SANOFI PAYE SA STRATÉGIE DE DÉNIGREMENT - Le Moniteur des Pharmacies n° 2984 du 18/05/2013 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2984 du 18/05/2013
 
PLAVIX ET SES GENERIQUES

Actualité

Auteur(s) : Magali Clausener

Le 14 mai, l’Autorité de la concurrence a rendu publique sa décision contre Sanofi-Aventis. Le laboratoire était accusé par Teva d’entraver par ses pratiques le développement des génériques de Plavix. Après instruction, l’Autorité donne raison au génériqueur et sanctionne Sanofi-Aventis qui doit régler une amende de 40,6 millions d’euros.

C’est une première en France », a déclaré d’emblée Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, en présentant la sanction de Sanofi-Aventis le 14 mai dernier. Le groupe pharmaceutique doit en effet verser 40,6 millions d’euros pour avoir mis en œuvre une « stratégie de dénigrement » à l’encontre des génériques de Plavix auprès des professionnels de santé. Et, de fait, pour avoir freiné le développement de ces génériques. Pour l’Autorité, il s’agit bel et bien d’un abus de position dominante du laboratoire pharmaceutique, contraire à l’article L. 420-2 du Code de commerce français et de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

L’histoire remonte à 2009, le 2 novembre exactement, lorsque Teva Santé porte plainte auprès de l’Autorité de la concurrence contre des pratiques mises en œuvre par Sanofi-Aventis France, qui vend Plavix et son autogénérique Clopidogrel Winthrop. Selon le génériqueur, le laboratoire abuserait en France « de sa position dominante sur le marché “ville” du clopidogrel […] en dénigrant le générique commercialisé par Teva Santé, Clopidogrel HCS » ainsi que les autres génériques de Plavix auprès des médecins et des pharmaciens. Teva Santé n’hésite pas alors à dénoncer les messages des visiteurs médicaux et des délégués pharmaceutiques visant à susciter le doute sur les génériques de Plavix. Pour le génériqueur, ce discours entraîne des prescriptions du princeps avec la mention « non substituable » ou « uniquement substituable par l’autogénérique », ainsi que des refus ou des annulations de commandes des officines. A l’époque, Teva demande des mesures conservatoires en se référant à deux points en particulier : primo, les génériqueurs sont obligés d’utiliser un type de sel différent de celui de Plavix (l’hydrogénosulfate) ; secundo, leurs génériques ne peuvent pas comporter l’indication concernant le traitement du syndrome coronaire aigu (SCA) en association avec l’aspirine (bithérapie). Sanofi a en effet tenté de prolonger le brevet initial de Plavix en déposant un brevet pour le sel qui est protégé jusqu’en février 2013. Et fait de même pour l’indication concernant le SCA dont le brevet expire en février 2017. Mais, en mai 2010, l’Autorité de la concurrence rejette la demande de Teva Santé. Pour autant, elle s’empare du sujet et décide de mener une instruction au fond.

Une communication basée sur indication et sel différents

Non seulement le marché du clopidogrel, princeps et génériques, est passé au crible, mais également les pratiques de Sanofi-Aventis. Le laboratoire, ainsi que BMS qui commercialise Plavix, fournissent à l’Autorité les documents sur leur communication interne. La stratégie de communication auprès des médecins (qui comporte en outre des « réponses à objections ») et des pharmaciens repose essentiellement sur les sels différents des génériques hormis celui de Winthrop, et l’indication pour le SCA. Dans sa décision, l’Autorité note que les arguments des deux laboratoires reposent sur ces différences, mais aussi sur « l’insistance sur les risques importants en termes de mortalité présentés par les patients souffrant d’un SCA », sur le fait que ces risques sont maîtrisés avec Plavix et, « enfin, [sur] la suggestion faite d’indiquer la mention “non substituable” dans tous les cas de prescription en bithérapie ». En clair, si les médecins généralistes et les cardiologues prescrivent un générique ou n’écrivent pas la mention « NS » en face de Plavix, ils exposent leurs patients à des risques et peuvent eux-mêmes s’exposer à des poursuites.

Et ça fonctionne. Les témoignages de médecins et de pharmaciens recueillis par l’Autorité le démontrent. Un chef de clinique en cardiologie à l’hôpital Bichat, à Paris, explique ainsi (page 35 de la décision) : « Oui, on m’a dit qu’il fallait mettre “non substituable”. C’est une visiteuse habituelle de Sanofi. Les excipients ne seraient pas les mêmes et il y aurait eu des cas de thrombose. » Les pharmaciens sont également explicites sur les messages reçus de la part des délégués pharmaceutiques. Un de ces délégués affirme à un pharmacien de Castelnau : « [Il] faut prendre l’autogénérique de chez Winthrop, sels identiques au Plavix, les autres génériques ne sont pas identiques, voire dangereux pour les patients. » Mieux encore : deux groupements, Giropharm et Réseau Santé, décident d’envoyer une circulaire à leurs adhérents face au discours récurrent du laboratoire (pp. 42 et 43). Giropharm n’hésite pas à employer le terme de « campagne de désinformation » au sujet de l’efficacité et des indications des génériques de Plavix. Le groupement met ainsi en avant le problème des brevets, qui n’est que juridique comme le souligne l’Autorité. Réseau Santé fait référence à l’Afssaps (aujourd’hui ANSM) qui n’a pas retenu « la différenciation des sels comme un argument valable pour interdire les génériques de Plavix ». Et de conclure : « L’influence des sels devient un non-argument dont les pharmaciens ne peuvent être dupes : aucune publication sérieuse ne justifie la position de Winthrop. »

Mais cette stratégie qui « instille le doute chez les médecins et les pharmaciens », comme le souligne Bruno Lasserre, porte malgré tout ses fruits, comme le rapportent les observations de différentes CPAM. Le taux de substitution de Plavix atteint 64,6 % à la fin décembre 2010, alors que l’objectif de la Sécurité sociale était de 75 %. Si ce dernier « ne constitue pas une référence précise et indiscutable de ce qui aurait dû prévaloir en l’absence de pratique, il fournit néanmoins un ordre de grandeur confirmant que le taux de générification de Plavix a été significativement inférieur à ce qu’il aurait dû être ».

Une perte évaluée à 38 M€ pour la Sécurité sociale

Pour la période janvier 2010-août 2011, la CNAMTS évalue d’ailleurs la perte liée aux économies non réalisées à 38 millions d’euros, sachant que Plavix constitue le premier poste de remboursements avec 625 millions d’euros. Dans le même temps, l’Autorité de la concurrence relève que la part de marché de Clopidogrel Winthrop est « de plus de 34 % sur le segment des génériques du clopidogrel, soit une part de marché environ quatre fois supérieure à celle que Sanofi-Aventis détient habituellement sur le marché français des génériques » !

Pour l’Autorité de la concurrence, il n’y a aucun doute possible : par ses pratiques, Sanofi-Aventis doit être sanctionné. Le laboratoire conteste cette vision et « désapprouve » la décision dans une réaction en date du 14 mai. Sanofi-Aventis affirme n’avoir « jamais remis en cause la bioéquivalence des génériques de Plavix » ni « jamais visé spécifiquement le générique de Teva Santé ou d’autres génériques de Plavix ». Le groupe pharmaceutique « évalue actuellement tous les arguments pour préparer un recours devant la cour d’appel de Paris ». Quoi qu’il en soit, il est obligé de payer le montant de l’amende qui viendra alimenter le budget de l’Etat.

L’ESSENTIEL

• 15 juillet 1998 : AMM de Plavix.

• 4 janvier 1999 : accord de commercialisation entre Sanofi et BMS au niveau mondial.

• Février 1999 : commercialisation en France par Sanofi-Aventis.

• 15 juillet 2008 : expiration du brevet de Plavix en Europe.

• 23 septembre 2009 : création du groupe générique « hydrogénosulfate de clopidogrel » par l’Afssaps.

• 5 octobre 2009 : commercialisation de Clopidogrel Winthrop.

• 7 octobre : commercialisation des premiers génériques concurrents.

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