FAUT-IL EN AVOIR PEUR ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3025 du 29/03/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3025 du 29/03/2014
 
COMPLÉMENTAIRES SANTÉ

L’événement

Auteur(s) : Chloé Devis *, Loan Tranthimy**

Si les débats sur le devenir de l’Assurance maladie ne sont pas neufs, ils se cristallisent aujourd’hui autourde la montée en charge des complémentaires santé, désireuses de prouver qu’elles ont un rôle essentielà jouer dans l’organisation du parcours de soins et en faveur de la réduction des inégalités. Une chance ou un risque pour le système de santé ?

Notre système de santé est devenu un « dédale organisationnel, agrémenté d’un maquis tarifaire », dénonce Brigitte Dormond, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine et membre du Conseil d’analyse économique, dans un avis rendu le 12 mars au Premier ministre. Alors que les déficits s’accumulent, les assurés sociaux bénéficient d’une couverture de plus en plus partielle et inégalitaire, notamment pour les soins courants. « Le taux de renoncement aux soins concerne aujourd’hui 10 millions de personnes », affirme ainsi Etienne Caniard. Le président de la Mutualité française met en cause avant tout « l’absence de pilotage » du système, un constat qui fait écho au rapport choc du Cercle Santé Innovation, dirigé par Gérard Larcher, sur l’avenir de l’Assurance maladie et publié en décembre dernier.

Des complémentaires indispensables

A l’heure actuelle, c’est bien en renforçant le rôle des complémentaires que l’Etat entend pallier les déficiences du régime obligatoire. D’où la généralisation des contrats collectifs à l’ensemble des salariés du privé prévue dans le cadre de l’Accord national interprofessionnel (ANI) à l’horizon du 1er janvier 2016, première étape d’une stratégie visant à assurer l’ensemble de la population. Ou encore la refonte des contrats dits « solidaires responsables » proposés par les complémentaires santé depuis 2006. Les pouvoirs publics souhaitent notamment changer les règles en imposant des prises en charge minimales pour des dépassements des tarifs des médecins ou des plafonds pour limiter les prix dans certains domaines comme celui de l’optique (voir encadré p. 15).

Effets pervers des transfertsde remboursement

De fait, Brigitte Dormond rappelle que si ces organismes jouent un rôle d’amortisseur du désengagement de la Sécurité sociale, ils représentent une multiplicité d’acteurs aux logiques et aux intérêts divers, dont l’offre se caractérise par la profusion et l’opacité. Mais le principe de solidarité censé être défendu au moins par les mutuelles a bel et bien du plomb dans l’aile : « Aujourd’hui, les ménages modestes doivent payer jusqu’à 8 % de leur revenu pour acquérir une complémentaire, contre 2,9 % pour les plus aisés. » Parallèlement, « les contrats collectifs sont encore très subventionnés. De quoi couvrir, et donc encourager, des dépassements d’honoraires jusqu’à 200 % ou 300 % ».

Frédéric Bizard, enseignant à Sciences-Po Paris et div d’un livre à charge sur les complémentaires santé*, les accuse carrément d’être les premières responsables des maux auxquels elles se targuent de remédier. « Le transfert de remboursement pour les soins courants vers les complémentaires se traduit par une hausse des primes venant compenser ce surplus, avec deux effets majeurs : la non-rentabilité des contrats pour des millions de Français et l’incitation à la surconsommation de soins pour tenter de rentabiliser sa complémentaire. » Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé à Sciences-Po, enfonce le clou en anticipant « une nouvelle hausse des complémentaires en individuel » sous l’effet de l’ANI, qui léserait d’autant plus les catégories précaires que l’accord n’englobe pas. L’div de Démocratie sanitaire, les nouveaux défis de la politique de santé (Odile Jacob) milite pour une redéfinition du panier de soins et un relèvement du taux de remboursement des soins courants.

Côté patients, le CISS dénonce les dangers de la généralisation, en rapportant son coût – entre 3,5 et 5,1 milliards d’euros – à son résultat – 10 % seulement de personnes sans complémentaire couvertes –, le tout pour un forfait mensuel déconnecté du revenu. Sans compter le risque d’une dégradation de la couverture de ceux qui étaient mieux couverts à titre individuel, avec la tentation, réservée aux plus hauts revenus, du recours à une « surcomplémentaire ». « Je crois qu’on surestime le risque de leur développement », répond Etienne Caniard. Le président de la Mutualité préfère marteler que pour lui l’enjeu n’est plus la prise en charge à 100 % ou pas mais l’organisation du parcours de soins.

Des pharmaciensdans l’expectative

De leur côté, les officines, pour lesquelles 80 % en moyenne des médicaments remboursables sont pris en charge par le régime obligatoire, doivent-elles craindre une contractualisation avec les complémentaires santé ? « Aujourd’hui, le médicament n’est pas sur la sellette au vu des engagements pris par Marisol Touraine de ne pas engager de nouveaux déremboursements, estime Philippe Gaertner, président de la FSPF. Mais, au vu des évolutions en cours, il faut rester vigilant. Si on touche davantage la prise en charge des petits risques, les assurés sociaux non concernés par les pathologies chroniques, n’ayant jamais de retour sur cotisation obligatoire, pourraient commencer à remettre en cause le principe de solidarité de la Sécu. » Du côté de l’USPO, Gilles Bonnefond voit une réelle avancée dans la possibilité d’investir main dans la main avec les complémentaires des domaines délaissés par le régime obligatoire. « Nous avons pu mettre en œuvre en partenariat avec la Mutualité française une expérience pilote de dépistage de la BPCO dans trois régions. En second lieu, des complémentaires pourraient servir à financer la prise en charge au premier euro de la médication officinale, dans l’optique d’une meilleure organisation du parcours de soins. » Michel Caillaud, président de l’UNPF, ne remet pas en cause non plus la montée en charge des complémentaires. « Il est difficile d’envisager qu’en tant que payeurs elles n’aient pas un droit de regard sur certains éléments en s’appuyant sur la contractualisation, admet-il, non sans réserves. Mais il y aura un équilibre à trouver avec les officines via la négociation de modalités claires. L’offre de services ne devra en aucun cas se traduire pour les pharmaciens par un surcroît de complexité et de coûts : il n’est pas question de subir une double contrainte de l’Assurance maladie et des complémentaires. L’officine doit rester un espace de liberté afin de remplir sa mission première qui est de répondre de manière personnalisée aux besoins de chaque patient. » « Pour l’instant, ce sont les médecins dont la liberté d’exercice est la plus menacée par la mise en place de chaînes de santé sous l’égide de financeurs, mais on peut imaginer qu’à terme des pharmaciens engagés dans ce type de structures se voient imposer le référencement de tel ou tel produit au détriment de tel autre », craint pour sa part Jean Ducros, titulaire à Champigny-sur-Marne et animateur du collectif Pigeons pharmaciens. Une chose est sûre : le scénario qui fixera le sort du système de santé français et de ses acteurs, des patients aux praticiens en passant par les financeurs, n’est pas encore écrit.

* « Complémentaires santé : le scandale ! », éd. Dunod.

Vers un plafonnement des remboursements des lunettes

Selon un projet de décret dévoilé par Le Monde, les tarifs de remboursements des lunettes par les mutuelles seraient dégressifs sur les trois prochaines années. De 2015 à 2018, la prise en charge des verres simples passera de 350 euros à 200 euros. Pour les verres complexes, le plafond descendra de 600 à 400 euros alors que celui des montures ne dépassera pas 100 euros. Une annonce qui ne satisfait ni les complémentaires santé, ni les opticiens.

Chiffres clés

94 % des Français disposentd’une couverture complémentaire dont 35 millions à titre individuel.

74 % des salariésdu privé sont déjà couverts par leur entreprise.

400 000 salariésprivés de complémentaire santé seront concernés parle dispositif de généralisation.

5,5 millions de personnes bénéficientde la CMU-C et de l’ACS.

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