Le cannabis médical en quête de reconnaissance - Le Moniteur des Pharmacies n° 2982 du 04/05/2013 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2982 du 04/05/2013
 

Dossier

Evoluant dans une zone de non-droit, aux limites de la phytothérapie et des stupéfiants, le cannabis naturel ne bénéficie pour l’instant que d’études cliniques disparates qui n’incitent pas la plupart des médecins et pharmaciens européens à s’y intéresser.

Il faut éviter aux patients de tomber dans la marginalité et de se fournir au marché noir ! », s’indigne le Pr Rudolf Brenneisen, à qui des malades demandaient d’analyser le cannabis acquis sous le manteau dans son département de phytopharmacologie de l’université de Berne. S’il lui est interdit d’inciter à la consommation, ce pharmacien-chercheur estime qu’il est de son devoir de garantir la sécurité des personnes. « Avant l’autorisation, la moitié des malades atteints de sclérose en plaques avaient eu recours au cannabis pour soulager leurs douleurs », affirme Manfred Fankhauser dénonçant l’hypocrisie de l’époque. Ce pharmacien de la région d’Emmental se réjouit pour ses patients aujourd’hui libérés de leur mauvaise conscience.

Des principes actifs méconnus et des dosages incertains

En Europe, le cannabis médical a toujours mauvaise presse et souffre d’un amalgame systématique avec le cannabis d’usage récréatif. En cause, les cannabinoïdes dont les effets restent méconnus du grand public et d’une grande partie du corps médical. Arno Hazekamp, pharmacologue et chercheur à l’université de Leiden aux Pays-bas, confirme qu’il est toujours peu aisé d’obtenir une ordonnance avec du cannabis. « Les médecins restent réticents à prescrire un produit qu’ils ne connaissent pas. Ils ignorent l’action complexe des récepteurs cannabinoïdes. » Il est vrai que cette plante qui n’est pas encore reconnue comme médicament – elle fut supprimée de la Pharmacopée française en 1953 – concentre à elle seule plus d’une soixantaine de substances chimiques (cannabinoïdes). Selon Mischka, écrivaine et éditrice qui suit depuis 1978 le dossier du cannabis médical, « la diversité et la richesse de la plante l’ont desservie. Sa reconnaissance aurait été plus facile avec un seul principe actif ». Ainsi le Pr Jean Costentin limiterait l’usage du cannabis « aux soins palliatifs, quand la médecine est en défaut ». Hormis ce champ, ce pharmacologue de l’Université de Rouen reste formel : « Le cannabis est un ubiquiste qui investit toutes les structures cérébrales. Il manque totalement de spécificité. Or ce qui qualifie un médicament, c’est la spécificité de son action. » Une vision qui n’est pas partagée dans les autres pays européens où l’on salue au contraire les effets « tout-en-un » du cannabis, notamment pour les personnes suivant une chimiothérapie.

Des dosettes de cannabis, what else ?

Reste que cette plante inédite est difficile à manier. Comme le rappelle Mireille Becchio, médecin généraliste à Villejuif (Val-de-Marne) et professeur associé (Paris-XI), « ses effets diffèrent d’un patient à l’autre et il faut prendre en compte ses interactions avec d’autres substances. D’où la nécessité, comme pour tout traitement, de bien connaître les antécédents du patient afin d’éviter des effets secondaires au niveau cardiovasculaires. » Par ailleurs, son dosage qui doit être adapté au patient peut varier selon les variétés, c’est une autre spécificité du cannabis. Par conséquent, une évaluation et une formation des médecins s’imposent, car tout traitement initial demande une période d’observation et un réajustement. Pour en faciliter l’usage, le pharmacien Manfred Fankhauser a mis au point une teinture qui a reçu l’aval des autorités de santé suisses. Il l’a mise sur le marché il y a neuf mois et soixante-dix patients sont actuellement traités par cette solution à base de 80 % d’alcool qui contient deux fois plus de CBD que de THC (ce qui permet de réduire l’effet psychotrope). Cette teinture dont profiteront une centaine de personnes d’ici la fin de l’année est une alternative au dronabinol importé d’Allemagne. Car la Suisse, où sont cultivés des plants de cannabis bio destinés à la teinture, veut préserver son autonomie. D’autant que la teinture – un tiers moins chère que le dronabinol et Sativex – peut être une solution pour les deux tiers des patients qui n’ont pas accès à Sativex.

Sortir le cannabis de son image de drogue de rue, tel est l’enjeu de Arno Hazekamp et de Tjalling Erkelens, respectivement directeur de la recherche et du développement et dirigeant de la société Bedrocan, fournisseur officiel de cannabis médical aux Pays-bas. La société exporte aujourd’hui 25 % de sa production – extraits de la plante et inflorescence – en Europe. L’activité ne cesse d’augmenter de 30 % chaque année depuis 2011 et le potentiel de développement reste important. « Dix ans après son autorisation aux Pays-Bas, le cannabis médical ne couvre pas encore tous les besoins », affirme Tjalling Erkelens qui estime à 10 000 le nombre de patients traités pendant cette durée. Bedrocan s’apprête à lancer en 2014 les premiers essais cliniques versus placebo avec le soutien de deux universités néerlandaises et d’une université allemande. La société vient également de résoudre le problème du dosage en mettant au point un dispositif de dosettes de cannabis qui fonctionne comme une machine à expresso. Autant d’initiatives qui visent à rendre la prescription et la dispensation du cannabis plus accessibles aux médecins et aux pharmaciens, deux acteurs clés dans l’usage thérapeutique du cannabis. Comme le rappellent le Dr Mireille Becchio et le Dr Franjo Grotenhermen, médecin allemand fondateur de l’IACM, si la décision de la prescription revient au médecin, le pharmacien doit nécessairement être impliqué dès la dispensation pour son rôle d’accompagnement du patient.

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