Les officines espagnoles dans le rouge - Le Moniteur des Pharmacies n° 2982 du 04/05/2013 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2982 du 04/05/2013
 

Actualité

Auteur(s) : Armand Chauvel

La baisse des dépenses de santé impacte durement les 22 000 pharmacies du pays. Entre un gouvernement désireux de libéraliser le système et des pharmaciens qui réclament un rôle accru dans le suivi des patients, l’incommunication semble totale.

Entre 2009 et 2012, le bénéfice brut des pharmacies espagnoles a chuté en moyenne de 35 %. Jamais nous n’avons été confrontés, dans notre histoire, à une situation aussi difficile », déclare Fernando Redondo, le président de la FEFE, la Federación Empresarial de Farmacéuticos Españoles (Fédération des entreprises pharmaceutiques espagnoles). De fait, les mauvaises nouvelles ne cessent de s’accumuler, la dernière en date étant l’intention affichée par le gouvernement de droite de Mariano Rajoy de libéraliser le secteur en mettant fin à la propriété exclusive des pharmacies par les pharmaciens. La FEFE estime que ce projet mettrait en péril 75 % des officines, principalement dans les zones rurales, et 60 000 emplois directs. « En outre, nous refusons de confier le service pharmaceutique à des groupes économiques plus préoccupés par des objectifs mercantiles que par la santé », affirme Fernando Redondo, très remonté contre la classe politique espagnole.

Car depuis le début de la crise en 2008, sous le gouvernement antérieur de gauche de José Luis Rodriguez Zapatero, la pression sur les pharmacies s’accroît sans répit. Ainsi, en Catalogne (3 200 officines) le nombre d’ordonnances émises et le chiffre d’affaires du secteur ont baissé respectivement de 19,3 % et 17,4 % sur les douze derniers mois en cumul annuel mobile à mars 2013 (source : Collège des pharmaciens de Barcelone). Treize pharmacies ont dû mettre la clé sous la porte l’an dernier, du jamais vu dans la Communauté autonome. « Comme la santé représente 40 % du budget des Communautés et que la dépense pharmaceutique est la plus visible, c’est là que se dirigent d’abord les gros coups de ciseaux », déplore Fernando Redondo.

L’été dernier, la hausse du niveau de co-paiement des médicaments, désormais proportionnelle aux revenus et s’appliquant même aux retraités, ainsi que « l’euro par ordonnance » (jugé par la suite inconstitutionnel), avait déjà suscité de nombreuses critiques. Mais l’imagination du gouvernement central et des Communautés autonomes pour réduire les dépenses de santé paraît sans limite.

160 000 patients chroniques au régime sec

La région de Valence lance par exemple un plan d’économies de médicaments de 300 millions d’euros. Il prévoit la révision de leur prescription pour les 160 000 patients chroniques les plus polymédiqués et, surtout, un nouvel « algorithme de décision thérapeutique corporatif ». Cette application interactive, qui fait grand bruit, facilitera la sélection automatique du médicament au meilleur rapport coût-efficacité pour les six pathologies ayant le plus d’impact sur le budget. Le médecin traitant pourra passer outre le « verdict » de l’algorithme, mais moyennant une argumentation détaillée. « Cette mesure est d’autant plus inquiétante qu’elle va à l’encontre de la loi de garanties et d’usage rationnel du médicament, qui définit des normes de protection nationales », estime Fernando Redondo.

S’ajoutant aux incontestables dérives du système national de santé (on comptait en 2009 plus de 700 000 « touristes sanitaires » en Espagne), les conflits de compétences entre le gouvernement central et les Communautés Autonomes n’arrangent rien. Responsables des budgets de santé, les Communautés sont endettées jusqu’au cou alors que Madrid peine à coordonner le système en raison des divergences d’orientations politiques d’une région à l’autre. En Catalogne, la Generalitat (gouvernement régional de la Communauté autonome) doit 305 millions d’euros en remboursements de médicaments aux pharmacies, une dette par officine supérieure à 95 000 euros ! Aux cris de « tes médicaments sont en danger », plus de 2 000 pharmaciens ont envahi le 21 mars dernier le centre de Barcelone. Des protestations du même ordre ont déjà eu lieu dans d’autres Communautés, comme à Valence. « Nous sommes en train de mobiliser des europarlementaires sur la question de la dette, car la solution dépend de l’Union européenne », explique Jordi de Dalmases, le président du Collège des pharmaciens de Barcelone.

Un modèle européen en crise

En effet, Madrid doit lancer en juin, sous la supervision de Bruxelles, la seconde phase d’un « plan de proveedores », plan pour les fournisseurs, pour régler les dettes des administrations. « Participer à ce plan permettrait aux pharmacies d’être remboursés à 60 jours contre 120 aujourd’hui », assure Jordi de Dalmases. « La situation est si critique que les fermetures d’officines devraient être beaucoup plus nombreuses ; nous tenons parce que les pharmaciens prennent sur eux, quitte à engager leur patrimoine », insiste Fernando Redondo. Avec son projet de libéralisation, le gouvernement paraît très éloigné des préoccupations du secteur et le modèle pharmaceutique espagnol, basé sur la proximité et sur la complémentarité avec les autres services de santé, est incontestablement dans l’œil du cyclone.

Pourtant, à Barcelone, Jordi de Dalmases analyse la situation avec calme : « ce qui nous arrive n’est pas entièrement spécifique à l’Espagne ; partout en Europe, l’officine a besoin d’un nouveau modèle de rétribution, moins lié à la marge du médicament, plus centré sur une meilleure intégration au système de santé par le biais des services et qui fasse jouer à plein notre effet de réseau ». La Catalogne est à la pointe dans cette démarche, puisque les pharmaciens participent déjà à la détection du VIH ou du cancer du côlon et rendront publics en juin un nouveau projet destiné à accroître leur poids dans le suivi des malades chroniques. Le système d’ordonnances électroniques en vigueur depuis quelques années est par ailleurs contrôlé par le Collège des pharmaciens, un élément favorable en vue de nouvelles diversifications. Car il est certain que les professionnels espagnols se battront becs et ongles pour ne pas laisser enterrer leur modèle.

Des pétitions pour faire pression

Divers moyens sont mis en œuvre pour alléger le poids de la dette des pharmacies catalanes. Ces dernières semaines, les pharmaciens ont apposé des affiches et diffusé des flyers, demandé aux patients et aux clients des officines de signer une pétition. L’objectif ? Faire pression sur le gouvernement régional afin qu’il accélère le remboursement des quelque 305 millions d’euros de médicaments qu’il doit aux pharmacies.

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