L’ART DE DÉCROCHER UN PRÊT - Le Moniteur des Pharmacies n° 2997 du 07/09/2013 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2997 du 07/09/2013
 

Dossier

Auteur(s) : Chloé Devis

La quête d’un financement est parfois ardue. Le succès de la démarche passe par un travail de fond en amont de sa demande, à l’écrit comme à l’oral, par une cohérence optimale entre ses intentions et ses moyens… et une vraie ténacité. Le tout en misant sur une relation de confiance avec le banquier. Conseils et retours d’expériences.

L’époque où l’on prêtait sans discuter aux pharmaciens est révolue. Je dois préparer psychologiquement mes clients… Récemment, l’un d’eux a essuyé cinq refus avant d’obtenir son prêt ! », témoigne Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département pharmacie de Fiducial Expertise. Les banques scrutent en particulier à la loupe le prix d’acquisition, lequel doit être toujours plus ajusté au regard du prix du marché et du chiffre d’affaires de l’officine reprise. « L’adéquation entre le choix d’un projet et les moyens dont dispose son porteur est primordiale », note Bruno Delemotte, directeur du marché des professionnels du groupe Crédit du Nord. « Il faut être conscient que les dossiers sont en général un peu faibles actuellement, nuance Philippe Becker. Donc, plus on est préparé, plus on met de chances de son côté. Le banquier attend en priorité que vous soyez capable de le rembourser. Il faut donc le persuader de votre sérieux et de celui de votre projet, et, si possible, le faire aussi un peu rêver! »

Cette démonstration devra être faite à l’écrit et à l’oral, sur le fond mais aussi sur la forme : « La présentation faite par le futur titulaire est révélatrice de sa capacité à s’exprimer, à argumenter, à convaincre, ce qu’on peut attendre de quelqu’un qui fait profession de conseiller ses patients. Et si la forme ne pourra jamais rattraper un fond défaillant, elle pourra en revanche améliorer un fond moyen, poursuit l’expert-comptable. De plus, la qualité de la présentation d’un projet peut faire passer au second plan ses points faibles », renchérit Jean-Michel Philippon, dirigeant d’Initium Coaching.

Se faire conseiller ne signifie pas déléguer

Partir à la recherche d’un prêt requiert de bien s’entourer, y compris pour cautionner son projet auprès de ses interlocuteurs. Ainsi, pour la banque CIC, « il est souhaitable que le prévisionnel soit établi par un cabinet d’expertise comptable ayant déjà un portefeuille de clients officinaux ». Jeune titulaire récemment installé en association à Livron, dans la Drôme, Lionel Bataille l’admet volontiers : « Le fait que le banquier qui nous a accordé le prêt connaissait très bien notre expert-comptable a joué dans sa décision. »

Mais attention, se faire conseiller ne signifie pas déléguer ! « L’implication du pharmacien est indispensable et transparaîtra dans le dossier. Il ne faut surtout pas qu’il s’en tienne aux informations qui lui ont été transmises mais qu’il se les approprie », souligne Monique Sylvestre, responsable formation chez Interfimo. « L’enjeu est aussi de valoriser ses compétences de manager », appuie Lionel Bataille.

Et c’est encore plus vrai dans le cas d’une première installation. « Dans ce cas il faut jouer cartes sur table afin d’instaurer d’emblée un climat de confiance avec un interlocuteur auquel on est en train de demander une somme importante et avec lequel on entame potentiellement une relation de long terme. D’autant que la banque fait ses propres recherches… », avertit Laurent Sebaoun, consultant au cabinet de transaction Channels. Le CIC confirme : « Nous interrogeons systématiquement le fichier Fiben [Fichier bancaire des entreprises, NdlR] et Infogreffe. » Dans cet esprit, Laurent Sebaoun met en garde : « N’éludez pas les faiblesses de votre dossier ! De toute façon, elles n’échapperont pas au prêteur potentiel… C’est l’occasion de montrer que vous en êtes conscient et que vous allez travailler ces faiblesses. »

Le dossier est toujours le reflet d’une stratégie bien pensée

La remise d’un dossier complet, en amont de l’entretien, est également un facteur sécurisant pour le banquier. Complet, mais synthétique : « Oubliez le verbiage, soyez concret et le plus précis possible ! », récapitule Monique Sylvestre. La mise en page du dossier et son ordonnancement doivent également faciliter sa consultation. « J'ai constitué mon dossier en utilisant Powerpoint et placé de nombreuses illustrations pour permettre aux banquiers de visualiser mon projet », raconte Amandine Lefèvre, titulaire récemment installée dans le XVe arrondissement de Paris. « Pourquoi ne pas utiliser une cote avec des pièces numérotées, comme dans un dossier d’avocat ? », suggère pour sa part Philippe Becker

Reste l’essentiel, un contenu structuré : la pièce maîtresse en sera le business plan, articulé autour du profil du demandeur, du condiv de l’officine reprise et du projet chiffré de développement. Différents documents et justificatifs administratifs et financiers seront fournis en annexe, à l’appui de ces trois volets.

En premier lieu, votre financeur potentiel, s’il n’est pas votre banquier habituel, a besoin de vous connaître à la fois d’un point de vue professionnel et personnel, comme dans le cadre d’un recrutement.« Son objectif est de s’assurer que vous avez le profil adapté au projet que vous défendez, et, dans le cas d’acquisition de parts ou d’une association, que le partenariat fonctionnera », indique Monique Sylvestre. Il auscultera en premier lieu votre cursus, « en différenciant le parcours entre première ou deuxième installation », précise le CIC. Il importe donc de fournir un CV détaillé. « Faites valoir vos éventuels diplômes complémentaires et l’ensemble de vos expériences professionnelles », recommande Monique Sylvestre. « Il peut être pertinent de mentionner certaines activités extraprofessionnelles qui prouvent votre capacité à développer des projets ainsi que, toujours elle, votre aisance relationnelle », ajoute Philippe Becker. Une lettre de présentation, notamment dans le cas d’une première installation, pourra également vous permettre d’évoquer votre parcours en des termes plus personnels, sans hésiter à valoriser les atouts qui peuvent servir votre projet, comme l’illustre Amandine Lefèvre : « J’ai mis en avant ma proximité avec les mamans, étant moi-même mère de jeunes enfants, pour parler de mes envies : créer un espace accueillant et valoriser la parapharmacie et le conseil. » Sur le plan personnel, l’ensemble de vos revenus, votre patrimoine personnel, vos crédits en cours comme vos charges doivent être portés à la connaissance de l’établissement bancaire. « Nous sommes attentifs au fait qu’une installation peut entraîner une baisse de revenus. Or, d’expérience, nous savons qu’il est difficile de réduire son train de vie », relève Monique Sylvestre.

En cas de réinstallation, la banque évaluera vos capacités de gestion en se fondant sur les derniers bilans de votre ancienne officine.

Enquête géodémographique et projet chiffré sont incontournables

« Parmi les autres documents du dossier doivent figurer tous les éléments économiques et comptables de la pharmacie reprise », souligne Laurent Sebaoun. La qualité de l’emplacement est un point crucial. L’analyse des risques et des opportunités du secteur de l’officine est essentielle pour évaluer le maintien et le développement de l’activité. Elle passe par une description approfondie. « Même si l’affaire a été apportée par un cabinet de transaction, il est essentiel de se déplacer et d’interroger la mairie, les riverains… », observe Monique Sylvestre. L’enquête, étayée par un reportage photo, fera le point sur l’aspect démographique, l’environnement commercial (y compris la concurrence), tertiaire, scolaire et, bien entendu, médical, mais aussi sur les transports, avec une attention particulière aux changements en cours et futurs. « Ayant racheté une officine un peu à l’abandon dans une ZAC toute neuve, j’ai mis l’accent sur le potentiel du quartier et la proximité d’un centre commercial et d’une auberge de jeunesse ainsi que d’installations photovoltaïques, documentation à l’appui », explique Carole Taieb Assous, titulaire dans le XVIIIe arrondissement de Paris.

L’officine devra évidemment faire l’objet d’un état des lieux illustré, qui prendra en compte sa typologie, ses spécialités éventuelles, sa base de clientèle existante, sa visibilité, sa surface, son agencement et les possibilités en la matière (extension, aménagement d’un espace de confidentialité…) « Un organigramme de fonctionnement de l’officine, synthétisé par exemple sous forme d’un diagramme, permettra de présenter l’équipe avec ses atouts », indique Philippe Becker.

Enfin, la note de présentation du projet de l’acquéreur de l’officine devra répondre aux deux questions suivantes : pourquoi acheter le fonds en question, et pour y faire quoi ? Les arguments s’appuieront sur des simulations chiffrées, établies avec le concours de l’expert-comptable ou du cabinet de transaction. Concernant le plan de financement, « en fonction du prix d’achat du fonds, de la marge brute dégagée et des charges de personnel, l’endettement ne doit pas être excessif par rapport aux résultats, et l’apport doit être suffisant pour permettre l’autofinancement et la constitution du fonds de roulement de départ », rappelle Marc Brouchiquan (CIC). Quant au prévisionnel, il présentera l’ensemble des hypothèses et coûts liés au développement de l’affaire, sans en oublier (travaux à venir, licenciement, achat d’équipements…), et, bien entendu, en les motivant. « Ce plan doit être réaliste par rapport à l’économie globale de la pharmacie. Mieux vaut minimiser la progression du chiffre d’affaires », indique Lionel Bataille.

L’entretien, de la persuasion à la séduction

Le passage à l’oral, une simple formalité ? « Bien au contraire, il s’agit d’une étape essentielle », selon Monique Sylvestre. C’est à cette occasion que le pharmacien va véritablement “vendre” son projet au banquier. » En cas de première acquisition, la faculté de se projeter à court et moyen terme, sera déterminante. « Le demandeur doit être le premier convaincu, rappelle Jean-Michel Philippon. Une fois envisagés les enjeux de la démarche pour vous-même, faites de même pour le banquier : c’est le meilleur moyen de cerner sa façon de raisonner, et les freins qui pourraient l’empêcher de vous accorder le prêt. » Cette stratégie ne sera que plus pertinente si vous avez la possibilité de vous renseigner sur le profil de votre chargé de dossier, un peu comme dans un entretien de recrutement. La préparation est donc, à nouveau, l’arme la plus efficace. « Nous avons fait des jeux de rôle avec mon mari, ce qui m’a permis d’être beaucoup plus sûre de moi le moment venu », témoigne Amandine Lefèvre. Selon Lionel Bataille, « il faut impérativement maîtriser le projet dans son ensemble, chaque banquier se focalisant sur des points différents ».

Le jour J, peaufinez la première impression, décisive, que vous donnerez au chargé de dossier en soignant votre présentation et votre ponctualité, et en arrivant avec votre dossier en double exemplaire. Sans omettre les « petits plus » : « Conseillée par mon fils, je suis venue avec une tablette, pour l’image de modernité », raconte Carole Taieb Assous. « Même si on a répété avec des partenaires, il est préférable d’être seul. Etre accompagné est un signe évident de faiblesse », estime Philippe Becker. Assurez-vous de garder le premier rôle : « C’est le pharmacien qu’on a envie d’entendre, car c’est lui le futur chef d’entreprise », insiste Monique Sylvestre qui préconise également de « faire part, au début de l’entretien, d’un plan qui démontrera une vision des choses structurée ». Faites-vous aussi préciser le temps dont vous disposerez pour calibrer votre présentation en conséquence. L’attitude est également importante : « Il faut d’emblée se placer sur un pied d’égalité avec le banquier, en le considérant comme un partenaire : gardez à l’esprit qu’il a fondamentalement envie de vous accorder le prêt, et qu’il s’agit de lui confirmer qu’il a raison en faisant preuve de confiance en soi et de détermination », recommande Laurent Sebaoun. Pour Lionel Bataille, « il faut pouvoir montrer qu’on est bon gestionnaire sans se faire passer pour un expert des chiffres ». Jean-Michel Philippon confirme : « Il est essentiel de rester soi-même même si l’on s’adapte au profil de son interlocuteur. » « Les deux parties doivent pouvoir échanger librement autour de leurs attentes respectives », ajoute Monique Sylvestre. « Le banquier doit pouvoir poser toutes les questions nécessaires pour l’aider à prendre sa décision et le pharmacien avoir une idée de la manière dont un futur partenariat peut s’organiser. » Enfin, Jean-Michel Philippon en est convaincu : « L’art de la persuasion repose sur un trépied constitué de la qualité du projet, de la crédibilité de son porteur, et de la manière dont se noue la relation avec son interlocuteur : ce dernier point, dans lequel entre une forte part d’affect, est aussi important que les autres. » Ce qu’exprime à sa manière Carole Taieb Assous : « Séduire le banquier en lui transmettant son enthousiasme, c’est indispensable ! » Dernier « truc » livré par Jean-Michel Philippon au cas où, la fin de l’entretien approchant, votre prestation ne vous semble pas concluante : « Osez réclamer un retour sur votre “prestation”. Demandez au banquier de dégager quatre ou cinq points positifs dans votre dossier. Cet effort peut l’inciter à remettre en question son point de vue ou, en tout cas, permettre de réamorcer la discussion. Et si ces atouts sont plus nombreux que prévu, pourquoi ne pas lui demander conseil sur les axes d’amélioration de votre dossier ? Au mieux, c’est l’occasion de solliciter un nouveau rendez-vous. Au pire, vous mettrez plus de chances de votre côté dans la perspective de vos prises de contact avec d’autres établissements. »

Le business plan alternatif de Jean-Patrice Folco

S’inspirant de la méthode SynOpp développée par des chercheurs d’HEC Montréal, Jean-Patrice Folco, responsable de Méca-Pharma, cabinet conseil en gestion officinale et titulaire à Fontaine, en Isère, plaide pour une nouvelle approche du business plan, déjà mise en application auprès de plusieurs officines. « Je ne m’appuie pas sur l’évolution du chiffre d’affaires et de la rentabilité, qui amènent de nombreuses pharmacies dans le mur au bout de quelques années faute de pouvoir tenir les objectifs annoncés, mais sur la maîtrise du mode d’exercice. Ma démarche part du principe que le modèle économique de l’officine n’est pas à proprement parler commercial : le conseil du pharmacien prime sur la valeur des produits. Il s’agit de centrer le développement de l’officine sur son cœur de métier, l’ordonnance. C’est aussi actuellement la seule stratégie pour anticiper le basculement d’une partie de la rémunération du pharmacien en honoraires de dispensation et d’en tirer parti. »

Peaufiner sa stratégie d’approche

La façon d’approcher les établissements bancaires ne doit pas être laissée au hasard mais au contraire faire l’objet d’une investigation préalable pour cerner les positions de chacun. « Aujourd’hui, solliciter deux, trois ou quatre banques est indispensable, affirme Philippe Becker (Fiducial). On privilégiera son agence habituelle pour la “préchauffe”, et on suivra les recommandations de l’expert-comptable, son transactionnaire ou encore son avocat pour les autres ». Lionel Bataille et son associé ont choisi de « se faire la main » en allant voir d’abord « les établissements les moins tournés vers les officines ». « Ainsi, nous étions bien meilleurs lorsque nous sommes allés consulter des banques plus spécialisées », se félicite-t-il. Carole Taieb Assous, également installée, conseille de choisir « une agence de quartier », souvent moins frileuse qu’une grande banque. Pour un nouvel emprunt, la titulaire parisienne a préféré changer d’établissement : « Sachant que mon chargé de dossier habituel peut très bien être remplacé par une personne avec laquelle le contact sera moins facile, je préfère répartir les risques. » Reste que d’autres privilégieront la fidélité à long terme avec leur banquier.

Les justificatifs à fournir

- Eléments économiques et comptables de la pharmacie reprise : le bail, les bulletins de salaire et contrats de travail du personnel repris, les trois derniers bilans, le cas échéant l’attestation comptable sur les deux derniers mois de CA et les contrats de leasing. - Le compromis d’acquisition.

- En cas de seconde installation, les trois derniers bilans et le prix de cession de l’ancienne officine.

- La copie du diplôme.

- Le CV.

- Le dernier avis d’imposition.

- Le justificatif de l’apport personnel.

- Tous documents relatifs au condiv et au développement de l’officine (devis, plan de réagencement, documentation sur la commune, le quartier, etc.).

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