ACCOMPAGNER LES PATIENTS CARDIAQUES À L’OFFICINE - Le Moniteur des Pharmacies n° 3007 du 16/11/2013 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3007 du 16/11/2013
 
AVRILLÉ (MAINE-ET-LOIRE)

REPORTAGE

Auteur(s) : Isabelle Guardiola

La pharmacie de Vincent Loubrieu expérimente, comme 15 autres officines de la région d’Angers, une nouvelle méthode d’accompagnement du patient cardiaque. Les pharmaciens ont pour cela suivi une formation d’éducation thérapeutique du patient et participé à la conception du programme.

André, 75 ans, revient sur le récit de son infarctus, survenu il y a trois ans. « J’étais fatigué, tendu, inquiet à cause du cancer de ma femme. Je faisais beaucoup de choses. En bêchant mon jardin, j’ai ressenti une douleur dans la poitrine. » Vincent Loubrieu interroge : « On vous a expliqué ce qu’était un infarctus ? D’où venaient ces douleurs ? » Dans l’espace de confidentialité de son officine, le titulaire sonde les connaissances du patient, les rectifie si besoin, écoute plus qu’il n’intervient. « Qu’est-ce qui peut boucher les artères ? », « Le tabac, répond aussitôt André. J’ai arrêté il y a vingt ans, je fumais deux paquets par jour. J’en ai fumé, des saloperies ! J’ai commencé tout petit, à la ferme, en roulant du papier journal pour imiter mon grand-père… » Le pharmacien note les phrases d’André, pour s’appuyer sur celles-ci lors des prochaines séances d’éducation thérapeutique qu’il mène depuis quelques semaines auprès de patients qu’il a recrutés au comptoir. Trois pour l’instant, cinq à dix sur toute l’année. Pharmacien Giropharm depuis 1991 et à ce titre aguerri aux entretiens pharmaceutiques, Vincent Loubrieu a en outre suivi un DIU de tabacologie, un titre qu’il met en pratique dès qu’il le peut, comme le rappelle un badge épinglé sur sa poitrine.

Maître de stage, Vincent Loubrieu a par ailleurs été contacté, à l’automne 2011, par Sébastien Faure, enseignant à la faculté de pharmacie d’Angers en charge de la filière officine.

Allers-retours entre l’hôpital, la ville et l’université

Sébastien Faure lui propose, ainsi qu’à une quinzaine de pharmaciens, tous maîtres de stage, de monter un programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP) post-infarctus à l’officine. « Une idée née du regret exprimé par le chef de service de cardiologie du CHU d’Angers, lors d’une formation pour des officinaux, que le programme d’ETP mené à l’hôpital pendant l’année qui suit l’accident cardiaque ne se poursuive pas en ville, expose Sébastien Faure. Un autre regret était que des pharmaciens ne participent pas à ce programme hospitalier. » D’où l’envie d’impliquer les pharmaciens en ville, pour poursuivre cette formation. « On vit une période charnière à l’officine et l’un de nos rôles d’universitaire est d’accompagner les pratiques, en formation initiale et continue, poursuit Sébastien Faure. Le DPC en est la preuve formelle : il ne s’agit plus d’apporter des connaissances mais de faire changer les pratiques. » Il contacte donc l’ARS, l’Ordre et deux professionnels du CHU d’Angers : Séverine Chantrel, cadre de santé à l’unité transversale d’ETP, et Laurence Spiesser-Robelet, pharmacienne et assistante hospitalo-universitaire en charge de l’enseignement en éducation thérapeutique à la faculté de pharmacie. Ces deux personnes apportent leur expertise pour permettre l’élaboration du projet. Elles sont également impliquées dans le programme post-infarctus du CHU d’Angers.

Fin 2011, l’ARS attribue une subvention de 37 000 euros* à l’URPS-pharmaciens pour développer ce programme d’ETP qui prévoit l’inclusion de 100 patients pris en charge par quinze officines, une formation initiale pour les pharmaciens ainsi qu’une rémunération de 250 euros par patient pour chaque pharmacien. La formation initiale commune, de 40 heures, obligatoire pour tout professionnel de santé entrant dans un programme d’ETP, a été assurée par Séverine Chantrel, Laurence Spiesser-Robelet avec le soutien de Sébastien Faure, en 2012. Elle a été suivie de nombreuses réunions entre les pharmaciens participants et le trio de coordonnateurs pour élaborer le programme Étoppia (Éducation thérapeutique à l’officine du patient post-infarctus en Anjou). « C’était essentiel pour construire des outils adaptés à l’officine, ce dont nous ne disposions pas forcément », commente Laurence Spiesser-Robelet. Séverine Chantrel complète : « Nous pensions qu’il était plus pertinent que les pharmaciens s’approprient les outils en les concevant plutôt que de recevoir un classeur prêt à l’emploi. Cela va d’ailleurs dans le sens de l’ETP de s’impliquer. »

Ce programme d’ETP autorisé par l’ARS étant le premier du genre en officine, il s’agit d’une expérimentation sur un an. Elle donnera lieu à une évaluation fin 2014. « Avec l’idée que l’expérience soit reproductible ailleurs, appuie Alain Guilleminot, président de l’URPS Pays de la Loire. Et que cela fasse avancer la profession, notamment grâce au caractère interprofessionnel du projet. »

Interprofessionnel et interdisciplinaire

Tout programme d’ETP doit en effet revêtir un caractère interprofessionnel : cela se traduit ici dans le lien entre la ville et l’hôpital, le suivi avec le médecin de ville qui doit obligatoirement valider l’inclusion du patient dans le programme, et l’intervention d’autres disciplines lors des entretiens. Environ quatre séances d’ETP étant prévues pour chaque patient, Vincent Loubrieu pourra, selon les besoins, faire ­intervenir une des préparatrices nutritionnistes pour répondre à des questions du type : dans quoi y a-t-il des graisses saturées ? Comment se faire plaisir en mangeant ? Ou encore, demander sa participation à son adjointe formée aux AVK pour ce patient « qui laisse sa femme s’occuper de ses traitements, sauf des AVK, mais fait ses prélèvements dans des laboratoires différents ». « S’ils n’expriment pas ce besoin, c’est à nous d’y travailler, je crois beaucoup au temps, analyse Vincent Loubrieu. Je pense à un autre patient qui lors du diagnostic éducatif [première séance d’ETP, NdlR.], a parlé à plusieurs reprises de sa consommation d’alcool. Je sens bien que le thème “alcool et alimentation” fera certainement l’objet d’une séance. »

La subtilité de l’ETP est de faire cheminer les objectifs du patient et ceux du soignant, ceux-ci étant fixés, d’une séance à l’autre, d’un commun accord.

Conjuguer motivation et besoins des patients

Tout le succès de l’éducation thérapeutique repose donc sur la motivation du patient et sur l’aide du professionnel de santé pour étayer cette motivation. « Sans prescription déguisée, mais avec des questions ouvertes pour aller le plus finement chercher pourquoi la personne ne tient pas ses objectifs », détaille Séverine Chantrel. L’ETP, ce n’est pas uniquement de l’information, du conseil ou du suivi d’observance. C’est une évaluation des connaissances et des besoins du patient pour ensuite l’amener à plus d’autonomie et à la faculté de prendre en charge sa pathologie. Pour le pharmacien, cela ne passe pas d’emblée par des explications sur les médicaments : « C’est le patient qui décide de ses priorités, relate Vincent Loubrieu. Par exemple, lors d’un premier entretien, un patient est sans cesse revenu à la complexité de son dossier d’hôpital, qu’il n’a pas ouvert depuis qu’il est rentré chez lui. Ça l’inquiète. Nous allons le regarder ensemble et je vais l’aider à le comprendre et à trier l’important. » Une première demande qui amènera à en ouvrir d’autres. Les thèmes qui reviennent de façon récurrente sont la diététique, l’utilisation du traitement d’urgence, les génériques… Et comprendre pourquoi on prend tous ces médicaments. Comme André ce jour-là. « Vous savez ce que vous prenez, comme médicaments ? », demande Vincent Loubrieu. « Pour sûr ! Sectral, Tahor… ». Il sèche. « Kardégic, Ramipril ? », l’encourage son pharmacien. « Oui, c’est ça ! Vous êtes fort ! ». « C’est un peu mon métier… ironise Vincent Loubrieu. Et Tahor, vous le prenez pour quoi ? ». La réponse fuse : « pour l’estomac, non ? »

* Dans le cadre du budget FIQCS : Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS). Créé en 2007, le FIQCS permet de financer six types d’action dont le développement de nouveaux modes d’exercice et de réseaux de santé, la permanence des soins, le maintien d’une offre de soins en zone déficitaire et les actions favorisant l’exercice regroupé des professionnels de santé.

Vincent Loubrieu en 4 dates

• 17 mai 1961 : naissance

• 1988 : diplôme de pharmacien à la faculté de Châtenay-Malabry

• 2006 : installation à Avrillé

• 2010 : diplôme inter-universitaire (DIU) de tabacologie et aide au sevrage tabagique de la région Ouest à l’université d’Angers.

• 2011 : participation active au montage du programme d’ETP post-infarctus à l’officine avec 15 autres pharmaciens

Si vous avez envie d’essayer

Les avantages

• Exercer son rôle de professionnel de santé en accompagnant son patient.

• La satisfaction professionnelle : voir la conscience du patient s’éveiller, sa motivation progresser.

• Mise en valeur du pharmacien et reconnaissance des autres professionnels de santé.

• Faire de l’officine un lieu de recherche et un creuset intellectuel.

Les difficultés

• Le temps passé.

• Le peu de programmes ETP intégrant des pharmaciens.

Les conseils

• La nécessité de se former à l’ETP :

– pour sortir du simple conseil,

– pour apprendre les techniques d’entretien

– pour travailler en interprofessionnalité

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