premiers rapports, le marketing sans nuance des firmes pharmaceutiques, et la difficulté à identifier qui prend la parole sur ce sujet.

POUR

JULIE GAILLOT, BIOLOGISTE AU DÉPARTEMENT PRÉVENTION DE L’INSTITUT NATIONAL DU CANCER

Fin 2011, moins de 30 % des jeunes filles âgées de 15 à 17 ans étaient vaccinées contre le papillomavirus. L’objectif du nouveau plan Cancer (2014-2019) est de porter ce taux à 60 %. Gardasil et Cervarix, les deux vaccins qui protègent contre les virus 16 et 18, responsables de 70 % des cancers, ne présentent pas de différence d’efficacité. C’est aux médecins de faire leur choix. Le plan Cancer intègre deux modes de prévention du cancer du col de l’utérus : le dépistage par frottis chez les femmes de plus de 25 ans et la vaccination chez les jeunes filles âgées de 11 à 14 ans. Ce sont deux moyens d’actions complémentaires qui peuvent permettre d’éviter plus de 1 000 morts par an. Le dépistage a prouvé son efficacité, il faut maintenant le généraliser. A ce socle s’ajoute la prévention par le vaccin, en agissant en amont chez les jeunes filles. La mortalité par cancer du col de l’utérus est marquée par des facteurs socio-économiques. La survie à cinq ans à ce cancer est plus mauvaise qu’avant car le nombre de cancers diminue, sauf dans une population de femmes qui n’adhèrent pas au dépistage, qui sont éloignées des soins, et sont donc détectées très tard. Le dépistage organisé et la vaccination doivent permettre de protéger un plus grand nombre de femmes. Cela dit, le coût du vaccin reste une difficulté. Sans mutuelle, le reste à charge après les trois injections est de 120 euros, sans compter la consultation médicale. Il est possible que l’on passe à deux injections, ce qui va diminuer le coût pour les familles et pour l’assurance maladie. Le plan Cancer prévoit également de diversifier les structures permettant un accès gratuit au vaccin : c’est déjà le cas à Paris. Et nous réfléchissons à la possibilité de vacciner en milieu scolaire. Des études en sciences humaines et sociales sur l’acceptabilité par la population vont être lancées.

CONTRE

MICHÈLE RIVASI, DÉPUTÉE EUROPÉENNE EUROPE ÉCOLOGIE-LES VERTS

Il y a une alternative au vaccin, c’est le dépistage. Je conseille aux femmes de la choisir, plutôt que de risquer une maladie auto-immune. Je m’interroge à la fois sur la balance bénéfice/risque et le rapport coût/bénéfice de ce vaccin. Il n’y a pas de recul suffisant pour savoir s’il diminue réellement le nombre des cancers. Il y a aussi des doutes sur son efficacité contre les papillomavirus, puisqu’il n’agit que contre deux souches seulement. Et il coûte 123,44 euros la dose ! Quant aux risques de maladies auto-immunes, je n’ai aucune confiance dans le système de pharmacovigilance car les médecins ne font pas remonter les effets indésirables. Le Japon a décidé de suspendre la recommandation de ce vaccin. François Hollande, lui, veut multiplier par deux la vaccination des jeunes filles. C’est bizarre quand même…

POUR

PIERRE BÉGUÉ, PÉDIATRE, MEMBRE DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE, ANCIEN PRÉSIDENT DU COMITÉ TECHNIQUE DE VACCINATION

L’efficacité de ces vaccins n’est pas contestable : la réduction des lésions précancéreuses liées aux papillomavirus 16 et 18 est supérieure à 90 % chez les jeunes filles vaccinées trois fois et qui n’ont jamais été infectées. L’efficacité tombe à 20 ou 30 % sur une population plus large, proche de la vie réelle, comprenant des femmes qui n’ont pas réalisé les trois injections ou ont déjà été infectées. Ceux qui retiennent ces chiffres pour mettre en doute l’efficacité de ce vaccin ne savent pas lire une étude scientifique. Concernant les risques, en particulier de maladies auto-immunes, ils font l’objet d’un suivi particulier car l’adolescence, en particulier chez les jeunes filles, est un âge où ces maladies se déclarent. Si vous vaccinez un grand nombre de jeunes filles, il y en a forcément qui déclarent ce type de maladies dans les semaines ou les mois qui suivent. Il ne faut pas confondre causalité et simple coïncidence temporelle. Des études de cohorte ont été lancées afin de connaître la prévalence de ces maladies dans cette population de jeunes filles avant la vaccination. Puis il faut surveiller la population vaccinée et vérifier qu’elle ne s’éloigne pas de la cohorte de référence. Il y existe plusieurs études internationales. En France, une cohorte de 1?million de jeunes femmes, vaccinées ou non, est suivie sur les bases de données de l’Assurance maladie. Dans ces différentes études, de bonne qualité, n’apparaît aucun lien entre la vaccination et l’incidence de maladies auto-immunes. Ces polémiques inquiètent et paralysent tout le monde. Elles font passer le principe de précaution avant le principe de prévention. Pour un risque de 1 sur 1 million, qui tient sans doute de la concomitance, on ne va pas arrêter une politique de santé publique. 1 000 morts par an du cancer du col de l’utérus, ce n’est pas admissible. Est-ce que l’on mesure bien les inconvénients des lésions précancéreuses, qui peuvent déboucher sur un cancer ? Une étude de l’Institut de veille sanitaire montre que la vaccination n’est valable, sur le plan de la santé publique, que si elle couvre 80 % de la population des jeunes filles de 11 à 14 ans. L’âge de vaccination a été avancé, parce qu’elle doit être faite avant tout rapport sexuel. Le Haut Conseil de la santé publique fait également évoluer ses recommandations sur le nombre d’injections nécessaires : au lieu de trois, il n’est plus que de deux pour Cervarix. Un avis identique sera bientôt rendu pour Gardasil.

POUR

MICHÈLE GERMAN, PHARMACIENNE, PROFESSEUR D’IMMUNOLOGIE À LA FACULTÉ DE PHARMACIE DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SUD, MEMBRE DE L’ACADÉMIE NATIONALE DE PHARMACIE.

Il y a 3 000 cas de cancer du col de l’utérus chaque année et 1 000 décès de jeunes femmes âgées de 25 à 45 ans. Un tiers des femmes qui contractent ce cancer meurent. Qu’est-ce qui coûte le plus cher : la vaccination ou le traitement ? Quel est le coût psychologique et financier de ces décès ? On ne peut pas avancer d’argument médicoéconomique face au cancer. Il y a en réalité une volonté de jeter le discrédit sur toutes les vaccinations. Les risques de ce vaccin existent, car il y a toujours des risques en médecine. Depuis la mise sur le marché de ce vaccin en septembre 2006, il fait l’objet d’une surveillance des agences sanitaires américaine et européennes. Le dernier rapport du comité régional de pharmacovigilance de Bordeaux, chargé du suivi en France, conclut que le rapport bénéfice/risque reste favorable. Sur 127 millions de doses de vaccins contre le papillomavirus distribuées dans le monde, il y a eu 113 cas de scléroses en plaques rapportés. Le reste, ce sont des effets indésirables sans gravité. En France, sur 5 millions de doses, il y a eu 15 cas de scléroses en plaques. Et, surtout, il n’y a pas plus de cas de scléroses en plaques dans la population vaccinée que dans la population non vaccinée.

POUR

LUCIEN PIANA, GYNÉCOLOGUE-OBSTÉTRICIEN, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DE DÉPISTAGE DES CANCERS ARCADES (MARSEILLE)

Arcades gère les deux campagnes de dépistage des cancers du sein et du cancer colorectal dans les Bouches-du-Rhône. Nous menons également des campagnes expérimentales de dépistage du cancer du col utérin et nous avons mis en évidence un lien entre la pauvreté et la mortalité de ce cancer. La pratique du dépistage a fait diminuer son incidence, mais ce sont les femmes des catégories aisées qui en profitent. Les femmes peu instruites, en difficulté, ont d’autres priorités. Elles redoutent aussi, parfois pour des raisons culturelles, l’examen gynécologique. Quand surviennent les premiers symptômes, elles les négligent. Dans mon activité de gynécologue, je prends en charge ces femmes, souvent jeunes, avec des cancers du col de l’utérus à un stade avancé. Il y a alors peu d’espoir, car il y a peu d’avancées thérapeutiques. Ces femmes meurent dans des conditions dramatiques. C’est un devoir pour nous de lutter contre cette maladie. Il y a deux axes de prévention : le dépistage et la vaccination. Ils sont complémentaires, les mettre en opposition est déraisonnable. La vaccination en milieu scolaire est souhaitable car l’école est le seul endroit où on peut atteindre toute la population. Un taux de 80 % de vaccination chez les jeunes filles de 11 à 14 ans est atteint en Grande-Bretagne ou en Australie. Nous avons des certitudes sur l’efficacité du vaccin sur les états précancéreux du col de stade 2 et 3, les plus graves, qui ne sont pas tous dépistés par frottis. Il est logique de penser qu’ils permettent d’éviter des cancers. De pseudo-scientifiques mettent en exergue les risques, mais pas les bénéfices. Il n’y a pas de traitement sans risque.

CONTRE

PHILIPPE DE CHAZOURNES, MÉDECIN GÉNÉRALISTE À LA RÉUNION PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION MED’OCÉAN

Le cancer du col de l’utérus n’est pas un problème de santé publique : il fait 800 à 1 000 morts par an en France. Le développement du dépistage organisé permettra de faire encore baisser le nombre des décès. Son efficacité sur les lésions précancéreuses est limitée à 20 %, tous virus confondus. Et il existe des hypothèses de travail selon lesquelles l’éradication des papillomavirus 16 et 18 peut activer d’autres virus. Quant aux effets indésirables, ils sont sous-notifiés : seuls 10 % sont déclarés. J’ai lancé une pétition pour qu’il y ait une mission parlementaire sur Gardasil. Début avril, j’ai recueilli près de 1 000 signatures de médecins, pharmaciens et sages-femmes. Mais je ne suis pas anti-vaccin. Il ne faut pas mettre tous les vaccins dans le même sac.

CONTRE

JEAN-CHRISTOPHE COUBRIS, AVOCAT DE PLAIGNANTES CONTRE LE GARDASIL

A la suite de la plainte de Marie-Océane Bourguignon, nous avons reçu les témoignages de centaines de jeunes filles. Nous allons déposer avant la fin du mois vingt-cinq plaintes supplémentaires. Le scénario est toujours le même. Après une, deux ou trois injections de Gardasil, des signes cliniques se manifestent dans des délais brefs. Dans le cas de Marie-Océane Bourguignon, nous pouvons nous appuyer sur les expertises de deux médecins. Cette jeune femme a manifesté deux maladies auto-immunes. On ne sait pas dans quel ordre elles sont apparues. Mais les deux experts ont reconnu le lien d’imputabilité entre l’injection de Gardasil et la manifestation des maladies. Tous deux considèrent que ce vaccin est responsable de 50 % des dommages, les 50 % restants étant imputables à un état antérieur, c’est-à-dire un terrain favorable. Ce qui nous écœure avec Gardasil, c’est la méthode des laboratoires, qui ont fait de ce vaccin un produit miracle contre le cancer du col de l’utérus. A-t-on réellement besoin de ce vaccin qui déclenche des maladies auto-immunes ?

Un peu d’histoire

Il existe deux vaccins contre les papillomavirus. Le plus connu et le plus vendu en France est Gardasil, de Sanofi Pasteur MSD : plus de 5?millions de doses ont été administrées en France depuis sa mise sur le marché en 2006. Il protège contre les papillomavirus de type 6, 11, 16 et 18. Le second vaccin est Cervarix, de GSK, qui protège contre les papillomavirus 16 et 18. Ces deux papillomavirus sont responsables de 70 % des cancers du col de l’utérus. La vaccination est légitimée par le plan Cancer (2014-2019), dévoilé début février par le président de la République. En parallèle du dépistage organisé de ce cancer pour toutes les femmes de 25 à 65 ans, il prévoit de doubler la couverture vaccinale des jeunes filles de 11 à 14 ans : de 30 % aujourd’hui, elle devrait passer à 60 %.

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