UNE DRÔLE DE STRATÉGIE - Le Moniteur des Pharmacies n° 3007 du 16/11/2013 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3007 du 16/11/2013
 
PRIX DES NOUVEAUX ANTICANCÉREUX

L’événement

Auteur(s) : Caroline Coq-Chodorge

Depuis quelques années les laboratoires mettent sur le marché de nouvelles thérapies dites ciblées contre le cancer. Leur prix est très important : 50 000 euros par an pour l’imatinib, 80 000 euros par an pour l’ipilimumab. C’est un axe important de la recherche pharmaceutique, mais qui pose une question cruciale : l’inflation de ces dépenses est-elle soutenable pour la Sécurité sociale ?

Il arrivera un jour où même des pays riches comme le nôtre n’arriveront plus à délivrer ces médicaments […]. Le prix de certaines molécules a atteint des proportions que de plus en plus de médecins, dont je fais partie, jugent presque immorales. En une décennie, le prix des nouveaux médicaments anticancéreux a pratiquement doublé. » Ces déclarations de l’oncologue Jean-Pierre Vernant, dans le quotidien La Croix du 5 novembre, ne sont pas passées inaperçues. Mais ce spécialiste des cancers du sang n’est pas le premier à interroger ainsi l’évolution de la recherche pharmaceutique sur le traitement des cancers. Cent vingt oncologues du monde entier ont plaidé dans la revue américaine de recherche hépatologique Blood pour « une modération des prix des médicaments contre le cancer, pour permettre un accès plus large des patients à ces traitements et pour préserver sur le long terme les systèmes de santé ».

En France, les médicaments anticancéreux sont entièrement pris en charge par la Sécurité sociale dès lors qu’ils obtiennent une autorisation de mise sur le marché. Et le niveau de la dépense flambe. Les derniers chiffres de l’assurance maladie sur les remboursements des médicaments en ville, rendus publics en mai dernier, sont éloquents : si les dépenses de médicaments stagnent en 2011 par rapport à 2010 (+ 0,2 %, 22,8 milliards d’euros), celle des anticancéreux progresse de 2,4 %, soit 42 millions d’euros sur un an, pour une dépense totale de 1,6 milliard d’euros. C’est en particulier la dépense d’anticancéreux sur prescription hospitalière qui augmente le plus (+ 7,8 %).

Des thérapies ciblées très onéreuses

Cette inflation s’explique notamment par l’arrivée de thérapies ciblées contre les cancers.

En effet, les progrès de la biologie moléculaire ont mis en évidence des altérations moléculaires dans les cellules cancéreuses – des biomarqueurs – qui permettent d’identifier des cibles thérapeutiques différentes pour un même cancer. « A l’avenir, il est possible qu’on dispose de 5, 10, 20 peut-être même 30 médicaments différents pour le seul cancer du poumon, explique à La Croix Jean-Paul Vernant. Ce seront presque des médicaments orphelins, pour lesquels le laboratoire pourra réclamer un prix astronomique. » La première thérapie ciblée arrivée sur le marché est l’imatinib, commercialisée par Novartis sous le nom de Glivec. Elle est très efficace pour traiter les leucémies myéloïdes chroniques, dont on enregistre environ 1 000 cas par an. Mais le traitement coûte 50 000 euros par an, rappelle Jean-Pierre Vernant.

Alain Astier, professeur en pharmacie clinique oncologique et membre de l’Académie nationale de pharmacie, se félicite de cette « prise de conscience chez les oncologues. Je suis à 120 % d’accord avec Jean-Paul Vernant. On atteint des niveaux de prix délirants ». Il va même plus loin que l’oncologue. S’il ne remet pas en cause l’intérêt de certaines thérapies ciblées, comme l’imatinib, cet axe de recherche est, pour lui, en partie du marketing. « Les laboratoires entretiennent le mythe de la molécule miracle qui va guérir du cancer. » Et surtout, regrette-t-il, « ils se détournent de molécules plus anciennes, au profil de tolérance bien connu, car elles ne sont plus assez rentables. On pourrait au contraire trouver de nouvelles applications ». Alain Astier donne l’exemple de l’hydroxyurée, « un anticancéreux ancien, de moins en moins utilisé contre les leucémies, et qui s’avère très efficace contre les crises de drépanocytose », une maladie héréditaire de l’hémoglobine très fréquente chez les personnes de couleur.

Plus grave, Alain Astier remet en cause la balance bénéfice/risque de certains nouveaux anticancéreux très coûteux : « Ces nouveautés ne sont pas toutes des innovations. » Il donne l’exemple de l’ipilimumab, molécule prescrite dans le traitement du mélanome métastatique : « Ce médicament coûte 80 000 euros par an. Le gain est de trois mois de vie seulement. Et il est toxique, la qualité de vie des malades est affectée. » L’avis de la Commission de la transparence de la Haute Autorité de santé sur Yervoy de BMS est en effet très réservé : « L’apport thérapeutique de l’ipilimumab est difficilement quantifiable » et, pire, « une dégradation marquée de la qualité de vie a été observée ».

Tous les médecins ne partagent pas cette analyse, comme Didier Mayeur, oncologue à l’hôpital de Versailles et président du comité des Yvelines de la Ligue contre le cancer. « Avec l’ipilimumab, des patients survivent parfois quatre ans à leur maladie, au lieu d’un an et demi en moyenne, affirme-t-il. Et on peut espérer de nouveaux progrès dans cette voie qui permettront peut-être à ces malades de guérir. »

Une régulation nécessaire du prix

« La HAS est jugée trop sévère par une majorité d’oncologues et d’associations de patients, qui souhaiteraient que les thérapies ciblées soient mises sur le marché plus rapidement », confirme Jean-Luc Harousseau, président du collège de la HAS, qui reconnaît cependant qu’« on ne peut pas continuer à assister à une telle augmentation du prix de ces médicaments sans réagir ». La nouvelle compétence de la HAS en matière d’évaluation médicoéconomique, issue du décret du 2 octobre 2012, pris en application de l’article 47 de la LFSS 2012 et mis en œuvre, est selon lui une première réponse. Au CEPS ensuite d’engager des négociations avec les laboratoires pour fixer le prix des médicaments. Son vice-président Jean-Yves Fagon défend « un système régulé, qui ne permet pas la mise sur le marché de médicaments à des prix si exorbitants qu’ils menaceraient l’assurance maladie ». Il admet cependant que « la question de la soutenabilité des dépenses se pose pour les médicaments contre les cancers et les maladies rares ». Mais il rappelle que le CEPS est chargé, par une lettre de mission du gouvernement, d’« offrir des médicaments innovants à toute la population ».

Tous renvoient le sujet au monde politique. Tel l’oncologue Didier Mayeur : « Nous, médecins, sommes tenus à une obligation de moyens. Nos patients peuvent nous reprocher de ne pas leur proposer les dernières thérapeutiques ciblées et très onéreuses. Ce n’est pas à nous de décider du coût de la vie. » Mais pour le pharmacien Alain Astier, le gouvernement « n’a pas le courage d’engager ce débat ».

Le Leem s’en remet à la HAS

« Les thérapies ciblées contre les cancers sont un axe important de la recherche pharmaceutique. Nous sommes à l’heure de la médecine personnalisée », estime Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques du Leem.

Le représentant de l’industrie pharmaceutique comprend les interrogations soulevées par le coût de ces thérapeutiques « dans un condiv de rationalisation de dépenses. In fine, nous sommes tous des citoyens ». Mais les thérapies ciblées ont selon lui l’avantage « d’optimiser les bénéfices de santé attendus parce qu’elles s’adressent, grâce aux progrès de la génétique, aux patients répondeurs. Mais c’est désormais le rôle de la HAS d’analyser leur rapport coût/efficacité lors de leur réévaluation ».

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